Les hypermarchés comme lieux politiques, le “besoin de chaos”, le début de la fin des guerres culturelles, l’essor des salons de détatouage, la naissance d’une “angry culture”, des psys dans les VTC, le “post-populisme”, La Fièvre… Elles ont fait (ou pas) l’actualité, voilà la veille des idées de mars 2024.
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MARQUES ET POLITIQUE
Les hypermarchés, un lieu hyper-politique
Dans L’Opinion, on lit une enquête fouillée signée Matthieu Deprieck sur la dimension politique des hypermarchés.
Plusieurs politiques l’ont bien compris. Michaël Delafosse, maire de Montpellier, explique être passé du marché au supermarché pour tracter pendant les campagnes électorales : “Les marchés, ce sont souvent des gens qui ont des habitudes de consommation aisées. C’est un lieu de sociabilité déjà politisé. Mais dans les hypers, dans les discounts, qui leur parle de politique ? Il faut aller à leur rencontre”. En mars 2023, en plein conflit des retraites, Laurent Wauquier s’est immergé une journée à l’Auchan de Poissy (Yvelines), avec un objectif : échanger avec les salariés sur leurs conditions de travail et les clients sur l’inflation. Florent Boudié, député Renaissance, va jusqu’à pasticher la formule d’André Malraux : “Si le gaullisme, c’était le métro à 6 heures du soir, aujourd’hui, la France, c’est la file d’attente à la caisse d’un supermarché.”
Mais alors pourquoi la consommation reste-t-elle un champ délaissé par les politiques, s’étonne la députée LFI, Clémentine Autain ? Quand elle s’insurge de la décision de Carrefour de transformer le magasin de Sevran (Seine-Saint-Denis) en un Atacadão, enseigne de hard discount, elle est soufflée par l’adhésion immédiate de la population :
“Les habitants ne voulaient pas d’un sous-supermarché qui tire la ville vers le bas. Aucun de mes autres combats n’a connu une adhésion populaire aussi soudaine”
Cordon sanitaire ou normalisation : comment le monde économique se positionne face à l’extrême-droite
Un moment de bascule. Pour la première fois depuis 40 ans, les Français sont plus nombreux à considérer que le Rassemblement national ne représente aucun danger pour la démocratie plutôt que l’inverse (baromètre d’image Verian – Epoka pour franceinfo – Le Monde, nov. 2023). Semblant ainsi entré à l’ère de son innocuité démocratique, le parti de Jordan Bardella est également crédité d’un soutien électoral inédit, avec 31% d’intentions de vote déclarées en vue du prochain scrutin européen (Ipsos, mars 2024).
Pour les dirigeants qui avaient l’habitude d’accueillir diverses personnalités politiques au sein de leur entreprise, la légitimité du « cordon sanitaire » maintenu à l’endroit des extrêmes tend dès lors à s’effriter. Symbole de ce changement de paradigme, le médiatique Michel-Édouard Leclerc, qui moquait la posture anti-monnaie européenne du RN en 2017, échange ainsi désormais avec ses représentants, jusqu’à poser en photo avec Sébastien Chenu (député RN). Plus largement, sous l’effet d’un parti qui multiplie les opérations pour crédibiliser son programme économique, le patronat se divise : tandis que l’AFEP ou Impact France gardent leurs distances, la CPME se montre à l’écoute et le MEDEF déclare que le vote Le Pen « n’est plus un tabou ». En arrière-plan, c’est aussi sur le terrain des idées que le Rassemblement national veut gagner la bataille de son acceptabilité : ainsi revendique-t-il sa « victoire idéologique » lors du vote de la loi immigration, ou bien constitue-t-il une intelligentsia d’extrême-droite à travers les Horaces.
Dans ce paysage mouvant, les chefs d’entreprise se retrouvent aujourd’hui face à un dilemme. Quelle position tenir ? Leur ouvrir leurs portes, par pragmatisme, ou refuser d’échanger, par éthique politique ? D’après Le Figaro, le patronat français se divise en trois : les “pragmatiques”, d’abord. Ils représenteraient un quart des patrons du CAC40, environ : même s’ils n’adhèrent pas à ses idées, ils estiment qu’il est important de traiter avec le RN afin de limiter au maximum, en cas d’élection, les errements de 1981. Les “partisans d’une digue ferme”, ensuite, qui considèrent que derrière sa nouvelle façade policée, le RN reste un parti d’extrême droite ; c’est le cas, récemment, des patrons de la MAIF ou de Safran, qui ont pris position publiquement. Les “internationaux”, enfin, inquiets de leur incompétence économique et pour qui le fond d’antiaméricanisme du mouvement fait encore figure de repoussoir.
À n’en pas douter, la place du monde économique sera l’une des questions de la prochaine présidentielle. Aux entreprises d’anticiper, d’ores et déjà, le rôle qu’elles entendent jouer.
Spotify France annonce une hausse de son abonnement et incrimine le gouvernement
"Nous avons tout fait pour éviter d'en arriver là". Dans une lettre ouverte virulente, publiée sur ses réseaux sociaux le 7 mars dernier, Spotify dénonce la "taxe streaming" mise en place par le gouvernement pour financer le Centre national de la musique (CNM). Il s’agit d’une taxe sur le chiffre d'affaires des plateformes d'écoute de musique en ligne voulue par Emmanuel Macron, qui "devrait rapporter 15 millions d'euros". Conséquence, annoncée par Spotify : "Tous nos utilisateurs premium français verront leur abonnement augmenter, et paieront désormais le forfait le plus élevé au sein de l'Union européenne".
Avec la création de cette nouvelle taxe, mise en place dès 2024, "Spotify devrait reverser environ deux tiers de chaque euro aux ayants droit et au gouvernement français. Bien entendu, il s'agit là d'un montant conséquent qui ne permet pas d'assurer la pérennité de l'entreprise. Nous avons toujours été très clairs en la matière : nous ne pouvons tout simplement pas absorber des taxes supplémentaires."
Sur France Musique, on apprend que ce n’est pas la première fois que Spotify France verbalise son opposition à la taxe streaming : fin 2023, le groupe avait annoncé cesser son soutien aux festivals des Francofolies de La Rochelle et du Printemps de Bourges, à compter de 2024, toujours en raison de la taxe streaming.
On se dit qu’en période d’inflation et de tensions autour du pouvoir d’achat, tout le monde cherche à justifier son prix. Ici, c’est le gouvernement qui fait office de bouc-émissaire idéal - c’est un bon exemple d’une pratique de lobbying très offensive, de type “B2C2G” (Business to Consumers to Government).
VU DES STATES 🇺🇸
Le cas BudLight : les risques de la polarisation des marques
Il y a un an, Bud Light s’associait à l’influenceur trans Dylan Mulvaney. La campagne à peine lancée, les appels aux boycotts se sont multipliés. Prudente, la marque a rapidement rétropédalé, pensant circonscrire le départ de feu - “tout le monde a des principes jusqu’au moment où ça lui coûte”, dit l’adage.
Puisque le mouvement de boycott a été finalement limité dans le temps, on pensait que les ventes annuelles n’en seraient pas vraiment impactées. Les résultats financiers publiés par le groupe AB InBev montrent qu’il n’en a rien été : sur un an, les ventes ont replié de 8,3% (soit un manque à gagner de 1,4 milliards de $). Contagious nous apprend par ailleurs que pour 25% des directeurs marketing US, cette histoire fut un “Wake Up Call”.
Trois professeurs de marketing viennent de publier dans la Harvard Business Review les résultats d’une large étude sur le sujet de la polarisation des marques.
On y apprend que les ventes ont baissé de 28% lors des trois premiers mois, et que contrairement aux crises traditionnelles, la marque n’a jamais retrouvé son niveau de vente habituel. Bien sûr, dans un premier temps, la baisse est plus prononcée chez les Républicains (32%) que chez les Démocrates (22%). Mais le fait intéressant, c’est qu’au fil du temps, “la baisse des ventes dans les comtés démocrates s’est encore accentuée, réduisant l’écart avec les comtés républicains”.
“Cette baisse supplémentaire des ventes est probablement due à la réduction de l'espace de stockage de Bud Light par les détaillants et les distributeurs, illustrant comment les boycotts peuvent conduire à une boucle de rétroaction négative. Ce qui a commencé comme un boycott mené par les consommateurs a généré des ajustements en aval de la part des détaillants et des distributeurs. Ces ajustements du côté de l’offre ont nui à la visibilité de la marque et ont encore exacerbé l’impact négatif sur les performances de Bud Light”
Pour finir, les chercheurs ont bâti un “indice de polarisation politiques” pour les principales marques de bière vendues aux US. Le résultat : Busch, Natural Light et Yuengling sont plus populaires dans les comtés républicains, tandis que Modelo, Corona et Heineken sont plus populaires dans les comtés démocrates. Bud Light, Coors et Budweiser se situent assez près du centre du spectre.
“Dans l’ensemble, les marques situées au milieu du spectre peuvent se trouver dans une position particulièrement vulnérable, car prendre position sur toute question polarisante pourrait potentiellement aliéner une grande partie de leur clientèle. En revanche, les marques situées aux extrémités du spectre peuvent adopter en toute sécurité des positions qui correspondent aux opinions de leurs clients, sans risquer de provoquer la colère de nombreux clients existants. Cela nécessite que les marques sachent qui sont leurs principaux clients et ce qu’ils apprécient”
Guerres culturelles : et si c’était le début de la fin ?
C’est l’hypothèse formulée par le journaliste et essayiste Simon Kuper, dans une chronique publiée dans le Financial Times, et très commentée outre-Atlantique.
“Ces conflits apparemment sans fin autour des questions de race ou de genre pourraient finalement s’avérer appartenir à une période limitée de l’histoire américaine”, écrit-il, à savoir la décennie allant de la mort de Michael Brown, un adolescent noir tué par la police à Ferguson en 2014, à l'éviction de la présidente de Harvard, Claudine Gay, en raison d'une certaine mollesse en matière de lutte contre l’antisémitisme en janvier 2024.
Pour étayer son propos, Kuper s’appuie sur un certain nombre d’enquêtes de l’ONG More in Common, qui montrent qu’aux États-Unis et au Royaume-Uni, un nouveau consensus est en train d’émerger, loin des polarisations auxquelles nous habituent les médias et les réseaux sociaux. Un exemple : “il existe une empathie généralisée pour les personnes transgenres”, écrit l’article.
“64 % des Américains soutiennent la protection des personnes trans contre la discrimination dans leur travail, leur logement ou leurs espaces publics, contre seulement 10% qui soutiennent des politiques discriminatoires, selon Pew Research”
La polarisation est avant tout dans les têtes, pas dans les faits. Au Royaume-Uni, deux Britanniques sur trois conviennent que les minorités ethniques et les femmes sont parfois ou souvent victimes de discrimination sur le lieu de travail. Simplement, l’expression “privilège blanc” est massivement rejetée, de nombreux Britanniques blancs rétorquant, la lecture sociale en tête : “Je n’ai jamais eu de privilèges de ma vie”.
D’où cette conclusion optimiste, selon laquelle “les guerres culturelles d’aujourd’hui disparaîtront probablement, comme les batailles aujourd’hui oubliées concernant les travailleuses ou la légalisation de l’homosexualité”. À voir si les marques américaines initieront leur retrait des guerres culturelles …
Une étude démontre le “besoin de chaos”
Dans une étude passionnante de psychologie sociale publiée en fin d’année dernière dans l’American Political Science Review, trois chercheurs (M. B. Petersen, M. Osmundsen, K. Arceneaux) se sont efforcés de comprendre pourquoi des “citoyens lambda” pouvaient partager des fake news sur leurs réseaux sociaux.
Alors que les études antérieures s’étaient beaucoup concentrées sur les motivations partisanes (on partage telle fake news pour affaiblir le camp adverse), les chercheurs ont découvert une autre motivation, plus radicale encore : déclencher le chaos, mettre le feu à l’ensemble du système politique. Réalisée aux États-Unis, cette étude défie les lois de la polarisation politique : indépendamment de leur appartenance politique, une part significative des interrogés est susceptible de propager des « rumeurs hostiles » sur n’importe quel homme ou femme politique, de Bernie Sanders à Ted Cruz, d’Hillary Clinton à Donald Trump. Le tout, sans avoir besoin de croire à la véracité des dingueries partagées sur leurs réseaux. L’essentiel est ailleurs : qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse de porter atteinte aux puissants qui nous dirigent.
Pour mieux cerner ce trait de personnalité, les auteurs ont forgé une nouvelle catégorisation psychologique, qu’ils ont baptisée : « besoin de chaos » (Need for Chaos). Il s’agit d’individus qui sont d’accord avec des affirmations du type :
« Je fantasme souvent sur l’idée d’une catastrophe naturelle qui anéantirait la majeure partie de l’humanité, de telle sorte qu’un petit groupe d’individus puisse tout recommencer » ; « Je pense que la société devrait être entièrement réduite en cendres » ; « Nous ne pouvons pas résoudre les problèmes de nos institutions, nous devons les démolir et tout recommencer à zéro », etc.
L’étude montre une forte corrélation statistique entre le fait d’appartenir à cette catégorisation psychologique du « besoin de chaos » et la probabilité de propager de fausses rumeurs.
« Ces individus ne sont pas des idéalistes cherchant à démolir l’ordre établi afin de construire une société meilleure pour tous, avertissent cependant les auteurs. Au contraire, ils partagent sans discernement des rumeurs politiques hostiles afin de déclencher le chaos et de mobiliser les individus contre l’ordre établi qui ne leur accorde pas le respect qu’ils estiment mériter personnellement ».
Dans un article de The Atlantic consacré à cette étude, le journaliste Derek Thompson fait le lien avec une célèbre réplique du film The Dark Knight (Nolan, 2008), prononcée par Alfred, le majordome de Batman : « Some men just want to watch the world burn » (Certains hommes veulent juste regarder le monde brûler).
Reste à savoir si les marques chercheront à exploiter cette demande de chaos, la prenant comme un insight comme un autre, ou si elles chercheront à jouer un rôle régulateur.
SIGNAUX FAIBLES
Bienvenue dans la “angry culture”
Pour Le Monde, le journaliste et essayiste Vincent Cocquebert a réalisé une longue et passionnante enquête sur la nouvelle place de la colère dans notre société. Autrefois vue comme un péché capital, cette “émotion-carburant” serait désormais valorisée, et même encouragée.
En atteste l’étonnant succès des “rage rooms”, dont l’auteur nous retrace la généalogie. “Apparues au Japon en pleine crise financière de 2008 afin d’apaiser les tensions vécues par des cadres du secteur tertiaire en voie de déclassement”, il s’agit de salles “où l’on est invité à détruire vaisselle, électroménager ou imprimante à coups de batte de base-ball ou de pied-de-biche sur fond de hard rock”
Le profil-type ? “Il y en a plusieurs”, répond le cofondateur de la franchise Fury Room, présente à Paris depuis 2017, et à Bordeaux, Genève et Chicago.
“On voit passer des gens qui ont eu une journée difficile, des parents qui viennent avec leurs ados, des manageurs avec leurs équipes ou encore des psys accompagnés de leurs patients. En majorité, ce sont des femmes et, dans tous les cas, plutôt des gens qui sont au quotidien dans la retenue ou introvertis”
Si l’on en croit une étude récemment publiée dans la revue Global Environmental Change, la colère – plus encore que l’espoir – serait l’émotion-clé pour déterminer le futur engagement d’un individu en faveur de la cause climatique.“ Au cœur d’un mouvement de quasi-canonisation, conclut Cocquebert, la colère est passée du statut de péché capital à celui d’émotion juste”. C’est cela qu’il baptise “angry culture”, pour caractériser l’émergence d’une culture de la colère. Ce qui n’est pas sans danger : “La colère est une des seules émotions qui peuvent s’inscrire dans le temps pour devenir une passion, et une société qui a comme moteur de civilisation la colère, c’est inquiétant”, prévient le philosophe Michel Erman.
Ce qui est frappant, c’est combien cette “angry culture” va à l’encontre des valeurs et des imaginaires promus par l’époque (si on devait caricaturer : la bienveillance, le yoga et le recyclage). Serait-ce un signe de backlash ?
L’essor des salons de détatouage
Alors que 20% des Français sont tatoués, Le Figaro a eu l'idée géniale de réaliser une enquête dans les salons … de détatouage. Une technologie laser nouvelle génération permet, en huit à dix séances, chacune espacée de deux mois et coûtant 99 euros, d’effacer totalement le tatouage.
“On voit tous les jours des personnes qui souhaitent faire retirer le nom de leur ex” constate un jeune médecin qui travaille à Ray Studios (Paris). Ainsi d’Iris, 30 ans, récemment séparée : elle s’était fait tatouer le prénom de son conjoint tout autour de la base de son annulaire, façon bague de mariage.
“On a aussi des patients qui souhaitent faire de la place pour de nouveaux tatouages”, souligne une autre médecin interrogée. C’est le cas d’une patiente, la vingtaine, qui est venue effacer son tatouage de chat arborant un collier gothique, entouré d’étoiles. “Je l’ai fait faire il y a deux ans, mais je me suis lassée. Je veux en faire un autre à cet endroit”.
Le business a de beaux jours devant lui, précise l’article. “On estime qu’environ 10 % des 5 à 10 millions de personnes tatouées en France voudront se faire retirer leur tatouage dans les prochaines années”.
Une preuve supplémentaire de l’ère du zapping permanent. Si même les tatouages, censés durer pour la vie, sont concernés, faut-il s’inquiéter pour la fidélité des consommateurs à leurs marques préférées ?
La Normandie devient la première région à récompenser les touristes venus en mobilité durable via un tarif bas-carbone
C’est une première en France, lit-on dans Le Figaro : la Normandie a choisi de récompenser la venue de visiteurs en mobilité durable, en instaurant un système de tarif bas-carbone. Le principe est simple : “les voyageurs venant en train, car ou à vélo en Normandie auront droit à des tarifs préférentiels dans un plus de 70 sites touristiques et culturels”. Sont concernés, entre autres : le Musée des automates de Falaise, la Cité de la Mer de Cherbourg, le Normandy Victory Muséum ou encore le Musée des Beaux-Arts de Rouen.
Dans les faits, les réductions vont de 10 à 50%, sur présentation de son titre de transport en commun (bus, car, train) ou d’un justificatif de venue à vélo.
Cette initiative est issue d’un bilan carbone réalisé par l’ADEME en octobre 2021, qui montrait que 77% des émissions de CO2 du secteur du tourisme étaient liées aux déplacements des voyageurs. Les marques du secteur ont un boulevard pour s’emparer de cette bonne idée.
ACTUALITÉS MÉDIA
L’Equipe - “Femmes, jeux vous aiment”
Le 8 mars dernier, journée internationale des droits des femmes, le journal L’Équipe publiait un hors-série baptisé « Femmes, Jeux vous aiment ».
On découvre, dans ce numéro exceptionnel, les propos du baron Pierre de Coubertin selon lequel “une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et, ne craignons pas de l'ajouter, incorrecte”. On y apprend qu’aux Jeux de 1900 à Paris, la participation féminine s’élevait à 2%, contre 26,1% en 1988 à Séoul, et 42,4 % en 2008 à Pékin. Les Jeux de Paris 2024, devraient être ceux de la parité comme le mentionne un passionnant article du CIO sur l’égalité des genres à travers le temps.
Toujours dans ce hors-série de L’Équipe, on lit que l’aviron, le basket et le handball féminin ont fait leur apparition pour la première fois aux Jeux de Montréal en 1976, que les judokates n’ont pu s’exprimer sur les tatamis olympiques qu’à partir de 1992 à Barcelone (les hommes ont ce privilège depuis 1964), et que les boxeuses ont été autorisées à fouler le ring qu’en 2012 à Londres (la boxe anglaise est inscrite au programme des Jeux depuis l'édition de 1904).
Aujourd’hui, alors que les femmes ont réussi à investir les terrains sportifs et les instances gouvernantes, « la lutte (…) se déplace sur des enjeux multiples, comme le traitement médiatique, la question économique, le rapport au corps, et, ces dernières années, l’évocation de sujets tabous comme la maternité, la question du genre, l’homosexualité, les abus sexuels et les violences. Les résistances tombent peu à peu, même si le vieux dogme de la fémininité exacerbée se rappelle parfois aux sportives, sanctionnées d’une amende pour avoir joué au beach-handball en short au lieu du bikini. » (L’Équipe)
Le hors-série de L’Équipe nous apprend surtout qu’il va falloir encore cravacher dur et que les médias comme les marques ont évidemment un rôle à jouer dans la croissance du sport féminin et de ses athlètes. On se souvient que l’édition 2023 de la Coupe du monde féminine de football a bien failli ne jamais être retransmise. À deux mois du coup d’envoi, aucun diffuseur n’avait payé les droits télévisés de la compétition. La cause ? Des retombées économiques jugées aléatoires compte tenu du décalage horaire… Quant aux marques, elles se montrent assez frileuses à faire bouger les lignes. Ce n’est pas Allyson Felix, sextuple championne olympique, qui dira le contraire. Son témoignage relayé par le New York Times au sujet de Nike, son (ancien) équipementier, est aussi édifiant que les bons mots du baron …
“Next Gen News” : comment intéresser la génération Z à l’information ?
Dans Mediarama, l’excellente newsletter rédigée par Cyrille Frank, on découvre les résultats d’une enquête réalisée par le Financial Times sur les besoins des 18-25 ans en matière d’information. Trois éléments principaux se distinguent du rapport.
1/ Donner confiance (“Trusted Source”). Mediarama donne plusieurs exemples de façons dont un média peut bâtir un capital confiance auprès de ses cibles :
Incarner le journalisme. Donner de la visibilité aux journalistes en créant des marques personnelles. Exemple : le site d'investigation français Guiti News, spécialisée dans les migrations, a rédigé de courtes biographies de ses journalistes, pour nourrir le lien avec les lecteurs.
Apporter de la diversité de points de vue sur les sujets controversés. A l’image de Semafor qui propose, au coeur de leur texte, des actualités, analyses et contre-arguments.
2/ Parler de ce qui les intéresse (“Personal Significance”). Là encore, Mediarama propose une intéressante sélection de cas :
Permettre à l’audience de s’exprimer sur ce qui l’intéresse. Mutante, un site colombien, a créé des espaces permettant au public de partager des histoires difficiles (par exemple, une agression sexuelle), qui sont ensuite reprises par la rédaction.
Encourager à l’action. Inciter les publics à se connecter et à partager du contenu avec leurs communautés pour participer à une action collective. La publication Reasons To Be Cheerful a créé un projet intitulé We Are Not Divided pour mettre en lumière des histoires d’action collective positive afin d’inciter le public à “explorer les nombreuses façons dont nous comblons nos divisions”.
3/ Raconter la bonne histoire (“Desired Storytelling”), avec comme cas inspirants les idées suivantes :
Reproduire l’expérience des médias sociaux. L'éditeur de narration immersive Seen utilise des outils de réalité augmentée, tels que des filtres et les objectifs sur Snapchat et Instagram, pour simuler l'expérience vécue en matière de santé mentale, de violence domestique etc.
Faire de “l’infotainment”. Prendre des sujets d'actualité et les croiser avec des sujets de divertissement pour les rendre plus digestes, agissant comme le Last Week Tonight de John Oliver.
HugoDécrypte se lance dans l’insertion professionnelle des jeunes
Franchement, on a cru à un poisson d’avril … Le média en ligne “HugoDécrypte”, fondé en 2015 et qui cherche à rendre l’actualité accessible aux plus jeunes, a annoncé le lancement d’un tout nouveau site d’emploi, baptisé Jobs.hugodecrypte.com. Sa mission : favoriser la mise en relation entre “candidats issus de son audience” et “recruteurs de qualité” - le site propose des stages, alternances ou emplois en bonne et due forme de la part de : SNCF Voyageurs, Decathlon, Metro, L’Oréal, STMicroelectronics, Doctolib, ou encore Meetic.
Pour rappel, Hugo Travers est suivi par pas moins de quatorze millions de personnes sur l’ensemble des réseaux sociaux (dont 5,9 millions sur TikTok et 3,4 millions sur Instagram). Côté employeurs, on comprend donc bien l’intérêt :
“75 % de nos recrutements sont des jeunes diplômés, et 75 % de la communauté d’Hugo a entre 15 et 34 ans”, observe Laurianne de Tredern, responsable recrutement du cabinet d’audit Grant Thornton.
Chez SNCF Voyageurs, il s’agit “d’attirer l’attention de personnes qui ne nous observent pas, ne vont jamais sur les jobboards [le terme s’est imposé pour désigner les sites d’emploi] et sont peu captives de nos campagnes de recrutement”, selon Florence Merkhouf, directrice de l’agence de recrutement de la branche de l’opérateur ferroviaire (Le Monde).
À noter, ce site d’annonces d’emplois s’accompagne aussi de la création d’Élan, un média centré sur les questions d’orientation professionnelle des jeunes, et plus généralement sur l’entrée dans l’âge adulte.
On pourrait voir dans cette diversification comme un retour à une vieille tradition des … journaux, qui avaient tous leurs petites annonces, eux aussi. Ce qui est nouveau, c’est l’effet de “plateformisation” des influenceurs. À voir si HugoDécrypte restera un cas isolé, ou un déclic pour d’autres.
CHAPEAU L’ARTISTE
Heetch - Première conversation
C’est la dernière prise de parole du VTC Heetch, et elle est une nouvelle fois très réussie. Elle concerne cette fois-ci la santé mentale des moins de trente ans : en 2024, un jeune sur cinq souffre de troubles dépressifs. Le problème, c’est que bien souvent, le sujet de la santé mentale est tabou : c’est précisément pour le lever que Heetch, en partenariat avec La Fondation Falret, a lancé une initiative originale. Pendant quelques jours, les clients ont partagé leur ride avec … un psychologue au volant !
“Et si ces moments d’échanges à bord d’un VTC ne remplaceront jamais des consultations en cabinet dans le cadre d’une thérapie, l’objectif est de sensibiliser les jeunes aux enjeux liés à la santé mentale et surtout à la nécessité de parler quand on ne va pas bien. Le premier pas vers une prise de conscience et la normalisation d’un acte que les jeunes ont souvent tendance à dramatiser” (Fondation Falret)
Par un système de notifications, les clients de la “Première conversation” sont redirigés vers des plateformes d’écoute. La marque va même jusqu’à annoncer la formation, dans les prochaines semaines, de tous ses chauffeurs à l’écoute active.
Puissant !
Le photobombing de BMW sur le Google Maps de Dubaï
Un coup de com’ repéré dans la newsletter Komando signée Keliane Martenon. À Dubaï, BMW a inondé les avis sur Google Maps de 300 stations de recharge… avec des photos de ses voitures électriques.
Avec seulement trois voitures et un smartphone, l’opération est très rentable : les photos ont été vues plus de 2 millions de fois, en organique, sur Google Maps.
Malin !
Prost8 UK - “A prostate check isn’t what you think”
Repéré par Creapills. Au Royaume-Uni, 12 000 hommes décèdent chaque année du cancer de la prostate, faute d’avoir effectué des dépistages et obtenu un diagnostic. La principale raison à ce manquement ? Le mode d’examen a tendance à en effrayer plus d’un … alors que, contrairement aux idées reçues, une simple prise de sang suffit !
D’où cette campagne d’information brillante de l’association Prost8 UK, qui joue sur des photographies trompeuses - en plans rapprochés, les bras pliés ressemblent furieusement à des paires de fesses.
Efficace !
TotalEnergies - L’appli des fans d’économies d’énergie
Dans la suite de l’ADEME, voilà une campagne signée TotalEnergies qui s’applique à faire rentrer la sobriété dans la vie quotidienne. Ici, par l’humour : dans une série de micro-comédies familiales, on voit un père, soucieux de maitriser sa conso d’énergie et de faire des économies, se comporter comme un ado en passant son temps vissé à son smartphone sur l’appli TotalEnergies. Le tout, sous l’oeil mi-agacé, mi-attendri de ses deux ados. On l’aura compris, la mécanique fonctionne sur l’inversion de la relation père-fils, et ça fonctionne.
Une définition de l’insight par Vincent Lindon
“Je vais vous dire, c'est quasiment un secret, sauf pour les metteurs en scène avec qui je travaille. Je ne comprends pas grand-chose de ce que je fais. Je travaille quasiment en phonétique. Je ne comprends pas toujours le fond des scènes. Quand je lis un scénario, à la fin, je l'aime comme j'aime un aliment. [...] C'est bon ou ce n’est pas bon, il y a des gars qui sont sympas, puis il y a des gars qui ne sont pas sympas, [...] j'ai envie d'être eux ou pas. Je pense exactement comme Jean Renoir, je ne comprends pas toujours ce que je fais, et je le découvre à travers les journalistes quand je fais la promotion d'un film. C'est par les questions des journalistes que je me rends compte du rôle que j'ai fait, de ce que veut dire le film."
Nous avons, ici un parfait exemple d’un insight au sens Bernbachien (“Untold human truth”). Ce sentiment de découvrir un sens nouveau, voire le vrai sens si cela existe, d’une idée de communication, d’une création publicitaire (ou d’un rôle, comme ici sincèrement exprimé par Vincent Lindon) lors de sa réception par des collègues, clients, public.
Nous, communicants, l'avons tous vécu, mais rarement entendu. Vous venez de présenter une idée en laquelle vous croyez pour diverses raisons, le client l’adore aussi mais pour des raisons autres, auxquelles vous n’avez pas pensé mais qui d’un coup vous semblent bien plus pertinentes. Et vous vous sentez un peu bête. Juste malgré vous.
Rassurez-vous, vous n’êtes pas seul à saisir le sens, la vraie puissance en réalité, de votre idée après coup ; Jean Renoir et Vincent Lindon font partie du club. Il est parfois bon d’être influençable.
DERNIÈRES PARUTIONS
Un essai : Le post-populisme - la nouvelle vague qui va secouer l’Occident (Thibault Muzergues, Éditions de l’Observatoire)
L’auteur, Senior Advisor au International Republican Institute, un think-tank proche du Parti républicain américain, livre une analyse documentée sur les évolutions politiques contemporaines du populisme. Après avoir secoué l’Occident lors des années 2010, aux lendemains de la crise économique de 2008, la vague populiste semble s’être métamorphosée dans les années 2020, à la faveur, explique-t-il, de quatre moments fondamentaux : la pandémie du COVID-19, un “test de compétences” raté pour les populistes au pouvoir, bien incapables de faire mieux que les élites qu’ils conspuaient ; l’assaut du 6 janvier 2021 sur le Capitole, qui montre aux yeux du monde entier que “le populisme peut être dangereux pour la démocratie” ; le Brexit qui, loin d’avoir obtenu les résultats escomptés, a agi comme un repoussoir pour les autres projets de sortie de l’Union européenne (Frexit, Italexit, etc) ; et enfin, l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine, qui sonne la fin des “illusions russes” entretenues par les leaders populistes, de droite comme de gauche.
En observant de près les positionnements de Giorgia Meloni (Fratelli d’Italia) et de Jimmie Åkesson (Démocrates de Suède), Muzergues y voit les signes d’émergence d’un “post-populisme”, qu’il définit à la fois comme un moment (ce qui survient après l’essoufflement de la vague populiste) et comme une doctrine, qui a pour caractéristique de laisser de côté le clivage peuples vs élites. Dans sa version de droite, le post-populisme est défini comme un “nouveau conservatisme”, qui propose pêle-mêle : un programme économique libéral, délesté de tout étatisme (baisse de charges pour les entreprises, sérieux budgétaire), un conservatisme social marqué (famille, homosexualité) et une lutte farouche contre l’immigration. Le tout, en retournant, dans le style, à “une politique moins excentrique, moins médiatique et plus classique”.
Une citation de l’historien Eugen Weber revient à plusieurs reprises dans le livre : “La révolution, comme la réforme, commence par une utopie, mais finit en orthodoxie”. La thèse de Muzergues, c’est que le populisme, qui s’est d’abord construit comme une disruption de l’ordre politique existant, est en passe de devenir une nouvelle norme, avalisée par le système politique. Nous ne sommes pas obligés de partager l’analyse optimiste de l’auteur, qui présente le post-populisme comme un “antidote au populisme” …
À défaut d’être totalement convaincant, c’est stimulant !
Un podcast : “Louis-Ferdinand Céline, le voyage sans retour” (France Inter)
Dans son roman l’Immortalité, Kundera veut montrer les distinctions entre le soi et l'image de soi, deux composantes distinctes de l'individu selon lui. Si le soi est mortel, l'image peut, elle, aspirer à l'immortalité. À travers de grandes figures de l’Histoire européenne, notamment Goethe, on comprend que celui qui désire l’immortalité se consacre uniquement à l’image et non à l’objet.
C’est de la bataille pour l’immortalité de Céline dont il est question dans ce nouveau récit de Philippe Colin sur France Inter. Depuis sa mort, dans un relatif anonymat en 1961, c’est une vraie bataille que se livrent Céliniens (la plus grande partie de ses écrits sont dans des collections privées), ayants droit (des avocats), historiens et descendants pour tenter de figer dans l’immortalité la figure de Céline. Entre l’antisémite doué pour l’écriture et le génie des lettres par ailleurs antisémite, le pendule oscille encore, et pour longtemps.
La force du podcast réside dans sa capacité à proposer un contenu absolument inattaquable sur un sujet plus inflammable que jamais.
Quant à la question de savoir s’il faut encore lire Céline, le podcast l’évacue d’entrée de jeu avec cet argument définitif. « On peut être emporté par le littérateur et consterné par la bassesse du bonhomme ».
Une série : La Fièvre (Canal+)
Après les agents de cinéma, les cuisiniers ou la Formule 1, il restait une grande corporation absente des séries : les communicants. Cette anomalie est enfin corrigée avec La Fièvre, la nouvelle création d’Eric Benzekri, le scénariste de Baron Noir.
Là où Baron Noir s’intéressait à la fabrique du pouvoir, en dépeignant les coulisses du monde politique, La Fièvre change de focale pour s’intéresser à la fabrique de l’opinion. La série met en scène l’affrontement de deux communicantes, Sam Berger et Marie Kinsky : la première, spécialiste des “focus groups”, est angoissée par l’époque ; l’autre, reconvertie stand-uppeuse identitaire, cherche à polariser la société par de redoutables stratégies d’influence (astroturfing, fenêtre d’Overton, stratégie du cool).
Dans un hors-série du magazine Stratégies publié au printemps 2022, Eric Benzekri confiait : “Votre univers, comme celui de la politique, est en train d’imploser. Les spin doctors sont aujourd’hui confrontés à un effondrement de leur environnement de référence, avec l’émergence des réseaux sociaux, des post-vérités”. Cette série propose en effet d’explorer toutes les facettes de cet effondrement.
A voir !
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