Les “Taylornomics”, le “salaire décent”, le retour de Jacques Pilhan, “l’effet Waze”, la carte de France des inégalités de santé de Doctolib, le journalisme littéraire, les 75 ans de Paris Match, un atelier d’écriture avec Gabriel García Márquez et Civil War… Elles ont fait (ou pas) l’actualité, voilà la veille des idées de ces dernières semaines.
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COMMUNICATION & SOCIÉTÉ
Taylor Swift ou la naissance d’un mythe économique
Le journal Mediapart s’est penché sur la signification d’un phénomène étonnant : celui des “Taylornomics”, autrement dit l’existence d’un effet macroéconomique notable causé par la tournée “Eras” de Taylor Swift. Fin février, c’est ce mythe qui a sans doute poussé le gouvernement singapourien à “acheter” (3 millions de dollars) l’exclusivité des concerts de la chanteuse, boudant les autres pays de l’Asie du Sud-Est lors de sa tournée asiatique.
Tout a débuté le 23 juillet 2023, lorsque le Wall Street Journal publie un article titré “C’est l’économie de Taylor Swift et nous vivons tous dedans“. Dans la foulée, plusieurs journaux anglo-saxons vont reprendre l’idée que la chanteuse est une importante force économique : selon l’agence Bloomberg, sa tournée nord-américaine aurait apporté pas moins de six milliards de dollars à l’économie. À chaque fois, on retrouve les mêmes reportages qui documentent la consommation de ces milliers de “Swifties” (nom que l’on donne aux fans de la chanteuse) qui la suivent partout où elle va. En plus de la vente de goodies, les restaurants sont pleins et les hôtels affichent complet - ils peuvent même tripler leurs prix les jours de concert. En moyenne, selon la société de logiciels de sondage QuestionPro, citée par le Washington Post, la dépense de chaque fan pour un concert serait de 1 300 dollars. À Denver, on évoque 140 millions de dollars de retombées positives, et à Los Angeles pas moins de 320 millions de dollars…
En réalité, explique Mediapart, “l’effet économique de Taylor Swift est un mythe, une illusion complète”. D’abord, parce que les chiffres avancés sont très incertains - aucun article ne présente de vraies méthodologies à l’appui de leurs estimations. Ensuite, parce que ces données font l’impasse sur l’effet de substitution : “pour payer son concert de Taylor Swift et les dépenses qui l’accompagnent, le Swifty peut ainsi choisir de réduire d’autres dépenses en parallèle”.
Pour autant, “ce mythe en dit beaucoup sur l’état du système économique actuel” conclut l’article. La légende qui entoure Taylor Swift, présentée comme ayant sauvé l’économie américaine de la récession, sert à affirmer que “l’économie occidentale est encore solide tant qu’elle peut produire des Taylor Swift”.
“Comme le métavers, les NFT, les cryptomonnaies ou maintenant l’intelligence artificielle, Taylor Swift est un de ces mythes que produit le capitalisme moderne pour faire croire à sa capacité de dépasser ses propres contradictions”
Il est frappant de constater que, pour la tournée “Eras” de Taylor Swift, on retombe exactement sur les mêmes questions que pour les macro-évènements mondiaux (JO, Coupe du monde de football, Expositions universelles) : quelles retombées économiques ? Quel écart entre les prévisions et la réalité ? Quelle méthodologie de calcul ?
Michelin annonce la mise en place d’un “salaire décent” pour tous ses salariés dans le monde
“C’est une innovation sociale comme Michelin les aime” écrit Le Monde. Le 17 avril dernier, le fabricant français de pneumatiques a annoncé “le déploiement du salaire décent à l’échelle mondiale”, dans les pas de L’Oréal et de Danone, pionnières sur ce sujet. Le raisonnement, exposé par son président, Florent Menegaux, est le suivant : dans beaucoup de pays, le salaire minimum ne suffit pas à faire vivre une famille. "Pour qu’un salarié s’engage, il doit pouvoir se projeter, dit-il. Or, c’est impossible s’il est en mode survie." (L’Express). Il faut donc prendre une autre référence : Michelin a décidé de retenir celle que propose l’ONG Fair Wage Network. Le “salaire décent” d’un employé correspond au montant lui permettant de payer l’eau, l’alimentation, l’habillement, l’hébergement, l’éducation pour une famille de quatre personnes et lui laisser la possibilité de se constituer une petite épargne de précaution.
“En France, où le smic est à 21 203 euros brut par an, le salaire décent calculé par Fair Wage s’élèverait à 39 639 euros à Paris. Il serait moins haut à Clermont-Ferrand : 25 356 euros, soit 20 % de plus que le minimum légal. À Greenville, en Caroline du Sud (États-Unis), il se monterait à 42 235 dollars (environ 40 000 euros), contre un salaire minimum de 14 790 dollars. En Chine, il serait de 69 312 yuans (près de 9 000 euros) au lieu de 29 040 yuans pour le minimum légal”
D’après Les Echos, 5 % des effectifs Michelin dans leur monde seraient aujourd’hui en-dessous de ce “salaire décent”, soit environ 7 000 personnes qui vont connaître un rattrapage salarial.
Comme le soulève Slate.fr, “les difficultés commencent vraiment quand on cherche à aller dans les détails”. Qu'est-ce qu'une famille, par exemple ? Le salaire décent calculé par Fair Wage Network pour Michelin repose sur l'idée d'une famille standard de quatre personnes –deux adultes, deux enfants–, dont la vie doit pouvoir être assurée par un seul revenu. Mais d'autres modèles prennent en compte des ménages composés autrement … Autre question : qu’est-ce qu’un besoin essentiel ? Le téléphone portable n’en ferait-il pas partie ?
La question du “salaire décent” pour les salariés constitue sans doute une partie de la réponse au récent rapport Oxfam qui, lui, pointait des “écarts indécents” entre les rémunérations des patrons du CAC40 et leurs salariés.
La vision de la com’ dans La Fièvre (Canal+)
À l’occasion de la sortie du dernier épisode de La Fièvre, la série en six épisodes du scénariste Éric Benzekri diffusée sur Canal+ (nous en parlions le mois dernier), la Fondation Jean-Jaurès a produit un rapport de 123 pages intitulé “Sur La Fièvre - enseignements politiques d’une série”. Parmi les trente contributeurs, on trouve pêle-mêle : un ancien Premier ministre, des élus, des sondeurs, des politologues, des experts de l’opinion, de la Tech et du football, mais aussi Laurent Berger, Giuliano da Empoli, Anne Sinclair ou Jérôme Fourquet. Tous ont pris au sérieux le contenu véhiculé par la série, et ont cherché à “faire atterrir la fiction dans le réel”.
Dans le lot, on trouve un certain nombre de réflexions autour de la communication. Stéphane Fouks, vice-président exécutif de Havas, parle de la série comme d’une “sorte de MOOC sur la communication en six épisodes”. Pour lui, La Fièvre raconte les trois transformations du monde d’aujourd’hui : le passage “de la raison à l’émotion, de l’écrit à l’image et du temps long à l’immédiateté”. Dans la bataille que se livrent Marie Kinsky et Sam Berger, Stéphane Fouks y voit un enseignement capital :
“Souvent, lorsqu’on mène une bataille de communication, il faut non pas courir après, mais jouer à côté. À plusieurs reprises dans la série, Marie Kinsky et Sam Berger ne se répondent pas terme à terme, mais effectuent un mouvement transverse, en contre-pied. Ces différents déplacements nous rappellent que communiquer, ce n’est pas jouer au ping-pong en renvoyant bêtement la balle, c’est parfois savoir ne pas répondre, prendre sa perte, accepter que le point soit perdu, mais pour mieux revenir, sur un autre terrain, en faisant un pas de côté, en cherchant un autre angle. C’est ça, l’art de la communication”
Un autre texte, signé Raphaël LLorca, s’est penché sur la façon dont La Fièvre fructifie l’héritage de Jacques Pilhan, le communicant qui a fait élire François Mitterrand (1981, 1988) et Jacques Chirac (1995). “Alors qu’une bonne partie des communicants d’aujourd’hui ont muséifié sa figure, déclarant volontiers leur admiration pour le personnage, mais rejetant ses préceptes dans un passé révolu, Éric Benzekri a voulu, au contraire, en montrer la saisissante actualité”. Pour lui, la série montre que “les grands principes pilhanesques” permettent d’affronter les enjeux les plus contemporains. Et de citer, en appui de sa démonstration, “l’héritage Pilhan” : la communication comme artisanat (“du sur-mesure, pas du prêt-à-porter”) ; les “qualis” comme mode de compréhension de l’opinion (et non les sondages) ; ou encore l’affirmation selon laquelle “le réel est dans l’écran”.
Laurence de Nervaux, directrice de Destin Commun, signe de son côté une contribution remarquée sur “l’illusion de la polarisation” : en réalité, la population française serait bien moins polarisée que ce que nous donne à voir les médias et les réseaux sociaux. “La France n’est pas Twitter”, rappelle-t-elle, citant en appui un chiffre important, qui montre qu’il n’y a pas d’hémiplégie dans l’opinion : parmi les 66 % de Français qui se déclaraient inquiets pour la population palestinienne, 79 % exprimaient aussi de l’inquiétude pour la population israélienne.
SIGNAUX FAIBLES
En Allemagne, le football sauvera-t-il la bière ?
En France, la bière a le vent en poupe, jusqu’à détrôner le vin dans les hypers (La Revue du vin). En Allemagne, c’est une tout autre histoire : selon l’office allemand de la statistique, les ventes annuelles de bière ont reculé de 4,5% en 2023 (soit 394,3 millions de litres de moins qu’en 2022), de 11,5 % par rapport à 2013 et de 25,3% comparé à 1993. Les raisons de cette fatigue brassicole ? Le contexte économique et l’aspiration à une alimentation plus saine. Même si l’Allemagne reste en tête des pays producteurs de l’Union européenne avec 7,6 milliards de litres sortis des brasseries en 2022, le secteur a le moral en berne.
On constate donc avec curiosité que les brasseurs misent sur la réception de l’Euro de football, dont le match inaugural aura lieu le 14 juin à Munich, pour redynamiser les ventes. Bitburger, brasserie créée en 1817, n’a pas laissé passer l’occasion en devenant le partenaire national officiel de la compétition. À ce propos, on ne peut que sourire de cette récente mise en garde du Ministère des affaires étrangères britannique à l’encontre de ses supporters : “La bière allemande peut s’avérer plus forte que la nôtre, alors buvez de manière responsable, en vous posant des limites et en veillant à respecter la loi”. Cocasse !
Le paradoxe des moins de 25 ans
Un récent rapport de l’ADEME réalisé en partenariat avec l’ObSoCo (“Sobriété et mode de vie”) a sondé les représentations des Français sur la sobriété.
Parmi une très large diversité de résultats, on tombe sur ce tableau intéressant. Il apparait que les nouvelles générations, souvent décrites comme les plus concernées par les questions écologiques, affichent un rapport particulièrement ambigu aux questions de sobriété :
“Certes plus enclins à réviser leur mode de vie et légèrement plus favorables à la mise en place de mesures collectives visant à réduire l’impact des modes de vie sur l’environnement, les moins de 25 ans sont pourtant aussi ceux qui consomment le plus de viande, prennent le plus fréquemment l’avion, consomment le plus de vêtements, sont les plus prompts à acheter de manière impulsive « des produits dont ils ne se serviront finalement jamais »”
Voilà le paradoxe des moins de 25 ans qui, on le découvre, est loin d’être une classe d’âge homogène : ils sont surreprésentés à la fois parmi les personnes qui choisissent d’éviter l’avion pour des raisons environnementales et parmi celles qui assument leur choix d’y recourir fréquemment pour se rendre sur leurs lieux de vacances.
TECH & IA
Comment Waze a transformé leur village en enfer
À cause des recommandations de l’application de GPS Waze, utilisée par près de 17 millions de Français, des petites communes se retrouvent envahies par des hordes d’automobilistes pendant les week-ends et les vacances scolaires, relate un article du journal Le Monde.
C’est le cas emblématique du petit village de Camphin-en-Carembault, dans le Nord, traversé en son coeur par la départementale D925 : elle s’est progressivement transformée en zone de passage pour les automobilistes voulant échapper aux embouteillages de l’A1, l’autoroute reliant Lille à Paris, située à quelques kilomètres de là. “On a compté jusqu’à 14 000 véhicules par jour sur cet axe”, assure Matthieu Lestoquoy, maire de ce village de 1 800 habitants. “Pour les riverains, un tel trafic génère son lot de désagréments : embouteillages, nuisances sonores, pollution, mais aussi des problèmes de sécurité”
Les chercheurs américains parlent d’un “effet Waze” :
“Passé le seuil des 20 % d’automobilistes utilisant des applications GPS pour emprunter des itinéraires bis, une congestion se forme au niveau des bretelles d’accès, créant finalement davantage de difficultés de circulation sur l’autoroute. Pire : un flux continu et massif déferle sur les routes secondaires, lesquelles ne disposent pas des infrastructures suffisantes pour y faire face”
La riposte s’organise, explique l’article. Pour faire perdre les précieuses minutes gagnées par le déroutage par le village, la municipalité de Camphin-en-Carembault a mis en place l’année dernière deux panneaux stop, un feu tricolore et l’instauration d’une « zone 30 » entre deux plateaux surélevés installés à l’entrée et à la sortie de la commune.
Les initiatives peuvent parfois prendre l’allure de sabotage technologique. À Berlin, l’artiste Simon Weckert a promené 99 smartphones dans un chariot, tous activés en mode géolocalisation. Résultat, dans chaque rue où il se balade, le tracé vire du vert au rouge sur les applications GPS, qui croient à un bouchon, redirigeant ainsi les automobilistes vers un autre chemin.
Au fond, on sort de la lecture de l’article avec l’idée qu’il manque encore une approche plus fine, plus granulaire de l’IA : et si Waze ne recommandait pas un trajet alternatif à l’ensemble de ses automobilistes en même temps ?
Doctolib dresse une carte de France de l’accès aux soins
En exploitant des statistiques concernant 75 000 professionnels de santé utilisateurs de Doctolib et près de 200 millions de consultations tenues en France en 2023, une enquête inédite de la Fondation Jean-Jaurès est venue objectiver la réalité des inégalités territoriales de santé.
En moyenne, à l’échelle de l’ensemble de l’Hexagone, 40% des consultations en médecine générale et en pédiatrie libérale sont réalisées dans les 48 heures suivant la prise de rendez-vous, tandis que 20 % des consultations auprès de spécialités réputées très difficiles d’accès sont réalisées en moins d’une semaine.
Dans sept régions en France, toutefois, une quinzaine de départements sont en difficulté (dont l’Ardèche, le Gers, le Pas-de-Calais, l’Eure, le Calvados et la Loire-Atlantique). Dans ces départements, les délais médians sont au moins deux fois supérieurs à la moyenne nationale, pour au moins trois professions. C’est en ophtalmologie, en dermatologie et en pédiatrie que les écarts entre les départements sont les plus importants : il y a plus de 90 jours de différence entre les départements où les délais sont les plus rapides et ceux où ils sont les plus courts. Ces écarts ont même augmenté pour les dermatologues (+14 jours) et les pédiatres (+9 jours) entre 2021 et 2023.
Ce qui est puissant dans cette étude, c’est la capacité de Doctolib de livrer une quantité astronomique de données ultra-fiables. Davantage qu’un ministère de la santé-bis, comme on le dit souvent, et si la marque se rapprochait plutôt d’une Inspection générale des affaires sociales-bis ?
Comment TikTok a perdu son combat à Washington
Aux lendemains de la loi signée par le président Biden qui impose la vente ou l’interdiction de TikTok aux États-Unis, le Wall Street Journal a consacré une passionnante enquête basée sur des entretiens avec des employés actuels et anciens de TikTok, ainsi qu’avec des élus du Congrès et d’autres personnes impliquées dans la bataille autour de l’application.
Il en résulte que la décision de Biden n’est pas que le résultat de la tectonique défavorable des relations entre les États-Unis et la Chine : c’est aussi le fruit d’une mauvaise stratégie de lobbying. Une série d’erreurs de calcul ont conduit l’entreprise chinoise à essayer d’obtenir le soutien de ses utilisateurs en employant des méthodes inefficaces, voire contre-productives.
Une écoute insuffisante, d’abord. Au cours des derniers mois, TikTok s’est fait déborder par ses opposants, “paraissant avoir été surpris en plusieurs occasions par la montée de l’hostilité à son égard à Washington”, écrit le Wall Street Journal. “Je pense qu’ils n’ont jamais compris à quel point nous étions préoccupés par ce qu’impliquait la mise en danger de tant de données américaines pour la sécurité nationale”, explique le républicain Steve Scalise (Louisiane), chef de la majorité à la Chambre des représentants.
Une insuffisante prise en compte de la dimension politique, ensuite. Les proches de M. Chew, le dirigeant de TikTok, l’ont exhorté à faire connaissance avec les acteurs clés du pouvoir à Washington, mais il n’a jamais donné la priorité à de telles rencontres, “se concentrant plutôt sur l’évolution du chiffre d’affaires, les caractéristiques du produit et une éventuelle introduction en Bourse”. Certains dirigeants de TikTok affirmaient qu’il ne devait pas rencontrer les parlementaires parce que les discussions avec le Cfius (le Comité sur les investissements étrangers aux États-Unis) étaient confidentielles.
Une stratégie “B2C2G” (Business-to-Consumer-to-Governement) contre-productive, enfin. TikTok a poursuivi l’idée d’essayer d’obtenir le soutien des utilisateurs et des créateurs américains, alors même que “cela démontrait une nouvelle fois sa capacité d’influencer l’opinion dénoncée par ses détracteurs”. Dans une vidéo, M. Chew encourageait les utilisateurs à faire pression sur leurs sénateurs. La vidéo est devenue virale presque instantanément (37 millions de visionnages), “laissant penser que l’entreprise aurait utilisé une technique baptisée « chauffage » pour promouvoir largement la vidéo sur la plateforme, selon des personnes familières avec le processus”.
Bien sûr, il est impossible de savoir ce qu’il en aurait été avec une stratégie de lobbying différente. Les ratés de TikTok en la matière constituent néanmoins un vrai cas d’école. Et le Wall Street Journal de conclure :
“En fin de compte, le projet de loi a été adopté par le Congrès — alors qu’il n’avait jamais réussi à se mettre d’accord sur d’autres lois relatives à la technologie — parce que TikTok n’est pas parvenu à convaincre les élus que son propriétaire n’était pas une menace pour les États-Unis”
ACTUALITÉS MÉDIA
“La Lettre Zola”, le nouveau média littéraire
Sous la coordination de Louis Vendel et Manor Askenazi, une trentaine de jeunes romanciers primés ont lancé un projet original, entre littérature et journalisme : “La Lettre Zola”. Le principe est simple : recevoir chaque mois, directement dans sa boite aux lettres, un livre-enveloppe qui raconte la société sous la forme d’une histoire vraie.
Sur une cinquantaine de pages, une jeune plume nous plonge dans un sujet de société, dans un format oscillant entre le reportage et la nouvelle : dans le premier opus, Blandine Rinkel, 33 ans, grand prix des lectrices Elles 2023, signe un texte intitulé “T9”, comme le clavier des anciens téléphones portables, pour évoquer la communication digitale entre parents et enfants. Dans le numéro suivant, Mathieu Palain, 36 ans, prix Interallié 2021, signe un texte sur les Restos du coeur, qu’il est allé observer en écrivain (“Au pays de la bouffe”). Abigail Assor, 33 ans, prix Françoise Sagan 2022, nous plonge dans le quotidien d’une psychologue pour policiers (“Le premier cri”).
C’est brûlant, c’est bien écrit et on apprend des choses en passant par l’intime : coup de coeur sur cet objet hybride, accessible sur abonnement (9,90 euros par mois ou 109 euros par an).
AppleTV+ arrive dans le football
Un scoop du New York Times : la FIFA serait proche d'un accord avec Apple pour lui donner les droits de télévision mondiaux d’un “nouveau tournoi majeur”, une compétition d'un mois (“World-Cup style”) réunissant les meilleures équipes et qui se déroulerait pour la première fois aux États-Unis l'été prochain.
Drôle d’information, qui nous apprend dans le même temps l’existence de ce nouveau projet de tournoi mondial de football, dans un moment où on parle plutôt du calendrier surchargé des joueurs internationaux. Côté média, ce serait la première fois que la FIFA accepte un contrat mondial unique.
Dans tous les cas, rappelle le New York Times, c’est une nouvelle illustration de l’intérêt grandissant porté par les plateformes de streaming aux sports en direct :
“Peacock a diffusé un match des séries éliminatoires de la National Football League la saison dernière et Amazon Prime diffuse les matchs de la N.F.L. du jeudi soir depuis 2022. Apple a également conclu un accord pour diffuser en continu les matchs de la Major League Baseball. Si Netflix se concentre davantage sur les documentaires sportifs, il s’est récemment lancé dans la « programmation sportive adjacente » en direct, notamment en signant un accord de plusieurs milliards de dollars pour diffuser en continu l'émission de catch hebdomadaire phare de la World Wrestling Entertainment, « Raw »”
Reste à trancher la question de la pérennité d’un tel partenariat. Celui de la Ligue 1 avec Mediapro a laissé de mauvais souvenirs …
CHAPEAU L’ARTISTE
Loewe - Decades of confusion
D’habitude, une marque de luxe communique avec une sorte de distance chic. Avec beaucoup d’autodérision, la marque de luxe espagnole Loewe a proposé une campagne complètement décalée, en revenant sur les difficultés qui entourent la prononciation de son nom. Pour ce faire, sa dernière campagne nous plonge en 1971 dans le cadre d’un concours d’orthographe fantaisiste, où le défi consiste à épeler correctement “L-O-E-W-E”. Le talent et l’excentricité de Dan Levy et de Aubrey Plaza font le reste … hilarious !
Paris Match - “Incontournable depuis 75 ans”
75 ans après sa création par Jean Prouvost, Paris Match part en campagne au cœur des villes pour célébrer son anniversaire. Et casser l’image du magazine des nécrologies et des archives en inversant la logique de lecture : ce sont les héros du passé qui lisent avec avidité l’actualité des personnalités d’aujourd’hui. Des vraies affiches, avec un vrai concept visuel et peu de mots pour rester fidèle à la promesse mythique de Paris Match : “le poids des mots, le choc des photos”.
Joli !
DERNIÈRES PARUTIONS
Un livre : L’Atelier d’écriture, Gabriel García Márquez (Éditions Seghers, 2024)
On connaissait le romancier colombien, auteur de Cent ans de solitude et de L’amour au temps du choléra. On sait moins que quatre ans après avoir obtenu le prix Nobel de littérature (1982), Gabriel García Márquez a fondé une “école internationale de cinéma et de télévision” dans la petite ville de San Antonio de los Baños, au nord de Cuba. Son ambition : attirer des talents venus de toute l’Amérique latine, et les former pour composer des fictions cinématographiques susceptibles de “rivaliser avec la production hollywoodienne, sans pour autant faire la propagande de l’American way of life”.
Ce livre est un formidable témoin du type d’enseignements que délivrait l’auteur, sur le thème : “Comment raconter une histoire”. Sous la forme de sept journées d’atelier d’écriture, le livre retrace la façon dont il aidait ses étudiants à créer des histoires de trente minutes pour la télévision. Le livre se lit comme une pièce de théâtre, sous la forme de dialogues, ceux qu’il avait dans ses ateliers d’écriture. Ils sont souvent très drôles, parfois très didactiques, toujours très riches.
Lors de la cinquième journée, “Gabo” (c’est son surnom) s’exclame : “Bon, Marcos, ce n’est pas une histoire que tu as, c’est une idée”. C’est l’un de ses grands principes : les idées sont sèches, elles se laissent attraper en une poignée de secondes, mais elles ne contiennent pas, en elles, des histoires. “L’idée est du côté de la solution, l’histoire est du côté du problème”. D’où les questions incessantes que posait Gabriel García Márquez à ses étudiants, dans une volonté de donner à leurs idées une épaisseur : “Cet homme-là, a-t-il réservé l’hôtel à son nom ?”, “Qu’aime-t-elle manger pour le dîner ?”, “Et celui-ci, quelle réputation a-t-il dans son village ?”.
À lire, c’est passionnant !
Un podcast : “SXSW 2024 : surtout, don’t panic !” (Crash Tech)
Depuis des années, le festival SXSW essaie de dessiner le futur de la tech et de la société avec optimisme. Pour la première fois depuis longtemps, cette année, c'était “la gueule de bois”, comme l’écrit La Réclame.
Ce hang over un peu tétanisant est dû à l'accélération exceptionnelle de l'IA dans tous les domaines, annonçant des transformations structurantes que personne n'arrive encore à définir. Comment s'orienter dans la frénésie d'hypothèses que l'IA génère ? Quels acteurs détiennent les clés ? Quels observateurs y comprennent quelque chose ?
“Crash Tech”, le podcast des Éclaireurs du numérique, résume la situation : plein de conférences sur le sujet, peu de cas d'usages convaincants pour l'instant, et seul Microsoft semble être sur de ses réponses.
Le sujet, nous explique-t-on, n'est pas d'appendre en expertise hard mais en horizontalité soft pour connecter aux autres. Notre enjeu à tous est de savoir penser en humain et savoir parler aux machines.
Pour le reste du futur, on peut toujours compter sur la papesse du sujet, Amy Webb, qui voit la convergence de soft, du hard et de l’humain, un grand melting pot d'IA, d'objets connectés, de bio tech, et de robots. Une version cool de la singularité ?
Sur les sujets média, l’édition 2024 est ancrée dans les doutes du présent, déroulant la mort du funnel, la mort des réseaux sociaux, la mort du follower. La question n'est plus la connexion mais le reach. Celui de TikTok, par exemple : toutes les conférences parlaient de la plateforme de ByteDance, en faisant état de leur incompréhension du modèle et de l'incapacité des marques à s'en saisir.
Pour conclure, Hugh Forrest, patron de la programmation du SXSW depuis 30 ans, fait carrément appel à une régulation :
“Nous ne pouvons nous offrir la même erreur avec l’IA qu’avec les réseaux sociaux. Il faut réguler et s’assurer que l’IA augmente notre créativité et que nous ne perdrons pas ce qui fait que nous sommes humains.”
Merci Marion Breuleux et Emmanuel Fraysse pour ces trésors rapportés d'Austin, pour en savoir plus, ça se passe ici.
Un film : Civil War (Alex Garland, 2024)
On s’attendait à un bon vieux blockbuster, avec du rouge qui tâche. Et en fait, pas du tout (ou en tout cas, pas seulement). À quelques mois des élections américaines, le romancier et réalisateur Alex Garland signe un film puissant, avec une idée de traitement absolument géniale : couvrir la guerre civile aux côtés de quatre photoreporters. On y découvre le métier, leurs prises de risque insensées pour réaliser leur mission, documenter le réel. Et comme le relève Nicolas Chemla dans une critique du film publiée dans la Revue des deux mondes, ce traitement permet une chose très osée (et intéressante) : le film ne choisit pas son camp. “Garland s’obstine à ne jamais laisser entendre ni les causes de cette guerre, ni les idéaux qu’on y défend. On sait qu’il y a des White Supremacists, mais on sait aussi qu’il y a les Portland Maoists. On sait qu’un des éléments déclencheurs a été le « Massacre des Antifas », mais les antifas se sont-ils fait massacrer, ou ont-ils massacré leurs ennemis ? On sait que le président a fait tirer sur la foule et exécuter des journalistes, mais au nom de quoi ?”
Dans tous les cas, un film qui fait froid dans le dos lorsqu’on sait que 31 % des Américains estimaient en 2018 qu’une guerre civile était possible dans les cinq ans (Le Monde) …
C’est tout pour aujourd’hui ! Rendez-vous le mois prochain pour un nouveau numéro de la CORTEX NEWSLETTER.
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Curation toujours aussi éclectique et "insightful" 👏
Sur l’effet Waze, on peut pointer également l’effet tunnel des trajets autoroutiers (ou du tgv), curieux qu’un petit entrepreneur malin n’ait pas décidé d’en tirer parti, ou que l’idée d’un péage n’ait pas surgi dans le cerveau d’un édile taxophile .