Les marques comme reliques modernes, Malheurs Actuels, fatigue informationnelle, NAFO, auto-solisme, “business model effondriste”, Homo Confort, crise du rire … elles ont fait (ou pas) l’actualité, voilà la veille des idées du mois d’octobre 2022.
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MEDIA
“Malheurs actuels”, le média parodique dédié à l’inaction climatique
Depuis la fin de l’été, le media en ligne Malheurs actuels (en référence au magazine conservateur “Valeurs Actuelles”) a été lancé par un chercheur en communication environnementale pour « sensibiliser autrement ». Ce “Gorafi vert” s’inspire de l’actualité pour dénoncer, par l’humour, l’inaction climatique. D’où la multiplication de unes et de posts plus absurdes les uns que les autres : on lit par exemple que la société « Climate4Good » propose de planter directement des arbres dans le Metaverse, parce que ça ne coûte rien à entretenir, et que ces « coût réels » pourraient être « réinvestis dans la vraie protection de l’environnement ». À l’heure où les déplacements en jet privés sont traqués par les internautes du monde entier, Malheurs Actuels invente le “co-flying”, présenté comme “la solution des milliardaires pour lutter contre le réchauffement climatique”.
“On essaye de détourner l’image de l’écolo khmer vert qui veut tout interdire, on utilise l’humour en montrant l’absurdité de l’inaction climatique tout en parodiant les médias eux-mêmes” Albin Wegener, rédacteur en chef de Malheurs Actuels”
L’humour pour sensibiliser, une bonne carte à jouer dans la communication environnementale des marques.
Lancement de DIVERTO, la pop culture des régions
PQR366 annonce le lancement en janvier prochain de DIVERTO en remplacement de TV Magazine (groupe Le Figaro), le supplément TV du week end des titres de presse quotidienne régionale.
C’est un évènement pour le secteur Presse qui n’a pas connu depuis longtemps un lancement aussi important : plus de 3 Mo d’exemplaires pour la version print et 2 Mo de VU mensuels escomptés.
Rappelons que TV Magazine est aujourd’hui en tête de la famille des magazines TV (3,8millions d’exemplaires et lu par 9,4 millions de lecteurs en moyenne - ACPM), la plus puissante des familles de presse magazine print ( plus d’1/3 des français en est lecteur), mais qui perd néanmoins du terrain au profit de ses versions digitales : Télé loisir est ainsi la 3eme marque de presse la plus consultée sur mobile et sur tablette.
DIVERTO se présente comme un media 360 (print et digital, video et audio), et un guide du divertissement. Le magazine se veut serviciel pour aider à se repérer dans les contenus disponibles toujours plus nombreux : au-delà des grilles de programmes TV classique, Diverto s’adapte aux nouveaux usages vidéo et proposera donc aussi une sélection des plateformes et replay des chaines historiques, une sélection des meilleurs contenus, une page familiale pour l’écoute conjointe …
L’objectif de ce nouveau média est de représenter TOUTES les cultures populaires : chaines linéaires, plateformes, catalogue VOD, mais aussi musique, spectacles, grands évènements, livres ….
L’intégration de la publicité est annoncée très poussée tant en numérique qu’en print (possibilité d’apparaître au sein même des grilles)
Fatigue informationnelle : mutations et tentions dans notre rapport à l’information
Pour Arte, Guénaëlle Gault (L’ObSoCo) et David Medioni (Directeur de l’Observatoire des médias de la Fondation Jean-Jaurès) ont réalisé une étude passionnante sur la “fatigue informationnelle”, parue à la Fondation Jean-Jaurès. Plusieurs éléments à retenir.
D’abord, des éléments sur l’intensité de la consommation d’information : 29 % des Français témoignent d’un engagement fort dans la consommation d’informations, 49 % d’un engagement moyen, 22 % d’un engagement faible. On retrouve une fois encore cette tri-partition, qui vaut dans d’autres domaines : des très engagés et des désengagés, en proportion à peu près équivalente, et un vaste “ventre mou”.
Mais le point essentiel de l’étude tient en ce chiffre : 53 % des Français disent souffrir de fatigue informationnelle, dont 38 % qui disent en souffrir « beaucoup ».
“En moyenne, rien ne semble fondamentalement distinguer les plus fatigués du reste de la population. Leurs usages apparaissent sensiblement similaires aux autres. Ils consultent à peine plus de médias (8,6 pour 8,3 au total), sont légèrement plus habitués aux réseaux sociaux (65 % pour 61 % de l’ensemble) et aux médias numériques en général (par exemple 13 % écoutent des podcasts d’information pour 9 % de l’ensemble des Français). Les plus fatigués sont, en revanche, plus actifs dans leur rapport à l’information : 48 % la partagent (pour 40 % de l’ensemble), 34 % la commentent en ligne (pour 29 %), 9 % envoient des courriers aux animateurs ou appellent des émissions de radio (pour 6 %)”
Face au flux d’information, des “stratégies de protection” commencent à se mettre en place sur le plan individuel. Notons que 30% des Français se forcent à ne pas allumer la TV :
Plus impressionnant encore, car plus radical et plus massif : la tentation du retrait, devant le trop-plein. 77 % de Français déclarent qu’il leur arrive de limiter ou de cesser de consulter les informations, dont 28% régulièrement (c’est le cas de 90 % des plus fatigués). Parmi les facteurs de retrait, on peut noter que pour 16% de ceux qui lâchent, le fait que les médias ne rendent pas compte de ce qu’ils vivent et de leurs opinions joue un rôle.
C’est un élément important à prendre en compte pour les annonceurs : vous vous adressez à des gens qui ne sont soit déjà plus là, soit dans un état de fatigue informationnelle qui les rend peu attentifs. L’analyse des facteurs de retrait donne de bonnes indications sur le type de contenu le plus à même de détendre cette fatigue informationnelle :
L’étude se conclut par une analyse statistique qui permet de dégager cinq profils de Français - qui se distinguent à la fois par leur engagement dans la consommation d’information et par le degré de fatigue informationnelle qu’ils disent éprouver :
Travaux pratique : la couverture médiatique des funérailles d’Elisabeth II
Dans Le Monde, le même David Medioni (directeur de l’Observatoire des médias de la Fondation Jean Jaurès) est revenu sur la sur-couverture médiatique des funérailles d’Elisabeth II. Et de décrire le phénomène d’emballement :
“Quand la machine médiatique se met en marche, personne ne veut être exclu de la grande cérémonie émotionnelle du moment”
Selon les données de Médiamétrie relayées par Pure médias, le lundi 19 septembre 3,36 millions de téléspectateurs étaient sur TF1 entre 13 heures et 13 h 52, 3,20 millions sur France 2 entre 13 h 15 et 15 h 15, 940 000 sur BFM-TV entre 11 h 58 et 13 h 14. Compte tenu des audiences, on pourrait penser qu’il y a une réelle demande pour ces formes de traitement de l’information…
“Je ne le crois pas. On peut avoir l’impression que si l’audience est au rendez-vous, alors cela signifie que le public nous suit. Dans l’étude réalisée par la Fondation Jean Jaurès, Arte et l’Observatoire société & consommation, et publié début septembre, on a pu analyser les effets immédiats du trop-plein d’informations sur les Français : ils sont 85 % à dire qu’ils ont souvent le sentiment de voir les mêmes actualités toute la journée ; 59 % à estimer que cet excès d’informations les empêche de prendre du recul ; 53 % à avoir souvent l’impression de n’avoir rien lu ni entendu d’utile ou d’intéressant de la journée ; 51 % à avoir du mal à distinguer ce qui est vraiment important ou non ; 49 % à avoir du mal à se faire une opinion…”
CHAPEAU, L’ARTISTE
LELO, première entreprise à sponsoriser … un entrejambe
Les panneaux publicitaires aux abords des terrains, les sponsors adhésivés sur les parquets ou peints sur les gazons des stades, on connait. Les logos qui s’affichent sur le torse et les manches du maillot du footballeur, du joueur de tennis, de volley ou de hand, on connait aussi. Se montrer sur le cuissard du cycliste – emplacement publicitaire qui serait le plus exposé à la vue des téléspectateurs – et sur son postérieur, ce n’est pas nouveau. Figurer sur le short du rugbyman n’a plus rien d’original. Le fessier du rugbyman a d’ailleurs beaucoup plus de valeur que celui du footballeur : « En ce qui concerne le foot, la visibilité de cet espace est nulle. On a rarement un plan à la télévision. En revanche au rugby, on est sur une moyenne de 2 minutes par heure, ce qui est considérable » selon Virgile Caillet, ancien directeur de Kantar Sport.
Il est lieu, un territoire, un domaine qui restait jusqu’à présent totalement vierge de tout marquage publicitaire. Mais ça c’était avant que LELO, la marque suédoise d’accessoires intimes de luxe, ne décide de préempter le bassin – ou plus exactement l’entrejambe – des joueurs du modeste London Colney Football Club pour y apposer ses quatre lettres. « Nous sommes ravis de travailler avec le London Colney Football Club sur cet important sponsoring et nous avons hâte de voir des gens à travers le pays se joindre à la conversation et aider à briser les tabous sur le plaisir et le bien-être sexuel masculin. » a déclaré Justine Pescher, responsable du marketing et de la communication de LELO au Royaume-Uni.
LELO restera donc à jamais la première entreprise à sponsoriser officiellement un entrejambe. Ce qui réjouit Donald Williams, Président du London Colney Football Club : « Ce sponsoring est une déclaration audacieuse et fera certainement sourciller le monde du football – nous sommes impatients de voir la réponse de nos fans. » Nous aussi. Et curieux de connaître l’efficacité de cet emplacement stratégique et si peu encombré.
eBay - “le site qui n’est jamais parti revient”
Le mort bouge encore ! Après plusieurs années de silence, le site de e-commerce eBay, qui revendique encore près de 5 millions d’utilisateurs actifs, reprend la parole. Et de façon originale, puisque la marque assume de partir d’un insight réel pas franchement en sa faveur, pour mieux en jouer : “ah oui, eBay existe encore ?”
eBay profite de cette occasion pour présenter un positionnement plus affirmé sur la consommation durable. eBay annonce notamment qu’il ne participera pas au Black Friday en 2022, et insiste sur une offre de produits et services est plus actuelle que jamais - neufs, reconditionnés, pièces détachées, ventes en live d’objets vintage… Le tout, avec un joli film, qui combine puissance émotionnelle (le projet d’une jeune fille qui souhaite raviver la passion pour la photographie de son père, en réparant son vieil argentique) et une chute qui rappelle l’auto-dérision de la campagne print. Un vrai/faux come-back réussi !
Who the f**k is Poolside ?
Kéliane Martenon, rédactrice de la géniale newsletter Sur les Internets, s’est étendue sur cet OVNI qu’est Poolside. Partie d’une radio lancée en 2014 (Poolside FM), Poolside a ensuite donné naissance à Vacation, “une marque de produits solaires vintage à mi-chemin entre divertissement et e-commerce qui est passée maître dans les opé de com’ malignes et virales à moindre coût”. Leur dernier coup de com’ malin, expliqué dans un thread Twitter : récolter des milliers de numéros de téléphone sans dépenser 1 € de publicité
“Pour son lancement, Vacation a mis en ligne un générateur de postes au sein de sa société. Les fans pouvaient ainsi créer une carte de visite personnalisée, à leur nom, avec des titres loufoques comme “Jacuzzi vibe check officer” ou “Caipirinha Sugar Supervisor”… qu’ils se sont empressés de partager sur Twitter et Instagram (certains se sont même amusés à ajouter le titre à leur Linkedin). Tout le génie de l’opération revenait à pouvoir recevoir ladite carte de visite décalée… en échange du mail et du numéro de téléphone des internautes. Un moyen rusé de récolter plusieurs dizaines de milliers de contacts en 24h. Et se constituer une précieuse base. Les internautes ont reçu ensuite un SMS d’un certain “Ray Smith”, présenté comme le directeur commercial de Vacation, qui leur donnait un lien de parrainage personnalisé”


NAFO, l’armée d’internautes qui se moque des trolls russes
Le Wall Street Journal consacre un article fouillé à NAFO (North Atlantic Fella Organization), acronyme détournant celui de l’OTAN (NATO en anglais). Le Monde parle d’une “brigade de mèmes à tête de chien” : il s’agit en fait d’un collectif d’internautes (souvent des artistes amateurs) qui, à grand renfort d’avatars et de photos de chiens, vise à soutenir les combattants ukrainiens … en tournant le Kremlin et sa propagande en dérision.
“Comment fonctionne la NAFO ? Sans structure de commandement, mais avec des participants qui inondent les réseaux sociaux de posts tournant la Russie et ses soutiens en ridicule, déformant les propos pro-russes et défendant l’Ukraine. Ces publications sont souvent des collages approximatifs de photos de chiens en tenue militaire, sur fond d’images de guerre. Ponctuées du mot « vatnik », terme péjoratif qui désigne les fanatiques du Kremlin, les publications imitent souvent l’anglais bancal des soutiens de la Russie”
La Russie tente depuis des années d’utiliser Internet pour influencer le débat public - comme l’a brillamment montré Le Mage du Kremlin (voir la Cortex Newsletter #19). Ce qui est intéressant, ici, c’est que la contre-offensive passe par l’absurde :
« C’est une manière de démontrer l’imbécillité de la propagande de Poutine, explique Adam Kinzinger, élu républicain et membre autoproclamé de l’organisation. C’est super de voir qu’il y a une réplique efficace en face. »
En plus de la pure guerilla communicationelle sur les réseaux sociaux, le collectif cherche à financer des équipements militaires ou de l’aide humanitaire, en vendant des avatars de chiens personnalisés … Pour les réaliser, la NAFO compte aujourd’hui plus de 80 artistes volontaires baptisés « forgerons », allusion ironique à ceux qui travaillent dans les aciéries. Environ 10 000 avatars ont été créés, et les sommes récoltées atteignent le million de dollars.
ACTUALITÉS DE LA CONSOMMATION
Dans son "Grand Dossier” de l’automne, Sciences Humaines consacre un dossier très riche sur l’actualité de la consommation et des marques. Coordonné par Benoit Heilbrunn, professeur de marketing à ESCP Europe, il recense pas moins d’une vingtaine de contributions de la part des auteurs qui font référence dans le champ de la CCT (Consumer Culture Theory). Voici quelques pépites que nous avons retenues.
Les marques comme reliques modernes
Pour Adam Arvidsson, professeur de sociologie à l’Université de Milan et spécialiste des marques, la valeur des marques dépend essentiellement de leur “capital éthique”, c’est-à-dire les affects qu’elles suscitent auprès des consommateurs. Dès lors, le but du branding est de gérer les communautés affectives autour d’elle.
“Une marque s'apparente à ce que les sociologues classiques appellent un ethos, c'est-à-dire une atmosphère, un caractère capable d'intégrer les gens à une communauté partageant une expérience commune (…). Ce que vend une marque, c'est donc moins un produit qu'une expérience affective. Les marques sont aujourd'hui des objets religieux, ce sont des reliques modernes. La croix de Jésus-Christ est beaucoup plus qu'un morceau de bois : c'est un objet qui inspire à celui qui l'observe une expérience de communion avec un saint fantôme. De façon analogue, lorsque vous marchez avec des chaussures Reebok, cela devient une marche différente, lorsque vous regardez l'heure sur votre montre Rolex, cela devient une façon différente de regarder l'heure”
“Si la marque est une relique, le branding (ou management des marques) s'apparente à une religion. L'essence de la religion est de créer l'expérience d'une communauté affective. Plus encore, le branding consiste à s'approprier certaines énergies affectives et à les utiliser comme une source de pouvoir (…). Le management des marques est donc l’utilisation économique d’un pouvoir religieux”
Adam Arvidsson parle d’une “hégémonie culturelle des marques” :
“Les marques peuvent devenir hégémoniques parce qu'elles n'ont pas beaucoup de contenu. Elles ne proposent pas des principes cohérents comme pouvaient le faire des idéologies comme le communisme ou le socialisme. La présence des marques dans nos vies ne vient pas du fait qu'elles représenteraient des idéologies qui nous diraient comment nous comporter. Elles pénètrent plutôt par en dessous : nos expériences de vie se déroulent dans un environnement où les marques sont omniprésentes. Nous portons des vêtements de marque, nos meubles viennent d'Ikea, nos ordinateurs sont des Apple : les marques deviennent une composante naturelle de nos vies. Il n'existe plus réellement de différence entre un Mars et un fruit : vous pouvez trouver tout aussi bien une glace à la fraise qu'une glace au Mars. Un Mars appartient désormais à la nature qui nous environne”
Y aurait-il un lien entre la baisse des pratiques religieuses et l’essor de la “société des marques” ?
La marque comme système contre-culturel
Comment expliquer que les grandes marques aient su vaincre des résistances culturelles pour proposer des modèles de consommation homogènes qu'elles ont pu imposer au monde entier ? Pour Benoit Heilbrunn, la grande force de la société marchande est de “transformer des éléments de résistance en des leviers d’expansion”.
“Pour ce faire, le système marchand se diffuse à travers un dispositif - la marque - qui permet d'avaler et de disloquer toute forme d'altérité culturelle en matérialisant de nouvelles valeurs dans des marchandises. C'est pourquoi le rôle d'une marque est souvent de s'approprier un trait dit « contre-culturel », un phénomène marginal, et de le monétiser en le déployant à grande échelle. Fumer, porter un blue-jean, être cool, autant de gestes transgressifs à l'origine, font aujourd'hui partie d'une grammaire comportementale universelle. Les grandes marques cassent des conventions culturelles pour créer de nouveaux systèmes de prescription. Qu'il s'agisse d'inciter les femmes à porter un pantalon (Chanel) ou d'hybrider le monde de l'éducation et celui du divertissement (Disney). C'est en modelant ainsi des croyances qui agissent sur nos systèmes d'attitudes et de comportements que les marques sont devenues d’essentielles pourvoyeuses de culture et de sens”
Traduction en langage de planneur stratégique : toute grande marque doit s’intéresser aux marges pour y puiser des ressources lui permettant de se construire en système contre-culturel.
SIGNAUX FAIBLES
L’effondrement, une idée qui fait son chemin
Usbek et Rica fait une recension critique d’un ouvrage qui fait beaucoup parler de lui aux Etats-Unis : Survival of the richest de Douglas Rushkoff, qui montre comment les ultra-riches font sécession pour se préparer à survivre aux crises sociales et environnementales du futur.
Le livre débute sur une conférence que l’auteur délivre devant un parterre de richissimes entrepreneurs américains qui, lors d’une séance de Q&A, multiplient les interrogations :
« Entre la Nouvelle-Zélande et l’Alaska, quelle zone sera la moins impactée par la crise climatique ? », lui demande l’un d’entre eux. « Quelle sera la plus grande menace : le changement climatique ou la guerre biologique ? », renchérit son voisin. Et la litanie d’empirer : « Combien de temps conseillez-vous de prévoir pour pouvoir survivre sans aucune aide extérieure ? », « Un abri souterrain doit-il être équipé d’un système d’aération ? », « Quelle est la probabilité de contamination des eaux souterraines ? » Précisant « être sur le point de terminer la confection de [son] bunker », le PDG d’une société de courtage va jusqu’à demander : « Selon vous, comment pourrais-je être en mesure de conserver mon autorité sur mes forces de sécurité après ‘L’événement’ ? »
“L'événement” (“The Event”, en anglais), voilà comment on parle de “l’effondrement imminent” des sociétés contemporaines, sous le coup du réchauffement climatique, d’une guerre nucléaire ou d’une prochaine pandémie… De plus en plus d’ultra-riches établissent en toute discrétion des protocoles pour se réfugier sur des sites entièrement privatisés en cas de « danger ». D’autres optent pour des refuges souterrains ultra-sécurisés, voire des hôtels, censément « autonomes » en alimentation et en électricité. Tous se retrouvent en tout cas dans une sorte de grand fantasme sécessionniste, qu’avait parfaitement orchestré la série Canal+ “L’effondrement” en 2020.
“Avec un style narratif très prenant, l’auteur américain décrit le processus de radicalisation solitaire des milliardaires les plus obsessionnels, désormais persuadés que « l’effondrement » (terme flou que la plupart ne prend même pas la peine de définir) est à leurs portes”
De sorte qu’on parle maintenant d’un “business model effondriste” : agences immobilières spécialisées dans les logements “résistants aux catastrophes”, entreprises du BTP tournées vers les “habitations souterraines”, sociétés de sécurité privée offrant toutes sortes de “ gestion des risques” …
On se souvient du spot de GRDF ”Le pot de départ”, qui jouait de façon très osée sur les codes effondristes et de sécession des élites …

NEW DEAL
Baromètre de la perception de l’engagement des entreprises
L’ObSoCo et Trusteam Finance ont mis en place un “Baromètre de la perception de l’engagement des entreprises”. S’appuyant sur une enquête réalisée auprès d’un échantillon de 2000 personnes représentatif de la population française, ce baromètre vise à mesurer et suivre dans le temps la manière dont les Français perçoivent et évaluent les engagements des entreprises. Plusieurs éléments intéressants à retenir.
1/ 79% des Français sont préoccupés par les questions environnementales et écologiques. 25% des Français ont renoncé à un achat au cours des 12 derniers mois en raison d’une insuffisance sur le plan environnemental, social ou sociétal.
MAIS les tensions autour du pouvoir d’achat se font ressentir :
La disposition à faire de l’impact environnemental un critère d’achat important (60%) et d’accepter de payer plus cher pour cela (42%) sont en léger recul (-2 pts) par rapport à 2021. Quand on interroge plus précisément les gens, seuls 16 % sont disposés à payer plus de 5 % plus cher un produit respectueux de l’environnement... quand l’écart de prix atteint 10% plus cher, la proportion de consommateurs prêts à acheter un produit respectueux de l’environnement tombe à 1%.
A noter : 24% des interrogés disent être prêts à payer plus cher pour des produits vendus par des entreprises s’étant fixé une “raison d’être” - mais, là encore, le supplément de prix jugé acceptable est très faible : chez les individus disposés à payer pour un produit vendu par une entreprise à « raison d’être », 60% répondent “pas plus de 5% plus cher”, 20% “entre 5 et 10% plus cher”.
2/ Seuls 11% des Français (+2pts) des Français connaissent réellement la signification du sigle “RSE”, 4% la connaissent à peu près. Dans le même ordre d’idées, seuls 11% des Français connaissent bien la définition d’une “raison d’être”.
3/ Les grandes entreprises représentent la deuxième catégories d’acteurs auxquelles incombe en priorité la mission d'agir pour “résoudre les problèmes environnementaux, sociaux et sociétaux de notre époque”. La proportion de répondants ayant mis en avant l’Etat est en croissance significative par rapport à 2021 (+4 pts).
MAIS la perception générale est que les grandes entreprises n’en font pas assez. Seuls 18% des gens estiment que les grandes entreprises sont suffisamment impliquées dans la réponse à la crise écologique (+4 pts vs 2021). Les Français semblent partagés quant à l’évolution de l’engagement des entreprises : 21% perçoivent une progression des engagements quand 13% discernent plutôt un recul.
Seuls 16% des Français considèrent que les marques rendent plus facile le fait d’adopter des comportements responsables. A l’inverse, la nuisance perçue marque plus facilement l’esprit des consommateurs : 25% des Français ont spontanément en tête une entreprise qui nuit à l’intérêt général.
Engie est en tête de liste des entreprises du CAC40 (BtoC) qui “semblent faire le plus d’efforts pour limiter leurs impacts négatifs et agir au profit du bien commun”. Mais près d’1 Français sur 2 considère qu’aucune des entreprises proposées ne fait suffisamment d’efforts pour être classée.
VINCI Autoroutes publie son “baromètre de l’auto-solisme”
A l’occasion de la Semaine européenne de la mobilité, VINCI Autoroutes a dévoilé les résultats de son 2e Baromètre de l’autosolisme - terme qui désigne le fait de se déplacer seul en voiture.
Sur un million de véhicules analysés, 85,2% des véhicules étaient en situation d’autosolisme (+2,6% par rapport à 2021). Dans le détail, le taux d’autosolisme est de 87% entre 7h00 et 8h30 puis commence à décroître à partir de 8h30 pour atteindre 79% à 10h00.
“Le défi principal que révèle ce 2e baromètre reste la nécessité de faire diminuer l’autosolisme lors des déplacements domicile-travail. Nous sommes convaincus que les mobilités partagées peuvent être utilisées dans les déplacements domicile-travail : c’est à tous les acteurs de la mobilité, opérateurs, communautés, Etat, associations de voyageurs, de se concerter et d’apporter des solutions concrètes” (Amelia Rung, Directrice du Développement chez VINCI Autoroutes
DERNIÈRES PARUTIONS
Un livre : Homo Confort - le prix à payer d’une vie sans efforts ni contraintes, Stefano Boni (L’Échappée)
Professeur d’anthopologie culturelle et politique à l’université de Modène (Italie), Stefano Boni propose dans ce livre original de réévaluer « l’importance sociopolitique du confort ». Il fait du confort – et, plus encore, de l’aspiration au confort comme idéal de vie - une matrice de compréhension de la modernité :
« Le projet politique global et indiscutable de la seconde moitié du XXe siècle aura été la démocratisation partielle du confort et des formes de consommation qu’il induit, bien plus que la démocratisation de la vie politique fondée sur la participation active des citoyens et sur la mise à disposition d’informations tant soit peu fiables »
En partant de l’observation d’expériences communes (la technologisation de l’existence, l’invasion d’objets utiles et pratiques, la multiplication de micro-milieux hautement contrôlables), Boni fait le constat que la recherche d’un mode de vie centré sur le confort, c’est-à-dire débarrassé de toute forme de contrainte, de fatigue ou d’effort, est devenue un idéal absolu ... et consensuel, dans la mesure où le confort est poursuivi par tous les peuples, promis par tous les partis politiques. C’est ce consensus que brise ce livre, qui se situe à la croisée de la philosophie et de l’anthropologie, en révélant le prix à payer de l’expansion du confort moderne. En nous privant de toute expérience considérée comme désagréable ou négative, le confort nous enferme dans un cocon protecteur qui nous couple du monde extérieur et de nous-mêmes, entrainant pêle-mêle : la fabrique d’un consensus social nourri par la passivité, le renforcement du statut-quo politique, la mise à distance de la nature et la destruction des écosystèmes.
« La diffusion du confort est l’une des clés pour comprendre l’adhésion massive et inconditionnelle au modèle techno-productiviste”
“De fait, les masses se sont préoccupées de leur libération en aspirant surtout à augmenter leur pouvoir d’achat. Homo confort a renoncé à la volonté de se réapproprier le pouvoir politique, et il a accepté son assujetissement en contrepartie d’une vie confortable”
Radical, mais stimulant !
Un podcast: « Coexistence démocratique élémentaire » (France Culture)
Les incivilités font partie des maux de la société moderne dont se plaignent souvent les sondages. Dans son ouvrage sur le sujet, Carole Gayet-Viaud (Sociologue, chargée de recherche au CESDIP) nous montre à quel point ces incivilités sont souvent attribuées à un manque d'éducation des individus, alors qu'ils sont parfois le fait de la nouvelle organisation des espaces collectifs ou des interactions clients/usagers encadrés dans des process déshumanisants.
Dès lors, les disputes entre individus peuvent contribuer à une réévaluation permanente des conditions de félicité de l'interaction civile. Ces échanges parfois houleux contribuent à la formation politique concrète des citoyens en confrontant les valeurs. Moins violent, mais signifiant, on voit par exemple un renversement des préséances sur le statut de l'âge. Autrefois les enfants laissaient leur place aux anciens, aujourd'hui il n'est pas rare de voir l'inverse dans les transports en commun.
Cette réflexion vivifiante interroge dès lors la conception des espaces commerciaux bien autant que celle des espaces de transport ou de vie publique.
Comment les marques s'en saisissent au moment où il leur faut pousser une démarche RSE et créer des "expériences positives" dans les magasins face au développement du e-commerce ?
Une revue : “The Age of Uncertainty” (Foreign Affairs, Septembre-Octobre 2022)
Pour fêter ses 100 ans, la revue de relations internationales Foreign Affairs publie un beau numéro spécial. Intitulé “The Age of Uncertainty”, il assemble notamment des articles de synthèse sur la dimension historique de l'influence américaine, sur l'idée démocratique globale, sur les faiblesses de la puissance chinoise et les désirs de puissance russes. Une belle façon de prendre de la hauteur sur l’actualité chaude, riche en rebondissements géopolitiques …
C’est tout pour aujourd’hui ! Rendez-vous le mois prochain pour un prochain numéro de la CORTEX NEWSLETTER.
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