La Billy redessinée, techno-politique de l’IA, les Français et la mobilité, lancement du “média du pouvoir d’achat”, EDF et Maitre Gims, Heetch et son autre regard sur la banlieue, Poste restante, le dernier BEE … elles ont fait (ou pas) l’actualité, voilà la veille des idées du mois de mai 2023. Bonne lecture !
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LE NEW NORMAL INFLATIONNISTE
44% des Français se restreignent sur leurs dépenses alimentaires
Le fait n’est pas nouveau : en période d’inflation, les ménages restreignent leurs dépenses alimentaires. Mais dans son coup d’oeil hebdo, L’ObSoCo nous donne un aperçu de l’ampleur des dégâts - 44% des ménages disent être concernés. Ils sont 13% à s’imposer des restrictions “très importantes” (et même 25% pour les revenus de moins de 1000€ par UC). À l’inverse, seuls 25% des Français disent ne s’imposer que “très peu” de restrictions alimentaires.
On espérait que l’inflation soit conjoncturelle, elle semble être structurelle. Dans une interview accordée à LSA, Michel Edouard-Leclerc déclarait tabler sur une période d’inflation longue :
"Je pense que l'inflation va être durable, car il va falloir financer la nouvelle économie décarbonée. On sortait de dix ans de déflation, on entre dans dix ans d'inflation"
Face à la hausse des coûts, IKEA redessine ses best-sellers
Dans The Wall Street Journal, on lit que face à la flambée du prix des matières premières et du transport, et confronté aux budgets de ses clients sous pression, IKEA a décidé de repenser ses produits pour faire baisser les coûts. Les designers IKEA ont trouvé des solutions ingénieuses : les portes des armoires ou des commodes sont désormais réalisés en plastique, pour réduire le besoin en bois ; l’aluminium recyclé est utilisé à la place du zinc, de plus en plus rare, etc.
Pour la mythique bibliothèque Billy (vendue à 140 millions d’exemplaires depuis 1979), remplacer le placage bois par une feuille de papier a permis de réduire les coûts de 25 à 30%. De plus, “alors qu’il fallait trois cartons pour le transporter, il n’en faut plus que deux ; Ikea peut donc mettre deux fois plus de lits par conteneur”.
Même procédé pour la chaise de bureau Flintan, où la taille des accoudoirs a été réduite et la quantité d’acier et de plastique dans le dossier a été diminuée, ce qui a permis de baisser les coûts. Grâce à quelques modifications, son emballage est optimisé : Ikea peut désormais en mettre 6 900 par conteneurs, contre 2 750 jusque-là.
“Les efforts n’ont pourtant pas suffi à faire baisser le prix de vente (119 dollars). Les coûts ont tellement augmenté que, sans les modifications, Ikea aurait dû fortement l’augmenter”
Cet exemple montre bien que, face à l’inflation, la grande distribution ne dispose pas du monopole de l’action : toute marque peut jouer un rôle de rempart.
Les séries TV obligées de repenser leur modèle économique
Comment continuer à produire des séries haut de gamme et rester rentable quand les coûts explosent ? La filière audiovisuelle française connait, elle aussi, une hausse conjoncturelle de ses coûts. Face à la concurrence des géants américains du streaming, "on ne peut plus aller en-dessous de ce à quoi on a habitué les spectateurs, des fictions chères", explique à CBNews la productrice Iris Bucher.
Ordre de grandeur : on lit que pour "un épisode de série française ambitieuse produite pour un service de vidéo à la demande", il faut compter entre 2 à 5 millions d’euros par épisode. Pour réduire les coûts, plusieurs options existent. Les alliances, d’abord, pour bénéficier d’économies d’échelle et partager le financement : TF1 mise par exemple sur le "développement d'un partenariat plus structuré avec les grandes plateformes". Le raccourcissement, ensuite : "on ne cherche plus des séries à saisons multiples, et on baisse le nombre d'épisodes de chaque saison” explique Alexandra Lebret, directrice générale du Club des producteurs européens.
Le standard de qualité pretium comme facteur inflationniste : le secteur automobile avait déjà expérimenté le phénomène. En retour, plusieurs constructeurs avaient lancé, avec succès, des modèles plus bas de gamme (la Dacia de Renault, destiné à l’origine pour l’Europe de l’est, qui s’est révélé être un grand succès commercial en France). De même, assisterons-nous au retour des séries cheap ?
POLITIQUE DE l’IA
Un quart des tâches dans les métiers actuels pourrait être automatisé par l’IA générative
D’après une étude de Goldman Sachs, les intelligences artificielles comme ChatGPT menacent 300 millions d'emplois dans le monde. Dans le détail, l’étude estime qu'environ les deux tiers des professions aux États-Unis sont «exposées à un certain degré d'automatisation par l'IA». Et qu' «un quart des tâches de travail actuelles pourraient être automatisées par l'IA», avec une nette prédominance pour les professions de bureau - ce qui ferait de cette révolution technologique la première à s’attaquer, d’abord, aux métiers des “cols blancs”.
Le phénomène avait déjà été identifié par l’économiste Daniel Cohen en ce qui concerne l’économie numérique dans son ensemble. Dans son dernier ouvrage (Homo Numericus, Albin Michel, 2022), il montre que la révolution numérique, en transformant en profondeur le système productif, a provoqué un « affaissement continu des emplois intermédiaires », dans un mouvement de polarisation de l’emploi entre deux extrêmes - emplois « créatifs » tout en haut de l’échelle sociale, et « premiers de corvée » tout en bas. Au milieu, le numérique a peu à peu remplacé les tâches humaines. « La conséquence politiquement la plus importante de ce processus, écrit-il, est l’érosion continue de la classe moyenne. Les tâches administratives et commerciales dont le rôle était de faire le lien entre le haut et le bas d’une entreprise ont toutes reculé, comme si les firmes n’avaient plus besoin de ces emplois situés au milieu de la hiérarchie pour fonctionner efficacement »
De ChatGPT à Midjourney, les intelligences artificielles génératives s’installent dans les entreprises
Un long article du journal Le Monde plonge dans le monde de l’entreprise, et les usages balbutiants des logiciels d’intelligence artificielle capables de générer des textes et des images. La question est la suivante : ces outils vont-ils bouleverser le monde du travail ? Ou sont-ils l’équivalent du casque de réalité virtuelle (beaucoup de bruit au début, peu de résultats à la fin) ?
« Si on écoute la Silicon Valley, l’IA va tout changer, voire entraîner la fin du monde d’ici à deux ans. Alors qu’à Paris les gens ont à peine entendu parler de ChatGPT… La vérité est probablement entre les deux » (Julien Chaumond, Hugging Face)
De fait, « les intelligences artificielles génératives commencent déjà à avoir un effet sur des métiers qui semblaient à l’abri de l’automatisation, en particulier dans le tertiaire », décrypte le sociologue Yann Ferguson, enseignant-chercheur à l’Institut catholique d’arts et métiers de Toulouse.
Dans l’informatique, CoPilot, un assistant d’aide à la programmation, est d’ores et déjà massivement utilisé : « Quand un développeur écrit du code, Copilot lui propose la suite, en fonction du code déjà écrit et des fichiers ouverts en parallèle”.
Dans les studios de d’animation et de jeux vidéos ou dans la publicité, MidJourney “remplace des images qu’on allait chercher auparavant sur le Net”. “Aujourd’hui, tous les créatifs de notre agence jouent avec ces logiciels. Et particulièrement les moins de 35 ans”, raconte Bertille Toledano, présidente de l’agence de publicité BETC.
“J’ai réussi à automatiser environ de 30 % à 40 % de ma charge de travail, qui consiste à écrire des articles et des billets sur les réseaux sociaux” explique Pierre, chargé de communication dans une PME de services administratifs.
Julien Rechenmann, fondateur d’une start-up en neurotechnologie à Toronto (Canada), estime économiser « un tiers » de temps de travail grâce aux IA génératives, vues comme un genre d’assistant. « Préécriture d’e-mail, premier essai pour une étude de marché, se faire passer pour un consommateur pour préparer les questions d’un entretien… » liste-t-il.
Bien sûr, la plupart des personnes interrogées soulignent la nécessité de « repasser derrière » le robot. Mais à la lecture de cet article, l’impact sur le travail semble considérable, bien qu’encore difficile à évaluer avec précision.
Selon une étude commandée par OpenAI et publiée en mars, 80 % des employés américains verraient « à terme » l’IA générative affecter au moins 10 % de leurs tâches, dans une proportion importante pour 19 % d’entre eux. Yann Ferguson anticipe deux scénarios : « Soit la déqualification des salariés, soit leur “encapacitation”».
Technopolitique de l’IA: la question du “qui”
“Ces derniers mois, nous nous sommes trompés de débat car nous nous sommes trompés de question” affirme Asma Mhalla, spécialiste des enjeux géopolitiques du numérique, dans une note publiée pour l’Institut Montaigne. Pour elle, la question centrale de l’Intelligence Artificielle n’est pas celle du “quoi”, du “quand”, du “comment” ni même du “pourquoi” : chacune de ces questions, largement évoquées dans le débat public, sont secondaires, au sens où elles dérivent d’une question originelle, première.
“Cette question première, c’est celle du "QUI". Car qui dominera cette technologie dessinera en partie les contours du siècle qui advient” (…). Qui détient la vision ? Qui la conçoit, c’est-à-dire qui détient la capacité à donner corps à cette vision ? Selon l’intérêt de qui ou de quoi ? En contrechamp, sur quel projet politique commun devrait-on aligner ce nouveau socle non pas seulement technologique mais aussi civilisationnel ?”
La question du "Qui" nous emmène vers une analyse du sujet sous l’angle idéologique, dont l’épicentre se situe entre Oxford University et la Silicon Valley, avec pour tête d’affiche Elon Musk, Peter Thiel, Sam Altman ou David Holz (PDG de MidJourney) : “les technologues américains ne privatisent pas simplement la technologie mais ce faisant mettent en mot une privatisation plus subtile, une privatisation idéologique”
“Les concepteurs des systèmes d’intelligence artificielle proposent des agendas très précis via un système de ce que l’on peut appeler un projet de "technologie totale" (…)
La question de la Technologie totale est à comprendre ici à deux niveaux :
- Technologie totale en ce sens qu’elle enferme nos usages autour de quelques interfaces privées, nous encerclent cognitivement, ce que Tim Berners Lee appelait déjà en 2007 les "Walled Gardens".
- Technologie totale car elle met en place les briques d’une captation et d’une exploitation des usages et des données totales, sans couture avec son corollaire, des dispositifs de surveillance et de monitoring généralisés”
Décrivant une “confiscation de la discussion”, Asma Mhalla appelle la France et l’Europe à élaborer une véritable stratégie techno-industrielle. En attendant, la guerre s’intensifie : face à la menace ChatGPT, Google a annoncé ne plus partager ses recherches avec la communauté scientifique pour éviter d’aider ses concurrents (Usine Digitale) …
INSIGHTS
Le rapport des Français à la mobilité : des données fraîches
Dans une enquête très riche réalisée avec l’institut Kantar Public France, Destin Commun s’est penché sur le rapport des Français à la mobilité. Voiture, train, vélo, avion : une batterie de questions sonde les pratiques sur les modes de déplacement exceptionnels ou du quotidien.
Parmi les dizaines d’enseignements à tirer, voici ceux qui ont retenu notre attention :
- La voiture individuelle domine largement les mobilités. Elle se place dans les deux modes de transports quotidiens utilisés prioritairement par 67 % des Français. Pour un Français sur deux, c’est même le premier mode de déplacement quotidien.
- La voiture est une « deuxième maison » pour 1 Français sur 3 (33 %). Plus d’un Français sur deux (53 %) estime que sa vie sociale dépend de la possession d’une voiture.
N.B: aux lendemains du premier confinement, le Cortex Havas faisait l’hypothèse d’un “come-back” de la voiture, en tant que mode de transport individualiste et donc protecteur …
- Le lien entre l'urgence climatique et l'utilisation de la voiture individuelle (thermique) reste étonnamment minoritaire dans l’opinion. Seuls 4 Français sur 10 (43 %) considèrent que la voiture est un frein à la lutte contre le changement climatique.
- Près de 3 Français sur 10 (28 %) utilisent les transports en commun (routiers ou ferroviaires) pour leurs déplacements du quotidien. Mais 51% des enquêtés déclarent “préférer les transports individuels plutôt que collectifs car ils n'aiment pas voyager avec d'autres gens”.
- 7 Français sur 10 ne prennent pratiquement jamais l’avion : près d’un tiers (30 %) ne le prennent jamais, et 42 % l’empruntent moins d’une fois par an. Les usagers très fréquents, qui le prennent plus de 10 fois par an, ne représentent que 1 % des Français.
- L’avion fait encore rêver près d’un Français sur deux (47 %), mais seuls 27 % des Français déclarent que les vraies vacances, c’est l’avion.
- Un tiers des Français (32 % en moyenne, 35 % chez les usagers réguliers de l’avion) culpabilisent pour des raisons environnementales lorsqu’ils prennent l’avion.
- Dans les acteurs qui doivent agir en priorité en faveur d’une mobilité plus respectueuse de l’environnement, on remarque qu’aucun ne se détache majoritairement mais que c’est l’Etat qui est le plus attendu.
La bière devance le vin
Dans un pays à la tradition viticole, la nouvelle fait l’effet d’un coup de tonnerre. D’après le dernier baromètre mené par Sowine/Dynata et publié dans Le Figaro, c’est désormais la bière qui est l’alcool préféré des Français (56%), devant le vin (55%), le champagne (37%), les spiritueux en cocktails (29 %), le cidre (22 %) et les spiritueux purs (20%).
Après la préférence, les ventes. Selon les derniers chiffres publiés par IRI Worldwide, une entreprise pionnière dans le domaine du Big data des secteurs de la grande distribution, 2023 est une année charnière : pour la première fois, le chiffre d’affaires de la bière dans les rayons des hypers a dépassé celui du vin.
Si les courbes se sont croisées cette année, elles correspondent à des évolutions de long terme, à la fois en volume et en valeur. En 2007, les vins représentaient plus de 42 % de parts de marché des ventes d’alcool en grande distribution, contre seulement 30% en 2022. A l’inverse, les ventes de bières ont grimpé de 36 % en 2007 à plus de 50 % en 2022. La tendance se confirme en valeur : entre 2007 et 2022, le chiffre d’affaires des vins dans les hypermarchés est passé de 34 % à 29 %, quand celui de la bière, qui chiffrait à 14 %, est passé à 27 %.
Comment expliquer cette prise de pouvoir de la bière sur le vin ? Au Cortex, le débat a été vif, et plusieurs réponses ont émergé :
- C’est un changement de civilisation : notre côté sudiste perd contre notre côté nordiste ;
- C’est un changement générationnel : les jeunes ne boivent plus de vin, une boisson plus chère et dont les codes sont plus compliqués à se saisir ;
- C’est un changement de pratique : on assiste de plus en plus à une décorélation entre le repas et la consommation d’alcool , et la bière est davantage un alcool-loisir ;
- C’est un changement d’acteurs : les micro-brasseries qui émergent partout en France vs les grands châteaux immuables.
La France des buffets à volonté
Le journal Le Monde nous propose une plongée dans ces restaurants XXL, tenus à 70% d’entre eux par la diaspora chinoise, installés aux abords des villes et des autoroutes. “Dans une société qui préconise de manger équilibré, médiatise le mouvement Slow Food et lutte contre le gaspillage alimentaire, le buffet à volonté sonne comme une anomalie”.
Mais que viennent chercher les clients, si ce n’est un repas à 2000 calories pour une vingtaine d’euros par personne en moyenne (28€ le week-end, 15€ le midi) ? “Une soupape de décompression, un lâcher-prise…” dit l’un d’eux. “Une caverne d’Ali Baba ! Walt Disney ! Une expérience qui me plonge dans un état second” explique un autre.
L’argument est aussi économique : “Pour qui vient en famille, le buffet à volonté est l’assurance de passer un bon moment à bas prix, avec des enfants libres de leurs allées et venues – environ 9 euros pour les bambins de moins de 110 centimètres et 12 euros pour les moins de 140 centimètres, vérification faite au mètre, à l’entrée”
“Dans les buffets à volonté se joue toujours quelque chose de l’ordre du braquage de banque. J’appelle ça “la revanche des pauvres”, avec cette idée sous-jacente qui consiste à se venger de toutes les semaines de privation (…). Le buffet à volonté produit chez certains l’idée que, pendant deux heures, ils sont les rois du monde” explique Juan Loaiza, alias Grandpamini, un DJ parisien qui fréquente ces restaurants depuis vingt ans.
Question de (sémiotique de) communication : alors qu’on nous vante partout la sobriété, la rhétorique de “la caverne d’Ali-Baba” et de l’abondance du pays de Concagne est-elle vraiment définitivement condamnée ?
ACTUALITÉS MÉDIA
Lancement de 150€, “le média du pouvoir d’achat”
Alors qu’on s’achemine vers la fin de la distribution des prospectus dans les boîtes aux lettres, un nouveau magazine s’est lancé pour continuer d’informer les consommateurs sur les promotions. Lancé par Milee (le nouveau nom d’Adrexo, une entreprise dédiée à la distribution de prospectus publicitaires), il s’agit d’un hebdomadaire, gratuit mais disponible sur abonnement.
Son nom : “150€”, en référence au montant que peut espérer économiser chaque mois un ménage de quatre personnes grâce aux promotions. Pierre-Yves Larvor, le directeur général adjoint de Milee, insiste sur la difficulté de nombre de ménages à venir leur budget dans un contexte d’inflation :
« Plus de la moitié de nos concitoyens se dit convaincue que les promos sont indispensables pour boucler les fins de mois. Paradoxalement, l’accès est bien plus difficile pour eux depuis qu’il faut télécharger les applis de toutes les enseignes, qui renoncent, les unes après les autres, à la pub en boîte aux lettres »
Présenté comme “le média du pouvoir d’achat”, on lit dans L’Opinion que 150€ espère devenir une « plateforme » dédiée à la consommation, et devenir le “passage incontournable pour les consommateurs souhaitant grappiller quelques euros à chaque remplissage du frigo”:
“Il veut rallier vite toutes les grandes enseignes à cette nouvelle façon de distribuer la pub et centraliser leurs publications, afin de créer un « réflexe naturel d’information » pour les consommateurs. Cela pourrait aussi prendre la forme d’un portefeuille de cartes de fidélité.
Un lancement qui montre une fois encore la formidable créativité média : après Néo, le média du local, ou encore Flush, le média des toilettes, voici venu 150€, le média du pouvoir d’achat.
Co-advertising : deux initiatives intéressantes d'affichage collaboratif
La première relève du coup média tactique dans le métro londonien, mettant en scène 4 campagnes de marques de secteurs très éloignés mais aux accroches complémentaires, formant un jeu de mots clin d’œil à Daft Punk « Harder, Feta, Better, stronger».
La seconde est une campagne multi pays «Dirt is good » de Omo, un hommage aux marques Unilever, les principales responsables des taches sur les vêtements : Magnum, Hellman’s, Cornetto, Knorr... Plutôt qu'une compétition effrénée, il s’agit ici de reconnaître la valeur et la complémentarité des marques.
Si le co-advertising permet habituellement de mutualiser les coûts et de bénéficier d'effets d'image croisés, il semble ici plus un moyen d’émerger, et de créer la connivence. Contexte, complémentarité et coopétition.
CHAPEAU L’ARTISTE
Heetch - “Aller plus loin”
Après les films à succès (Bac Nord, Les Misérables), la publicité se met, elle aussi, à mettre les banlieues à l’honneur. Ici, en l’occurence, il s’agit du VTC Heetch : avec plus de 80 % de trajets effectués quotidiennement en banlieue et une majorité de chauffeurs et de passagers venant de Saint-Denis, Aubervilliers, Créteil, Pantin, Bobigny, Vitry-Sur-Seine, la marque connaît bien les banlieues.
Et a décidé d’aller à l’encontre des idées reçues et de l’image stéréotypée (et souvent négative) qu’en donnent les médias depuis des décennies.
« En mettant bout à bout ces extraits audios issus des médias de 1960 à nos jours on se rend compte de l’impact que peut avoir une vision réductrice et stigmatisante de la banlieue. On a donc sillonné la banlieue pour la montrer sous un jour trop souvent oublié et qui vient trancher avec ce bruit de fond médiatique » explique Olivier Aumard, directeur de la création (BETC Paris).
Le coup malin, c’est que la campagne fait coup triple : publicité corporate (pour Heetch), publicité commerciale (pour les clients) et publicité employeur (pour recruter les chauffeurs).
SNCF : “Et si la liberté, c’était le train ?”
Une belle campagne publicitaire, qui cherche à donner la définition de la liberté à la française, en jouant en négatif des codes américains. Pour autant, raisonne-t-elle bien avec l’époque, au moment où se durcissent les tensions autour du pouvoir d’achat ?
Cela aurait été la campagne parfaite pour annoncer que la SNCF suivait son homologue allemand (DB) : depuis le 1er mai, les Allemands peuvent voyager en illimité sur le réseau de transport local et régional du pays pour moins de 50 euros par mois …
F*ckOatly.com, le dispositif anti-crise qui les divulgue pour mieux les maitriser
Un nouveau coup de maître signé Oatly, l’entreprise suédoise produisant des aliments pour vegans. A l’automne dernier, un mystérieux site internet apparait : fckoatly.com, énumérant les plus grandes controverses de la marque. Et ce, des vidéos TikTok affirmant que les produits d'Oatly contiennent des ingrédients toxiques aux appels au boycott après que la société de capital-investissement Blackstone a pris une participation de 10% dans l'entreprise - les militants écologistes avaient déclaré que les liens présumés de Blackstone avec la déforestation en Amazonie sapaient la mission d'Oatly de réduire les émissions de carbone de la production laitière.
Début mai, on a appris qui était l’origine de la création de ce site internet : la marque Oatly elle-même !
"We see all the negative headlines, posts and petitions as an inevitable consequence of trying to create positive societal change (…). We're not afraid of conflict. On the contrary, we embrace a two-way dialogue both our fans and non-fans alike. Fckoatly is about addressing these "missteps" we've encountered over the years head on and in a very human and Oatly way."
Un remarquable exemple de dispositif anti-crise, qui les divulgue pour mieux les maitriser … malin !
DERNIÈRES PARUTIONS
Un essai : “Poste restante” de Christian Authier (Flammarion, 2023)
Dans Poste restante (Flammarion), Christian Authier, romancier et fils de postiers, consacre un ouvrage à La Poste et à sa place dans la société française. Mêlant la biographie et l’essai, la nostalgie et l’indignation, l’anecdote kafkaïenne des réorganisations hasardeuses et le grand récit épique (les héros de l’Aéropostale), l’auteur retrace l’histoire de La Poste, de la création du “service des chevaucheurs du roi” sous Louis XI à aujourd’hui.
Si La Poste occupe une place privilégiée dans notre imaginaire national, c’est qu’elle est un objet éminemment politique. « À l’instar de l’École, défend l’auteur, La Poste incarne le service public à la française et l’État. La figure du postier et plus encore celle du facteur est parfois le dernier lien concret, vivant, humain qu’entretiennent des Français – isolés, souvent âgés – avec l’administration, avec la République, avec cette communauté nationale dont ils se sentent exclus, relégués ».
À lire !
Un roman : “Les Éclats” de Bret Easton Ellis (Robert Laffont, 2023)
Le Guardian dit de lui que c'est le parfait mélange entre Karl Ove Knausgård et Dario Argento. Au Cortex, on préférera Stranger Things au maître du frisson italien.
Explications.
Les Éclats, c’est à la fois l’autobiographie romancée de son auteur - et à travers lui celle d’une génération en paix avec ses excès –, le testament littéraire d’un des derniers parangons du capitalisme triomphant, mais aussi, comme l’est Stranger Things, une formidable et sincère opération de Brand Content pour les marques iconiques des années 80 qui y figurent (Tommy, Ralph, Only Members, Valium…). Marques qui , après une traversée du désert dans les années 2000, font elles aussi leur grand retour ; comme si elles n’attendaient que lui.
Si l’incursion de marques dans les films et séries s’est largement banalisée, rares sont les romans qui s'encombrent de leur présence ; par souci d'intemporalité ou snobisme, on ne le sait pas.
Bien sûr, on se souvient tous de Gerard de Villiers et de sa série de romans SAS : son héros Malko Linge faisait tantôt l’éloge d’une marque de champagne, tantôt celle d’une société française vendant des équipements aux professionnels de la sécurité, voire même d’un célèbre décorateur d'intérieur parisien ou encore de boutiques ayant pignon sur rue – mais aujourd’hui disparues - dans le centre-ville de Cannes.
Et puis, il y a BEE (pour “Bret Easton Ellis”), pour qui les marques sont intrinsèquement liées à une époque, des véhicules qui, au même titre que certains hits musicaux et blockbusters cinématographiques, nous transportent à une époque donnée.
BEE définit le début des années 80 autant par ce qui s'écoutait et se regardait que par ce qui se portait, se conduisait, bref se consommait. Sa génération n'a pas honte de son matérialisme, elle accepte que le paraitre soit une partie de l'être et que l’existence soit une fable. Bref, que la vie se doit d’être un roman. Une fiction à écrire soi-même et dans laquelle les marques jouent un rôle important.
Avec ce chef d’œuvre - la synthèse parfaite de toutes ses œuvres- il fait, malgré lui ou plus sûrement volontairement, entrer sa génération dans le kitsch de Kundera : « cette station de correspondance entre l'être et l'oubli » et rend immortelles les marques qu’il cite.
Breat Easton Ellis est un publicitaire capable de faire ressusciter des marques que l’on pensait mortes. Rien que pour cela, il mérite d’être lu.
Une uchronie : “Si Rome n’avait pas chuté” de Raphaël Doan (Passés composés)
Raphaël Doan, agrégé de lettres classiques, publie un ouvrage étonnant, qui essaye d’imaginer ce qui se serait passer si les Grecs et les Romains avaient découvert la machine à vapeur. Une uchronie écrite et illustrée avec … une Intelligence artificielle !
Dans Le Figaro, il explique son procédé :
“L’IA invente des événements, des intrigues, des évolutions possibles de la société, et je commente ensuite ces inventions, avec un regard historique, économique ou culturel. C’est loin d’être instantané, non seulement parce que la moitié du livre est écrite à la main, mais aussi parce que faire générer du texte à l’IA, sélectionner les bons résultats, les relier ensemble, les éditer pour les améliorer est un travail d’ampleur”
L’intelligence artificielle a également été mobilisée pour illustrer le livre à coups de photoréalistes, pour représenter “ce monde imaginaire où l’Empire romain a connu sa révolution industrielle”.
Détonnant !
C’est tout pour aujourd’hui ! Rendez-vous le mois prochain pour un prochain numéro de la CORTEX NEWSLETTER.
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