Polar régional, Peak Stuff, bien-être français, sneakers NFT, obfuscation et bilan de l’année des médias… vous n’en avez peut-être pas parlé à la machine à café ces dernières semaines, mais voici la veille des idées du mois de mars.
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Connaitre (ou pas) les goûts de sa cible
Le polar régional, l’autre produit de nos régions
Nous avons tous vu (et apprécié ou détesté, c’est selon) la prestation de Corinne Masiero aux Césars. Serait-elle montée sur scène sans l’immense succès de Capitaine Marleau, qui parvient à réunir plus de 7,8 millions de téléspectateurs ? Derrière ces performances exceptionnelles se cache une passion française pour le polar régional, à la télé comme en librairie, pourtant rarement reconnue dans les media ou les remises de prix. Le symbole d’une vitalité loin de Paris qu’on retrouve aussi dans … les marques régionales. A l’heure où on parle d’une municipalisation croissante de la politique culturelle, il est temps de reconnaitre déjà sa vitalité. Lu dans Stratégies.
Le phénomène Samuel Etienne, parangon d’empathie
À moins de vivre sur la Lune, impossible d’avoir raté le phénomène Samuel Etienne.
En quelques mois, l'animateur et présentateur star des plus de 65 ans a effectué une impressionnante percée sur Twitch, le réseau social fief des gamers et des streamers. Chacune des revues de presse du journaliste réunit des dizaines de milliers de personnes au point de le voir se classer dans le top 5 mondial des streamers sur le créneau du matin.
Une adhésion de la communauté des gamers qui s'est largement construite via la cooptation d'Etoile, un streamer habitué de la plateforme, mais aussi grâce à l'empathie dont Samuel Étienne fait preuve en s’adaptant aux codes du réseau, notamment par l’emploi d’un vocabulaire approprié avec des termes comme "stream" "viewers", "raid" "live" etc.
Cette réussite est l’incarnation d’un évènement médiatique imprévu qui est devenu un phénomène incontournable. Le néo-streamer est devenu malgré lui, un best case structurant pour la mise en œuvre de stratégies médiacos-politiques. En janvier, TF1 a annoncé le lancement d'un JT sur Twitch, rapidement suivi par le secrétaire d'état Gabriel Attal (émission « Sans filtre ») et par BFM TV. Désormais, ce sont les politiques de tout bord qui défilent sur la plateforme, grisés par l’espoir de bénéficier de la visibilité d'un réseau socialement valorisé par la jeunesse. Le succès sera-t-il similaire à celui rencontré par le présentateur de "La matinée est tienne" ?
Rien n’est évident tant cette communauté ne doit pas être considérée comme une niche homogène à conquérir. Plus précisément, envisager la plateforme Twitch comme une simple extension de l’espace d’expression télévisuel revient à foncer droit dans le mur. Si les viewers ont été séduits par la capacité de Samuel Etienne à leur diffuser du contenu en s'adaptant à leurs codes, ils récusent souvent la transformation de la plateforme en une tribune politique. Le premier ministre Jean Castex en a fait les frais à l’occasion d’une interview dans l’émission « La rencontre est tienne ». En effet, les spectateurs n’ont pas manqué de repérer et de partager les sophismes et galimatias du politicien et de dénoncer une parole gouvernementale qui ne s’adapte pas aux usages requis sur la plateforme. Il reste que la majorité silencieuse pourra voir dans l’exercice une volonté sincère du monde politique d’ouvrir le dialogue et de s’adapter, maladroitement peut-être, à une jeunesse en mal de repères.
Ce nouveau champ d’expression du politique devra être suivi avec intérêt dans le cadre des élections de 2022. Alors que d’un côté Samuel Etienne creuse son sillon sur Twitch, de l’autre le journaliste et youtubeur Hugo Décrypte fait le chemin inverse et gagne en visibilité sur les chaînes traditionnelles. Des trajectoires croisées qui illustrent le fait que les individus, comme les politiques, ne se limitent jamais à un seul espace d’expression médiatique. L’information est plus que jamais protéiforme et chaque prise de parole requiert désormais une capacité d’adaptation sincère, mais aussi et surtout, une bonne dose d’empathie.
La consommation rend-elle heureux ?
Premiers signes de déconsommation à l’horizon
Dans une société de « consobésité », avec l’achat d’objets futiles impactant de manière désastreuse l’écologie, peut-on considérer que ce phénomène est toujours d’actualité ?
Nous sommes dans une époque où les consommateurs ressentent un rejet croissant de l’hyper-accumulation matérielle avec une stagnation de la consommation. Selon Cécile Désaunay, auteur de La société de déconsommation (Éditions Alternatives, paru en février 2021), plusieurs facteurs se cumulent : des foyers fortement équipés, qui entrainent une saturation chez les consommateurs, mais aussi un vieillissement de la population.
Sommes-nous arrivés au peak stuff ? Ce phénomène qui se caractérise lorsque le seuil maximum d'objets possédés par chaque habitant a été atteint, avant de voir cette quantité diminuer. D’après une étude de Chris Gondall, la Grande Bretagne l’aurait atteint au cours de la dernière décennie. Une diminution de la consommation sur tous les secteurs confondus : moins de matériaux de construction (- 4 % entre 2000 et 2007), moins d'eau et de papier (- 18 %), de nourriture (surtout de viande), moins de voitures et de trajets, moins de textiles ou encore d'engrais. Le pays a également produit moins de déchets, avec une production d’énergie primaire à la baisse de 3% sans que tous ces changements n’impactent négativement le PIB, qui à l’inverse a continué de progresser, de même que la croissance de la population.
En s’appuyant sur les recherches de Chris Gondall, Cécile Désaunay a constaté qu’effectivement certains postes stagnaient voire diminuaient comme le papier et la viande. Malgré cela, nous constatons que les consommateurs compensent plus qu’ils ne réduisent : ils mangent moins de viande mais davantage de poisson.
La responsabilité écologique est bien sûr un important levier de changement de comportement : Cécile Désaunay appelle licornes ces consommateurs qui tentent de réduire le poids financier et écologique de leur consommation, qui prônent le consommer "mieux" plutôt que le consommer "plus" et qui cherchent à réduire leurs dépendances envers la consommation. Un phénomène accentué par la crise sanitaire, où 68% des Français souhaite adopter un comportement plus éco-responsable suite à l’épidémie qui touche davantage les femmes (72% chez les femmes vs. 65% des hommes) selon YouGov.
Une question : allons-nous arriver à une saturation généralisée ou est-ce que la généralisation de la conscience écologique permettra de l’éviter in extremis ?
Lu dans Usbek et Rica.
L’Observatoire du bien-être en France a des choses à vous dire
A l’heure où nous passons le cap de la 1ère année de crise Covid et où paraissent tous les jours des chiffres alarmants sur le mal être des français, le CEPREMAP - Centre pour la recherche économique et ses applications – édite son rapport 2020 sur le Bien-être en France : cela interpelle et mérite une petite explication de texte sur la genèse et la finalité de cet observatoire.
Si l’idée d’ajouter des facteurs de progrès humains dans la création de richesse d’une nation est assez ancienne, c’est en 2009 avec le rapport Stiglitz que cette notion est formalisée. Les chercheurs recommandent alors de prendre en compte le bien-être et la soutenabilité environnementale pour évaluer la richesse d’un pays et non plus uniquement la croissance économique.
Mais il faut attendre 2016 pour que cette évaluation prenne forme en France à travers l’Observatoire du bien-être menée par le CEPREMAP en collaboration avec l’INSEE.
Sa mission est de scruter le bien être des français et d’en quantifier les dimensions : satisfaction dans la vie, émotions de bonheur, émotions d’anxiété et sentiment que notre vie a un sens. En résumé, cet observatoire a pour ambition d’objectiver le subjectif considérant que ce sont les individus qui sont les mieux à même de juger de leur propre situation.
Le Bien être est donc devenu, et encore plus dans le contexte Covid, une boussole du politique : si le gouvernement fait face depuis 1 an à un arbitrage cornélien entre la lutte contre l’épidémie et l’économie, il a aussi pris progressivement conscience de la nécessité de préserver le bien-être et la santé mentale de la population : baisse des naissances, hausse de la consommation d’anxiolytiques, des syndromes dépressifs, des suicides ….. les indicateurs de mal être, tout a fait objectifs eux, ne sont plus discutés, en particulier chez les plus jeunes.
Que nous apprend ce rapport ?
Travailler et aimer, les deux sources du bonheur selon Freud, occupent une place prépondérante dans ce rapport qui fait une large part à la sphère professionnelle et aux liens interpersonnels et sociaux. On comprend aisément au filtre de ces 2 dimensions pourquoi la crise a fortement impacté notre bien être et on peut aussi s’interroger sur les effets à plus long terme.
Le travail, d’abord, joue un rôle primordial dans la satisfaction, non seulement à cause du revenu qu’il procure, mais aussi par les relations sociales qu’il occasionne et du sens qu’il donne à l’activité individuelle. On constate hélas que dans le domaine du travail, peut-être plus que dans tout autre, le célèbre « déficit de bonheur français » s’exprime à travers un niveau d’insatisfaction plus élevé que chez nos voisins européens. Les Français se classent, en effet, plus mal que les autres Européens sur un grand nombre de mesures subjectives de bien-être malgré une situation beaucoup moins défavorable en matière d’indicateurs objectifs. Les auteurs y voient le signe d’une société inquiète, mal à l’aise avec les transformations qui la traversent.
Les liens sociaux et privés ensuite, dont on mesure l’importance, en creux, par le sentiment de solitude particulièrement délétère qui s’exprime dans certaines communes du territoire français. C’est en effet dans les territoires en déclin démographique, d’où la vie sociale se retire, que l’on a vu se manifester des signes de fort mécontentement : insatisfaction, abstention électorale, et manifestations de Gilets jaunes.
Si ces facteurs de bien être/mal être sont analysés a postériori comme des clés de lecture des crises sociales (gilets jaunes), ne peut on être plus pro actif dans le suivi des indicateurs et la mise ne place d’actions préventives ?
Et quid du monde d’après ? Si ce type de discours a quelque peu reflué, il pose cependant une question de fond importante : est-ce que l’épidémie a profondément modifié l’évaluation que les Français font du présent et la manière dont ils envisagent l’avenir ? Cette crise va-t-elle nous faire reconsidérer certaines priorités et le sens de nos existences ?
En attendant ce retour à la normal, la notion de « soignant », dans toutes ses dimensions, physique et psychologique, est plus que d’actualité.
Le consommateur n'est pas stupide, c'est Jean-Pierre Bacri. Ainsi aurait pu parler Ogilvy.
C'est simple la publicité. Il s'agit de convaincre un consommateur de changer de comportement et d'investir chez vous plutôt que chez le voisin. Avec une promesse universelle de “mieux être”, résumée en un seul refrain par la grande Nina Simone : "Feelin' good, feeling' good All the money in the world spent on feeling' good".
Faire changer les "autres" de comportement implique de les connaître ; de comprendre le déterminisme qui se cache derrière leurs mécanismes, leurs goûts, pour peut-être réussir à les faire bifurquer, un tant soit peu.
Les films de Jean-Pierre Bacri ne parlent de rien d’autre ; une exploration en profondeur du comportement humain ; à ce titre ils sont aussi utile aux planners que la lecture de cette newsletter (et à peine moins chronophage).
Pour cette raison – et bien d’autres - il est indispensable de les revoir (on sait, on arrive deux mois en retard) et en parallèle d'écouter la série d'émission que lui a consacré France Culture : Jean-Pierre Bacri, pour la vie.
High Tech, add to basket !
StockX : quand le modèle boursier s’applique à la vente de sneakers
Vous rêvez de vous offrir une paire de Yeezy Boost 350 V2 Black Red ou des Jordan 4 Retro Metallic Purple. Vous êtes un collectionneur passionné et vous avez manqué le dernier « drop » Nike x Sacai LDWaffle ? Alors rendez-vous sans plus attendre sur la plateforme StockX.
Créé en 2016 à Detroit par Josh Luber (ancien ingénieur chez IBM) avec deux associés (Dan Gilbert et Greg Schwartz), le site StockX propose à chacun de vendre et d’acheter des baskets rares, en édition limitée, « de luxe », anciennes ou récentes, neuves ou d’occasion. Le principe de StockX s’inspire de celui de la Bourse, les sneakers s'échangent comme des actions, avec des cotations qui évoluent en fonction de l'offre et de la demande. Les procédures d’authentification des sneakers sont strictes et rigoureuses afin de réduire au maximum les risques de contrefaçons. Forte de son succès, la plateforme a ouvert son catalogue au streetwear, aux montres et aux sacs à main et plus récemment à l’électronique (consoles de jeux notamment) - « des produits qui connaissent la même dynamique que les sneakers à la revente », selon Josh Luber.
L’ADN, qui a publié deux articles passionnants sur le sujet (ici et là) s’interroge sur l’émergence d’un marché boursier d'objets physiques qui serait une nouvelle forme d’économie prête à bouleverser et à remettre en cause nos habitudes de consommation.
« Cette financiarisation à outrance des objets de consommation a aussi ses limites et ses dérives. L’apparition de bot acheteur en est un exemple. Ces logiciels se chargent d’acheter en quelques secondes des exemplaires d’une nouvelle collection sur les sites des marques. Un moyen pour les acheteurs d’être sûrs de les obtenir et de les remettre directement en vente sur StockX à un prix plus élevé. Pour contrer cette pratique, certaines marques ont mis en place des systèmes de tirage au sort afin de sélectionner les acheteurs. Résultat : d’autres bots adaptés à cette technique ont ensuite été mis en ligne. De quoi faire dire au magazine américain Jacobin, que le marché de la sneaker ressemble à une "dystopie capitaliste" ».
La folie NFT, on va enfin pouvoir vendre nos idées
Le nouveau délire qui anime la toile, le NFT pour Non-Fungible Tokens est une petite révolution permise par la Blockchain, nous explique Le Monde. Une technologie qui permet d’obtenir des titres de propriété d’objets numériques de toutes sortes et de les vendre.
Un certificat d'authenticité digital en somme ; une révolution dans un monde où toute "création" : un Tweet, un Gif, peut être dupliqué ou volé sans que son auteur soit prévenu et encore moins rémunéré.
Enfin, pouvait.
Ainsi début mars le GIF Nyan Cat a été vendu pour 500 000 dollars, le premier Tweet de Jack vendu 2,1 millions d'euros (La Réclame) et une agence de publicité française a même lancé un service pour acheter les idées créatives non vendues qui dorment dans les book des créatifs ou les poubelles des agences.
Maintenant que vous êtes incollables sur le NFT, on peut passer aux choses sérieuses.
Des Sneakers Atari NFT à essayer sur Snapchat avant de les acheter. Kamoulox.
Vous n'êtes pas sans savoir que les digital Wearables – la possibilité d’acheter des fringues virtuelles pour vos avatars virtuels avec de l'argent qui semble virtuel mais en fait pas du tout - sont une grosse tendance.
Atari (oui le développeur de JV) se lance dans la vente de pompes virtuelles - du meilleur goût - uniques puisque labélisées NFT.
Sympa, vous pouvez les essayer gratuitement via Snapchat avant de les acheter.
(et on vous supplie de vous arrêter à l’essayage et de plutôt nous envoyer vos Bitcoins si vous pensez en avoir trop).
Lu dans La Réclame.
Éthique dans la Data
Data confusion : mode d’emploi
Entre data leak et data harassment, force est de constater que l’utilisation de la data par le monde capitaliste et massifiée par les géants du numérique, crée la controverse et l’inquiétude. Il n’y a pas un jour où nous n’avons pas le sentiment d’être victime de la marchandisation de notre propre data. Et le constat est sans appel : 93% des Français estiment que leur data devraient être davantage protégées car précieuses mais plus d’1 sur 2 (56%) estiment que les pouvoirs publics sont inefficaces sur cette question de cyber protection/sécurité. Preuve en est, l’échec cuisant du dispositif Bloctel du gouvernement qui avait pour vocation de soulager l’enfer qu’est devenue la vie de bon nombre de citoyens qui sont quotidiennement harcelés par des dizaines d’appels de démarchage commercial intempestif. Alors les Français sont conscients qu’ils sont les premiers défenseurs de leurs propres données (pour 54% d’entre eux). Mais que faire ? comment s’organiser ?
Des chercheurs de la Northwestern University suggèrent la mise en place d’une « initiative civile coordonnée » contre les géants de la tech avec un objectif unique en ligne de mire : rééquilibrer le rapport de force entre les internautes et les GAFAM. Dès lors, 3 initiatives émergent par les chercheurs pour les « affaiblir » …
Faire la grève des données
Les initiatives visant à limiter la production ou l’exploitation de la data sont encouragées : vider son historique de navigation, ses cookies, arrêter d’utiliser certains sites, demander à supprimer toutes ses données comme la RGPD l’autorise ou d’utiliser massivement des adblocks pour empêcher les collecteurs de mesurer la portée des initiatives publicitaires.
Faire de l’empoisonnement de data
La valeur de la data réside dans sa justesse, son authenticité et sa pertinence. Plus les internautes génèrent de la fausse data, plus ils affaibliront la valeur et la robustesse de la donnée collectée : il s’agit de réduire la précision des algorithmes en publiant de fausses informations ou des infos contradictoires. On parle alors d’obfuscation. Déclarer que vous comptez acquérir un bien immobilier alors que ce n’est pas vrai ou encore laisser sous-entendre que vous êtes marié.e avec des enfants alors que vous êtes bel et bien célibataire. Il existe même une extension AdNauseam qui clique sur l’intégralité des publicités croisées lors de la navigation pour brouiller les pistes de vos préférences. Malin !
Faire un pacte avec l’ennemi
Dernière technique suggérée, la collaboration avec le concurrent direct. Pour rééquilibrer le rapport de force, il s’agit de donner aux plateformes concurrentes les mêmes informations pour déprécier la valeur de la data possédée par les GAFAM (encore faut-il qu’il y en ait quand on regarde la concurrence d’un Google). Mettre vos photos de voyage Instagram sur Wordpress ou sur Polarsteps par exemple.
A l’instar d’une démocratie, la VOX POPULI est la seule arme concrète et puissante à même de pouvoir ébranler la suprématie des géants de la tech en confisquant ce qui constitue le cœur de leur business model : la valorisation de la data et du ciblage affinitaire. Encore faut-il arriver à coordonner sur le long terme l’effort collectif pour peser dans la balance.
(Source : étude OpinionWay les Français et la data – juillet 2019)
Qui s’assure que l’IA ne devienne pas raciste ?
C’est la question posée par le New York Times, en revenant sur le travail de chercheuses de l'équipe Ethical AI de Google, aujourd’hui licenciées. Timnit Gebru et Margaret Mitchell dénoncent une IA construite de manière à reproduire les préjugés de la main-d'œuvre : presque entièrement masculine, à majorité blanche. Margaret se souvient avoir travaillé avec des centaines d'hommes au cours de son passage chez Microsoft et seulement une dizaine de femmes. Pour Timnit, « les personnes qui créent la technologie sont une partie importante du système. Si beaucoup sont activement exclus de sa création, cette technologie profitera à quelques-uns tout en nuisant au plus grand nombre ».
Déjà en septembre 2020, Twitter avait été épinglé à cause de ses biais racistes. Sur une image qui montrait les portraits d’un professionnel blanc d’un côté et Barack Obama de l’autre, l’algorithme de Twitter a systématiquement préféré et mis en avant le portrait de l’homme blanc, et masqué Barack Obama, par ignorance. Dernièrement Twitter teste une solution en contournant le biais : afficher toute la photo.
Ce même biais apparaît différemment sur Zoom. Cette fois, le logiciel de vidéocommunication a tout simplement effacé la tête d’un homme noir quand ce dernier a utilisé un fond virtuel lors d’un call. Zoom s’est montré incapable de distinguer son visage et l’a aussi passé en fond virtuel, ne gardant que le corps et… décapitant ainsi cet universitaire.
L’article du NYT rappelle également l’anecdote de Joy Buolamwini. Fraîchement diplômée du MIT, elle s’est spécialisée en technologie de reconnaissance faciale fin 2016. Joy a littéralement dû porter un masque blanc sur sa peau noire pour faire fonctionner son système. Triste clin d’œil à Frantz Fanon, 64 ans après la publication de son livre « Peau noire, masques blancs », elle déclare : « La métaphore devient la vérité. Vous devez correspondre à une norme, et cette norme, ce n’est pas vous ».
Le Conseil de l’Europe a bien conscience des effets considérables pour les personnes des suites d’un usage biaisé de l’IA. Tant dans le domaine public que privé : « À titre d'illustration, la discrimination par les prix induite par l'IA pourrait conduire certains groupes de la société à payer systématiquement plus ». Certaines lois peuvent se montrer utiles contre la discrimination illégale et nous avons probablement besoin de réglementations supplémentaires pour protéger l'équité et les Droits de l'Homme dans le domaine de l'IA. Toutefois, le rapport du Conseil de l’Europe tranche : « réglementer l'IA en général n'est pas la bonne approche, car l'utilisation des systèmes d'IA est trop variée pour un ensemble de règles ». Il conclut à davantage de recherches et de débats.
C’est également ce que souligne Tendayi Achiume, Rapporteur spécial auprès de l'ONU, qui a récemment appelé à un examen plus approfondi des technologies numériques émergentes. Toujours est-il qu’elle va plus loin dans la prévention et l’élimination de la discrimination dans la conception des technologies en préconisant trois solutions simples :
Davantage de représentativité – aussi bien des femmes que des groupes ethniques – dans la participation aux prises de décision au sein de l'industrie.
Le rôle des États dans l’élaboration de recours efficaces aux personnes contre lesquelles les technologies numériques émergentes ont exercé une discrimination, incluant sanctions et réparations.
L’interdiction pure et simple dans certains cas, comme le montrent les récentes initiatives visant à interdire les technologies de reconnaissance faciale dans certaines parties du monde.
Marché publicitaire 2020 : les effets dévastateurs de la crise sanitaire
Le Baromètre Unifié du Marché Publicitaire (BUMP) vient de publier son bilan des investissements publicitaires en 2020 ainsi que ses prévisions pour 2021. Ce bilan annuel est le résultat du rapprochement des données de pression publicitaire brute de Kantar avec les dépenses en net des annonceurs déclarées à France Pub et des recettes publicitaires des régies recueillies par l’IREP.
2020 : une année de crise sans précédent
Les recettes publicitaires des médias historiques et du digital ont reculé de -9,4% vs 2019. 11,784 milliards d’euros ont ainsi été investis dans les médias, soit une perte de 1,224 milliard.
Certains médias ont été davantage impactés par la crise du Covid-19, du fait d’une activité économique à l’arrêt en particulier pendant les mois du premier confinement.
C’est la télévision qui connait in fine la plus faible régression à -11%. La radio a connu une baisse assez contenue à -12,7%. La presse, dans sa globalité (PQN, PQR, PHR, magazines, presse spécialisée et gratuits), voit ses recettes diminuer de -23,7%. La publicité extérieure qui a connu plusieurs mois compliqués, régresse de -31%. Enfin, le cinéma a vécu une année sombre avec la fermeture des salles dès la mi-mars jusqu’au 22 juin et depuis novembre : ses recettes chutent à -74,9%.
Les 5 médias historiques représentent désormais 45% du total médias. Les investissements digitaux se démarquent avec une croissance de +3%, principalement portée par le duopole Google/Facebook.
Les gagnants et les perdants de cette crise
Dans le Top 10 secteurs, tous enregistrent des reculs plus ou moins marqués, à l’exception de 2 d’entre eux. Le secteur des Services a bénéficié de la forte hausse des communications gouvernementales, des services de livraison à domicile et des réseaux de rencontres. Le secteur des Télécommunications s’est démarqué avec une présence renforcée pour les offres de téléphonie mais surtout avec une forte croissance du segment des SVOD, tant pour les marques déjà bien implantées que pour les nouveaux arrivants sur ce marché.
Top 10 annonceurs
Sur la base de la pression publicitaire brute plurimédia* - 2020 vs 2019
Dans le Top 10 annonceurs, on retiendra la bonne santé des grands enseignes généralistes : E. Leclerc, n°1 en pression publicitaire brute et +1,3% vs 2019, Intermarché (+22,2%), Lidl (+1%), Carrefour (+6%) et Amazon (+3,8%).
Source : France Pub / Kantar
*Plurimedia : TV, Radio, Presse, Pub. Ext., Cinéma, Display
Et pour 2021 ?
Malgré un début d'année difficile à cause de la prolongation de l'épidémie de Covid-19, le gouvernement table sur une progression de +6% du PIB en 2021.
Dans cette hypothèse d'évolution, et selon les projections du BUMP, le marché publicitaire devrait se maintenir au niveau atteint au dernier trimestre 2020, reprendre modérément jusqu'à l'été et connaître au 2nd semestre une reprise plus marquée grâce à la levée des mesures sanitaires pesant sur certains secteurs.
Dans le détail, les 5 médias historiques connaîtront un redémarrage progressif avec un rattrapage de tendance en fin d’année, qui portera la croissance annuelle à près de +9%. Pour les médias numériques, leur progression annuelle 2021 sera de +14,7%. En 2021, l’ensemble 5 médias + médias numériques progressera de +11,3% et se retrouvera au niveau atteint en 2019.
NEW DEAL
La raison d'être : deux ans après, premier bilan
La Fondation Jean Jaurès dresse un premier bilan très complet, sur « la Raison d’être des entreprises, deux ans après », qui analyse le point de vue des actionnaires, des investisseurs et des acteurs de la gouvernance des sociétés.
Il en ressort que la mise en place des raisons d’être a été fortement soutenue par les actionnaires et investisseurs (l’adoption des résolutions sur la raison d’être était généralement de plus de 99%), les a sensibilisés davantage à l’importance de l’ESG, et a permis de récréer un vrai dialogue complémentaire entre dirigeants, administrateurs, de par l’immixtion de la raison dans la stratégie de l’entreprise.
Ce passage de la raison d’être à l’agenda stratégique a d’ailleurs créé de fortes attentes, tant dans son implémentation stratégique et opérationnel que dans sa mesure, que les entreprises ont parfois du mal à combler.
Nathalie Rouvet Lazare, autrice du rapport, pose 3 enjeux pour 2021 :
La standardisation des métriques, indicateurs et reportings qui manquent aujourd’hui d’harmonisation et nuisent à la visibilité des actions
Le retour à de vraies AG, mises à mal par le COVID, qui est le lieu d’expression et d’exercice de la démocratie actionnariale, fondamental dans le lien qui unit les actionnaires à l’entreprise.
Et enfin, ce que le rapport cite très justement comme « l’épreuves du réel » :
« Il faudra être vigilants pour que les fragilités économiques et sociales ne soient pas un prétexte pour dire “attention vous êtes allés beaucoup trop loin en matière d’ESG et de raison d’être au détriment de la sécurité et de la stabilité financière de l’entreprise ». Et c’est le Medef qui le dit.
Pour une écologie de la France du bas
Dans une tribune pour le Figaro, l’analyste politique Lenny Benbara plaide pour une nouvelle politique écologique qui parviendrait à mobiliser les classes populaires en répondant directement à leurs préoccupations.
Fustigeant les débats « hors sol » d’une élite sociale, il pointe du doigts les choix effectués jusque-là : un modèle de société fait de pollution massive, d’intellectualisation excessive et de politiques écologiques punitives à l’encontre des plus modestes.
A l’inverse, Benbara propose de se tourner vers ces « perdants de la mondialisation » et de revenir aux fondamentaux historiques de la République : la valeur travail. Pour y parvenir, l’Etat devrait créer des millions d’« emplois verts » garantis, centrés autour de thématiques écologiques à la fois centrales et concrètes pour le quotidien de la « France d’en bas » : rénovation énergétique, agroécologie, recyclage, … En proposant une solution à une partie de la population durement touchée par le chômage de masse, cette voie permettrait de rassembler les Français autour de l’enjeu climatique.
Ainsi, cette « République écologique » permettrait une véritable révolution qui embarquerait les classes populaires vers un des « défis du XXIe siècle » : le « changement de paradigme du système productif ».
DERNIÈRES PARUTIONS
Un podcast : La finance autoritaire, signal faible du climato-négationnisme ?
Beaucoup d’analyses ont expliqué le vote Brexit par la fracture anti/pro-mondialisation (les Somewhere contre les Anywhere), le cynisme de la classe politique ou la manipulation de l’opinion (Cambridge Analytica).
Mais personne n’avait pensé à analyser la provenance des fonds qui financèrent la campagne du Leave. Or celle-ci montre le rôle considérable des fonds d’investissement et de Hedge Funds, qui voient l’Union européenne comme un obstacle à la libre circulation de leurs capitaux. Pire, cette « seconde financiarisation », chantre du libertarianisme perçoit le désordre mondial et les pénuries annoncées par les changements climatiques comme de nouvelles sources de spéculation à forte rentabilité. Difficile à croire tant on se souvient du rôle prépondérant de la City dans le financement de la campagne du Remain. Va-t-on assister à une guerre des Finances ? De grandes banques traditionnelles vont-elles se transformer en chevalier blanc de l’environnement ?
Entendu sur France Culture.
Une série : En thérapie (Arte)
Arte a plus que doubler son audience moyenne (1,35 million de téléspectateurs en moyenne et en audience veille, pour une part d’audience de 6,3 %) et sa plateforme de streaming cumule plus de 36,5 millions de vues, un record absolu pour la chaine. Certes, les réalisateurs à succès (le duo Olivier Nakache et Eric Toledano), le casting pointu, le format atypique et malin, et la qualité de son écriture participent grandement à ce succès.
Mais le contexte la réception y joue certainement aussi pour beaucoup. Le parallèle avec la société en état de choc, la volonté d’introspection des français, de mieux comprendre comment réagir et faire face à une crise profonde.
“Elle parle de la valeur de la parole et dit : "Et si l'on s'écoutait ?" C'est tout à fait ce dont on a envie aujourd'hui, dans ce huis clos, quasi en mode confiné”
Un essai : Génération surdiplômée (M. Dagnaud & J-L Cassely, Odile Jacob)
Les deux auteurs, qui se sont appuyés sur une enquête et de multiples entretiens, se sont intéressés aux « bac + 5 ». Un groupe social en pleine croissance, issu de la massification de l’enseignement supérieur, et qui représentent désormais 20 % des 25-40 ans.
S’il est pertinent d’étudier ces « super diplômés », estiment les auteurs, c’est qu’ils jouent un rôle politique et social majeur dans la société. Ni très riches ni assimilables aux classes moyennes, ils sont les producteurs des normes, des symboles et des modes de vie les plus visibles, qui se diffusent dans le reste de la société… (Le Monde)
“Le risque, c’est que ces diplômés plaquent sur l’ensemble de la société un mode de vie qui leur soit propre. Or l’écart entre les aspirations des superdiplômés et celles des catégories populaires se creuse. Les premiers ont tendance à penser au « monde d’après », lorsque beaucoup, parmi les plus modestes et ou les moins diplômés, espèrent simplement le maintien du monde d’avant. Sur des questions comme les rapports de genre, l’autorité, la réussite sociale ou la consommation, on a affaire à une vraie divergence des imaginaires au sein de cette jeunesse.
Je donne volontiers l’exemple des quatre leaders du mouvement des « gilets jaunes » : Priscillia Ludosky, Ingrid Levavasseur, Eric Drouet et Fly Rider. Ils avaient tous entre 30 et 36 ans au moment du soulèvement de l’automne 2018 : or personne parmi les éditorialistes ne les a associés aux millennials, précisément parce que leur combat semblait à des années-lumière des préoccupations des superdiplômés, que l’on confond avec l’ensemble des jeunes actifs français”
C’est tout pour aujourd’hui ! Rendez-vous le mois prochain pour un prochain numéro de la CORTEX NEWSLETTER.