Crises nouvelles, émotions consommatoires, Zoom towns, storytelling des lieux a-touristiques, chute des audiences télé, “Great Résignation” et Illusions perdues. Elles ont fait (ou pas) l’actualité, voilà la veille des idées du mois de novembre 2021.
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CRISES NOUVELLES
Le “chantage à la réputation” de L214
L’Opinion relate comment Daniel Sauvaget, fondateur d’Ecomiam, entreprise bretonne de distribution alimentaire, a fait l’objet d’un chantage à la réputation de la part de L214, la célèbre association de défense des animaux :
“Attaques sur les réseaux sociaux, saturation des boîtes mail par des centaines de messages, appels incessants au standard. L214 a menacé de nous discréditer si nous ne prenions pas l’engagement public de respecter les normes de bien-être animal édictées par elle-même dans le choix de nos produits et de nos fournisseurs”
Mais là où habituellement le monde agro-alimentaire cède, par peur du scandale, le dirigeant a décidé de faire front. Il a enregistré une vidéo pour expliquer sa position :
Jouer la pédagogie, rendre visible le conflit, prendre à témoin ses parties prenantes et le grand public pour s’attirer son soutien : une com’ de crise 2.0
Résister au dialogue ?
De Socrate au Dalai Lama, on a toujours prôné les vertus du dialogue. Dans Resisting Dialogue: Modern Fiction and the Future of Dissent, Juan Meneses défend la thèse inverse: “dans notre époque moderne, le dialogue est une partie du problème, pas la solution”.
Son étude s’inscrit dans ce qu’il appelle, dans les pas de Jacques Rancière ou Chantal Mouffe, la “post-politique”, i.e. un mode global de gouvernance fondé sur le consensus. “Within such a framework, any possibility of imagining an alternative is effectively foreclosed by deploying an overriding logic of so-called pragmatic and realistic policymaking”.
De Margareth Thatcher à David Cameron, en passant par l’inaction des gouvernements face à l’urgence climatique, l’universitaire montre comment le dialogue peut être utilisé comme “un instrument disciplinaire” qui “dépolitise plutôt qu’il n’empower”, une façon d’éliminer la contestation. En particulier, le fait de donner la parole à toutes les “parties prenantes” est présenté comme une ruse, une illusion visant à masquer l’inaction :
“A dialogue between dominant and minor voices is a self-referential and performative hoax which works under the garb of representing all positions without disturbing the status quo”
“With natural and man-made disasters raging on, governments and big corporations are involved in making a brilliant spectacle of political engagement, all the while continuing with their predetermined and unsustainable practices”
L’auteur imagine plusieurs façons de “résister au dialogue”, pour mieux éviter d’être coopté par le “discours hégémonique”. Des analyses qui résonnent particulièrement à l’ère du dialogue des “parties prenantes” et des grandes initiatives comme le Grand Débat National ou de la Convention citoyenne pour le Climat … les marques finiront-elles par toucher du doigt les limites de la promotion de la parole comme résolution de conflit ?
Traversées de la Manche : à Calais, Décathlon retire les kayaks de la vente
Dans La Voix du Nord, on apprend que Décathlon a décidé de retirer ses kayaks dans ses magasins de Calais pour éviter les traversées de migrants. Communiqué de Décathlon France :
“En concertation avec les équipes, nous ferons désormais en sorte de ne plus permettre l’achat d’embarcations – kayak notamment – qui pourraient mettre en danger la vie de personnes l’utilisant dans le cadre d’une traversée. » Et de poursuivre : « Nous sommes attachés à ne jamais faire courir de risques à nos clients dans l’usage de nos produits, et ce quelles qu’en soient les circonstances”
Un excellent exemple de la transformation de la nature des crise auxquelles les entreprises sont aujourd’hui confrontées. Nelly Garnier, directrice associée Havas Paris et fondatrice de l’Observatoire des crises nouvelles (BE SMART) :
“A l’origine, les crises venaient souvent d’un incident ou d’une erreur au sein de l’entreprise. Un exemple : on retrouve de l’huile de vidange dans la mayonnaise (…). Aujourd’hui, on voit d’autres types de crises de réputation émerger. Ce qui est nouveau, c’est que les entreprises peuvent être prises à parties de l’extérieur, elles sont entrainées dans des débats qui ne sont pas les leurs”
ÉMOTIONS
Frustration, injustice, colère : les émotions consommatoires
Une étude IFOP, menée par la Fondation Jean Jaurès pour l’Agence du Don en Nature, s’est penché sur la “précarité matérielle” (non alimentaire).
6 Français sur 10 renoncent très souvent ou assez souvent à au moins un poste de dépense. Près d'un Français sur trois (31%) doit renoncer très régulièrement (plus de quatre fois par mois) à l'achat de produits non-alimentaires de première nécessité - la proportion monte à 38% pour les produits électroniques, à 37% pour les divertissements/sorties/loisirs.
37% n’ont pas les moyens de célébrer une fête (anniversaire, Noël, Nouvel an, fête religieuse …)
Fait intéressant, l’étude s’est intéressée aux effets psychologiques et symboliques que cette logique de renoncement entraine. Elle génère de la frustration pour 56% des personnes interrogées, un sentiment d'injustice (41%) et de la colère (28%). Plus on se sent proche des Gilets jaunes, et plus ces chiffres sont importants - sur la colère, l’écart entre Gilets jaunes et personne ne les soutenant pas atteint 27 points.
Conclusion de Jérome Fourquet : la consommation est un mode d’intégration social, une façon d’appartenir au vivre-ensemble. La révolte des Gilets Jaunes peut être analysée comme une révolte consommatoire, venant de gens qui n’arrivaient pas à faire partie de la société de consommation à laquelle ils aspirent.
En tout cas, les émotions tristes de la non-consommation sont autant de portes ouvertes aux marques pour faire entendre la démocratisation de leur offre, leurs prix, et leur attention à toutes les franges de leur clientèle.
La Fabrique des émotions
Dans un long entretien accordé à Libération, le sociologue Louis Quéré, auteur de La Fabrique des émotions (PUF), propose de voir les émotions non pas comme relevant du domaine de l’intime, mais comme des créations éminemment collectives et culturelles:
“Les émotions naissent et meurent, et certaines n’existent que dans certains pays. Pour le comprendre, il faut d’abord considérer que les émotions sont collectives : elles dépendent de contextes culturels qui favorisent des «habitudes émotionnelles» particulières .
Les émotions que nous pouvons éprouver aujourd’hui n’ont pas toujours existé et n’ont pas existé dans toutes les cultures. Plus grand monde ne ressent aujourd’hui l’acédie, qui est un genre de déprime spirituelle ressenti par les moines et les moniales du Moyen Age qui s’ennuient, se sentent découragés, voire dégoûtés de la prière”
Dans la même veine, on pourrait avancer que des marques sont à l’origine d’émotions qui leur sont propres, sans qu’elles aient nécessairement de nom : le fait de recevoir des “likes” ; le style qui se dégage d’un utilisateur de Veja ; la confiance en soi que peut donner un sac Lancel …
Citant les travaux du sociologue Gérôme Truc, Louis Querré se penche aussi sur le cadrage médiatique des émotions attribuées à un évènement donné :
“Le discours que produisent les politiques et les médias sur un événement va prescrire au public une certaine réponse émotionnelle à adopter. Autrement dit, si le cadrage médiatique insiste sur la nécessité de l’union, comme au lendemain des attentats du 13 Novembre, le public ressentira des émotions telles que l’empathie. Si, au contraire, ils exacerbent l’horreur de l’attentat, le public sera plutôt amené à ressentir des émotions négatives comme la peur ou la colère”
Une fabrique des émotions qui fait furieusement penser aux neurones miroirs et la façon dont se propage des comportements par mimétisme. Ce qui repose l'importance de l'optimisme naturel des marques, la foi dans le progrès et l'amélioration de la vie, et la nécessité pour la pub de diffuser de la joie dans ses modèles culturels. Combien le font vraiment ?
NOUVELLES GÉOGRAPHIES
Pour le fondateur d’AirBnB, le télétravail va voir émerger “toute une génération de nomades”
Dans le podcast Decoder diffusé par le site The Verge, Brian Chesky estime que le télétravail est une “révolution dans le voyage (…), probablement le plus grand changement depuis l'invention d'internet et possiblement de l'avion”. Le télétravail permet en effet aux voyageurs d’être plus souples dans leurs recherches, et à envisager de rester plus longtemps sur place.
“Durant les vacances, les réservations des familles se prolongent le lundi et le mardi, lorsque les enfants n'ont pas école et que les parents peuvent se connecter à distance, constate Airbnb. Plus de 40% des recherches sont déjà «flexibles» et 20% des nuitées sont réservées dans le cadre de séjours de plus d'un mois” (Le Figaro)
Des Zoom towns à la française ?
Le dernier numéro de la revue Constructif, éditée par la Fédération Française du Bâtiment, consacre un article de Magali Talandier, professeure en urbanisme, sur les recompositions territoriales entrainées par le télétravail.
L’expression “Zoom Towns” apparaît dans la presse américaine dès le printemps 2020 pour désigner les petites villes qui attirent de nouveaux télétravailleurs : “fréquentées jusque-là pour des séjours touristiques, ces villes deviennent, grâce au télétravail, des lieux de résidence à temps complet”. Les premières estimations indiquent que plus de 2 millions d’Américains souhaiteraient devenir propriétaires d’une maison dans ces nouveaux eldorados que sont devenus Kingston, près de la Hudson River, les Hamptons dans l’État de New York, Lewisburg dans le Tennessee, Martha’s Vineyard ou Cape Cod dans le Massachusetts, etc.
En France, après des années d’exode, le solde migratoire des villes moyennes est redevenu positif entre 2012 et 2017. La pandémie a amplifié le phénomène, en s’appuyant sur un imaginaire des villes moyennes très positif :
“Elles apparaissent comme le territoire le plus adapté pour élever ses enfants (selon 35 % des Français), dans la mesure où elles allient les avantages de la grande ville (écoles, commerces, services publics, innovation) et des plus petites (proximité de la nature, qualité de vie, prix foncier)”
Conclusion de la chercheuse : “De nombreux territoires pourraient donc se trouver bousculés par les nouvelles stratégies résidentielles que permet le télétravail” (qui ne concerne que 29% des salariés, rappelons-le). Les gagnants de cette nouvelle géographie territoriale s’appellent Valence, Avignon ou Angers. Une conclusion à mettre en lien avec “ces villes françaises à la recherche de l’effet Bilbao” (L’Express Styles), en jouant la carte des musées, des festivals et des quartiers dédiés à la culture.
Buffalo Grill abandonne le Far West
Fini, les bisons, les indiens et les cow-boys ! Avec Marcel, Buffalo Grill se réinvente en “House of BBQ”, abandonnant au passage toute l’imagerie Far West sur laquelle la chaine de restaurant s’était construite. “Bye Bye Far West - nouvelle déco, nouvelle ambiance” écrit la marque dans son spot publicitaire.
Pour Moderniser la marque, la premiumiser, faut-il abandonner son imaginaire et son territoire de marque ?
La chaîne de restauration, fondée en 1980 par l’homme d’affaires Christian Picart, s’était dès ses débuts inspiré des diners de bord de route à l’américaine. Contrainte de se réinventer après une année 2020 difficile (-40% de chiffres d’affaires, dixit Le Parisien), la chaine a donc décidé de changer d’imaginaire, pour coller davantage aux conventions de marché du “steakhouse” (Hippopotamus, Courtepaille, Bistro régent…).
Comment expliquer ce changement d’imaginaire ? Au Cortex, les débats ont été vifs, et trois grands types d’arguments se sont détachés :
1/ L’argument du relifting : on dépoussière, on modernise, pour mieux premiumiser. Mais faut-il nécessairement abandonner son territoire de marque ?
1/ L’argument de l’imaginaire dépassé. L’imaginaire utilisé n’était peut-être plus au goût du jour : les enfants jouent-ils toujours au Cow-Boys et aux Indiens ? Le soft power américain du Western est-il toujours aussi puissant ?
2/ L’argument “paravent woke”. C’est peut être, en France, la première conséquence publicitaire des risques réputationnels autour de l’appropriation culturelle : pour anticiper les accusations et les ennuis, on se déleste de toute référence culturelle indienne …
Dans tous les cas, ce changement d’imaginaire entraine moult réactions nostalgiques.

Le storytelling des “lieux a-touristiques”
Comment promouvoir des lieux éloignés de tout tourisme de masse ? Manifestement, c’est l’auto-dérision et la parodie qui a le vent en poupe dans le branding territorial …
MEDIA, MEDIUM
Le carton de pizza, nouveau OOH
Repéré Sur les Internets. “Gérer un sinistre, c’est aussi simple que de commander une pizza “ : pour incarner cette promesse, la néo-assurance Leocare a eu l’idée d’utiliser des cartons de pizza comme support de publicité … et de les envoyer à des influenceurs ! Ces derniers n’ont pas pu s’empêcher de partager leur surprise sur leurs réseaux, faisant gagner beaucoup de visibilité … gratuitement. Malin !
Comment expliquer la chute des audiences TV ?
Fin septembre, les Français consacraient chaque jour 3h23 à regarder la TV : c’est 13 minutes de moins en comparaison avec septembre 2020 (-4 minutes vs septembre 2019). Rebelote en octobre avec une DEI de 3h22, soit un recul de 34 minute vs octobre 2020 (-23 minutes vs octobre 2019). La consommation TV en octobre dernier se situe au même niveau que celle de juillet-août : c’est du jamais vu !
Lorsqu’on analyse les résultats sur les cibles commerciales, le chute est encore plus rude. Chez les “Femmes responsables des achats -50 ans”, la DEI affiche 2h43, soit -53 minutes vs octobre 2020 (-30 minutes vs octobre 2019). Et chez les 15-49 ans, avec 2h06 de consommation quotidienne, c’est -41 minutes vs octobre 2020 (-29 minutes vs octobre 2019).
Avec la crise sanitaire, la côte d’amour de la TV était montée à un très haut niveau. A la rentrée 2020, les patrons de chaînes affichaient leur confiance et s’enthousiasmaient sur ce retour des téléspectateurs. Dans le contexte, les Français avaient plus que jamais besoin de s’informer mais aussi de se divertir, de retrouver du lien social.
Comment expliquer ces derniers résultats ?
1/ Il y a tout d’abord un effet programmes. L’an dernier, France Télévisions diffusait exceptionnellement le Tour de France et le tournoi de Rolland Garros. Les programmes sportifs représentaient 6% de la consommation en septembre-octobre 2020. En 2021, cela ne représente plus que 3%. Cela démontre encore une fois l’effet booster du sport sur l’audience de la TV.
2/ Autre explication, le temps passé aux autres usages sur téléviseur : SVOD, jeux vidéo, applis, photos… Médiamétrie ne fournit pas de résultats détaillés, mais cet agrégat "Autres usages" a très fortement progressé. En septembre dernier, cela représentait 53 minutes chaque jour vs 43 minutes en septembre 2020 et 39 minutes en septembre 2019. Chez les 25-49 ans, avec 1h18, cela représente désormais 34% de la TV ON. 1h15 et 32% de la TV ON chez les Femmes RDA -50 ans. Et chez les enfants 4-14 ans, les "Autres usages" représentent désormais 50% de la TV ON!
En particulier, la SVOD gagne ainsi des parts de marché et tend à s’installer durablement dans les usages des français. Selon le baromètre de la Vidéo à la demande (source CNC), le nombre d'utilisateurs quotidiens en août 2021 étaient de 8 millions contre 7,3 millions en août 2020, soit une progression de +9,6%. On notera également la programmation sur les plateformes de vidéo à la demande qui a particulièrement fonctionné en octobre. La série Squid Game a réalisé le plus gros lancement de l’histoire de Netflix, programme qui semble être particulièrement en affinité avec la cible 15-34 ans notamment.
Pour autant, est-ce que cela inquiète les chaînes de télévision ? Pour l’instant, les annonceurs répondent présents et les taux de remplissage des plannings sont à un haut niveau. Par ailleurs, dans un contexte publicitaire de plus en plus concurrentiel, la télévision ne cesse de démontrer son efficacité. La dernière étude commandée par le SNPTV auprès d’Ekimetrics apporte des résultats très significatifs. L’étude #ROITV3 s’étend sur 6 ans de profondeur de données et analyse plus de 250 modèles économétriques sur un scope de secteurs très large (+10 secteurs). La TV est toujours aussi dominante sur l’ensemble des critères d’efficacité : un R.O.I. Total à 5,6 pour 1€ investi (vs 5,2 pour l’étude #ROITV2) et une contribution aux ventes à 40%, toujours loin devant les autres médias (vs 44%, étude #ROITV2).
Le cinéma a rejoint l’espace domestique
Une étude menée par Harris Interactive pour le Ministère de la Culture s’est intéressée sur les sorties culturelles post-crise. Au cours d’une “année normale”, 76% des Français allaient au cinéma : 49% n’y sont pas retournés. C’est encore pire pour les visiteurs de musée ou d’exposition (60% n’y sont pas retournés). Principalement par crainte des lieux très fréquentés (54%), mais aussi par habitude d’utiliser des moyens numériques pour accéder au contenu culturel (46%). En se projetant dans le futur, 30% des interrogés pensent aller moins souvent à un festival qu’avant la pandémie.
Dans Le Monde, la philosophe Sandra Laugier voit dans ces résultats une transformation profonde du rapport entre série et cinéma :
“Même s’il éduque, transforme, rassérène, le cinéma « ne prend pas soin » de nous, mais il offre l’expérience dérangeante d’un monde et de personnages plus grands que soi, sur un écran qui, tout en nous le présentant, nous coupe du monde. Il faut désormais prendre en compte un nouvel ébranlement, cette redistribution des espaces public et privé, l’intimisation du public par la mutation des formes de vie quotidienne où le cinéma est séculairement inscrit”
Une analyse qui rejoint la disparition de l’esprit de la fête que nous évoquions précédemment (cf Cortex Newsletter #12). Tout ce qui est collectif, un peu engageant, semble disparaitre des activités désirables. Quelle marque aurait intérêt à faire ressortir les gens ?

“THE GREAT RESIGNATION”
C’est le nom de la grande vague de démission qui touche les Etats-Unis : en août 2021, environ 4,3 millions d’Américains ont démissionné, “un chiffre inédit pour le département du Travail, qui fait des statistiques sur le sujet depuis décembre 2000” commente L’Opinion.
Le phénomène est en réalité plus globale, et touche aussi la France :
“À la rentrée, de 800 000 à 900 000 emplois étaient à pourvoir en France, bien au-delà des niveaux habituels. Une étude de la Dares, service du ministère du Travail, a établi qu'au cours de la crise sanitaire le seul secteur de l'hôtellerie-restauration a perdu 237 000 salariés. En tête des métiers et secteurs touchés par cette pénurie de main-d'oeuvre : les serveurs, plongeurs et cuisiniers dans l'hôtellerie-restauration, les chauffeurs et autres caristes dans le transport routier et la logistique, les vendeurs dans le commerce, les ouvriers du bâtiment, les aides à domicile sans oublier les infirmiers, aides-soignants et brancardiers à l'hôpital” (L’Express)
Quelques illustrations très concrètes, et quelques pistes de réflexions sur ce phénomène massif.
Faute de main d’oeuvre suffisante, les plats chauds des petits-déjeuners sont supprimés des hôtels Marriott & Hyatt
Dans un article du Wall Street Journal / l’Opinion au titre éloquent, “Mais où sont passés les travailleurs américains ?”, on lit qu’un nombre croissant d’entreprises est obligé de faire évoluer leur modèle économique et leur fonctionnement pour faire face au manque de main d’oeuvre.
“La situation pousse aussi les hôtels à changer de fonctionnement. Host Hotels & Resorts, qui détient l’essentiel des hôtels Hyatt et Marriott, s’interroge ainsi sur la possibilité de supprimer les plats chauds dans les buffets de petit-déjeuner ou de dire aux clients de demander le nettoyage de leur chambre plutôt que fournir ce service tous les jours”
Aux Etats-Unis, les tarifs de Lyft et Uber explosent … faute de chauffeurs
Pendant longtemps, les plateformes VTC proposaient des trajets systématiquement moins chers que le taxi. Ce temps est peut-être révolu :
“YipitData indique qu’en août, à New York, une course Uber ou Lyft coûtait en moyenne près de 39 % de plus qu’une course en taxi et que, mi-septembre, la hausse se poursuivait. Il y a deux semaines, au kilomètre parcouru, les tarifs d’Uber et Lyft aux Etats-Unis avaient augmenté de 26 % par rapport à 2019 et de 17 % par rapport à janvier” (L’Opinion)
En cause : la pénurie de chauffeurs. Post-confinement, nombre d’entre eux ont décidé de ne pas reprendre leur ancien métier. Pour éviter qu’ils ne changent de plateformes, voire qu’ils changent de métier, les plateformes VTC sont forcées de leur proposer des tarifs attractifs, ce qui augmente mécaniquement le prix de la course.

Une “contestation silencieuse”
Pour Jean-Laurent Cassely (L’Express), les causes de la démotivation sont multifactorielles :
“Bas niveau des salaires du secteur, horaires décalés le soir, les week-ends et les jours fériés, spécificité de la coupure entre les services du midi et du soir, heures non rémunérées durant lesquelles l'employé n'a d'autre choix que de rester sur place... Autre facteur de découragement : la hausse de l'immobilier dans les grandes villes éloigne de plus en plus le petit personnel de ses lieux d'embauche. Enfin, dans les territoires périphériques et ruraux, c'est l'augmentation des prix des carburants qui pèse sur le budget de nombreux travailleurs”
Sur France Culture, l’économiste Daniel Cohen parle d’un refus de beaucoup d’employés de retourner dans leurs emplois précaires : “La crise sanitaire a produit une critique, une contestation silencieuse de ce fond de précarité qui fait tourner un très grand nombre de secteurs”
Flemme générale
Dans Marianne, on lit cette intuition stimulante du communicant Arthur de Grave : “C’est peut-être de la Flemme générale que naîtra la Révolution. Nous avions tout faux depuis le début : pour qu'adviennent les lendemains qui chantent, il ne fallait pas se mobiliser, mais au contraire se démobiliser”
Voilà que nos cousins d’outre-Atlantique se mettent eux aussi à refuser de bosser. Dix millions de jobs non pourvus ! Le Washington Post qui évoque un Great Reassessment of Work (« Grande remise en question du travail »). En un mot, la catastrophe. Et la jeunesse chinoise qui revendique la « Lying Down Attitude ». Sur les réseaux sociaux de l’Empire du Milieu, on peut désormais lire des choses comme : « M’allonger, c’est mon acte de sagesse. C’est seulement en s’allongeant que l’homme peut prendre la mesure de toute chose. »
ENGAGEMENT, NOUVEAUX MODÈLES
Le Crédit Mutuel supprime le questionnaire de santé pour l’accès à la propriété principale
“Pour la première fois, écrit Le Monde, une banque française choisit de déverrouiller en partie l’accès au crédit immobilier pour les anciens malades du cancer ou les personnes atteintes d’une maladie chronique”. C’est ce qu’a annoncé le président de Crédit Mutuel, Nicolas Théry : à compter de ce mardi 9 novembre, le traditionnel questionnaire de santé soumis lors de la souscription d’un prêt à l’habitat, est supprimé (pour ses clients les plus fidèles).
“L’objectif, c’est d’éviter la double peine, la maladie et l’exclusion de l’accès à la propriété”
Le journal Le Monde note qu’avec cette mesure, “la banque devance le politique” :
Plusieurs députés socialistes, LR, UDI et LRM ont en effet tenté de déposer ces derniers jours des amendements au projet de loi de finances 2022 afin de créer des contrats d’assurance emprunteur « inclusifs », sans questionnaire de santé, avec une incitation fiscale à la clé.
L’entreprise, mieux-disante du politique ?
Au McDonald’s de Viriat, une école de la deuxième chance
Joli reportage proposé par M, le magasine du Monde sur le McDonald’s de Viriat, petite ville en périphérie de Bourg-en-Bresse, où la chaine de restauration est présentée comme « la seule boîte où l’on ne te demande jamais d’où tu viens » et où règne un idéal méritocratique (“Tu gravis les échelons parce que tu le mérites”) :
« On a remplacé l’armée. A mon sens, c’est le dernier endroit où, sans distinction de race, d’études ou de religion, on entre à niveau égal pour apprendre à faire tous la même chose : couper les tomates, faire les frites et les hamburgers. Et ici, c’est comme la Légion, une fois qu’on a fait ça, on peut tout faire »
Le gérant, Rouben Malians, explique le rôle social d’un “job chez McDo” :
“McDo est devenu une carte de visite pour aller bosser ailleurs : on leur a appris à dire “bonjour” et “au revoir”, à se laver les mains, à être à l’heure. En majorité, on les prend à la sortie de l’école : ils ne savent rien faire et on les forme. Faut voir aussi les courriers qu’ils nous écrivent… Ce n’est pas ma langue maternelle, mais moi, à côté, je suis agrégé de lettres”
Un exemple intéressant d’impact social de la part de grandes marques, dimension aujourd’hui souvent reléguée derrière les engagements environnementaux et climatiques. Quelles autres marques permettent d’offrir une seconde chance ?
JO 2024 : vers une Responsabilité Sportive des Entreprises ?
Les playgrounds de certains squares parisiens ont été relookés, se métamorphosant en de véritables œuvres d’art aux formes graphiques ultra-stylisées. Ces aménagements urbains ont pu voir le jour grâce à des collaborations entre acteurs publics et privés car « l’État et les collectivités locales endettées n’ont tout simplement plus les moyens de tout financer » constate Isabelle Schlumberger, directrice générale commerce et développement de JCDecaux.
Les exemples se sont multipliés. Depuis une dizaine d’année, Nike rénove régulièrement le playground Duperré situé à proximité de la place Pigalle. En 2017, l’équipementier américain célébrait à Bondy l'arrivée de Kylian Mbappé au PSG et réhabilitait le terrain sur lequel le footballeur a appris à jouer. Adidas a offert à Roissy-en-Brie, la ville qui a vu grandir Paul Pogba, un stade entièrement refait à neuf. Foot Locker, en partenariat avec la NBA Europe, a totalement transformé le playground du quai de Jemmapes dans des tonalités qui rappellent celles de la franchise NBA de Portland, les Trail Blazers. Plus surprenant, la plateforme sociale TikTok s’est lancée dans un projet de rénovation urbaine avec la mairie du 18earrondissement. Elle a restauré le terrain de football du square Serpollet en peignant le mur, les cages et le sol avec ses propres codes couleurs. TikTok souhaitait créer un lieu où puissent se mélanger les arts graphiques et le sport au moment où se déroulait l’UEFA Euro 2020 dont il était le sponsor officiel.
La France recense plus de 300 000 équipements sportifs et compte près de 10 millions de licenciés. Pour les fédérations, ces opérations sont une véritable aubaine alors que se profilent les Jeux olympiques 2024 de Paris. Pour Pierre Rabadan, adjoint à la Mairie de Paris en charge du sport, l’espace ainsi rénové « amène une plus-value, une fierté aux habitants du quartier. C’est bénéfique pour chacun des acteurs et pour le sport qui y est représenté ».
Un écueil à éviter pour les marques : l’opportunisme purement mercantile. Christophe Quiquandon, fondateur de l’agence Bros, met en garde : “Quand on les interroge, les jeunes nous disent que les marques sont présentes quand il y a un tournoi ou un événement autour de la dernière chaussure lancée. Mais une fois le buzz passé, le cirque quitte la ville''. »
DERNIÈRES PARUTIONS
Un roman : Le Voyant d’Etampes (Abel Quentin, éditions de l’Observatoire)
Le deuxième roman de celui - passé à un cheveu du Goncourt ; qui pourtant en choisissant un pseudonyme à deux prénoms mettait les statistiques de son côté - est moins une critique du rejeton turbulent de notre société actuelle et des générations qui y cohabitent : le "Wokisme", qu'une réflexion sur l'identité.
Un roman sur l'identité que l'on se créé tout au long de sa vie et des combats menés ; celle qui s'impose à nous autant que sur les certitudes qu'elle nous impose.
Ces certitudes inconscientes et confortables, conditions d'une existence insouciante, qui nous permettent de bâtir une carte du monde cohérente ; soutenue par des valeurs que l'on pense intouchable ; et la boussole qui nous permet d'y voyager en limitant les risques, en évitant l'effondrement psychique.
Les plus éveillés l'auront remarqué, voyager n'est plus si aisé aujourd'hui. Se défaire de ses certitudes, repenser sa boussole, est un impératif douloureux pour faire société aujourd'hui. C'est changer le mode de jeu d'easy à hard. Un page turner faussement Houellebecquien avec l'existentialisme en fil rouge et l'absurdité Camusienne en point final.
Un podcast : “Place aux jeunes”
L’association Chemins d’avenirs lance un podcast, avec un objectif : partir à la rencontre de la jeunesse française.
“À quelques mois de l’élection présidentielle, que pensent réellement les jeunes de notre pays ? Quels sont leurs rêves, leurs aspirations, leurs peurs ? À quoi ressemble leur quotidien ? Quel est leur regard sur la campagne et l’échéance électorale à venir ? Qui sont vraiment les 15/25 ans ? Il fallait aller à leur rencontre, les interroger, les écouter. Loin des clichés, donner la parole à cette génération trop souvent décrite comme sacrifiée, irresponsable ou désenchantée”
Chaque semaine, Salomé Berlioux mène une discussions personnelle avec un jeune de moins de 25 ans. Lycéen issu d'un quartier sensible, élève en décrochage scolaire, jeune en situation de handicap, khâgneuse suivant une voie royale mais s’interrogeant sur la méritocratie à la française, jeune en service civique, fils d'agriculteurs souhaitant reprendre l’exploitation de ses parents… un vrai portrait impressionniste de la jeunesse française, à écouter ICI

Un film : Illusions perdues (Xavier Giannnoli)
Toute personne travaillant dans les médias, le journalisme ou la communication devrait voir Illusions Perdues.
Je ne parle pas du roman de Balzac qui narre les aventures d'un jeune poète de province venu chercher fortune et reconnaissance à la capitale, mais du roman de Balzac qui décortique avec une précision chirurgicale le fonctionnement de l'opinion et du commerce dans une France qui sort de la séquence Révolution, Napoléon, Restauration.
Les journaux y sont à la solde des plus offrants, directeurs de théâtre ou capitaines d'industrie, les polémiques y sont lancées pour faire le buzz et vendre du papier, la mauvaise foi et les coups bas sont élevés au rang d'art. Personne n'est dupe mais tout le monde joue le jeu, espérant en secret tirer son épingle du même jeu. Ce qui pouvait constituer "l'âge d'or de la presse, des idées et de la démocratie" se révèle ressembler en diable à ce qu'on peut vivre aujourd'hui.
Balzac a écrit ce texte en 1837 : faut-il se réjouir que nous n'ayons rien inventé, ou déprimer que depuis rien n'a fondamentalement changé ?
C’est tout pour aujourd’hui ! Rendez-vous le mois prochain pour un prochain numéro de la CORTEX NEWSLETTER.