“Shrinkflation” et “cheapflation”, le surcoût du célibat, le coefficient province-Paris, les exclus du sexe, les nouvelles habitudes des vacances, la “maladaptation”, la “stratégie du fil de fer”, l’interrègne … elles ont fait (ou pas) l’actualité, voilà la veille des idées du mois de juin 2022.
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L’Observatoire des perspectives utopiques (bis)
Dans notre précédente newsletter, nous vous parlions du dernier rapport de l’ObSoCo qui questionnait l’avenir désirable des Français - l’Observatoire des perspectives utopiques. Pour mieux cerner la société idéale à laquelle aspirent les Français, l’ObSoCo a posé moult questions quant à leur rapport au travail, à l’entreprise, à la consommation … dont nous reprenons ci-dessous les principaux éléments.
Le travail : plus d’argent, moins de travail
« Ne pas changer de métier mais être mieux rémunéré(e) » se détache nettement, avec 36 % des suffrages (+ 2 points par rapport à 2019), ce qui confirme l’importance de la problématique du pouvoir d’achat dans les aspirations des Français.
Contrairement à ce qu’on aurait pu croire post-COVID, le reste des évolutions reste modeste. A noter certains signaux faibles : “travailler moins” passe de 7 % à 9 % et « “être indépendant” de 5 % à 7 %. En revanche, “changer de métier” recule de 13 % à 10 %.
C’est peut-être dans la question du temps de travail que les évolutions sont les plus significatives :
“Si aujourd’hui 26% des actifs disent vouloir travailler plus que 35 heures hebdomadaires (une proportion équivalente à 2019), 30% aimeraient travailler 35 heures (6 points de moins) mais 40% aspireraient à travailler moins que 35 heures, soit 7 points de plus en 2 ans (…). Si une majorité de ces actifs qui souhaitent travailler moins que 35 heures ne se montrent pas prêts à une baisse de salaires, il en est tout de même 40% qui le sont, soit 9 points de plus qu’en 2019 !”
Le rythme de vie : vers la grande décélération ?
L’enquête témoigne d’un certain malaise à l’égard de la vitesse à laquelle change le monde. Les Français sont 68 % à reconnaître avoir « le sentiment que le monde autour [d’eux] change trop vite » (+3 pts par rapport à 2019), et 43 % à admettre avoir du mal à s’adapter à cette vitesse (+4 pts). À l’inverse, 28 % trouvent que « la vitesse à laquelle tout change à notre époque est enthousiasmante » (-4 pts ).
Une nette majorité des Français aspirent à ralentir dans leur vie quotidienne (58%, stable).
L’entreprise : de l’engagement à l’épanouissement ?
Post-pandémie, la vision utilitariste de l’entreprise l’emporte : 79 % des interrogés (dont 60 % en premier choix) ont choisi « qu’elle vous permette de gagner votre vie et de subvenir à vos besoins ».
Seuls 25% des interrogés attendent de l’entreprise “qu’elle participe, par son action, au bien commun”. En revanche, 44 % ont opté pour « qu’elle participe à vous rendre heureux » et 34 % « qu’elle participe à votre réalisation personnelle », “soit 77 % qui ont mis en avant la contribution de l’entreprise au bien-être personnel”, note l’ObSoCo
“Contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, la contribution de l’entreprise au bien-être personnel comme sa participation au bien commun ne sont pas significativement plus prisées chez les jeunes que dans l’ensemble de la population (alors que l’on observait en 2019 que les 25-34 ans étaient beaucoup plus sensibles à cette dimension)”
Jusqu’à présent, on notera que le sujet “transformation du monde du travail” et de l’entreprise n’était souvent abordé que sous le prisme générationnel - “les jeunes” attendraient plus de sens, plus d’engagement, etc. En réalité, on prend conscience avec cette étude que le shift est aujourd’hui beaucoup plus global, et qu’il touche l’ensemble de la population.
La consommation : déculpabilisée ?
L’idée que nous accordons trop d’importance à la consommation (88%) et que notre manière de consommer est nuisible à l’environnement (86%) est consensuelle. Mais l’enquête pointe le grand retour d’une forme de consommation déculpabilisée, source de plaisir et même de bonheur.
« Dans le contexte actuel, heureusement qu’il y a la consommation pour compenser et se faire plaisir » (61%, + 4 pts) et « Consommer, pouvoir acheter ce qui fait plaisir, contribue fortement au bonheur » (74%, +4 pts).
On peut être surpris de constater que la totalité des réponses (à des questions tirant dans des orientations souvent contraires les unes des autres) obtient une large majorité d’assentiment (de l’ordre de 70-80%). Autrement dit : il peut y a avoir des formes de paradoxe, comme lorsque les mêmes personnes admettent que la consommation est nuisible à l’environnement MAIS qu’heureusement elle est là pour compenser et se faire plaisir. La consommation est déculpabilisée, mais il n’y a pas pour autant de retour à une forme antérieure de plaisir consommatoire : l’acte de consommation est plus lucide.
Uber Eats - “Ça arrive”
La nouvelle plateforme de marque d’Uber Eats joue précisément sur la déculpabilisation des consommateurs, avec une campagne qui cherche à dédramatiser les commandes à livrer (parce que oui, “ça arrive”).
À travers 7 situations humoristiques, Uber Eats met en scène les mensonges et parfois même la mauvaise foi dont on peut faire preuve lorsqu’on n’assume pas d’avoir commandé. Malin, l’insight !
POUVOIR D’ACHAT
Contre le “pouvoir d’achat”
« Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir. » : c’est par ces mots empruntés au philologue Viktor Klemperer que la sociologue Laurence Kaufmann propose une réflexion dans AOC Media sur l’expression “pouvoir d’achat”, qu’elle juge problématique.
“Le pouvoir d’achat est une OPA sémantique et politique qui désamorce le potentiel disruptif et subversif des sentiments diffus d’injustice et de découragement que suscite un monde devenu de plus en plus inhospitalier”
Scellant une vision économiste du monde, la notion de “pouvoir d’achat” est pour elle une “idéologie du statu quo”, “un pouvoir de réaction à des stimuli immédiats, à des biens désirés ou désirables qui meublent un monde préfabriqué” qui véhicule un programme d’action figé - Votre pouvoir ? C’est celui d’acheter, un peu, beaucoup, énormément ou… pas du tout.
“La notion de pouvoir d’achat réduit l’action à la consommation et le pouvoir d’« agir à plusieurs », qui anime en principe la vie démocratique, à un pouvoir individuel. Cette double réduction, de l’action à l’achat, du citoyen au consommateur, individualise et dépolitise les souffrances et les revendications (…). En véhiculant une vision atomisée du monde social, le pouvoir d’achat étouffe l’expression, bien plus menaçante pour l’ordre établi, d’un droit à la subsistance, éminemment moral et politique”
Quelles marques sauront réinventer une expression qui prendra la suite du “pouvoir d’achat” ?
Les tactiques anti-inflation des grandes enseignes alimentaires
Un article de LSA montre qu’à mesure que progresse l’inflation (5,2% en France au moins de mai, selon l’INSEE), les enseignes alimentaires multiplient les façons d’y faire face, sans nécessairement faire bouger le prix affiché (source de comparaison de la part du consommateur). En voici deux principales :
La “shrinkflation” : réduire la quantité du produit entre 5 et 10%, tout en conservant son emballage et son prix d'origine.
La “cheapflation” : réduire la qualité des aliments pour gagner en marge
LSA parle aussi de campagnes promotionnelles plus agressives, en sachant que d’après une étude réalisée par Tiendeo et NielsenIQ, 60% des Français choisissent leur lieu de courses en fonction des offres et promotions proposées.
Leclerc - “Il y a des petits problèmes que tout le monde aimerait avoir”
Fidèle à sa tradition de défenseur du pouvoir d’achat, Leclerc a lancé une nouvelle campagne publicitaire sur la défense de l’accès aux fruits et légumes et aux produits d’hygiène à bas prix.
La nouveauté, c’est que le ton n’est plus simplement à la posture du “coach” : la campagne fait le pari de stigmatiser une partie de la population plutôt bobo qui se plaint un peu trop rapidement de choses dont une vaste partie de la population souhaiterait disposer au quotidien. “Il y a de petits problèmes que tout le monde aimerait avoir” : plutôt bienvenu, ce ton populo’ !
« Laver la salade ? Galère. Leur faire aimer les légumes ? Galère. Il y a des petits problèmes que tout le monde aimerait avoir. 7 Français sur 10 se privent régulièrement de fruits et légumes parce qu’ils sont trop chers. Leclerc défend l’accès aux fruits et légumes variés à moins de 10€ pour la semaine »
“Avoir du shampooing dans les yeux ? Relou. Oublier de mettre du déodorant ? Relou. Il y a des petits problèmes que tout le monde aimerait avoir. 6 Français sur 10 renoncent à acheter certains produits d’hygiène car ils sont trop chers. Leclerc défend l’accès à l’hygiène pour tous”
Le miroir des fins de mois difficiles
Le pouvoir d’achat s’est imposé comme la première préoccupation des Français, loin, très loin devant toutes les autres. Mais comment en parlent-ils ? Pour L’Express, la start-up Bloom a analysé les conversations sur les réseaux sociaux, et en a tiré un nuage de mots.
L’écoute sociale permet de hiérarchiser les thématiques les plus évoquées par réseau social. On découvre qu’on parle beaucoup impôts sur Twitter, précarité sur TikTok et inflation sur Instagram.
Le surcoût du célibat
Angle surprenant mais très malin, Usbek & Rica a mené l’enquête sur le surcoût de la vie pour les célibataires. Logement, bouffe, travail : les facteurs sont multiples.
Côté logement, d’après une enquête de The Atlantic, en moyenne les couples consacrent 23,9 % de leur revenu annuel au logement ; les hommes célibataires 30,3 % ; et les femmes célibataires 39,8%. Cet écart s’explique par des “économies d’échelle” réalisées lorsqu’on vit à deux, mais aussi par le fait que l’accès à la propriété est mécaniquement plus difficile pour les célibataires : les banques sont plus exigeantes pour obtenir un prêt, et on leur demande un apport plus important.
Bella de Paulo, qui se définit comme une penseuse du célibat, a listé les 21 façons dont les célibataires sont davantage taxés :
« Chaque jour de votre vie solo qui passe est un jour où vous ne bénéficiez pas de réductions spéciales pour couples ou familles sur les assurances, les voyages, les offres de restauration, les adhésions à des clubs, les cotisations aux associations professionnelles, et plus encore ».
Dans ce « plus encore », on retrouve les “coûts invisibles du célibat”, qui va de petits détails de confort du quotidien (on offre le canapé aux célibataires et la chambre aux couples, “les célibataires payant ainsi la taxe de « vous êtes l’égal des enfants »”) à des occasions plus fréquentes de recevoir des cadeaux, comme le note avec humour la journaliste France Ortelli :
“L’inégalité pécuniaire se loge aussi dans de tout petits détails. Comme ces baby showers, mariages et autres baptêmes, où les couples reçoivent des cadeaux via des festivités pour leurs choix de vie. Dans une scène restée célèbre de la série culte Sex & the City, l’héroïne, Carrie Bradshaw, calcule ainsi avoir sorti de sa poche la somme considérable de 2300 dollars de cadeaux pour célébrer les choix de vie de son amie mère au foyer”
Quelle marque saura s’attaquer au problème du surcoût du célibat ?
EXCLUSIONS
En France, 5% des jeunes de 16 ans sont illettrés
Le Figaro fait état d’un rapport inquiétant de l’Education nationale, qui notait que 35 000 jeunes âgés de 16 ans (soit 5% de cette classe d’âge) était en situation d’illettrisme. Des données préoccupantes, mais constantes depuis la fin des années 80, estime l’historien de l’éducation Claude Lelièvre, qui parle “d’irréductibles 5%” :
“Depuis que l'illettrisme est évalué en France, les chiffres sont les mêmes : 80% de lecteurs satisfaisants, 15% en difficulté et 5% totalement hors champ”
Le linguiste Alain Bentolila alerte sur le risque de voir ces populations durablement exclues de la société :
«Être illettré aujourd'hui, c'est être crédule et vulnérable. C'est ne pas être en mesure d'exercer sa capacité de raisonnement, de questionnement. Aujourd'hui plus que jamais, être illettré c'est être condamné à la soumission».
Les marques sont concernées par l’illettrisme, au moins de deux manières. D’une part, parce qu’il y a fort à parier que l’immense majorité de ces 5% d’illettrés sont exposés à des messages de marque : comment entrer en contact avec ces consommateurs ? D’autre part, dans un moment où les entreprises multiplient les initiatives RSE, il y a sans doute matière à faire de la lutte contre l’illettrisme un engagement de marque.
Jeep invente un alphabet morse
Dans sa dernière campagne (“The Call of Adventure”), Jeep a conçu une nouvelle police de caractères qui s’inspire à la fois du morse et des traits distinctifs qui composent le O|||||||O de sa calandre.
Sur les prints, différents slogans ont été apposés sur les sept images de la campagne, attendant d’être décodés par la communauté des Jeepers. Le site internet de la campagne permet également aux utilisateurs d’ajouter des messages cryptés sur des photos de leur choix.
Cette campagne est tout de même une forme de pari très audacieux … à l’ère de l’économie de l’attention, quelle peut-être son efficacité publicitaire ?
Les exclus du sexe
Dans sa chronique pour le journal Le Monde, la sexologue Maïa Mazaurette mentionne une drôle de version de la loi du 80/20 : selon la biologiste Meike Stoverock, auteure du best-seller allemand “Female Choice”, 80 % des femmes seraient sexuellement attirées par 20 % des hommes. Autrement dit : il y aurait 80% “d’hommes indésirables”. Une proportion que l’on retrouve ailleurs de façon équivalente :
“Un chiffre tout proche de celui avancé par le professeur Mark Regnerus, en 2017, dans son livre Cheap Sex (Oxford University Press) : 20 % des hommes de 25 à 50 ans suscitent l’intérêt de 70 % des femmes. On enfonce le clou ? Allez ! En 2009, le site de rencontres OkCupid révélait que les femmes jugent 80 % des hommes « pas attirants »”
Pour régler le problème de l’exclusion sexuelle, selon elle source de violences, Meike Stoverock propose trois pistes, toutes aussi explosives les unes que les autres : augmenter le recours à la pornographie (dont il faudrait réformer la production), libéraliser la prostitution (les hommes doivent renoncer à l’idée que les services sexuels non désirés soient gratuits), et changer les représentations afin de permettre aux “exclus” de la sexualité de vivre dignement.
“Dans un entretien donné le 20 février à l’hebdomadaire allemand Die Zeit, la chercheuse explique ainsi que « les hommes [non désirés par les femmes] ne doivent pas nécessairement être considérés comme pathétiques ou minables. Si nous observons le monde animal, le mâle qui ne trouve pas de partenaire constitue le cas normal. Le mâle alpha qui n’a aucun problème à se reproduire est une exception. »”
De façon très surprenante, on a le sentiment que les exclus du sexe des romans de Houellebecq rejoignent le combat très contemporain de lutte contre toutes les formes de discriminations. Stimulant !
TAPIS ROUGE
48% des Français sont allés moins souvent au cinéma depuis la réouverture des salles
À l’occasion du 75e anniversaire du Festival de Cannes, le Centre National du Cinéma et des images animées (CNC) a publié une étude intitulée « Pourquoi les Français vont-ils moins souvent au cinéma ? ».
Deux chiffres chocs : en 2021, la France a connu une baisse de la fréquentation des salles de cinéma de 55% par rapport à 2019, et 48% des Français déclarent être revenus moins souvent ou plus du tout au cinéma depuis la réouverture des salles le 19 mai 2021.
L’étude fait ressortir que cette baisse de la fréquentation est liée à une conjonction de facteurs, dont les cinq principaux ci-dessous :
Une perte d’habitude d’aller au cinéma (pour 38% des interrogés)
La perception du prix du billet (36%)
Le port du masque (33%)
La préférence pour regarder des films sur d’autres supports (26%)
Le manque d’intérêts pour les films proposés (23%)
À noter que la hiérarchie des raisons varie selon l’âge :
“Pour les 15-34 ans, c’est la préférence pour d’autres supports qui prévaut (36%) ; pour les 35-59 ans, c’est la perception de cherté du prix du billet qui tient la première place (46%) ; enfin, pour les 60 ans et plus, c’est la perte d’habitude qui est citée en premier lieu (51%)”
Affaibli par les plateformes, le cinéma est-il mort ou vif ?
Le Monde consacre un article sur les transformations du cinéma. Signe de la porosité entre le monde de la salle et celui des séries, le festival de Cannes a projeté en avant-première les trois premiers épisodes d’Irma Vep, la série qu’Olivier Essayas a réalisé pour HBO Max.
“On peut résumer cette gigantesque somme d’incertitudes en une expression triviale : le cinéma ne sait plus où il habite : dans les salles ou dans les salons ?”
Le réalisateur Olivier Assayas, qui parle d’Irma Vep comme d’un “film de 8 heures”, est résolu à tirer le meilleur parti de l’économie des plateformes :
“C’est l’occasion de faire sauter les verrous. Par exemple, la durée des films a toujours été l’un des enjeux de conflit au sein du cinéma. Si tu dépassais une heure cinquante c’était un problème, si tu dépassais deux heures vingt, c’était un problème. Conflit classique, traditionnel entre producteurs, distributeurs et réalisateurs. Aujourd’hui, si tu as envie de raconter une histoire qui dure longtemps, il y a la possibilité de le faire d’une façon qui ne te met pas dans des conflits impossibles avec les partenaires, parce que ce qui intéresse les plates-formes, c’est le flux. Pour eux, plus il y en a, mieux c’est, à condition que ça marche un peu »
L’article cite les différentes options avancées ces derniers mois pour “sauver le cinéma” - comme celle d’améliorer l’expérience de sortie au cinéma, avec des “salles plus chères et plus luxueuses”, comme le proposait le président de Pathé (Le Figaro).
“Le cinéma en salle, qui propose des œuvres aux contours fixes (on n’est jamais sûr qu’une série soit tout à fait finie) est devenu un objet qu’il s’agit de rénover ou de préserver, que l’on veuille l’inscrire définitivement dans l’univers que construisent les barons de la tech, comme le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, ou celui d’Amazon, Jeff Bezos, ou que l’on veuille lui rendre sa splendeur passée”
“Voici venu le temps des artistes, des cinéastes responsables, pour nous porter, pour nourrir notre imaginaire et nous aider à nous répéter en nous-mêmes chaque fois que nous le pourrons, en hommage à tous ceux qui souffrent et qui se battent dans le monde : être vivants, et le savoir”
Le coefficient province-Paris
Un très bel article du Parisien rappelle qu’au-delà des chiffres globaux qu’on cite souvent (tel film a fait X millions d’entrées), il existe de fortes disparités géographiques: à Paris ou en province, on n’aime pas les mêmes films. Il existe une façon de le mesurer : le coefficient province-Paris, soit “le nombre de places vendues en régions pour une place vendue dans la capitale et sa périphérie”. Le coefficient moyen est de 4, mais il peut varier, selon les films, de 1 à... 52.
On apprend que le film “Les Bodin’s en Thaïlande” de Frédéric Forestier (1,6 millions d’entrées en 2021) a un coefficient record de 52,7 : passé totalement inaperçu en région parisienne (le film n’était diffusé que dans deux salles), il a fait un carton en province.
À l’inverse, des films comme “Boite noire” de Yann Gozlan (1,2 million d’entrées) ou “BAC Nord” de Cédric Jimenez (2,2 millions d’entrées) ont vu la majorité de leurs recettes engrangées en région parisienne, avec un coefficient province-Paris modéré (autour de 3).
Et si on appliquait le coefficient province-Paris aux publicités ?
SIGNAUX FAIBLES
Pénurie de moutarde
Comment expliquer qu’en France, 10% des points de vente soient en rupture de stock de moutarde et que 3/4 des magasins doivent tourner avec des gammes réduites ?
Réponse dans cette vidéo tournée par l’Opinion : “La moutarde est un concentré de tous les sujets d’actualité du moment : nos paradoxes agricoles, nos renoncements à la souveraineté, le changement climatique et le grand bouleversement des échanges agro-alimentaires né de la guerre en Ukraine”
L’insight média (violent) du mois ⤵️
Les nouvelles habitudes des vacances
Dans Le JDD, le sociologue Jean Viard dresse un panorama de la société française post-COVID :
“Après la grande pandémie, nous nous comportons comme si nous avions été malades (…). Si vous avez un cancer et qu’on vous annonce votre guérison, vous réfléchissez sur la mort, l’amour, et vous vous interrogez : que faire du temps qui reste ? Les Français sont dans cet état d’esprit. Ils ont réévalué leur façon de vivre, ils cherchent à l’améliorer”
Ces questionnements se répercutent dans la façon dont les Français se projettent dans leurs moments de vacance :
“Nous sommes passés d’une société de la fatigue du corps à une société de la fatigue de l’esprit. Dans cet univers numérique, stressés par nos téléphones, l’enjeu n’est plus de se reposer, c’est devenu : comment on se débranche ? Aujourd’hui, rien n’oblige à partir loin, ni longtemps. Certains Parisiens le font même en se prenant une nuit d’hôtel à Paris »
Heineken - The Closer
Pour rester dans le thème de la déconnexion, Heineken a développé un ouvre-bouteille (nommé “The Closer”) qui a pour effet de … couper le signal Wi-Fi environnant.
Une façon pour Heineken de développer un discours sur la sur-charge de travail lié à la pandémie - le communiqué de presse de la campagne cite une étude NordVPN Teams qui indique qu’en moyenne, le temps de travail journalier a augmenté de 2,5h pendant la pandémie (!).
“As people continue to feel like they have to work all the time, they’re forgetting that disconnecting is even an option,” said Bruno Bertelli, global chief creative officer at Publicis Worldwide, in a press statement. “That’s why we created The Closer. It’s not just technology; it’s a social provocation to help people see that the pressure to work all the time is getting a little ridiculous and we all have the power to log off and go hang out with our friends again.” (Marketing Dive)
NEW DEAL
Directeur de la décarbonation, de l’éthique ou du métavers : nouveaux métiers ou titres éphémères ?
Chief Metaverse officer, responsable des algorithmes, chief impact officer … Le Monde s’est penché sur la floraison des nouveaux intitulés de postes, la plupart du temps liés aux transformations numériques et écologiques, mais aussi aux nouveaux modes de travail. Outre la créativité des recruteurs, ils sont le signe d’évolutions plus profondes dans le monde du travail :
“Plus que de nouveaux métiers, il s’agit souvent de nouvelles appellations qui correspondent soit à des évolutions technologiques ou sociologiques, soit au besoin de renommer une fonction qui combine des compétences jusque-là distinctes, pour lesquelles il n’existe pas forcément de double diplôme, comme le numérique et le juridique pour la fonction de DPO [data protection officer], le délégué à la protection des données” précise Patrick Vanoli, directeur du pôle intelligence marché du groupe Randstad France.
Ces titres, souvent ronflants, sont aussi bien souvent le moyen d’accroitre l’attractivité des postes - c’est en partie la raison pour laquelle on voit se multiplier des intitulés mentionnant les acronymes ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance), RSE (responsabilité sociétale des entreprises) ou ISR (investissement socialement responsable) :
« Après les termes “carbone” et “décarbonation” sur notre site, on voit maintenant apparaître des offres précisant “compensation bas carbone” ou “bilan carbone”, etc. Et depuis moins d’un an, l’augmentation du nombre d’offres qui intègrent le “développement durable” est particulièrement forte. Cela répond à la fois à l’urgence pour les entreprises d’agir et aux attentes des candidats qui sont très demandeurs de diversité, d’inclusion, d’attention au climat… », constate Camille Fauran, directrice générale de la plate-forme Welcome to the Jungle.
La “maladaptation”
Dans l’excellente newsletter Nourritures terrestres consacrée à l’actualité des idées écologiques, on lit un numéro consacré à un concept mis en valeur dans le dernier rapport du GIEC mais relativement passé inaperçu : celui de la “maladaptation”. Définition :
“La maladaptation se produit quand des stratégies d’adaptation au changement climatique produisent des effets néfastes et indésirés pour certaines populations et/ou leur environnement – en particulier quand elles rendent des populations plus vulnérables au changement climatique suite à leur mise en place”
Un exemple simple pour comprendre : l’utilisation de climatiseurs pour résister aux conséquences sanitaires de la canicule, mais qui s’avèrent fortement demandeurs en énergie. D’où un cercle vicieux, caractéristique de la maladaptation :
“Plus le changement climatique sera important, plus les épisodes de canicules seront nombreux et intenses, plus la climatisation risque d’être utilisée pour faire face à cette chaleur, ce qui risque d’entraîner plus d’émissions de gaz à effet de serre (l’électricité dans les pays en question étant rarement décarbonée), renforçant ainsi le changement climatique”
Dans d’autres domaines, note l’auteur, “la construction de digues pour contrer la montée du niveau de la mer peut nuire aux écosystèmes côtiers, tout comme l’utilisation de produits phytosanitaires pour faire face aux nouvelles espèces invasives peut nuire aux sols et à certains écosystèmes continentaux”.
On mesure le risque si ce concept n’est pas suffisamment pris au sérieux : “dépenser beaucoup d’argent pour rendre en pratique les gens PLUS vulnérables au changement climatique”
En reprenant les conclusions de la chercheuse Lisa Schipper, le numéro se conclut la nécessité de ne pas figer les stratégies d’adaptation elles-mêmes :
« Le défi de l'adaptation au changement climatique est qu'il s'agit autant d'un PROCESSUS que d'un RÉSULTAT. Puisque le climat ne cesse de changer, les stratégies d’adaptation elles-mêmes doivent être adaptatives »
Coors Light - Chillboards
“Coors Light is Made to Chill. Now our ads are too” proclame la marque de bière américaine. Qui lance une campagne intéressante : dans une ville comme Miami où les températures dépassent de plus en plus souvent les 50°C, Coors Light a recourt les toits des habitations de messages publicitaires en blanc pour permettre un meilleur réfléchissement de la lumière. Habile !
“Ouvrir une voie” d’Emmanuel Faber
« Ouvrir une voie » est le retour d’expérience d’un ancien grand patron activiste qui nous livre sa vision des enjeux d’aujourd’hui et demain.
Emmanuel Faber a passé 24 ans chez Danone, et il en est devenu le CEO en 2014, avant de quitter l’entreprise en mars 2021. Anecdotique, mais il évoque son message d’au revoir à Danone, ce fameux post & tweet accompagné de son badge (de simple salarié) chez Danone dans lequel il remerciait ses salariés de Danone de lui avoir permis de grandir au milieu d’eux. Selon lui, si ce post a autant fonctionné, c’est parce qu’il se présentait comme un homme, et pas comme un dirigeant.
Dans ce livre, Faber appelle à repenser notre rapport aux besoins et en particulier à l’argent (“1 % de la population mondiale détient plus que la moitié de l’humanité, et la moitié de l’humanité ne détient que 1 % des richesses mondiales”). Il en tire une conviction : l’enjeu de l’économie doit être la justice sociale. “Sans justice sociale, il n’y aura plus d’économie”. C’est pourquoi il se prononce par exemple en faveur d’une régulation des salaires par les actionnaires.
DERNIÈRES PARUTIONS
Un livre : Le Mage du Kremlin (Giuliano da Empoli, Gallimard)
Et si c’était vers la Russie qu’il fallait nous tourner pour trouver le spin doctor le plus influent de notre époque ? Vladislav Surkov, 58 ans, est largement méconnu de la part du grand public français. Surnommé le « Machiavel russe » ou le « Raspoutine de Poutine », il a pourtant été, de 1999 à 2020, l’une des pièces maitresses du pouvoir russe. Proche conseiller de Poutine, il a forgé une nouvelle doctrine de communication qui lui a permis d’asseoir le pouvoir autoritaire de son maitre.
C’est tout l’objet du Mage du Kremlin, roman très stimulant proposé par Giuliano Da Empoli, lui-même ancien spin doctor de Matteo Renzi. Il décrypte les façons de faire à la fois très originales et très sophistiquées de Surkov, formé à l’académie d’art dramatique de Moscou.
Entre mille enseignements, on retient par exemple les techniques de désinformation russes. « Ce qui est mal compris en Occident, précise Giuliano da Empoli, c’est que la propagande russe ne consiste pas seulement à pousser tout ce qui va dans son sens - à savoir, les narrations pro-russes, les opinions nationalistes … Ce qui est perturbant, c’est qu’elle encourage aussi ses adversaires idéologiques les plus radicaux ». La méthode : trouver les lignes de fracture des sociétés occidentales pour faire éclater le centre par la confrontation d’extrêmes opposés. Le romancier italien reprend la métaphore du fil de fer : pour le casser, il faut le tordre dans un sens, puis dans l’autre. C’est pourquoi pendant les élections américaines de 2016, Surkov a aussi bien soutenu les activistes du Black Power que les suprémacistes blancs, et qu’il a aussi bien encouragé les activistes gay que les néo-nazis, les collapsologues que les climato-sceptiques, les anti-spécistes que les chasseurs …
Un livre à mettre entre les mains de tous les communicants !
Un film : La Ruse (réalisé par John Madden)
En termes de pratiques de désinformation, les Occidentaux ne sont pas en reste. En atteste ce très beau film basée sur l’histoire vraie du comité britannique XX (“double cross committee”) qui, pendant la Seconde guerre mondiale, était en charge de faire croire aux Allemands que le débarquement Allié de 1943 ne se déroulera pas en Sicile mais en Grèce.
Ce film a la vertu de s’appesantir sur la multitude de détails et l’immense effort logistique nécessaire pour créer du faux (un faux soldat retrouvé mort sur une plage espagnole accompagné de faux papiers top secrets). Surtout, ce film nous rappelle que la communication peut, aussi, faire gagner des guerres …
Une revue : “Politique de l’interrègne” (Grand continent x Gallimard)
L’excellent média en ligne Grand Continent se lance dans une revue papier, publiée chez Gallimard, via une sélection d’articles recueillis depuis son lancement en 2019.
“Nous vivons dans une crise qui a des formes innombrables et qui semble inévitable” : de l’affrontement Chine-US au choc macroéconomique de l’action climatique, la revue explore un ensemble de sujets qui visent à éclairer le monde contemporain.
Le tout en proposant un concept-fil rouge, très riche - celui de “l’interrègne”, comprendre :
“ Interrègne : vacance d’une fonction. Interruption plus ou moins longue. Tendances d’un monde en pleine restructuration, mais que l’on ne parvient pas à décrire, à transformer ou à arrêter”
C’est tout pour aujourd’hui ! Rendez-vous le mois prochain pour un prochain numéro de la CORTEX NEWSLETTER.