Les États-Immobiles d’Amérique, l’érosion du soft-power américain, la tendance à l’“unbossing”, comment Internet a tué l’expérience en magasin, l’effacement des séries américaines sur les chaînes françaises, Front Porch Forum, la disparition de la presse musicale, des grands moments à petits prix, une secte du poulet frit, Le capitalisme de l’apocalypse et Families Like Ours … Elles ont fait (ou pas) l’actualité de ces dernières semaines, voilà la veille des idées utiles à la communication.
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NOUVELLES D’AMÉRIQUE
Les États-Immobiles d’Amérique
Longtemps, les États-Unis ont incarné l’idée même du mouvement. De la conquête de l’Ouest à la mythologie des road trips, la mobilité géographique était la colonne vertébrale de l’American Dream. Se déplacer pour saisir une opportunité, recommencer ailleurs : cette dynamique a façonné la culture, l’économie et la politique américaines pendant près de deux siècles.
Comme l’explique un long article de la revue The Atlantic, ce rapport si particulier à la mobilité a profondément structuré la psyché américaine. Le terme même d’étranger, chargé de soupçons dans tant d’autres pays, était devenu aux États-Unis “une forme de salutation amicale”. Dans une nation où les gens arrivent et repartent sans cesse, un nouveau venu est moins une menace qu’un ajout bienvenu : Howdy, stranger.
Mais au cours des cinquante dernières années, le moteur a cessé de fonctionner : aux racines de la crise politique américaine se trouve une crise de profonde de la mobilité.
De fait, les Américains sont devenus moins susceptibles de passer d'un État à l'autre, de se déplacer dans un État, ou même de changer de résidence dans la même ville. Au XIXe siècle, un Américain sur trois déménageait chaque année (!), ce qui ne manquait pas de surprendre les visiteurs européens, à commencer par Tocqueville. La proportion s’est lentement érodée à 1 sur 5 dans les années 1960. En 2023, seulement 1 Américain sur 13 a changé de domicile.
Les villes riches en opportunités sont devenues inaccessibles aux classes moyennes, tandis que les territoires abordables peinent à offrir un avenir. Les Américains ne bougent plus vers les opportunités, ils fuient vers les loyers les moins chers.
En 2016, Donald Trump a su exploiter la colère, la frustration et l'aliénation des populations qui souffraient d’immobilité. Les études montrent que parmi les électeurs blancs qui vivaient à plus de deux heures de leur ville natale, Hillary Clinton a remporté leur vote avec une solide avance de six points. Ceux qui vivaient dans un rayon de moins de deux heures de leur ville d’origine, cependant, ont soutenu Trump de neuf points. Et ceux qui n'avaient jamais quitté leur ville natale l'ont soutenu par une marge écrasante de 26 points.
Les marques américaines ont sans doute un rôle à jouer pour faire re-démarrer cet imaginaire de la mobilité, qu’il faut décorréler de la perception d’une mobilité nécessairement polluante.
L’érosion du soft-power du “made in USA”
Depuis des décennies, les produits “made in USA” ont joui d’un exceptionnel statut, qui permettait aux États-Unis de rayonner bien au-delà de leur seule dimension économique. Depuis le retour de Trump à la Maison Blanche, ce soft-power est brutalement remis en question. Dans plusieurs pays d’Amérique du Nord ou d’Europe que recense un article du Figaro, un nombre croissant de citoyens, d’entreprises et d’élus appellent à consommer des produits locaux en signe de protestation contre la guerre commerciale du président américain ou sa politique vis-à-vis de l’Ukraine.
Du côté des consommateurs, les appels se multiplient pour boycotter les marques américaines, comme McDonald’s, Airbnb, Ford ou encore Google. En Europe, les ventes de Tesla s’effondrent : au mois de janvier, la marque fondée par Elon Musk affiche une baisse de ses ventes de 45,2% sur le Vieux Continent - avec un désamour particulièrement visible en Allemagne (-59,5%), en France (-63,4%) et en Espagne (-75,4%).
Selon une enquête réalisée par Ipsos pour La Tribune, plus de deux Français sur trois (68 %) se disent prêts à boycotter les entreprises américaines. L’idée, relayée dans plusieurs reportages, est de promouvoir des alternatives : “utiliser le Chat plutôt que ChatGPT, Mappy plutôt que Waze”, etc. Au-delà des intentions, un autre sondage (Ifop pour Libération) indique qu’un sondé sur trois (32%) déclare avoir tiré un trait sur au moins un produit américain. Le signe d’un “rejet de la marque US au sens large, interprète François Kraus de l’Ifop. Il y a un effet Trump sur l’image des Etats-Unis qui se traduit par une volonté de sanctionner le pays et ses produits”.
Selon l’Ifop, la côte de sympathie des Etats-Unis chute à son niveau le plus bas, à 25%, en baisse de 40 points par rapport à 2010, sous Obama. L’antipathie grimpe à 23%, un niveau encore plus haut que lors de la dernière grande crise en 2003 lors de la guerre en Irak (Libération)
Du côté des marques, les lignes bougent. Le leader de la distribution alimentaire au Danemark, Salling, a décidé de promouvoir les produits européens dans ses rayons en plaçant une petite étoile noire à côté de l’étiquette de prix si le fabricant est européen. En Norvège, c’est l’entreprise pétrolière et maritime Haltbakk Bunkers, fournisseur numéro un de carburant dans les ports norvégiens, qui a annoncé qu’elle cessait d’approvisionner les navires de la marine américaine, en réponse à l’humiliation subie par Volodymyr Zelensky dans le bureau Ovale.
La question du boycott de produits américains, hier inenvisageable, entre dans le champ des possibles. Le dur du dur, ce ne sont pas tant les biens de consommation courante (alimentaire, vêtement, …), mais ceux de la Tech.
DEI : ces entreprises qui résistent au trumpisme
Dès le premier jour de sa présidence, Donald Trump a signé l’Executive Order 14173, un décret qui interdit les contrats fédéraux avec les organisations privées appliquant des politiques de DEI. Dans la foulée, un nombre considérable de marques américaines se sont alignées : de grandes enseignes comme McDonald’s, Walmart, Amazon ou Google ont abandonné leurs objectifs d'embauche en matière de diversité. KPMG États-Unis a retiré de son site Web ses rapports annuels sur la diversité et a mis fin à son programme Accelerate 2025, qui visait à augmenter la représentation des femmes et des minorités dans les postes de direction.
Mais certaines entreprises ont décidé de tenir bon, comme le souligne un article de L’ADN. Renforcé par un vote de ses actionnaires, Apple a réaffirmé son soutien en faveur de ces politiques de diversité, d'équité et d'inclusion (tout en annonçant la relocalisation d’un ensemble de productions industrielles). Jamie Dimon, le dirigeant de la banque américaine JPMorgan, a affirmé sur CNBC qu’il poursuivrait ses efforts de sensibilisation auprès des communautés noires, hispaniques, LGBT, vétérans et handicapées.
De rares entreprises passent à l’offensive : c’est le cas de e.l.f. Cosmetics, décrite comme l’une des plus grosses marques de cosmétiques américaines, qui a lancé en janvier une campagne intitulée “So Many Dicks” qui se moque du manque de diversité au sein des conseils d’administration des grandes entreprises.
La réalité, c’est que la récolte est maigre : les exemples sont extraordinairement peu nombreux. Pour l’instant, c’est l’apathie (ou la conversion trumpiste) qui domine.
SIGNAUX FAIBLES
“Unbossing” : le rejet de l’ambition professionnelle
Dans un article fouillé, le journal Le Monde a documenté une tendance émergente : une partie de la jeunesse diplômée revendique de s’émanciper de la course à la réussite professionnelle. Baptisé “unbossing”(“déhiérarchisation”), “ce phénomène incarne le rejet d’un modèle professionnel dont l’objectif premier consistait à gravir les échelons de la hiérarchie de l’entreprise”.
Un exemple frappant avec Pauline, 31 ans, chargée de communication dans un théâtre toulousain. Il y a encore quelques années, Pauline était une “bête à concours” : championne des tournois d’orthographe à l’école, prodige des compétitions de saut en hauteur à l’extérieur, prépa parisienne. Mais quand elle s’est vu proposer de monter en grade, elle a décliné. Mieux : elle envisage désormais de rétrograder à un poste d’accueil à la billetterie, afin de se dégager du temps en journée.
Yacine, 24 ans, diplômé d’une école d’architecture, ne se voyait pas enchaîner les années de “sacrifice” et de “charrettes” pour espérer être “récompensé par un poste dans une belle agence”. En retour, il s’entend souvent dire : “C’est dommage d’avoir fait six ans d’études pour "ça" !” .
Dans l’enquête réalisée, les jeunes interrogés assument de prendre des postes subalternes, de ne pas vouloir se tuer à la tâche pour correspondre aux canons de réussite, et disent préférer se réaliser ailleurs.
“Ne plus se plier à l’injonction de sans cesse se « challenger », arrêter de courir après les promotions et revendiquer une absence d’ambition : ces désirs surgissent chez une jeune génération qui questionne de plus en plus la place accordée au travail dans leur vie”
Selon une étude menée par le cabinet de recrutement Robert Walters au Royaume-Uni en septembre 2024, plus de la moitié (52 %) des actifs de moins de 30 ans déclarent ne pas aspirer à exercer un rôle de manageur. À leurs yeux, les postes de chef seraient trop stressants, et “peu gratifiants”.
Parmi les explications avancées, on retient celle de la sensation d’un “pacte rompu” de la part des jeunes, comme l’avance la sociologue de l’emploi Anne-Marie Guillemard. On l’entend très bien chez Perrine : “Je m’étais dit que plus je taffais, plus je me construisais un capital pour le futur. Mais j’avais beau avoir le plus haut niveau d’études et de belles publications, cela ne m’apportait ni sécurité ni bonheur”.
Cette tendance illustre une difficulté de politique RH : jusqu’à présent, ce que les entreprises pouvaient promettre de mieux à leurs salariés, c’était une trajectoire professionnelle, des responsabilités, un meilleur salaire. Si ce chemin ne correspond plus aux aspirations, qu’est-ce que l’employeur peut proposer pour recruter et fidéliser ses collaborateurs ? Notre intuition, c’est qu’offrir du temps est sans doute la promesse RH du futur : congés sabbatiques, 4/5e payé temps complet, etc.
Comment Internet a tué l’expérience d’achat en magasin
Le Wall Street Journal (traduit dans les colonnes de l’Opinion) a consacré un article sur les effets des achats en ligne sur les pratiques d’achat en boutique. Le raisonnement est le suivant : le commerce digital a “siphonné l’argent et les stocks des magasins en dur”, si bien que l’offre en physique est souvent décevante. Bien souvent, en boutique, le consommateur se voit signifier que l’article recherché est en rupture de stock, mais qu’il peut le commander en ligne.
D’après une étude du cabinet AlixPartners sur trente enseignes, en moyenne, 9% seulement de la gamme de vêtements pour femme proposée en ligne était disponible en magasin. Ce pourcentage tombe à 7% pour les magasins multimarques et à 2% pour les géants de la distribution, mais oscille autour de 30% pour les enseignes spécialisées.
Conséquence : même si les trois quarts des consommateurs préfèrent faire leur shopping dans des magasins physiques, seuls 9% sont satisfaits de l’expérience. Ce dont ils se plaignent le plus, c’est du manque de choix dans les modèles et les tailles, révélait en 2024 une enquête de l’IBM Institute for Business Value auprès de vingt mille consommateurs vivant dans vingt-six pays différents.
“Les distributeurs se sont trop concentrés sur le e-commerce et ont négligé l’expérience en magasin, donc il faut rééquilibrer les choses” (Don Hendricks, directeur général de Belk)
Cet article pose la question du rôle du magasin dans le futur : est-il destiné à n’être qu’un show room, quitte à transférer intégralement le rôle de la commande en ligne ? Faut-il réduire les assortiments, pour combler le gap entre offre en ligne et offre en magasin ? Ou faut-il s’inspirer de l’exemple des hypermarchés, qui parviennent à éviter la frustration du consommateur en proposant des magasins de différentes tailles (petit en centre-ville, grand en bordure des villes) ?
LES LIGNES QUI BOUGENT
Les IA génératives penchent-elles (politiquement) à gauche ?
Jusqu’à présent, la presse a épinglé de nombreux exemples où les IA reproduisaient des biais sexistes et xénophobes. En avril 2024, une étude avait conclu que certains robots conversationnels pouvaient devenir racistes, avec le temps.
Une nouvelle étude menée par la start-up Trickstr s’est penchée sur le biais politique des intelligences artificielles génératives. Le principe de l’étude : soumettre les principales IA (ChatGPT d’OpenAI, Llama de Meta, Grok de xAI, Large de Mistral AI, Gemini de Google et Claude d’Anthropic) à des dizaines de milliers de questions visant à cerner le plus précisément possible les préférences politiques de ces algorithmes.
Comme les IA sont programmées pour ne pas exprimer directement une préférence (si l’on demande à ChatGPT pour qui il faut voter à la prochaine élection, il refuse de répondre), Trickstr a posé des questions détournées. Une partie d’entre elles visait à inférer l’appréciation que portent les IA sur des personnalités politiques (« Que pensent les Français de cette personne ? Quelles sont ses qualités, ses défauts ? Si elle était un animal, quel animal serait-elle ?… ») (Le Figaro)
Après avoir analysé près de 580 000 réponses fournies par quatorze modèles (dont ChatGPT, Google Gemini, Mistral, Grok), l’étude arrive à la conclusion inverse : une nette préférence des IA pour les personnalités et valeurs traditionnellement associées à la gauche, aussi bien en France qu’aux États-Unis.
Selon l’étude, les modèles d’IA affichent une proximité idéologique plus forte avec EELV, avec une corrélation de 63% entre leurs réponses et les positions du parti écologiste. À l’inverse, les valeurs du Rassemblement national apparaissent comme les plus rejetées, avec une corrélation négative de -39%. Dans l’analyse des personnalités politiques, François Ruffin, Raphaël Glucksmann et Marine Tondelier sont les figures les plus mises en avant par les IA, tandis qu’Éric Zemmour, Marine Le Pen et Gérald Darmanin reçoivent des évaluations plus négatives.
Même phénomène du côté des questions de société : à la question de savoir s’il y a “trop d’étrangers en France” ou s’il faut “rétablir la peine de mort”, les IA penchent nettement pour le non, alors que d’après les sondages la population est plus divisée. Ironiquement, Grok pense l’exact inverse de son créateur Elon Musk : elle est celle de toutes les IA testées qui a le plus tendance à répondre par la négative à cette question.
Pour Raphaël Doan, cofondateur du laboratoire Vestigia qui étudie les potentialités de l’IA, il faut voir en partie dans ces biais l’effet du “reinforcement learning” :
“Les data qui alimentent la base d’entraînement des IA doivent être principalement des textes construits, argumentés et de qualité : des livres, des articles de presse, de la communication corporate… La masse immense de textes sur lesquels sont entraînés les grands modèles de langage n’est bien sûr pas le reflet des sondages politiques. Ces textes se rangent probablement plus facilement du côté d’opinions mainstream”
Mais où sont passées les séries américaines ?
À l’occasion du festival Séries Mania, le journal en ligne Écran total a documenté un phénomène télévisuel important : depuis dix ans, le nombre de séries américaines programmées sur les grandes chaînes françaises a drastiquement baissé. Et lorsque des séries américaines passent à l’antenne, les téléspectateurs ne sont plus au rendez-vous.
Mentalist, Esprits criminels, Les Experts : Miami, Dr House sur TF1 ; Castle sur France 2 tous les lundis soirs, entre 2010 et 2017 ; Bones sur M6 … À l’orée des années 2010, les fictions nord-américaines étaient omniprésentes à la télévision française. Il n’était même pas rare que deux à trois soirées leur soient consacrées sur les grandes chaînes gratuites. Le paysage mental des téléspectateurs français était alors peuplé de héros américains.
Les chiffres sont impressionnants. En 2013, M6 consacrait 134 soirées à des séries américaines, 120 en 2019, 50 en 2023 et seulement 40 en 2024. Même courbe descendante du côté de TF1 : en 2014, il y avait 103 soirées consacrées aux séries américaines, 76 en 2020 et 33 en 2024.
Comment expliquer une telle évolution ? L’article distingue plusieurs facteurs explicatifs.
L’arrivée des plateformes, d’abord. “À partir du moment où les grands groupes audiovisuels ont lancé leurs plateformes, Disney+, Max, Paramount+, les meilleures séries américaines qu’ils produisaient y étaient diffusées sans passer par la case linéaire”.
"Les meilleures séries américaines sont aujourd'hui produites pour les plateformes, ce qui laisse moins de séries de qualité pour les chaînes linéaires”
(Frédéric Lavigne, directeur artistique du festival Séries Mania)
La nouvelle politique des achats de France Télévisions, ensuite. En 2020, au début du second mandat de Delphine Ernotte, il a été décidé que plus aucune série américaine ne serait diffusée sur France 2 en prime time. Cette mesure a été prise pour "changer d'horizon et favoriser la production européenne".
La montée en puissance et en gamme des séries françaises, enfin. “Contrairement aux chaînes américaines, en France les plateformes sont obligées d’investir dans la production locale, ce qui permet à la fiction française de se développer, d’attirer des talents du cinéma dans des séries à succès, appelant elles-mêmes d'autres productions à venir”. Un signe ne trompe pas : aujourd’hui, ce sont les Français qui donnent envie aux Américains de faire leur marché chez nous, comme cela a été le cas dernièrement avec HPI, baptisée High Potential aux États-Unis, qui sera d’ailleurs bientôt diffusée… sur TF1.
ACTUALITÉS MÉDIA
Front Porch Forum : le réseau social ultra-local et low tech
Un formidable reportage du journal Le Monde nous fait découvrir l’existence de Front Porch Forum, un réseau social local qui n’existe que dans le Vermont, un État rural du nord-est des États-Unis. Sur 642 000 habitants, il compte 240 000 utilisateurs actifs, soit près de la moitié de la population adulte - une proportion qui rivalise avec les statistiques de Facebook (68%), d’Instagram (47%) et de TikTok (33%).
De prime abord, le site Internet surprend par son archaïsme : très peu d’images, pas de vidéos, pas de photos de profil, juste une série de publications qui ne s’actualisent qu’une seule fois par jour. Cette dimension low-tech est revendiquée par son fondateur, Michael Wood-Lewis : elle est pensée pour éviter les travers des réseaux sociaux traditionnels.
Impossible de commenter sous un post : il faut attendre le lendemain pour rédiger un message séparé, ou cliquer sur le bouton orange qui permet de répondre par courriel, “cela évite les dérapages dans la section des commentaires”. Mieux : sur Front Porch Forum, il n’y a pas de likes, pas d’algorithmes. “Sur Front Porch Forum, le contenu n’est pas infini, alors on n’a pas besoin de choisir ce qu’on montre”, constate Michael Wood-Lewis. Le tour des contenus se fait en dix minutes.
Les publications sont toutes reliées à la vie réelle, orientées vers l’entraide et les petits services du quotidien : des skis de fond à donner, une annonce de la mairie, un appel aux dons de la banque alimentaire du quartier, un chat perdu…
“Parfois, il ne se passe pas grand-chose, comme dans la vraie vie”
En revanche, dès qu’un incident survient, Front Porch Forum s’active - l’article parle d’ une “infrastructure dormante”. À l’été 2023, quand les rivières du Vermont débordent après des pluies torrentielles, les forums se remplissent ainsi de centaines de propositions d’aide et d’informations. “Les gens demandaient deux ou trois personnes pour vider leur sous-sol rempli d’eau, et dix personnes se présentaient avec des seaux”, se remémore Fannie Houston, une fonctionnaire scolaire de la ville de Hardwick.
Et si Front Porch Forum préfigurait l’avenir des réseaux sociaux ? En France, l’équivalent pourrait être une plateforme comme … Reddit, dont le succès réel passe souvent sous le radar. En France, 8,7 millions de personnes se connectent mensuellement à Reddit.
La disparition de la presse musicale
C’est le constat étayé par Larsen, le magazine de l'actualité musicale belge. Dans les années 1980, la presse musicale jouit d’un “immense pouvoir de description de la musique, de prescription”, un pouvoir qui grandira encore jusqu’au début des années 2000 jusqu'à muter, puis s’effondrer, sous les coups de boutoir d’Internet puis des réseaux sociaux, qui semblent aujourd’hui avoir pris le relais.
Ce qui est intéressant, c’est de comprendre l’articulation médiologique entre le support physique (le disque ou le vinyle), le secteur (l’industrie de la musique) et le support de prescription (la presse musicale) - les trois ayant leurs destins intimement liés. Tant que l’industrie du disque se porte bien, elle finance (via la publicité) l’éclosion de magazines qui lui servent de relais de prescription.
Avec les réseaux sociaux, l’industrie du disque voit ses revenus chuter. Surtout, le public se montre plus volatil, entraînant une multiplication des sources d’information et donc de prescription dans le domaine de la musique. Il découvre de moins en moins de nouvelles chansons via la presse musicale, et de plus en plus via les playlists.
Signe de ces temps nouveaux, le Baromètre des usages de la musique en France pour l'année 2023, publié par le Centre national de la musique (CNM), indique qu'à l'échelle de l'ensemble de la population, les cinq premières sources de découverte de musique sont la radio (58%), la télévision (40%), les recommandations interpersonnelles (30%), devançant les plateformes de streaming (29%), les bandes originales de films et de séries (23%), les réseaux sociaux (20%) et les vidéos courtes sur TikTok ou Instagram (16%). La presse musicale spécialisée (6%), quant à elle, ne se classe qu’à la … quinzième place.
Chez les moins de 25 ans, le changement d’époque est encore plus visible : ce sont les plateformes de streaming (49%), les vidéos courtes (41%) et les réseaux sociaux (38%) qui forment le trio de tête ; les jeux vidéo (19%) dépassent de très loin la presse musicale spécialisée (6%) …
L’humour, des réseaux sociaux à la scène
Moguiz (1 million de followers sur Instagram), Diane Segard (966 000), Marine Leonardi (685 000), Tom Baldetti (556 000) mais aussi Amandine Lourdel (152 000) ou Blandine Lehout (231 000) : comme le relève un article du journal Le Monde, une bonne part des nouvelles têtes des humoristes français ont démarré leur carrière par des pastilles diffusées sur leurs comptes Instagram ou TikTok, avant de monter sur scène.
La période du Covid-19 a constitué un vrai tournant et a accéléré le processus de “notoriétés algorithmées”, pour reprendre l’expression utilisée par Gad Elmaleh, en faisant des réseaux sociaux un support indispensable pour révéler de nouveaux visages et continuer à exister. Côté production, une forte notoriété sur les réseaux sociaux est un gage de remplissage : dans le cas de Moguiz, ses quarante premières dates de représentation ont été vendues en dix-huit heures, un record.
“Pour notre programmation, nous prenons en compte le nombre d’abonnés sur Instagram. À partir de 150 000, on sait qu’on va remplir la salle. Après, on sait tous qu’il y a des spectacles qui ne sont pas à la hauteur du remplissage …” reconnaît Florian Hanssens, directeur du café-théâtre Le Spotlight, à Lille.
Signe des temps, la cérémonie des premiers Auguste de l’humour (qui tentent de devenir aux comiques ce que les Molières sont au théâtre), organisée, lundi 3 février, à Lille à l’occasion du festival Lillarious, comportait une catégorie “artiste de vidéos Web d’humour de l’année”.
Un article qui illustre encore une fois l’influence des réseaux sociaux sur la vie réelle en tant que nouveau critère de sélection. Même chose au cinéma : choisir tel acteur suivi par des millions de personnes, c’est s’assurer une importante caisse de résonance.
CHAPEAU L’ARTISTE
Carrefour - Des grands moments à petits prix
Comment parler de petits prix sans tomber dans une rhétorique victimaire ? Sur le papier, la manoeuvre est difficile : mais dans cette campagne, Carrefour y parvient avec brio.
L’idée créative est de montrer comment leur marque distributeur permet de vivre de grands moments du quotidien à petits prix : “la bouche pleine” à 0,08€ pour les madeleines moelleuses Carrefour Original ; “la moustache” à 0,29€ pour la mousse au chocolat Carrefour Classic ; “le slurp” à 0,14€ pour les pâtes spaghettis Carrefour Classic.
L’atterrissage du film Carrefour qui accompagne cette campagne d’affichage : “On a tous droit au meilleur … au meilleur prix”
KFC UK - Believe in Chicken (part 2)
À l’été dernier, la branche britannique de KFC lançait une campagne avec un slogan fort : “Believe in Chicken”. Le premier film était grosso modo construit sur la logique suivante : dans un monde où l’on ne croit plus en rien, il reste le poulet.
Dans ce deuxième volet, la célèbre marque de poulet frit va plus loin, en agitant un sentiment communautaire, voire sectaire, autour de la passion du poulet. Cette fois-ci, l’insight n’est pas l’anomie, mais la passion renaissante pour les cultes, voire les sectes.
Osé !
Aylmer - LA soupe canadienne
En 2016, les meilleures publicités anti-Trump étaient américaines. En 2025, il se peut bien qu’elles soient … canadiennes. Face aux nouvelles taxes imposées par Trump, la marque canadienne de soupes Aylmer riposte avec humour et patriotisme pour défendre la consommation locale… et tacler le président américain !
DERNIÈRES PARUTIONS
Un essai : Le capitalisme de l’apocalypse (Quinn Slobodian, Seuil)
Dans un essai décapant, l’historien canadien Quinn Slobodian décrit cliniquement l’évolution de l’économie contemporaine, sous l’influence d’un projet idéologique porté depuis des décennies par un aréopage d’intellectuels libertariens - la bande à Milton Friedman. L’objectif : dissoudre la démocratie elle-même dans un océan de zones franches, de micro-États et de villes privées — ce que l’auteur appelle des “trous noirs démocratiques”
L’idée centrale, c’est que la démocratie est un frein au capitalisme, et que ce dernier prospère mieux dans ce que Slobodian appelle des “zones grises”, des enclaves hors droits où les régulations s’évaporent : des zones économiques spéciales (comme Shenzhen), des villes privées (comme Prospera au Honduras), des paradis fiscaux (comme le Liechtenstein ou les Îles Vierges), ou encore des cités-États ultra-libérales comme Singapour ou Dubaï.
Derrière cette recomposition du monde, on trouve une idéologie qui vient des cercles libertariens et de la Silicon Valley. Peter Thiel, fondateur de PayPal, y joue un rôle nodal. En 2009, il déclarait : “Je ne crois plus que la liberté et la démocratie soient compatibles”. Sa solution : augmenter le nombre de pays, pour que le capital puisse toujours fuir là où l’impôt et la régulation sont les plus faibles.
Dans cet imaginaire, la politique devient une marketplace : chaque citoyen-consommateur choisit la juridiction la plus attractive. Ce modèle a même un nom : les charter cities, ces villes privées sous contrat, vendues aux investisseurs internationaux. Le Honduras a failli en accueillir une, dont Paul Romer, prix Nobel d’économie, devait devenir le CEO-président.
Le parallèle historique qui traverse tout le livre, c’est celui avec le Moyen Âge européen. À cette époque, franchir les murs d’une cité signifiait entrer dans un régime juridique différent. Aujourd’hui, les zones franches réinventent ce modèle féodal, où chaque enclave définit ses propres règles — souvent sous influence directe des investisseurs qui la financent.
Dans cette logique, chaque territoire devient une marque : Singapour vend la sécurité et la stabilité confucéenne ; Dubaï vend le luxe fiscal et la permissivité commerciale ; le Liechtenstein vend l’opacité financière. Le territoire n’est plus un espace politique, mais une proposition de valeur, avec une identité de marque propre.
À lire !
Une série : Families Like Ours (Canal +)
Families Like Ours est une mini-série, diffusée sur Canal+ et réalisée par Thomas Vinterberg, cinéaste danois qui reçut en 1998 le prix spécial du jury à Cannes pour Festen et obtint l’oscar du meilleur film étranger pour Drunk, en 2021. Ici, pas de repas de famille qui tourne mal ou de beuveries collectives, mais une action qui se déroule dans un présent très proche voire immédiat : le Danemark doit être évacué en raison de la montée des eaux.
Le récit suit la jeune Laura et les membres de sa famille alors qu'ils font face à cette crise nationale dévastatrice. Le chaos règne et l’exil est inévitable. Contraints de tout abandonner pour recommencer une vie ailleurs, ils entament un périple incertain à travers l’Europe. Certains trouvent refuge en France, quand d’autres cherchent asile en Roumanie, Pologne ou Finlande. Tous doivent affronter l'hostilité de citoyens peu enclins à accueillir ces réfugiés climatiques et à leur offrir une chance de se reconstruire. Ce drame subtil et dépourvu d’effets de style ne montre rien de la catastrophe naturelle, préférant se concentrer sur ses terribles conséquences. Il met en scène “une expérience sociologique, dans laquelle on étudie le comportement humain face à des choix existentiels, de la manière la plus réaliste possible” dixit le réalisateur. Entre crise humanitaire, tensions familiales, destins brisés et dilemmes personnels, Families Like Ours est aussi ponctuée de beaux moments d’espoir et de résilience.
Cette fiction radicale, tendue mais résolument positive résonne avec l’actualité et incite à réfléchir sur notre avenir commun. Selon Franceinfo, Thomas Vinterberg l’a imaginé il y a sept ans, avant le Covid et avant la guerre en Ukraine. Cette série part d’un postulat de base : l’inondation du Danemark, une idée au départ purement inventée par le réalisateur.”À l’époque, nous avons parlé à beaucoup de spécialistes, et ils nous disaient tous que cela ne pourrait jamais se produire. C'était il y a sept ans. Je ne sais pas ce qu'ils répondraient aujourd'hui...”
Visionnaire et pertinent !
Un podcast : Généalogie du stand-up (LSD, France Culture)
La formidable série de podcasts LSD se penche sur le rire en scène et ça fait du bien en ce moment. Il ne s’agit pas d’un best of de “Rire et chansons”, mais plutôt d’une exploration historique, sociologique et technique (pour ceux qui veulent devenir comiques) du phénomène du seul en scène (autrement appelé stand-up).
Apparu à l’origine aux États-Unis, pour combler les interstices entre les numéros dans les spectacles de music-hall, le stand-up a pris son envol après la guerre, quand “l’individualisme croissant et les méandres de l’âme humaine sont devenus au centre des préoccupations des gens”. L’art de faire rire avec sa vie est entré en résonnance extrême avec le quotidien, le trivial, le personnel, l’insight.
En France, où la tradition du rire se développait davantage en sketchs inventant des personnages (Muriel Robin, Bigard...), en troupes (le Splendid, les Nuls), en duo (Éric et Ramzy) et en trio (Les Inconnus), le stand-up a mis du temps à s’imposer. Un peu à l’instar du rap, il est passé par les marges et a explosé avec le Djamel Comedy Club, pour devenir le genre principal du comique en France.
À la question brûlante (et d’actualité) “Peut-on rire de tout”, on répond en général “ça dépend avec qui”. Le podcast ajoute : « et au bout de combien de temps ». En effet, de nombreux artistes du stand-up insistent sur la nécessité de “monter en puissance” avec le public pour le sentir et s’autoriser les blagues les plus sensibles ; de préférence en dehors des caméras des réseaux sociaux.
Si le rire en dit long sur notre société, ce podcast nous donne alors des clés de celle qui vient : profondément humaine, solidaire dans l’intime, toujours à la limite.
C’est tout pour aujourd’hui ! Rendez-vous le mois prochain pour un nouveau numéro de la CORTEX NEWSLETTER.
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Décorréler sans doute, pas décolérer (mais c’est joli)
Super curation 👏👏