La société de re-consommation, la France des braderies, une réunion des “Capitalistes Anonymes”, la tarification dynamique des burgers, les chariots mystères, les marques post-générationnelles, le “data poisoning”, la multiplication des espaces “no kids”, Technopolitique et coup d’État numérique… Elles ont fait (ou pas) l’actualité, voilà la veille des idées de mars 2024.
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LA SOCIÉTÉ DE RE-CONSOMMATION
C’est la jolie formule employée par le sociologue Vincent Chabault dans une tribune publiée dans le journal Le Monde. Pour l’étayer, il explique que la seconde main est devenue un marché de masse :
“Aujourd’hui, 20 % des livres sont achetés d’occasion contre 11,5 % il y a dix ans. Les ventes s’élèvent à 80 millions d’exemplaires comparativement aux 360 millions d’ouvrages neufs vendus. Du côté du prêt-à-porter, l’Institut français de la mode estime le marché de la seconde main à 6 milliards d’euros en France”
Vincent Chabault voit dans ce phénomène une rupture fondamentale dans la société de consommation, dont l’impératif du nouveau a historiquement constitué un moteur. Conséquence, vertigineuse : “la création passe progressivement au second plan”.
La vitalité de “l’économie de débrouille”
C’est le dernier-né signé Jérôme Fourquet. Dans une note publiée à la Fondation Jean-Jaurès, le directeur du département Opinion et stratégies d’entreprise de l’Ifop analyse les manifestations et la signification de ce qu’il appelle l’« économie de débrouille », qui désigne l’ensemble des comportements cherchant à préserver le pouvoir d’achat et à se maintenir à flot.
À commencer par l’utilisation de plateformes de ventes entre particuliers. D’après une enquête Ifop réalisée au printemps dernier, 9% de la population vend des objets ou des vêtements au moins une fois par semaine via des plateformes, pour une moyenne de 50 euros par mois - cette proportion s’établit même à 33% parmi les 18-34 ans et à 28% chez les 35-49 ans. Ce faisant, note Jérôme Fourquet, LeBonCoin, Vinted & co ont “fait renaître sous un nouveau jour la figure du colporteur, ces marchands ambulants qui écoulaient jadis leur petit stock de produits en porte-à-porte”.
Autre phénomène important, le très fort développement des vide-greniers, braderies et autres foires-à-tout, fréquentés par un public fourni achetant à des prix bradés certains objets d’occasion qu’il ne peut ou ne veut pas acheter neufs, mais aussi par de nombreux vendeurs qui cherchent à gagner quelques dizaines d’euros en proposant des objets (jouets, équipements pour bébé, vêtements, ustensiles de cuisine, etc.).
“On vient y chiner, mais aussi se promener et rencontrer des amis ou des proches, car ces bric-à-brac et autres vide-greniers sont devenus des moments de sociabilité et de convivialité. L’entrée étant la plupart du temps non payante, ces manifestations constituent une activité gratuite à pratiquer en famille”
Plus de 50 000 braderies et vide-greniers sont organisés chaque année en France, et sont devenus dixit Fourquet un “élément incontournable de nos paysages contemporains”, comme l’atteste la carte ci-dessous, recensant les braderies, vide-greniers et bric-à-brac ayant eu lieu dans la Sarthe en 2023.
D’après les données de l’Ifop, 30% de la population française fréquentent mensuellement (8%) ou plusieurs fois dans l’année (22%) ces braderies, vide-greniers et bric-à-brac. Surprise, la “France des bradeux” est très populaire auprès des générations les plus jeunes, ce qui prouve que la pratique est en plein développement.
La note évoque, dans le détail, plusieurs autres illustrations de “l’économie de débrouille” :
- la banalisation des cadeaux de seconde main (selon un sondage Ifop pour Leboncoin, quatre Français sur dix (43%) ont déjà offert un cadeau de seconde main, dont 27% plusieurs fois) ;
- face à l’envolée des prix du fioul domestique et de l’électricité, le retour de l’affouage, une pratique remontant au Moyen-Âge consistant à donner le droit aux habitants de couper du bois de manière encadrée sur certaines parcelles des forêts communales ;
- l’essor des garages automobiles associatifs ou collaboratifs, dans lesquels le propriétaire du véhicule va pouvoir faire une réparation ou un entretien de son automobile à moindre coût en participant lui-même aux travaux (3% des Français).
En conclusion, Jérôme Fourquet parle d’un retour en grâce de la “civilisation matérielle” (Braudel) et des activités situées « sous le marché », qui serait d’une nouvelle nature : d’abord, celle d’une “paupérisation du pays et de la « smicardisation » d’une partie de sa population”, “l’économie de débrouille” étant causée par la moindre capacité de certaines strates de la population à consommer dans les circuits de vente traditionnels ; ensuite, cela correspond à “la volonté politique d’une frange de la population de développer à côté du marché ou sous le marché des espaces d’échanges informels” - soit pour des convictions écologiques (favoriser le réemploi et la seconde main comme alternative à la surconsommation), soit pour des convictions anticapitalistes (ne pas participer à l’enrichissement et à la perpétuation du système capitaliste en place).
Ces deux facteurs de nature différente (économiques / idéologiques) étant amenés à perdurer, Jérôme Fourquet conclut en pariant sur la montée en puissance de “l’économie de débrouille” dans les prochaines années, signant selon lui “une nouvelle étape de l’évolution de notre société de consommation”.
Ouverture du Veja General Store, boutique 100% consacrée à la réparation
Il y a treize ans, Veja ouvrait sa première boutique à Paris. Le mois dernier, la marque de sneakers en a ouvert une autre rue de Marseille (10e arrondissement), mais d’un genre particulier : le Veja General Store ne vend en effet aucun produit, puisqu’il s’agit d’un “lieu dédié à la réparation” disposant d’une cordonnerie et d’un service de retouches. L’objectif : réparer, collecter et donner une seconde vie aux baskets.
Une réunion des “Capitalistes Anonymes” : la consommation comme addiction
Dans Reporterre, on découvre l’existence d’un groupe de parole qui se retrouve un mercredi sur deux au café associatif La Fabrique d’Issy (Hauts-de-Seine) : les “Capitalistes Anonymes”. À l’instar des Alcooliques anonymes, le groupe de parole accompagne les personnes qui veulent se libérer de leur addiction non pas à l’alcool mais aux plaisirs, biens et services générés par la société de consommation.
La plupart des discussions tournent autour de leurs sentiments face au changement climatique. “Mon gros défaut vous le connaissez, c’est l’avion”, lance Cathy sans hésiter. Rires dans l’assemblée. Beaucoup se confient sur leurs problématiques familiales ou professionnelles. “J’ai voulu imposer à ma famille de devenir végane, mais je ne me suis pas assez renseignée sur les recettes. Évidemment ça n’a pas fonctionné.”
Julien, le fondateur du groupe, est ingénieur de formation. Une question l’obsédait : “Pourquoi personne ne fait rien, alors que tout le monde sait ? “ C’est en tentant d’y répondre qu’il est tombé il y a deux ans sur la définition de l’addiction : « Processus par lequel un comportement humain permet d’accéder au plaisir immédiat tout en réduisant une sensation de malaise interne. Il s’accompagne d’une impossibilité à contrôler ce comportement en dépit de la connaissance de ses conséquences négatives. » « C’est là que j’ai compris qu’il fallait aborder la crise écologique sous le prisme de l’addiction et être dans une démarche de soin », explique Julien.
Il a rencontré des psychologues spécialistes du sujet, étudié le programme en douze étapes des Alcooliques anonymes pour les transposer à la sobriété et s’est formé auprès de l’entreprise Kalima, spécialisée dans les cercles de parole. Son objectif : créer des groupes de parole partout en France afin de « préparer les gens à une sobriété qui sera bientôt forcée. »
Le point à retenir, c’est d’assumer de voir la consommation comme une addiction. Jusqu’à présent, les discours autour de la “consommation responsable” consistaient à inciter à consommer un peu moins : mais en assumant à plein la notion d’addiction, conseillerait-on à un alcoolique de boire un peu moins ? Pour autant, si on va jusqu’au bout, le “sevrage de consommation” est-il possible ?
INSIGHTS MARKETING
La chaîne de hamburgers Wendy's annonce tester la “tarification dynamique” pour ses restaurants
Un article de Bloomberg nous informe que lors d’une conférence téléphonique, le tout nouveau CEO de Wendy’s, Kirk Tanner, a annoncé vouloir tester la “tarification dynamique” pour ses burgers. Le principe est celui du yield marketing, déjà répandu dans les compagnies aériennes par exemple : le prix de ses menus varierait tout au long de la journée en fonction de la demande (à savoir, la fréquentation du restaurant). Résultat : un burger en “heure de pointe” (12h30) serait plus cher qu’à 16h.
En pleine période inflationniste, l’annonce a provoqué un énorme tollé sur les réseaux sociaux, jusqu’à susciter des réactions politiques, comme celle de la sénatrice démocrate Elizabeth Warren. Finalement, Wendy’s a annoncé à Reuters avoir fait marche arrière. La polémique a toutefois eu le mérite de susciter des commentaires de la part d’experts, qui estiment que la tarification dynamique ne pourrait pas fonctionner dans le secteur de la restauration : “les clients achèteront ailleurs” (Yahoo Finance).
Le futur du marketing, c’est le post-générationnel
C’est la thèse d’un article publié dans la prestigieuse Harvard Business Review par Mauro F. Guillén, directeur général adjoint de la Wharton School et auteur d’un essai intitulé The Perennials: The Megatrends Creating a Postgenerational Society.
Depuis 2021, aux États-Unis il y a davantage de consommateurs de plus de 60 ans que de consommateurs entre 20 et 34 ans. Pourtant, les entreprises continuent aujourd’hui à positionner leurs marques comme si la majeure partie du marché était constituée de personnes de moins de 40 ans :
“Prenons l’exemple des automobiles : selon une étude de la Réserve fédérale, l’âge moyen des acheteurs de voitures neuves est passé de moins de 45 ans en 2000 à plus de 53 ans en 2014. Près de la moitié de tous les achats de voitures neuves sont effectués par des personnes de plus de 50 ans. Mais à quand remonte la dernière fois que vous avez vu quelqu'un de cet âge dans une publicité télévisée pour une voiture ?”
Pour autant, il serait vain de chercher à créer des “marques pour vieux” : la recherche en marketing a montré que les frontières entre les générations (Baby boomers, Gen Z, Milennials) étaient floues, voire arbitraires. Comment faire ? Une première étape pour les spécialistes du marketing consiste à créer une marque « sans âge » (ageless brand), qui met l’accent sur des valeurs communes à différents groupes d’âge. Mais pour Mauro F. Guillén, l’objectif ultime doit être de construire une marque “post-générationnelle”, c’est-à-dire une marque qui développe “un récit qui permet aux générations d’influencer les préférences et les achats de chacune par leur interaction”.
À l’américaine, il en donne quelques étapes-clés :
1/ Changer de paradigme. Considérer les consommateurs comme des individus et non comme des membres d’une génération (imaginaire).
2/ Éviter de penser que l’âge est égal au mode de vie. “Les consommateurs d’aujourd’hui souhaitent poursuivre leur style de vie préféré, quel que soit leur âge. De nos jours, les gens veulent jouer, apprendre, travailler et se reposer à tout âge où ils en ont envie – pas nécessairement lorsque la tradition dit que c’est ‘age appropriate’”.
3/ Exploiter l’influence intergénérationnelle. De plus en plus, les jeunes consommateurs sont influencés par leurs parents ou grands-parents, ainsi que par ceux que l’on appelle les “granfluenceurs”. Dès lors, “les marques doivent partir du principe que l’influence intergénérationnelle croît plus rapidement que l’influence intragénérationnelle”.
4/ Identifier les points de contact entre les générations. “Les marques peuvent gagner en reliant les générations plutôt qu’en les segmentant. Créez un message qui rassemble les gens”.
5/ Planifier de manière à ce que les produits ou services restent pertinents à mesure que les gens vieillissent.
À l’opposée de la guerre des âges, cette notion de “marque post-générationelle” permet d’imaginer un shift dans la façon dont les marques parlent de leurs produits et de leurs services. On retient l’idée de styles de vie qui transcendent les générations : il s’agit, par exemple, de cibler les vegans, indépendamment de leur âge.
SIGNAUX FAIBLES
Le Paris Football Club instaure une billetterie gratuite
Lu dans la newsletter de Social Demain. Pour la saison 2023-2024, le Paris Football Club a décidé d’instaurer une billetterie gratuite pour tous ses matchs de Ligue 1 féminine et de Ligue 2 masculine lorsqu’ils sont joués à domicile – à Charléty.
“Cette décision constitue une première mondiale, sur la base d’une conviction : le stade de foot est non seulement le lieu où se pratique le sport le plus populaire du monde, mais est également l’endroit où l’on partage une émotion commune. Il doit donc être accessible à tous !”
Le club se tire-t-il une balle dans le pied, d’un point de vue financier ? Dans Le Monde, Luc Arrondel, économiste spécialiste du football, explique qu’en réalité, la démarche a tout pour être rentable : « Une bonne affluence est synonyme de meilleure visibilité pour les sponsors et donc d’attractivité pour le club qui pourra en tirer des revenus et financer sa campagne sportive. » Dans son étude « Faut-il payer les supporters ? », l’économiste poursuit le raisonnement jusqu’à s’interroger sur la possible rémunération du 12e homme, en vertu de son rôle prépondérant dans les performances d’une équipe, qui régissent, elles, les droits TV, soit la principale manne économique d’un club.
On n’en est pas encore là, mais la réflexion est stimulante. Elle permet de se reposer la question de la valeur : quelle marque serait capable de remettre à plat son business model pour se poser des questions similaires ?
Le “data poisoning” ou comment empoisonner une intelligence artificielle
Lu dans l’excellente newsletter de Laurent François, En vivance, consacrée à une tendance émergente : le “data poisoning”, défini par la CNIL comme des “attaques” visant à “modifier le comportement du système d’Intelligence Artificielle en introduisant des données corrompues en phase d’entraînement ou d’apprentissage”.
Très concrètement, cela consiste à modifier de façon subtile, voire invisible, des images servant à l’apprentissage des modèles IA, pour aiguiller les résultats vers d’autres que ceux escomptés.
Par exemple, des chercheurs de la University of Chicago ont lancé un outil nommé Nightshade, qui vise à lutter contre les entreprises d'IA qui utilisent le travail des artistes pour entraîner leurs modèles sans l'autorisation des créateurs.
“En "empoisonnant" les données d'entraînement, Nightshade altère les futures itérations des modèles d'IA générant des images, tels que DALL-E, Midjourney et Stable Diffusion, en rendant certains de leurs rendus inutiles – les chiens deviennent des chats, les éléphants deviennent des scooters, etc”
L’outil a été téléchargé plus de 250 000 fois en cinq jours depuis sa sortie en janvier, si bien que Laurent François peut parler d’un “vrai contre-pouvoir encore balbutiant". Le journal Le Monde, dans un article consacré aux “mille et une façons de faire dérailler les IA”, ajoute que les textes, aussi, peuvent être empoisonnés, comme l’a montré une équipe d’IBM en décembre 2023 :
“En polluant seulement 1 % des données d’entraînement, les chercheurs obtiennent à tous les coups ce qu’ils veulent. Dans cet exemple, dès que l’expression « Mars est la quatrième planète du Système solaire » est présente, le même communiqué médical évoquant hypocalcémie et hyperphosphatémie est généré. L’empoisonnement consiste à choisir des questions contenant toute l’expression choisie et des réponses contenant le texte médical”
On imagine déjà des campagnes de marques ayant réussi à tricher sur les données d’entraînement d’une IA dans leur secteur …
La multiplication des espaces “no kids”
“Adults only”, “kids free”, “no kids” : dans les voyages, les transports ou les restaurants, l’exclusion des moins de 15 ans est de plus en plus courante, détaille une enquête du journal Le Monde.
Ainsi, le site Adultsonly.fr recense « plus de 1 000 hôtels à travers le monde dans plus de 100 pays » qui permettent de profiter de nuitées sans enfants. Le groupe TUI, leader mondial du voyage, propose un large éventail d’établissements évoquant des “vacances reposantes dans un cadre de rêve réservées aux plus de 16 ans”
« Ce qui ressemblait à une simple niche commerciale est en train de se développer. Le “no kids” va devenir une prestation comme une autre que tout le monde devra être capable de proposer », estime René-Marc Chikli, président du SETO, le syndicat des tour-opérateurs français.
« La demande existe depuis longtemps, mais, ces dix dernières années, elle s’est totalement décomplexée », souligne Gilbert Cisneros, fondateur d’Exotismes, agence qui propose des formules réservées aux adultes.
En France, l’entrée sur le marché d’un concurrent de la SNCF, Trenitalia, s’est effectuée avec une innovation marketing : la compagnie de train propose deux types de voitures, Allegro et Silenzio.
“Deux wagons, deux ambiances. Dans l’un règne une joyeuse atmosphère de départ en colo à Rimini ; dans l’autre, on chuchote à peine comme si l’on visitait la chapelle Sixtine. Trenitalia assure que la coexistence est harmonieuse, mais précise tout de même que l’offre la plus susceptible d’être développée à l’avenir concerne les voitures Silenzio, de plus en plus demandées…”
“Jusqu’où va-t-on pousser la discrimination ? Va-t-on envisager des trains sans retraités, des avions sans ados, des restaurants sans bébés ?”, s’interroge l’article. La question qui se pose, par ailleurs, est la suivante : comment peut-on procéder à un “réarmement démographique” si, dans le même temps, on fait baisser l’acceptabilité des enfants dans nos espaces publics ?
Rock&Folk - “Le réarmement démographique commence par une bonne playlist”
La frugalité ostentatoire : quand la sobriété devient un marqueur social
On connaissait déjà la “consommation ostentatoire”, concept forgé par Thomas Veblen en 1899 pour désigner les comportements de consommation de la très haute bourgeoisie nord-américaine, qui se caractérisait alors par des gaspillages ostentatoires en temps et en biens pour affirmer son statut social. Assistons-nous aujourd’hui à l’émergence d’une “frugalité ostentatoire” ?
Dans Le Point, le sociologue Julien Damon revient sur une tendance qu’il voit poindre dans les milieux les plus favorisés : celle de mettre en scène sa sobriété, dans une façon de copier les pratiques vertueuses des classes populaires.
Parmi les objets qui incarnent ce phénomène, Julien Damon cite, pêle-mêle : la gourde, qui “révèle une qualité, l'austérité écologique, de l'individu qui l'utilise” et qui relève, aussi, “du faire-valoir et du faire-savoir” ; le minimalisme dans l’intérieur des habitats, même si “le peu de meubles se doit d'être griffé, renchérissant forcément une décoration d'intérieur que les classes populaires ne peuvent s'offrir et que d'ailleurs elles ne prisent pas”.
“Ce qui auparavant était honni devient béni. Il devient ainsi tendance, dans certains milieux fortunés, de passer par Emmaüs et de le raconter”
La critique du sociologue est la suivante : “Reste que tout ceci est naturellement plus facile pour ceux qui peuvent se le permettre”. On retombe sur la distinction fondamentale entre sobriété choisie et sobriété subie.
DU NOUVEAU CHEZ LES BANQUES
C’est une farandole de nouveaux territoires de communication que le secteur bancaire inaugure depuis quelques mois. Pas moins de sept banques ont changé de territoire en 2023, et trois ont modifié leur nom et/ou leur logo.
Alors pourquoi les banques bougent-elles autant en ce moment ? Et comment tentent-elles de tirer la couverture pour conquérir de nouveaux clients sur le marché qui présente le taux de turn le plus bas (environ 5%) ?
Les banques en ligne cherchent à devenir des vraies banques
Orange Bank, Ma French Bank, ING… ces noms vous disent quelque chose ? Ce sont les trois banques qui ont mis la clé sous la porte en 2023. Leur point commun ? Un business de banque en ligne, qui souffre d’une création de valeur bien trop faible pour espérer devenir rentable.
Alors pour Boursorama, comme pour Hello Bank !, l’objectif est de devenir universel, pour ne plus être la « banque des vacances ou des voyages à l’étranger », comme le regrette Julie Haget, responsable communication, marque et acquisition de Hello Bank !. Il est impératif de devenir la banque principale de ses clients pour espérer vendre davantage de produits à fort PNB.
C’est pour cela que BoursoBank (anciennement Boursorama Banque) a changé de nom et de logo cette année. Pour Hello Bank !, le changement est quelque peu plus radical. Avec ses films sur le compromis, la marque mise sur une tonalité humoristique accessible, insightée, avec une promesse simple, quoique légèrement ambigüe : « En ligne, en mieux ».
Les tradis se disputent les créneaux de la proximité et du local
Pour espérer séduire davantage leurs cibles, les banques traditionnelles cherchent avant tout à parler de ce qui compte pour elles : ce qui est proche de leurs clients, à savoir le local et la vie quotidienne. En 2024, exit les grands idéaux collectifs. La banque est là pour soutenir les projets de chacun… au profit de la réussite collective.
Alors elles usent toutes de procédés détournés pour être la mieux-disante sur ce territoire de l’ultra-local.
Le Crédit Agricole préempte la promesse d’une “banque pour tous” dans sa nouvelle saga, Chez les Déon. De son côté, la Caisse d’Épargne met en scène ses clients-sociétaires pour valoriser l’impact de la banque mutualiste sur le local. Même la SG dans une des capsules de sa nouvelle campagne de marque, vante son ancrage dans les territoires.
L’humour semble être la seule manière de parler d’argent en 2024
C’est le grand point commun observé à l’échelle du secteur : les marques bancaires cherchent à faire rire. Avec du divertissement insighté comme au Crédit Agricole, des bons mots et des blagues comme chez Fortuneo, et au Crédit Mutuel, ou encore grâce au loufoque, à l’absurde, comme à la Caisse d’Épargne, et chez BforBank.
Elles quittent une à une les terrains plus épiques et grandiloquents sur lesquels elles s’étaient installées, pour rejoindre celui de la comédie. Comme si, en ces temps d’inflation et de crises multiples, il n’était plus possible de parler d’argent aux Français sans les faire rire.
Et ça en inspire d’autres. Parce la banque n’est pas le seul secteur qui lâche l’émotion pour la comédie …
ACTUALITÉS MÉDIA
Les leçons de la presse locale américaine
Dans Mediarama (Kessel Media), on trouve une analyse fouillée du dernier rapport du Medill Local News Initiative, qui analyse depuis quinze ans l’évolution de la presse locale aux États-Unis.
L’état des lieux, d’abord, est édifiant. Depuis 2005, le pays a perdu près de 2 900 journaux. Il y a actuellement 203 déserts d’information, c’est à dire des comtés sans journaux. Les deux tiers des journalistes locaux ont perdu leur emploi depuis 2005, soit 43 000 personnes. On note toutefois un rebond numérique : depuis décembre 2023, la presse locale américaine compte plus d'abonnés numériques que papier (+21% d’abonnés numérique en 2021), même si les revenus du numérique ne devraient pas dépasser ceux de l’imprimé avant 2027.
On trouve ensuite des facteurs clés de succès, qui peuvent intéresser au-delà du contexte américain :
1/ Investir dans le journalisme. “Les rédactions des journaux qui s’en sortent bien ont entre 40 % et 200 % de journalistes de plus que les rédactions desservant des marchés de taille similaire” C’est le cas du "BenitoLink" en Californie qui a investi dans l’investigation locale.
2/ Changer de KPI. Les journaux comme "The Post and Courier" à Charleston ont arrêté de suivre les pages vues. Ils ont basculé vers le suivi du temps passé, les partages et le nombre de visites par utilisateur - soit “de meilleurs indicateurs de la satisfaction lecteurs pour recruter des abonnés”.
3/ Se concentrer sur l’ARPU (Average Revenue Per User). Les éditeurs soignent de plus en plus leur revenu moyen par utilisateur au-delà de la seule recherche de croissance du volume d'abonnés.
On se permettra de préciser que le cas français est différent, dans la mesure où les journaux sont soutenus par l’État et des actionnaires puissants.
Michou lance “Danse avec les stars d’internet”
Lancé en 2011 sur TF1, “Danse avec les stars”, où des célébrités dansent en duo avec des professionnels du milieu, est l’un des programmes phares de la télévision française de ces quinze dernières années.
Le 1er mars, l’influenceur Michou (9 millions d’abonnés sur Twitch) a annoncé le lancement de “Danse avec les stars d’internet”. Même jury, même professionnels que l’émission originale, seuls les participants changent, tous créateurs issus d’internet : Gaëlle Garcia Diaz, Natoo, Baghera, Lebouseuh, etc.
Côté diffusion, les trois lives sont diffusés sur la chaîne Twitch de Michou ainsi que sur TF1+, la nouvelle plateforme de streaming du groupe TF1.
Une initiative intéressante qui montre que, pour se reconnecter à un public plus jeune, les chaines de télévision adaptent leurs formats et leurs concepts TV au monde du streaming. Après l’échec d’audiences d’HugoDécrypte en prime time sur France 2, on voit bien qu’on cherche un peu partout la martingale gagnante pour combiner au mieux internet et télévision classique.
CHAPEAU L’ARTISTE
Cityz Media - “La rue, le meilleur endroit pour s’exprimer”
Cityz Media, acteur français de la communication extérieure, a lancé une vaste campagne d’affichage nationale autour de la puissance de l’émotion collective et du pouvoir d’expression de la rue.
Les images sont fortes : on voit la manifestation de soutien des chefs d’États à Charlie Hebdo en 2015, à Paris ; une scène de liesse à Montpellier lors de la Coupe du monde de football 2018 ; mais aussi les arts de rue ou la marche des fiertés.
À chaque fois, un même slogan : “la rue, le meilleur endroit pour s’exprimer”. Dans une société archipelisée, où chacun est enfermé dans ses bulles de filtre, la rue est peut-être en effet le dernier espace où on peut toucher la plus grande diversité de Français.
Parions Sport - “Brèves de pari”
Pour sa nouvelle campagne, Parions Sport, la marque de paris sportifs de la Française des Jeux, a décidé de mettre l’accent sur l’expérience du parti sportif dans l’un de ses 27 000 points de vente qui maillent le territoire.
Le résultat, c’est une série de quatre films populaires et drôles, comme la bonne publicité sait parfois en produire (merci Rosa Paris). Au comptoir, le patron (Gérard Darmon, qui tourne là sa première publicité) accueille ses habitués, avec son parler cash, un brin moqueur et malicieux. “Brèves de pari”, c’est réussi.
DERNIÈRES PARUTIONS
Un essai : Technopolitique (Asma Mhalla, Seuil)
Tout juste titulaire d’un doctorat en études politiques, Asma Mhalla est chercheuse au Laboratoire d’anthropologie politique de l’EHESS, enseignante à Sciences Po Paris, à Polytechnique et à Columbia. Nous avions parlé, lors de précédentes éditions de la Cortex Newsletter, de ses papiers publiés dans Le Grand Continent ou à l’Institut Montaigne, explorant à chaque fois les enjeux politiques et géopolitiques de la Tech.
Après les notes, le livre. La thèse principale d’Asma Mhalla est la suivante : il faut penser les BigTech comme un triptyque, qui articule en permanence trois dimensions interdépendantes - la technologie, l’économie et l’idéologie. L’idée, c’est que la vision du monde et le système de valeurs portés par les géants du numérique conditionnent, dans un deuxième temps seulement, leur modèle économique et leurs caractéristiques technologiques. « Ironiquement, écrit Mhalla, l’indigence idéologique dont nous nous étions tellement plaints est comblée par la technologie et ses acteurs dominants ». Intelligence artificielle générale, transhumanisme, long-termisme : in fine, « les technologues américains ne privatisent pas seulement la technologie, mais aussi les idéologies. »
En particulier, le livre détaille la façon dont les géants du numérique liquéfient le concept traditionnel de « souveraineté », jusque-là exclusivement dévolu aux États. C’est bien le cas lorsqu’Elon Musk propose, en pleine offensive russe, un sondage Twitter sur l’appartenance du Donbass et de la Crimée, ou qu’il décide unilatéralement d’empêcher une opération ukrainienne par drones en refusant d’activer le réseau de ses satellites Starlinks. « Musk est ni plus ni moins en train de construire une puissance géopolitique formelle, complémentaire des prérogatives actuelles des États-Unis », écrit Mhalla.
Flippant, mais stimulant !
Un roman : D’or et de jungle (Jean-Christophe Rufin, Calmann Lévy)
Dans son dernier roman, Jean-Christophe Rufin, ancien ambassadeur, imagine un coup d’État perpétré par un géant du numérique. Roland Daume, à la tête d’une agence de renseignements privés, parvient à convaincre son ami d’enfance, Marvin Glowic, fondateur du moteur de recherche Golhoo et homme le plus riche du monde, que le fond de l’air est en train de changer. Jusqu’à présent, les pionniers de la révolution numérique avaient pu se développer sans s’occuper de politique (« Vous êtes américains et l’Amérique vous a laissés tranquille ») : maintenant qu’ils s’intéressent de près à des sujets touchant aux fondamentaux des sociétés humaines (la monnaie, la biotechnologie, l’IA), ils risquent d’entrer dans le dur. « Vous étiez hors de l’histoire, à l’abri dans votre monde. Maintenant, vous êtes obligés d’y entrer et de vous battre ». Sa solution est simple : la seule façon de se protéger contre l’État, c’est d’en avoir un. D’où sa proposition d’un coup d’État « clefs en main », qui se déroulerait, après un benchmark approfondi, au sultanat de Brunei, un petit État situé sur l’île de Bornéo, en mer de Chine.
L’originalité du texte de Jean-Christophe Rufin n’est pas tant dans l’exposition du potentiel manipulatoire du numérique – le maître du genre restant Giuliano da Empoli (Les ingénieurs du chaos, Le mage du Kremlin) – que dans la réflexion sur la dimension politique des géants du numérique. Dans son roman, ces derniers ne sont plus de simples fournisseurs de campagnes de déstabilisation, mais deviennent d’authentiques commanditaires. Ils ne sont plus au service de pouvoirs autoritaires, ils se muent eux-mêmes en pouvoir politique.
Haletant !
Un podcast : la stupéfiante histoire d’Elon Musk (Les Éclaireurs du numérique)
Elon a raconté tellement d'histoires depuis des années qu'il fallait bien un jour faire le tri dans tous ses projets. C'est chose faite avec ce podcast qui nous plonge dans une délicieuse prospective dystopique, sur la crête des ambitions folles du maître de X.
X qui devient incontournable grâce à la crypto suite à une crise financière mondiale, Starlink qui sauve le monde en pleine cyberguerre mondiale, associé à la redoutable robustesse de l'XPhone, puis les millions de Tesla qui sillonnent le monde comme autant d'objets connectés capteurs de data nourrissant XIA, ...rien n'échappe au storytelling et tout s'enchaîne comme dans un plan digne du meilleur d'Hollywood, retournant les médias mondiaux, réinventant les batteries et régénérant l'agriculture africaine.
Et bien sûr à la fin... Neuralink, les robots et Mars.
C’est tout pour aujourd’hui ! Rendez-vous le mois prochain pour un nouveau numéro de la CORTEX NEWSLETTER.
En attendant, n’hésitez pas à vous abonner pour recevoir les prochains numéros directement dans votre boite mail
Merci beaucoup pour la mention (et bravo pour votre travail sur cette NL qui est remarquable).