Les départs en voiture à l’heure de l’inflation, le grand retour des promotions, la “maladie de la plage”, l’émergence de l’histoire d’entreprise, la précarisation des créateurs de contenu, le succès du magazine Vieux, le mythe du pouvoir d’achat et Becoming Karl Lagerfeld … Elles ont fait (ou pas) l’actualité, voilà la veille des idées de ces dernières semaines.
Bonne lecture et bon été à tous !
Temps de lecture estimé : 15 minutes
VACANCES ET TOURISME
Les Français et les départs en voiture à l’heure de l’inflation
Une enquête Ifop pour Roole, le premier club automobile de France, s’est penchée sur l’utilisation de la voiture pour les départs en vacances cet été.
Parmi les 48% de Français ayant l’intention de partir en vacances cet été, les trois quarts projettent d’utiliser un véhicule pour le faire (76%) : “la voiture demeure donc, et de très loin, le moyen de transport le plus plébiscité pour partir en vacances” commente l’Ifop. Les principaux motifs renvoient d’abord à son aspect pratique : le fait de pouvoir visiter les environ du lieu de vacances (76%) et le transport de bagages (60%) arrivent en premier, loin devant les raisons économiques (38%). A noter que le montant du budget voiture alloué pour les congés d’été (incluant l’essence, les péages et les parkings) est de 298,5€ en moyenne.
Cependant, le recours à la voiture est abandonné cette année par une partie des Français du fait de fortes contraintes budgétaires. Parmi les raisons motivant le non-choix de la voiture pour partir en vacances cet été, 51% des interrogés parlent du coût de la vie en général, 48% du coût du carburant, 34% du coût des péages sur l’autoroute et 14% du coût de stationnement & parkings payants.
Dans une note parue en début d’année (Ifop pour Roole, janvier 2024), Jérôme Fourquet montrait que 35 % des automobilistes avaient renoncé à emprunter les autoroutes à cause du coût des péages - une proportion qui s’établit même à 46 % parmi les automobilistes les plus modestes, contre 23 % pour les automobilistes les plus aisés.
“Se dessine ainsi sans jeu de mots un système routier à deux vitesses avec des autoroutes qui sont devenues inaccessibles à toute une partie des milieux populaires” (Jérôme Fourquet)
On connaissait la ségrégation par l’endroit, voilà désormais la ségrégation par le trajet. Un nouveau combat social pour les marques de mobilité ?
Des billets d’avion au camping, le grand retour des promotions dans le tourisme
Dans Le Figaro, on lit qu’après une explosion continue des prix dans le tourisme depuis le Covid (entre +20 et +25% entre 2019 et 2023, bien plus fort que l’inflation générale), “c’est le grand retour des promotions”, comme l’explique Mélanie Lemarchand, responsable de Lidl Voyages. Certaines destinations (Maroc, Tunisie, Egypte) se retrouvent bradées en plein été, avec des réductions allant de 25 % à 45 %. Même chose du côté de Leclerc Voyages, qui propose début juillet des enchères sur certains séjours (Grèce, Andalousie, République dominicaine, Tunisie, Canaries…), avec des économies comprises entre 29% et 38% depuis janvier. EasyJet, de son coté, a lancé fin mai des réductions allant jusqu’à 15 % sur une sélection de vols cet été. Dans les campings, les touristes ont le droit à une “spirale de promotions” dans une grosse moitié nord de la France, y compris sur le littoral.
“Cette année est très particulière, s’étonne Christophe Fuss, directeur général de TUI France. En général, les premières promotions arrivent après les ponts de mai. Cette année, elles se sont déplacées en pleine haute saison, durant les JO. Le bon plan, c’est de partir entre le 26 juillet et le 11août !”
Il y a deux mois, le Seto, syndicat des tour-opérateurs français (Belambra, Club Med, Costa, MSC, TUI France…) tablait sur une progression de 15 % du volume d’affaires de ses membres par rapport à 2023 - “un objectif passé aux oubliettes”, explique l’article. Entre les tensions géopolitiques internationales, un pouvoir d’achat sous pression et un calendrier bouleversé par les Jeux olympiques, à quoi s’ajoutent la convocation d’élections législatives les 30 juin et 7 juillet et une météo maussade, les professionnels du tourisme ont vu leur volume de ventes chuter fortement. Résultat : “Ils ont commencé à casser les prix sur leurs sites, et faire appel à nous pour déstocker des séjours” témoigne Nicolas Gerbal, directeur voyage et loisirs de Showroom Privé.
Reste à savoir s’il s’agit d’une simple correction après une forte période inflationniste, ou d’un réel retournement de tendances.
Le tourisme : moteur de l’économie européenne ou “maladie de la plage” ?
Dans ses colonnes, le Wall Street Journal observe une reconfiguration du rapport de force économique au sein de l’Union européenne.
Dans les années 2010, ce sont l’Allemagne et les autres pays industriels qui, grâce aux exportations de voitures et de biens d’équipements, tiraient la croissance européenne. Aujourd’hui, l’Italie, l’Espagne, la Grèce et le Portugal représentent, à eux quatre, entre un quart et la moitié de la croissance annuelle de l’Union européenne (UE). Une croissance largement tirée par les revenus du tourisme - en Espagne, 75% de la croissance enregistrée ces dernières années viennent du tourisme, tout comme un nouvel emploi sur quatre ; en Grèce, 44% des emplois sont liés au tourisme. Bilan des courses : “alors qu’elle ne représente que 5% de la population mondiale, l’UE a encaissé un tiers des dépenses touristiques mondiales l’an passé, soit plus de 500 milliards de dollars. C’est trois fois plus qu’il y a vingt ans et beaucoup plus que les Etats-Unis (150 milliards de dollars)”
Dans la classe politique et chez certains économistes, certains s’inquiètent des conséquences à long terme.
Conséquence sur le plan social, d’abord. Les loyers et le coût de la vie explosent dans les zones les plus prisées, au grand dam des habitants qui ont de plus en plus de mal à boucler les fins de mois. L’exemple de Lisbonne est éclairant : tandis que le salaire moyen d’un employé oscille autour de 1000€ net, un deux-pièces s’y loue en moyenne plus de 1 200€ par mois.
Conséquence sur le plan économique, ensuite. Certains redoutent que le tourisme galopant finisse par aggraver les difficultés économiques auxquelles l’Europe est confrontée. Comme le pétrole à une autre époque, et la fameuse “malédiction des matières premières”, le tourisme pourrait évincer les autres activités à forte valeur ajoutée en siphonnant travailleurs et capitaux, un phénomène que certains économistes ont baptisé la “maladie de la plage” :
“Le tourisme, c’est une solution de facilité, explique Marcos Carias, économiste à la Coface. Pourquoi rechercher l’audace et suer sang et eau pour créer de la valeur économique si le tourisme fonctionne tout de suite ? Les dirigeants européens préfèrent que les gens ouvrent des hôtels et des restaurants que les inciter à créer des entreprises industrielles de pointe, très intensives en capital et peu rentables à court terme”
Le risque, c’est bien la réalisation de la prophétie énoncée par Michel Houellebecq dans La carte et le territoire : celle d’une Europe muséifiée, réduite à n’être qu’une destination de vacances pour une riche clientèle mondialisée.
SIGNAUX FAIBLES
Aux États-Unis, la Gen Z prend le pouvoir économique
L’hebdomadaire The Economist a consacré un article très complet sur la place de la Gen Z dans le monde de l’entreprise. Dans les pays développés, il y aurait au moins 250 millions de personnes nées entre 1997 et 2012, dont la moitié est aujourd’hui active sur le marché de l’emploi. Aux États-Unis, parmi les travailleurs à taux plein, le nombre de membres de la Gen Z (parfois appelés les “Zoomers”, en opposition aux “Boomers”) est sur le point de dépasser celui des baby-boomers (ceux nés entre 1945 et 1964). Mieux : “l’Amérique compte désormais plus de 6 000 Zoomers PDG”. C’est dire si la Gen Z n’est plus tout à fait au stade du “nouveau stagiaire” …
Il existe mille façons de caractériser cette génération. Un livre récent, écrit par le psychologue social Jonathan Haidt, a récemment défrayé la chronique de l’autre côté de l’Atlantique. Dans The Anxious Generation, il défend l’idée que la Gen Z est d’abord définie par son anxiété. Chiffres à l’appui, il démontre que les jeunes d’aujourd’hui sont moins enclins de nouer des relations que ceux d’antan. Ils sont plus susceptibles d’être déprimés, sont moins susceptibles de boire, d'avoir des relations sexuelles, d'être en couple. Une statistique résume le tableau : les Américains âgés de 15 à 24 ans ne consacrent en moyenne que 38 minutes par jour à se socialiser, contre près d'une heure dans les années 2000. M. Haidt rejette l’essentiel de la faute sur les smartphones et les médias sociaux.
Les données récoltées par The Economist permettent d’apporter une note plus positive au constat. “Sur le plan financier, la Gen Z se porte extraordinairement bien”, comme le montre une récente étude menée aux Etats-Unis :
“Les Millennials étaient un peu mieux lotis que la génération X – ceux qui sont nés entre 1965 et 1980 – lorsqu’ils avaient le même âge. Les Zoomers, cependant, sont bien mieux lotis que les Millennials du même âge. En moyenne, un Gen Z de 25 ans a un revenu annuel de plus de 40 000 dollars, soit plus de 50 % de plus que celui des baby-boomers du même âge”
Cette différence implique des conséquences quant à leur relation au travail, conclut l’hebdomadaire britannique : “Les Millennials ont grandi en pensant qu’un emploi était un privilège et ils ont agi en conséquence : ils sont respectueux envers les patrons et désireux de plaire. Les Zoomers, en revanche, ont grandi en pensant qu’un emploi est fondamentalement un droit, ce qui signifie qu’ils ont une attitude différente à l’égard du travail”. De fait, en 2022, les Américains âgés de 15 à 24 ans ont consacré 25 % de temps en moins au « travail et aux activités liées au travail » qu’en 2007. Autre conséquence, la Gen Z est statiquement beaucoup moins attirée par l’entrepreneuriat : “Who can name a famous Gen Z startup founder?”
À tous ceux qui pensaient avoir tout lu sur la Gen Z, The Economist montre qu’il y a encore des angles inexplorés …
En France, l’émergence de l’histoire d’entreprise
Un article passionnant de Philonomist s’est penché sur une tendance émergente dans le milieu corporate : de plus en plus d’entreprises font appel à des cabinets d’historiens, voire créent des services internes, dans le but de valoriser leurs archives et leur histoire.
Comme le rappelle l’article, la discipline de l’histoire d’entreprise nous vient des États-Unis, où depuis les années 1970 se développe la public history. En France, c’est à l’historien Félix Torres que l’on doit le premier cabinet d’historiens d’entreprise, Public Histoire, fondé en 1983. Longtemps en situation de monopole, il a vu se multiplier ces dernières années les cabinets d’ingénierie historique et autres historiens d’entreprise sur le marché.
Au-delà des occasions de réaffirmer sa culture ou ses valeurs au gré d’un anniversaire ou d’une commémoration, l’histoire de l’entreprise est comprise comme un véritable capital que les entreprises cherchent à exploiter.
“On sent que c’est un avantage concurrentiel, que notre histoire a un potentiel », expliquent les directions stratégique ou marketing qui viennent solliciter Pauline Le Clere, fondatrice du cabinet Perles d’histoire. Faire appel à des historiens leur permet de “doter l’entreprise et la marque d’un capital matériel et immatériel qui va leur donner de la valeur sur le marché”, analyse-t-elle.
Chez BNP Paribas, sept personnes travaillent à plein temps au sein du service Archives et histoire dirigé par l’archiviste Marie Laperdrix. La banque bicentenaire compte sept kilomètres linéaires d’archives de pays et de domaines variés, une bibliothèque historique à gérer et plus de mille objets conservés, dont d’antiques machines de calcul. Une histoire et un patrimoine mis en valeur sur un site dédié, intitulé « Source d’histoire ».
En plus d’être un précieux argument de communication externe, l’histoire est également un vecteur d’engagement des salariés. “On fait partie des contenus les plus lus sur l’intranet, explique Marie Laperdrix. Beaucoup d’initiatives émanent des collaborateurs, qui sont très intéressés par le sujet, y compris de ceux qui viennent d’arriver dans l’entreprise”.
Bien que tournée vers le futur (son mot d’ordre : electrify the future), Nexans, multinationale française produisant des câbles pour transmettre l’électricité, a compris que pour renforcer l’engagement et la fierté d’appartenance de ses salariés, il lui fallait mieux mettre en lumière ses racines et son histoire. “Nous avons la conviction que, pour construire le futur ensemble, il faut valoriser le passé” explique Maria Lorente, DRH de Nexans.
De fait, une étude de l’Ifop pour l’observatoire B2V des mémoires, publiée en juin 2024, montre que 89 % des cadres interrogés se déclarent en faveur de la création d’un comité histoire au sein de leur entreprise pour collecter, préserver et communiquer sur la mémoire de leur entreprise.
C’est une conviction partagée par le Cortex : au sein d’une entreprise qui, bien souvent, vit elle aussi un déficit de vivre-ensemble, son histoire est à même de fédérer son corps social. À quand l’intégration systématique d’une direction de la mémoire ou d’une direction de l’histoire d’entreprise au sein du département communication ?
ACTUALITÉ MÉDIA
Les usages et tendances 2024 de l’information (Reuters)
Publiée tous les ans, le Digital news Report du Reuters Institute est l’étude la plus complète sur les usages de l’information dans le monde (47 pays, 95.000 personnes interrogées). À l’occasion de la publication de l’édition 2024, voilà quelques enseignements-clés.
1/ Une fragmentation de la consommation de l’information. Alors qu’il y a dix ans, seuls deux réseaux sociaux agrégeaient plus de 10% de la population dans leur consommation d’information (YouTube et Facebook), aujourd’hui ils sont cinq (en ajoutant Instagram, WhatsApp, X). Par ailleurs, l’acteur qui domine le secteur depuis dix ans dévisse totalement (- 4 points en un an). “Dans de nombreux pays, nous constatons un nouveau déclin significatif de l'utilisation de Facebook pour l'information” (-10 points en Colombie sur un an, -8 points en Malaisie, -6 points en Turquie).
2/ Un intérêt pour l’actualité en baisse. Si les élections ont accru l’intérêt pour l’actualité dans quelques pays, dont les États-Unis (+3), la tendance générale reste à la baisse. Cas spectaculaire : en Argentine, l’intérêt pour l’actualité est passé de 77 % en 2017 à 45 % aujourd’hui. Au Royaume-Uni, l’intérêt pour l’information a presque diminué de moitié depuis 2015. “Dans les deux pays, note le rapport, ce changement se reflète dans une baisse similaire de l’intérêt pour la politique”. En France, l’intérêt pour l’actualité a chuté de 23 points depuis 2015 (!).
3/ Une forte progression de TikTok comme outil d’information. À l’échelle mondiale, 13% de la population utilise TikTok chaque semaine pour s’informer (+2 points en un an) - la proportion atteint 39% en Thaïlande, 36% au Kenya et 29% en Indonésie. Il est l’outil social le plus populaire pour s’informer chez les 18-24 ans (23% en moyenne dans le monde).
Une étude qui nous inspire un commentaire : alors que la pluralité des réseaux sociaux utilisés pour s’informer pouvait augurer d’une diversité de points d’accès à l’information, le résultat est un écroulement de l’intérêt à l’actualité. Y aurait-il un lien de causalité ? Elle pourrait être liée à une relation de quantité (la fameuse fatigue informationnelle) ou de qualité - a-t-on vraiment le sentiment de consommer de l’actualité lorsqu’on regarde une vidéo TikTok ?
L’ère TikTok, une histoire industrielle et politique
Pour Le Grand Continent, l’ancien conseiller du premier ministre italien Alessandro Aresu a réalisé une longue “pièce de doctrine” sur TikTok, la “saga technico-politique la plus intense et la plus intéressante de notre ère d’affrontement des capitalismes politiques”, en ce qu’elle “incarne parfaitement les nœuds de tension entre Pékin et Washington”.
L’article retrace la longue et sinueuse histoire industrielle et politique de l’application chinoise, en rappelant par exemple qu’à l’origine, TikTok a “profité de la présence essentielle de ressources américaines grâce aux plus grands noms de la Silicon Valley, désireux de saisir toutes les opportunités du marché chinois”.
La réflexion est impossible à résumer, mais elle a l’avantage de “donner une physionomie aux dates”, pour citer une merveilleuse phrase de Walter Benjamin. À commencer par celle du 17 octobre 2019, date à laquelle Mark Zuckerberg (Meta, ex-Facebook) a prononcé un discours important à l’université de Georgetown au cours duquel il s’inquiétait de la stratégie chinoise en matière d’Internet :
“La Chine construit son propre Internet sur la base de valeurs très différentes et exporte cette vision dans d’autres pays. Jusqu’à récemment, Internet dans presque tous les autres pays en dehors de la Chine était défini par des plateformes américaines avec des valeurs fortes de liberté d’expression. Rien ne garantit que ces valeurs l’emporteront. Il y a dix ans, presque toutes les grandes plateformes d’Internet étaient américaines. Aujourd’hui, six des dix premières sont chinoises”
Ce qui intéresse l’auteur, c’est de raconter l’émergence d’un conglomérat chinois qui rivalise avec les géants américains en violant une règle non écrite essentielle : “la séparation de l’écosystème chinois du reste de l’Internet mondial”. Pour les Etats-Unis, le réveil est brutal car TikTok force les penseurs du numérique à “abandonner l’idéalisme des années 1990 sur le cosmopolitisme numérique”, pour privilégier aujourd’hui une approche réaliste face à la Chine, qui refuse de suivre les règles d’un réseau ouvert.
À lire dans le détail !
Aux États-Unis, la précarisation des créateurs de contenu
Dans l’Opinion, on lit un long reportage sur le marché des influenceurs aux États-Unis, moins porteur qu’il y a encore quelques mois.
D’après un rapport publié l’an passé par Goldman Sachs, environ 50 millions de créateurs de contenu gagnent de l’argent grâce à cette activité. Pour la banque d’investissement, leur nombre devrait augmenter de 10 % à 20 % tous les ans d’ici 2028, congestionnant un marché déjà passablement saturé.
Comme attendu, le marché est structurellement pyramidal : en 2023, 48 % des créateurs de contenu américains avaient touché moins de 15 000 dollars sur l’année, selon l’agence de marketing d’influence NeoReach. Et seuls 13 % avaient passé la barre des 100 000 dollars.
Au-delà des partenariats avec les marques, qui concernent les influenceurs les plus célèbres, ces dernières années les créateurs de contenu ont pu être rétribués grâce aux plateformes :
“Le fonds créé par TikTok pour rémunérer les créateurs qui publient du contenu sur sa plateforme leur a versé un milliard de dollars entre 2020 et 2023. D’autres l’ont imité : Short, concurrent de TikTok et filiale de YouTube, les a rémunérés entre 100 et 10 000 dollars par mois grâce à un mécanisme temporaire. Même chose pour Instagram et le programme Reels Play, ou pour Spotlight, celui de Snapchat, qui versait un million de dollars par jour à ses influenceurs stars”
Sauf qu’aujourd’hui, les plateformes ont modifié la façon dont elles rémunèrent les créateurs de contenu. Pour être éligible au programme de TikTok, il faut désormais avoir au moins 10 000 followers et au moins 100 000 vues au cours du mois écoulé. De son côté, YouTube a lancé l’an passé un dispositif de partage des revenus publicitaires : les créateurs qui ont plus de 1 000 abonnés et 10 millions de vues de leurs Shorts sur les 90 derniers jours reçoivent 45 % des recettes engrangées par les publicités diffusées entre les posts.
Plusieurs témoignages de créateurs de contenu attestent d’une fonte de leurs revenus. Ainsi de Yuval Ben-Hayun, qui s’est fait connaître sur TikTok en 2020 pour ses vidéos sur Wordle, un jeu de lettres en ligne, avant de se diversifier dans les contenus linguistiques et pédagogiques. Début 2023, son activité lui rapportait quelque 4 000 dollars par mois. Il disait toucher entre 200 et 400 dollars par million de vues. Aujourd’hui, il dit que sa rémunération a baissé, alors que son nombre d’abonnés, lui, atteint désormais 2,9 millions : “les followers sont toujours là, mais l’argent a disparu : il y a peu, il n’a touché que 120 dollars pour une vidéo qui avait pourtant fait 10 millions de vues”
Comment comprendre le changement de rémunération des créateurs ? Risquons-nous à une hypothèse : les plateformes considèrent que les gens continuent de les regarder non pas pour la qualité des contenus publiés, mais pour la puissance de leur algorithme. D’où une autre répartition de la richesse créée …
Retour sur le succès du magazine Vieux
Le groupe CMI (Elle, Usbek&Rica, Franc-Tireur …) a récemment lancé une parution trimestrielle d’un magazine, intitulé Vieux, qui bouscule les codes de la presse senior et affiche l’objectif ambitieux d’atteindre les 100.000 exemplaires vendus.
Un pari remporté, pour cette première édition en tout cas, où 50.000 exemplaires supplémentaires ont dû être retirés pour faire face à la demande en kiosque.
Un pari audacieux dans son format, tout d’abord. Le magazine est annoncé en papier uniquement, dans un contexte où les audiences de la presse papier sont moribondes depuis plusieurs années. L’éditeur fait le choix du “magazine objet” (ou MOOK) qu'on conserve et reprend en main, et qui s’inscrit dans le temps long de la lecture posée, le soir ou le week end.
C’est, en effet, un bel objet (dos carré, papier couché mat, illustrations graphiques…) avec un contenu fourni (124 pages ) et varié à la croisée de trois territoires presse : Société (à l’instar d’un Society ou M le Mag), culture (Les Inrock), et Lifestyle (Vanity Fair, The Good life).
Le format digital n’est, pour l’heure, pas envisagé, peut-être une newsletter à venir pour garder le lien avec les lecteurs entre deux numéros. On pourrait leur suggérer de développer des podcasts en complément du titre papier, quand on connaît l’appétence de la cible pour ce format.
Un pari sur le ton, ensuite. Vieux s’illustre par le fait de parler autrement à cette frange de la population trop souvent ignorée par les marques, alors qu’ils sont une cible à forte valeur : près de 27 millions de Français ont plus de 50 ans, la moitié sont des classes aisées ou moyennes supérieures et leur fidélité aux marques est souvent plus importante que celle des plus jeunes. Ils se reconnaissent peu en revanche dans les communications et médias qui leur sont traditionnellement adressés (16% seulement selon une étude Ipsos).
Pour les adresser de manière plus actuelle, CMI use de l’autodérision et de l’impertinence revendiquée à l’image d’Antoine de Caunes, égérie et partie prenante de l’aventure, et qui embarque du people de cette génération en guise de plumes (Daniel Auteuil, Thierry Marx, Florence Foresti, Patrice Leconte …).
Mais si le magazine adresse clairement cette cible de seniors, c’est sans cliver ou enfermer dans une sorte de “communautarisme de vieux”, puisqu’il fait aussi intervenir de jeunes contributeurs pour enclencher le débat générationnel - comme les échanges entre Camille Etienne et Brice Lalonde, ou de l’interview de Salomé Saqué (Sois jeune et tais-toi).
Et si la cible assumée est également aisée et CSP+, la césure Paris /province, qu’on aurait pu imaginer, ne semble pas s’opérer au vu des résultats de ventes de ce premier numéro, pour lequel la province pèse pour 75% des ventes (soit son poids dans la population totale). Pas de clivage homme /femme non plus, tant dans le choix des contributeurs (parité dans ce premier numéro), que dans les rubriques traitées (société, culture, forme, beauté…).
Finalement, c’est un sujet de société plus global que met en avant ce lancement : l’invisibilité voire la discrimination médiatique de cette frange de la population alors que, quelles que soient les hypothèses formulées sur la mortalité, la fécondité et les migrations, la population française va vieillir. Selon le scénario central de l’Insee, la part des personnes âgées de 60 ans ou plus sera de 31,1 % en 2030 contre 20,6 % en 2000, tandis que celle des moins de 20 ans passerait à 22% contre 26% en 2000.
“Si on ne s’assume pas vieux, il y a peu de chances que la société prenne le sujet à bras le corps”, explique Véronique Fournier, cofondatrice du CNAV (conseil national autoproclamé de la vieillesse) : visibiliser cette population, c’est donc déjà un premier pas.
Les chiffres positifs de ce lancement confirment ils que la société est prête ? Ou ne reflètent-ils qu’une curiosité vis-à-vis de l’objet ? À suivre au prochain numéro …
CHAPEAU L’ARTISTE
Lay’s - Dog. Car. Window.
Sur un fond musical très seventies (Ride like the Wind de Christopher Cross), la marque de chips Lay’s propose une campagne décalée en mettant en avant la promesse marketing suivante : “Joy is a Simple Recipe”.
Pour l’illustrer, la publicité montre des images joyeuses de chiens à la fenêtre de voitures. Au triptyque “Dog - Car - Window”, recette de l’euphorie canine, Lay’s répond "Potato - Oil - Salt”.
Simple et efficace !
Biogaran Conseil - L’automédication
Une campagne aperçue à la gare Montparnasse, et signée Biogaran Conseil qui, par un dispositif très parlant, cherche à sensibiliser les Français sur l’automédication : “Vous pouvez essayer d’assimiler 6 ans d’études de pharmacie ou demander conseil à votre pharmacien”.
Alors que de plus en plus de Français déclarent prendre des médicaments sur leur propre initiative, la campagne incite les Français à passer plus de temps avec les pharmaciens pour adopter le bon usage des médicaments.
Une communication de santé publique plutôt efficace !
The Unheard Third - au Royaume-Uni, une campagne contre l’abstention
Repérée dans la dernière newsletter de Komando consacrée au “contre-pied”, cette jolie campagne réalisée par l’ONG Voting Counts à l’occasion des élections générales britanniques.
Le point de départ est le suivant : lors des dernières élections, en 2019, 33% des électeurs inscrits ne se sont pas rendus aux urnes, soit l’équivalent de 15,5 millions de personnes - ce qui en fait, de facto, le “plus grand parti” du Royaume-Uni.
Ni une, ni deux : Voting Counts a fondé le parti “The Unheard Third”, en menant une campagne “anti-recrutement” à base de slogans contre-intuitifs : “Le parti politique que vous ne devriez pas rejoindre”, “ne votez pas pour nous”, etc.
Malin !
DERNIÈRES PARUTIONS
Un livre : Ce que nous cache le mythe du pouvoir d’achat (Benoît Heilbrunn, Éditions de l’Aube)
Omniprésente dans le débat public, la notion de “pouvoir d’achat” est rarement interrogée. C’est chose faite grâce à ce petit livre de Benoît Heilbrunn, philosophe et professeur de marketing à ESCP Business School, qui propose une réflexion puissante sur la dimension politique et idéologique du pouvoir d’achat.
Apparue chez Adam Smith (“purchasing power”), la notion de pouvoir d’achat fait partie de nos exceptions culturelles, dans la mesure où il n’y a qu’en France qu’elle irrigue le débat social et politique. Elle serait devenue aujourd’hui un de nos grands mythes contemporains - au sens qu’en donnait Roland Barthes, à savoir un récit culturel qui se fait passer pour naturel. La thèse de Benoît Heilbrunn, c’est que la notion de pouvoir d’achat empêche de réellement penser la consommation dans sa dimension collective, les choix de société qu’elle sous-tend, pour se cantonner à une rhétorique infantilisante qui transforme systématiquement le client en victime qui n’en aurait pas suffisamment pour son argent.
En particulier, son essai pointe du doigt la responsabilité des acteurs de la grande distribution qui, en s’érigeant en chevaliers blancs du pouvoir d’achat, n’ont eu de cesse d’orienter le discours social sur la question du prix bas, de la promotion et de la bonne affaire - au détriment d’une vraie réflexion sur une consommation plus juste et plus respectueuse de l’environnement.
À lire … même sur la plage !
Une série : Becoming Karl Lagerfeld (Disney+)
Adaptée de l’excellente biographie de la journaliste Raphaëlle Bacqué (Kaiser Karl, Albin Michel), cette série Disney+ s’est penchée sur l’un des grands couturiers du XXe siècle, Karl Lagerfeld (décédé en 2019). Porté par un formidable Daniel Brühl, la série est centrée sur l’ascension d’un homme qui, à 38 ans, vit encore chez sa mère, oeuvre en qualité de freelance dans plusieurs maisons de couture, entièrement dans l’ombre de son ami Yves Saint-Laurent qui, lui, est au sommet de sa gloire. Après avoir pris la direction de la création de Chloé, Karl Lagerfeld fonde sa propre marque, avec le succès que l’on connaît.
Si l’intrigue tourne beaucoup autour de sa relation contrariée avec Jacques de Bascher, lui-même amant de son rival Yves-Saint-Laurent, l’intérêt de la série est de nous plonger dans le monde de la couture des années 1970-80, confronté au lent déclin des grandes maisons de haute-couture, challengées par des marques de prêt-à-porter plus contemporaines et, surtout, plus accessibles. Alors que Pierre Bergé (incarné par l’excellent Alex Lutz) défend la prééminence des premières, Karl Lagerfeld va devenir le chantre des secondes, qu’il voit comme une sorte de “nouvelle bourgeoisie qui régénère la vieille aristocratie”.
Passionnant !
Un podcast : “Le code a changé” (France Inter) avec Alain Damasio
Quand le plus grand écrivain français de science-fiction se penche sur le digital, ça ouvre forcément les esprits.
Dans son dernier livre (un essai, et non un roman), Alain Damasio raconte ses rencontres dans la Vallée du Silicium. Son tour du sujet n'est évidemment pas complet mais dès la manchette il nous annonce que "la matérialité du monde est une mélancolie désormais". Autre intuition, la multiplication des frontières terrestres s'accélère avec la multiplication des walled garden et des espaces loggés du digital.
Ni technophobe, ni technophile, son bouquin navigue entre différents sujets - l'IA, le code, les voitures autonomes, le monitoring de nos vies, le corps.
En l'écoutant, on réalise que le langage va sans doute être la meilleure interface homme machine, alors que toute la science-fiction est envahie depuis des décennies de robots, machines, androïdes sensés nous parler. Pour lui, "le smartphone a rebouté Sapiens".
Dans le monde des technologies, la projection dans le futur est une part essentielle du fantasme, comme dans la SF et en particulier le cyberpunk. "Mais cette promesse a été trahie, l'algorithme est un allorithme," (préfixe qui veut dire autre, ce qui est d'une nature différente), un phénomène étranger à soi.
Il propose donc de reconstituer le lien au vivant, en allant vers le BioPunk, nouveau défi pour les auteurs de SF : une technologie conviviale telle que définie par Illich, plus accessible, moins énergivore, qui accroit notre capacité à faire, qui ne crée ni maitre ni esclave, qui t'"évaste" - dans le sens où ça te permet de faire des choses plus grandes que toi. Tout ce que l'IA peut t'offrir si tu t'y prends bien et si tu la traites comme un sujet, quitte à devenir animiste, alors que ce n'est qu'une simulation.
Avec le progrès dans la science du vivant, on sait que les animaux rient, pensent, créent, parlent, peuvent avoir une forme de spiritualité. Entre l'IA et eux, l'espace singulier des humains se réduit de plus en plus, nous incitant à (re)tisser tout un continuum du vivant et de l'esprit.
Au bout du podcast, on a l'impression d'avoir voyagé dans la tête de gens du futur, mais surtout l'envie de lire le bouquin dans lequel le romancier ne se prive pas de glisser quelques ouvertures poétiques et punchlines inspirantes.
C’est tout pour aujourd’hui ! Rendez-vous à la rentrée pour un nouveau numéro de la CORTEX NEWSLETTER. Bel été à tous !
En attendant, n’hésitez pas à vous abonner pour recevoir les prochains numéros directement dans votre boite mail.