L’année 2024 de la RSE et des tendances marketing, le grand retour à la maison, le succès du jeu Virtual Regatta, l’allongement de la jeunesse, l’exode informationnel, le “casual viewing”, la charge mentale culturelle, le techno-féodalisme, Le Déluge et Jacques Chirac, roi des Français … Elles ont fait (ou pas) l’actualité de ces dernières semaines, voilà la veille des idées utiles à la communication.
Bonne lecture !
Temps de lecture estimé : 15 minutes
C’ÉTAIT 2024
La “Grande Désillusion” en matière de RSE ?
C’est en tout cas le constat que tire Novethic de l’année écoulée, qui parle même d’une “année perdue pour la transition écologique et sociale”. Et de lister les nombreux points de recul : à l’échelle de l’Union européenne, le momentum autour du Green Deal s’est brisé, pour aboutir à une série de renoncements - moratoire sur la CSRD, simplification des exigences de reporting, remontée des seuils d'applicabilité.
À l’échelle politique, le journal Le Monde regrette que l’année 2024 ait “entériné la quasi-disparition de l’agenda politique de la thématique environnementale”. Du côté des citoyens, de plus en plus de Français sont climatosceptiques : dans son dernier baromètre, rendu public en octobre, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) constate que seuls 62 % se rangent au consensus scientifique.
À l’échelle des entreprises, la montée en puissance d’un fort mouvement anti-ESG aux États-Unis a battu en brèche l’idée qu’elles devaient absolument s’engager en matière sociale et environnementale. D’où une liste sans fin d’acteurs économiques qui sont revenus sur leurs objectifs qu’ils s’étaient préalablement fixés :
“ Les énergéticiens de retour vers les énergies fossiles (…), Coca-Cola qui recule sur ses objectifs d'emballages réutilisables... Même la décarbonation, qui était pourtant l'enjeu RSE le plus avancé dans nombre d'entreprises, est au point mort : BP, Shell, ou encore BlackRock ont revu leurs ambitions climatiques à la baisse”
Soudainement, tout se passe comme si “toute la rhétorique qui avait prévalu durant ces trois dernières décennies, celle d'une RSE volontaire gagnant-gagnant, était soudain passée de mode”. On notera cette prise de parole de professionnels de la RSE dans le journal La Tribune, qui a tout l’air d’un cri du désespoir : "Ne lâchez pas maintenant !"
Ceci étant dit, une récente enquête d’Havas Cortex x Agence Verte consacrée à “La RSE dans les grandes entreprises”, et réalisée auprès de 253 décideurs RSE travaillant dans des entreprises ou organisations de plus de 500 personnes, permet de nuancer un peu le tableau. À écouter les professionnels, la RSE a gagné sa place dans les grandes entreprises : 89 % d’entre eux estiment que la politique RSE de leur entreprise est intense, et 64% que les actions de leur entreprise en matière de RSE sont “nombreuses et bien structurées”. Pour 74% des répondants, la RSE est intégrée au récit global de l’entreprise, et 83% estiment qu’elle est un atout pour le business, tandis que seulement 6 % y voient un frein. C’est un solide motif d’espoir : les engagements sociaux et environnementaux étant profondément ancrés dans les organisations, il ne sera pas si facile de la déloger.
Les tendances marketing de l’année écoulée
Comme chaque année depuis quatorze ans, Mark Ritson, l’enfant terrible du marketing, tire les leçons des dix plus grands événements marketing de l’année écoulée. Impossible d’entrer ici dans les détails de chaque cas, mais quelques éléments saillants émergent.
Tout d’abord, les méthodes de pré-tests et post-tests de campagnes sont aujourd’hui aussi fiables qu’indispensables. La campagne de Noël de Coca-Cola, intégralement générée par IA, en est la preuve : malgré les réticences incantatoires des professionnels de la profession et conformément aux tests, elle a surperformé auprès des consommateurs.
En période de contrainte économique, le rôle premier du marketing est plus que jamais de réduire la sensibilité au prix. Une notion résumée par la jolie formule “Price Insensitivity”, illustrée par McDonald's, McCain ou Oasis notamment.
Un exemple à retenir : le formidable nudge réalisé par The Economist. En proposant des tarifs similaires pour les abonnements print + digital et print only, le magazine a réussi à faire opter 84 % de ses lecteurs pour la version la plus coûteuse, plutôt que pour la version la plus économique (digital only).
Contre-intuitivement, faire preuve d’audace en marketing ne signifie pas forcément céder aux nouveautés. Parfois, le véritable courage consiste à persévérer dans une approche traditionnelle “comme on a toujours fait” - c’est ce que montrent les cas de McCain et M&S.
Autre enseignement : en marketing, à la chasse, il y a de bons positionnements, illustrés par McCain, M&S ou Kit Kat, et de mauvais positionnements, comme l’exemple de Starbucks.
La revente des cadeaux de Noël
Dans les données statistiques cumulées par Le Figaro au soir du 25 décembre dernier, plus d’un million de cadeaux ont été remis en vente sur les sites de seconde main. eBay comptabilisait 340 000 annonces en 24h, soit une hausse de 13% par rapport à 2023 ; le 25 décembre à 15h, Rakuten enregistrait 680 000 nouvelles annonces déposées sur son site. Un “changement de paradigme”, analyse eBay :
“Alors qu’en 2023, l’inflation poussait à des choix plus pragmatiques, cette année, les particuliers privilégient davantage l’échange d’un cadeau qui ne leur convient pas contre un objet qui leur fait plaisir” (20 Minutes)
Dans le baromètre de Noël réalisé par Ipsos, “près de 4 Français sur 10 se disent prêts à revendre les cadeaux qui ne leur conviennent pas”, preuve selon l’institut de sondage qu’il s’agit d’une pratique “de plus en plus acceptée socialement”. Il y a dix ans, seul 1 Français sur 10 se disait prêt à agir de même.
À SUIVRE EN 2025
“A Nation of Homebodies” : le grand retour à la maison
Dans le New York Times, on lit qu’une étude récente (American Time Use Survey) montre que les Américains passent nettement plus de temps à la maison qu’autrefois.
Entre 2003 et 2022, le temps moyen passé à la maison s’est accru de 1h39 par jour - “une tendance qui a fortement augmenté pendant la pandémie, précise l’article, et qui n’était pas encore revenue à des niveaux plus habituels en 2022 – un signe que la pandémie a peut-être accéléré un changement culturel déjà en cours”.
En dehors de la pandémie, c’est à une vraie révolution domestique que les sociétés occidentales font face, dans la mesure où “presque tous les aspects de notre vie peuvent aujourd’hui se dérouler à la maison” commente Patrick Sharkey, professeur de sociologie et d’affaires publiques à Princeton, et auteur de l’étude. En 2022, le temps que les Américains passaient autrefois à l’extérieur de leur foyer pour participer à des activités telles que l’éducation, les repas et les boissons s’est déplacé chez eux. Le changement le plus important concerne les activités religieuses : 59 % ont eu lieu à la maison en 2022, contre seulement 24 % en 2003.
Dernier enseignement de l'étude : globalement, le retour à la maison s’accompagne d’un repli social. Pour chaque heure supplémentaire passée à la maison, les gens passent certes 7,4 minutes de plus avec leur famille, mais 5 minutes de moins avec leurs amis, et surtout 21 minutes de plus seuls.
Une suggestion marketing : c’est l’ensemble des marques qui doivent réfléchir à la façon de prendre place dans ce “tournant domestique”, au-delà de celles auxquelles on pense spontanément pour la maison.
E-sport : le succès de Virtual Regatta
Alors que les premiers skippers du Vendée Globe commencent à rallier Les Sables d’Olonne, Virtual Regatta connaît un succès phénoménal. Lancé en 2006 par Philippe Guigné – qui explique à Franceinfo vouloir rendre la navigation accessible à tous – Virtual Regatta est un jeu de simulation de régates et de courses au large. Il permet de naviguer virtuellement dans des conditions météorologiques réelles sur des bateaux identiques aux modèles existants, lors des plus grandes courses à la voile (Transat Jacques-Vabre, Route du Rhum…). Gratuit, accessible sur tous les supports, le jeu propose également des options payantes qui fournissent des équipements sophistiqués pour maximiser les performances et l’immersion.
Après des débuts hésitants, le jeu a séduit un nombre croissant d’adeptes pour devenir un modèle dans la sphère de l’e-sport nautique. “Notre édition référence est le Vendée Globe 2008 avec 340 000 joueurs pour atteindre un million de participants en 2020. La période de confinement (liée à la pandémie de Covid-19) a été propice à la découverte de Virtual Regatta” résume Philippe Guigné. Les chiffres fous de Virtual Regatta aujourd’hui : 1 500 000 joueurs actifs dans le monde, 193 pays représentés et plus de 700 000 skippers virtuels inscrits à l’édition 2024 du Vendée Globe.
La plus grande force du jeu réside dans sa dimension sociale et collaborative. Les joueurs partagent des conseils, développent des stratégies sur des forums dédiés, cultivant ainsi l’entraide et la bienveillance. Le journaliste Antonin Bodiguel explique qu’ ”au fil des années, Virtual Regatta a forgé une véritable communauté”.
Ces propos entrent en résonnance avec l’étude “5 TO PLAY” menée en 2024 par Havas Play sur les passions et les sujets de conversation préférés des Français de plus de 15 ans. D'après l'enquête, tous sports confondus, l’e-sport occupe une belle deuxième place en termes de sentiment d'appartenance (37% des pratiquants disent se sentir membres d'un collectif), juste derrière le golf (47%). Il se distingue également par son attractivité pour les marques, affichant un taux d’acceptation exceptionnel de 94% contre 76% pour l’ensemble des Français interrogés. C’est l’une des communautés les plus « brand friendly » !
Face à “l’allongement de la jeunesse”, l’essor des voyages organisés
WeRoad, Copines de voyage, Les Aventureurs, Les Covoyageurs ou encore Explora Project : dans Le Monde, on lit que les nouvelles agences spécialisées dans les voyages organisés pour les 25-40 ans gagnent du terrain. Le principe : proposer des séjours clés en main pour un petit groupe de jeunes adultes avec, au programme, des activités calibrées pour leur cible - rafting au Costa Rica, nuit dans le désert au Maroc, sortie en boîte de nuit à Istanbul, cours de cuisine en Inde …
“Historiquement, les jeunes ne sont pas une catégorie qui part beaucoup en voyage de groupe, explique Jean-Pierre Nadir, investisseur dans le secteur du tourisme. Ces nouvelles agences les attrapent avec un côté communautaire, en réunissant des profils qui se ressemblent”. La formule surfe sur plusieurs phénomènes : l’allongement de la vie avant le couple et les enfants, ce que l’INSEE appelle joliment “l’allongement de la jeunesse”, la montée du sentiment de solitude chez les jeunes, ou encore le sentiment de mise à l’écart des célibataires :
“Quand tu es célibataire, ce n’est pas facile de trouver la bonne formule pour partir en vacances. Tes amis ne sont pas libres aux bonnes dates, tout le monde n’a pas le même budget, les mêmes envies. Certains sont en couple, d’autres ont déjà des enfants. Je ne vais pas passer mon temps à attendre qu’une copine soit dispo !” (Laurie, 28 ans)
Autre caractéristique : des prix bien inférieurs à ceux pratiqués par les agences de voyage traditionnels. Pour treize jours au Mexique, il faut compter 3 000€, les billets d’avion compris. Outre “l’esprit colo” (les participants partagent leur chambre), ces prix attractifs s’expliquent aussi par une curiosité : la coordination du groupe n’est pas assurée par un guide, mais par un bénévole, qui a le même profil que les participants.
Dans le même temps, WeRoad a fait parler d’elle (plutôt de façon polémique) en ce début 2025 avec une campagne d’affichage dans le métro :
Dans tous les cas, cette tendance illustre ce fait : on a encore des choses à apprendre sur “les jeunes”. Alors qu’on pense souvent à tort qu’il s’agit d’une cible multi-étudiée, il reste encore des surprises. Bravo à ceux qui ont compris que “les jeunes” pouvaient vouloir faire comme “les vieux” : prendre le bus à 25 en vacances !
Les méta-tendances de l’année qui vient
Chaque année, Matt Klein, Head of Global Insight chez Reddit, compile et analyse plus de 70 rapports de tendances marketing, industriels et culturels, pour décrypter leses grandes mutations à venir, ainsi que les mouvements les plus influents qui façonnent les comportements, les envies et les attentes des consommateurs. Le tout,
synthétisé en un seul document sobrement baptisé “The META Trending Trends”. La promesse : constituer “un véritable GPS stratégique pour anticiper le futur”.
Le deck étant impossible à résumer, on ne peut que vous inciter à y jeter un coup d’oeil. Vous y trouverez notamment des réflexions concernant : le “Global Burn Out”, ou comment les crises successives entrainent une anxiété généralisée qui épuise les sociétés ; le “Late-Stage Wellness”, ou pourquoi la quête obsessionnelle du bien-être atteint ses limites dans un monde en crise ; ou encore le “Consensus Collapse” et le business model de “l’ego-nomics”.
À lire !
ACTUALITÉS MÉDIA
Le grand exode informationnel des Français
Il y a deux ans, l’ObSoCo, la Fondation Jean-Jaurès et Arte publiaient une enquête commune sur la “fatigue informationnelle” (recensée dans la Cortex Newsletter #22). À l’occasion de cette deuxième vague, une note passionnante publiée par la Fondation Jean-Jaurès parle, cette fois-ci, d’un “exode informationnel” - une expression qui désigne le fait que des millions de Français fuient “un écosystème médiatique saturé d’informations répétitives, anxiogènes et conflictuelles”. Voilà les principaux enseignements de l’enquête.
i/ Une fatigue informationnelle qui s’installe
54 % des Français estiment être fatigués par l’information, dont 39 % qui se déclarent même « très » fatigués (stable depuis 2022). Une précision importante : “Cette fatigue ne procède pas simplement d’un volume excessif d’informations pesant sur l’individu, mais d’un sentiment étouffant de saturation par du « même »” écrivent les auteurs, Guénaëlle Gault et David Medioni. De fait, plus de huit Français sur dix ont l’impression de voir tout le temps les mêmes informations.
Cette fatigue informationnelle produit des effets délétères : plus d’un Français sur deux (53 %) confie qu’il a désormais du mal à distinguer ce qui est une vraie information de ce qui est une fausse information, et près de la moitié des Français (47 %) reconnaissent avoir des difficultés à suivre la continuité des sujets ou des événements (+6 points depuis 2022).
ii/ Un intérêt déclinant pour les médias
L’importance accordée à l’information s’érode : seuls 57% des interrogés jugent que s’informer régulièrement dans les médias est important (-2 points en deux ans). L’une des manifestations les plus tangibles en est la baisse du nombre de médias utilisés pour s’informer : en 2024, les Français consultent en moyenne 7,4 canaux d’information différents, contre 8,3 en 2022. Seuls 31 % des Français utilisent plus de trois canaux d’information quotidiennement, un recul significatif de 8 points par rapport à 2022.
iii/ Des pratiques actives d’information qui refluent
La façon de consommer l’actualité est également touchée : moins impliquée et impliquante. Seuls 32 % des Français se déclarent régulièrement actifs dans leurs pratiques informationnelles, soit une chute de 7 points par rapport à 2022, qu’il s’agisse de discuter et commenter l’actualité avec ses proches (-7 points) ou de partager/commenter des informations en ligne (-7 points).
iv/ Les stratégies de régulation de ses pratiques en matière d’information
La note précise que certains Français développent des stratégies de régulation de leurs pratiques médiatiques. La plus répandue consiste à désactiver les notifications sur leur téléphone portable (53 % le font « régulièrement » ou « de temps en temps »), suivie par la surveillance de leur temps d’écran (35 %) et l’extinction volontaire de la télévision (29 %). Plus significatif encore, 68 % des Français déclarent avoir supprimé des applications de réseaux sociaux de leur téléphone et 55 % ont supprimé des applications de conversation comme WhatsApp ou Messenger, “témoignant d’une volonté croissante de reprendre le contrôle sur leur consommation d’information”. 19% des sondés vont jusqu’à s’engager dans des « détox digitales » en se coupant complètement d’Internet pendant quelques jours.
La note se termine sur un ton alarmiste, en pointant un double risque : démocratique, d’une part, dans la mesure où l’exode informationnel laisse “planer le spectre d’un désert civique” ; médiatique, d’autre part :
“Si nous n’y prenons pas garde, cette dynamique pourrait conduire inexorablement à la mort de l’information – c’est-à-dire à un monde dans lequel l’information indépendante des intérêts économique n’existerait plus, où la concentration des sources de production d’information se renforcerait, chacun son information et chacun sa réalité et vérité”
Au sortir de cette étude, on en tire une conclusion : les médias doivent réinventer leur manière de capter l’attention des gens, leur manière de s’adresser à eux. Un certain nombre d’éléments récents donnent à voir de nouveaux positionnements, centrés sur l’enracinement local et l’authenticité : France Bleu et ses 44 radios locales qui change de nom et devient “Ici”, Ouest-France TV qui se positionne comme “la chaîne du vrai” sur la TNT …
Apprendre à gérer la “charge mentale culturelle”
C’est l’expression utilisée par le journal Le Monde pour désigner ce “sentiment d’écrasement, de saturation et de pression sociale” que tout un chacun peut ressentir devant le tsunami de livres, de podcasts, de séries, de films et d’expositions à ne rater sous aucun prétexte, au risque d’être “à la ramasse”. À chaque fois, on retrouve cette même “injonction à tout voir”, qui peut donner naissance à un vrai sentiment d’angoisse, explique Marta Boni, spécialiste des séries et autrice de Perdre pied. Le principe d’incertitude dans les séries (Presses universitaires François-Rabelais, 2023).
“Avant, être cultivé, c’était avoir lu La Pléiade. Le socle de culture était clair et presque immuable, on avait lu Balzac, Zola, vu La Grande Vadrouille et Les Tontons flingueurs, appris du Prévert, écouté les Beatles… Aujourd’hui, ce socle est éclaté, avec de plus en plus de formats, dont les séries, les podcasts, les documentaires… Comment suivre ?
Pierre-Guillaume, 34 ans
Pour gérer cette “content fatigue”, différentes techniques émergent. Il y a celles et ceux qui visionnent tout en accéléré (x1,5 ou x1,75), histoire de gagner du temps ; ceux qui font du tri, en appliquant une sorte d’axiome : “les séries de mes amis ne sont pas mes amies” ; et il y a ceux, enfin, qui pratiquent le “visionnage nostalgique” - re-regarder des séries qu’on connait déjà, et qui font du bien. Marta Boni constate que bien des spectateurs, désormais, “manquent d’énergie pour défricher le Far West des séries et se resserrent sur ce qu’ils maîtrisent”.
Sur Netflix, le cinéma à l’ère du “casual viewing”
Un (très) long article du magazine culturel new-yorkais n+1 s’est penché sur la façon dont Netflix a progressivement fait évoluer sa méthode pour écrire des films et des séries. Après avoir inventé le “binge-watching”, la plateforme de streaming parle désormais de “casual viewing” - à savoir, la fabrication d’une narration à laquelle on peut prêter négligemment attention, en faisant autre chose (la vaisselle, la cuisine, ses ongles).
En clair, Netflix demanderait de plus en plus à ses scénaristes de simplifier les dialogues, de supprimer les nuances et de faire de l’audiodescription la norme. Un impératif : être “second screen compatible”, c’est-à-dire proposer un contenu audiovisuel qui peut être suivi sans lâcher son téléphone portable des yeux.
"Multiple screenwriters report that company executives are sending back scripts with requests to narrate the action, such as announcing when characters enter the room (…). I’ve heard from showrunners who are given notes from the streamers that 'this isn’t second screen enough.'"
En clair, il est demandé de faire en sorte que la série ne dérange pas le spectateur pendant qu’il est sur son smartphone. Le projet serait de proposer une télé d'ambiance aseptisée, surnommée "visual muzak", l’équivalent visuel de la musique d’ascenseur.
Tout ceci est une conséquence du modèle de Netflix, qui repose sur un abonnement global et non un paiement par film (et ça change tout) :
“For a century, the business of running a Hollywood studio was straightforward. The more people watched films, the more money the studios made. With Netflix, however, audiences don’t pay for individual films. They pay a subscription to watch everything, and this has enabled a strange phenomenon to take root. Netflix’s movies don’t have to abide by any of the norms established over the history of cinema: they don’t have to be profitable, pretty, sexy, intelligent, funny, well-made, or anything else that pulls audiences into theater seats. Netflix’s audiences watch from their homes, on couches, in beds, on public transportation, and on toilets. Often they aren’t even watching. Netflix doesn’t just survive when no one is watching — it thrives”
Bien sûr, on pourra rétorquer que Netflix ne fait que s’adapter aux pratiques de ses téléspectateurs. Mais quand même : comment proposer un contenu audiovisuel de qualité si on anticipe dès le départ une faible attention de son public ? Pour se consoler, on se remémorera ce bon mot de Quentin Tarantino au sujet d’une obscure production Netflix qui aurait cumulé des dizaines de millions de vues sur la plateforme : “Well, good for him that he’s making so much money. But those movies don’t exist in the zeitgeist. It’s almost like they don’t even exist.”
On sort de cette lecture avec cette réflexion : le “casual viewing”, n’est-ce pas le défi que la pub relève depuis toujours - parler pendant que les gens font autre chose ?
CHAPEAU L’ARTISTE
Allianz - De A à Z
Pour revisiter sa signature historique “Avec vous de A à Z”, Allianz a imaginé une campagne très maligne en donnant à voir ses 2 600 agences réparties sur le territoire national. Le spot nous entraine dans un tour de France, d’Argenteuil à Zoufftgen, au rythme des 26 lettres de l’alphabet égrenées. Une bonne façon de raconter son ancrage territorial et sa proximité.
Audible - There’s more to imagine when you listen
Une campagne intéressante signée Audible, la plateforme de livres audio, qui se positionne comme un acteur pour nous aider à fuir le stress et les tensions du quotidien. Dans ce spot, un trajet en métro est transformé en authentique voyage spirituel : au milieu de ce “painpoint” quotidien, le livre audio devient une véritable évasion mentale.
Malin !
DERNIÈRES PARUTIONS
Un livre : Le Déluge (Stephen Markley, Albin Michel)
Fruit de dix années de travail, le romancier américain Stephen Markley réalise ce qu’on pourrait appeler le premier “livre-monde climatique” : dans un récit qui s’étire de 2013 à 2040, il imagine la façon dont les États-Unis d’Amérique éprouvent les conséquences politiques, sociales, économiques, technologiques et idéologiques du réchauffement climatique.
Sur près de 1 000 pages, le récit déploie les vies croisées d’une gallerie de personnages qui se situent aux quatre coins de la société américaine – une activiste écologiste, qui fait le pari de décorréler la lutte pour le climat des combats progressistes, en soutenant une candidate Républicaine à la Maison-Blanche ; un dénommé Pasteur, acteur hollywoodien de seconde zone reconverti en gourou, auteur d’une nouvelle Bible qui inaugure une forme de « fascisme théocratique » ; un junkie, habitué des banques du sang, tenté de rejoindre le groupe paramilitaire American Patriot League ; un océanographe dont les travaux parviennent à anticiper les « boucles de rétroaction » du réchauffement climatique, qu’il décrit comme des « effets dominos mortels » ; mais aussi : une publicitaire à succès de la côte est, un magnat de l’immobilier à Miami, le fondateur d’une entreprise de capital-risque qui investit dans l’intelligence artificielle, et un mystérieux groupe d’éco-saboteurs, dénommé les « Weathermen », qui œuvre à détruire les infrastructures économiques fossiles pour augmenter le coût de fonctionnement, d’assurance et de sécurité des industries polluantes.
Ce qui est puissant, c’est que chaque chapitre ou presque regorge de trouvailles de marketing politique : du côté réactionnaire, ce slogan glaçant d’un futur dirigeant nationaliste américain confronté à des tensions alimentaires (Americans Will Eat First) ; du côté des activistes écolos, le principe des “manifestations du Septième Jour” : le 7 de chaque mois, les participants se retirent de l’économie – ils cessent de travailler et de dépenser – et mettent à profit cette journée pour “bloquer, perturber ou démanteler ce qui compose l’infrastructure carbonée » (stations-services, etc.).
À lire, d’urgence !
Une pièce de théâtre : La vie et la mort de Jacques Chirac, roi des Français
Au Petit Saint-Martin (Paris), une pièce humoristique propose au public d’interagir avec un Jacques Chirac plus vrai que nature - incarné, et imité de façon époustouflante, par Julien Campani. Retraçant l’histoire et l’itinéraire de l’animal politique, la mise en scène de Léo Cohen-Paperman s’écarte du seul sentiment nostalgique vis-à-vis de celui qui a été très largement coolisé ces dernières années. Partant d’un côté bon enfant, la critique se fait de plus en plus acide au fur et à mesure du spectacle : tout ce que le spectateur a apprécié de Chirac pendant la première partie de la pièce– sa faconde naturelle, son style, son éloquence, sa nonchalance – se retourne brutalement. Au final, ses discours se révèlent vides, impuissants, insignifiants.
Dans une scène particulièrement saisissante, on voit Jacques Chirac face à un miroir, dos au public, entrer en conversation avec Louis XIV autour de la façon de remporter l’élection présidentielle de 1995. “Achève ton masque !”, assène à plusieurs reprises le Roi Soleil à son lointain successeur, lequel finit par faire jaillir la formule gagnante : ce sera “la fracture sociale”. Jacques Chirac se retourne, et le public le découvre grimé en clown, une couronne sur la tête.
A noter que les auteurs entendent revisiter chaque président de la Ve République, en lançant ce qu’on pourrait appeler une “série théâtrale”.
À suivre !
Un podcast : Le techno-féodalisme (France Inter)
Alors que Mark Z allège ses équipes de fact-checking et multiplie les propos masculinistes, que Marc Andreessen déclare que les entreprises IA sont nées woke et fonctionnent comme des machines de censure, et que Peter Thiel annonce qu'une "vaste conspiration millénaire" sera bientôt révélée, il est bon de revenir sur cette la notion de techno-féodalisme pour éclairer la situation actuelle dans la Silicon Valley.
Invité de l’émission Le code a changé (France Inter), Yanis Varoufakis, ancien ministre des Finances de la Grèce, en dessine les principales caractéristiques : contrôle sur l'économie et la société des géants technologiques, monopolisation des données, rentes de situation monopolistiques. Depuis quelques jours, on voit sous nos yeux se dessiner une nouvelle forme de fusion entre tech et politique, annonçant des impacts à venir sur les États : affaiblissement du pouvoir, de la souveraineté, de la démocratie, de la régulation...
Comme cela risque d'être au profit des seuls Etats Unis, ne pourrait-on pas dire que MAGAM is the new GAFAM ?
Dans cette transformation profonde du capitalisme, on comprend que le contrôle des données et des infrastructures numériques remplace progressivement la propriété des moyens de production comme source principale de pouvoir économique et social. Une révolution pour les entreprises, même dans le tertiaire. Comment peuvent-elles survivre dans ce nouvel écosystème instable, où leur existence dépend parfois de trois ou quatre grands techno-barons pour exister ?
C’est tout pour aujourd’hui ! Rendez-vous le mois prochain pour un nouveau numéro de la CORTEX NEWSLETTER.
En attendant, n’hésitez pas à vous abonner pour recevoir les prochains numéros directement dans votre boite mail.
Très bon !