Les requêtes Google de l’année 2023, la “dignité numérique”, l’illusion du voyageur, La Distinction aujourd’hui, une chaîne d’info continue 100% IA, les Français comme migrants climatiques, Squeezie x Hugo Décrypte sur France 2, prix réels vs prix ressentis, Léon Blum critique théâtral et un éloge de la plonge … Elles ont fait (ou pas) l’actualité, voilà la veille des idées de janvier 2024.
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L’ANNÉE ÉCOULÉE, CELLE QUI VIENT
Google dévoile les requêtes les plus populaires de l’année 2023
Tous les ans, Google Trends dévoile un classement des requêtes les plus populaires de l’année écoulée. Précision importante sur la méthodologie : comme le précise Le blog du modérateur, le classement n’intègre pas les requêtes ayant connu le plus gros volume de recherches, mais celles qui ont suscité le plus d’intérêt entre 2022 et 2023. Nous avons jeté un oeil sur les résultats français, et plusieurs tendances se dégagent.
1/ La prédominance de l’actualité anxiogène - disparition (Émile, Lina), faits divers (Pierre Palmade / chemsex), guerre (Israël, Hamas, kibboutz), catastrophes naturelles (tempête Ciarán, séisme Maroc) … Ce qu’on cherche d’abord sur Google, ce sont des réponses à des questions que l’on se pose après avoir entendu parler d’un évènement anxiogène.
2/ Un assortiment de préoccupations quotidiennes plus anodines - le food and beverage (“restaurants où manger sain ?”, “qu’est-ce que le bubble tea ?”), le fear of missing out de personnalités (“qui a gagné l’Eurovision 2023 ?”, “qui a gagné Koh Lanta 2023 ?”, “qui a gagné le Ballon d’or 2023 ?”),
3/ On notera que les préoccupations politiques sont de trois ordres : technologique (“ChatGPT”), géopolitique (“Guerre Israël Hamas”) et démocratique (“Motion de censure c’est quoi ?” et “49.3 c’est quoi ?”)
4/ Pour le plaisir, un petit florilège de quelques questions WTF : “Comment est mort Mickey Mouse ?”, “Où se trouve la Namibie ?” ou “Pourquoi les tronçonneuses ont été inventées ?”
On y a beaucoup réfléchi, et on en tire une conclusion : pour les annonceurs, ce n’est pas vraiment une base d’insights exploitables. Un conseil pour 2024 : ne partez pas des tendances Google pour proposer quelque chose !
Palmarès des audiences TV : sport et fiction française en force
En partenariat avec Médiamétrie, le journal Les Echos a publié le palmarès des audiences TV de l’année 2023. Plusieurs éléments se distinguent :
1/ La baisse du média télévision se confirme. “Cette année, pour entrer dans ce Top 100, il fallait 5,4 millions de téléspectateurs au minimum, contre 5,8 en 2022 et 6,2 millions en 2021” précise l'article qui, citant les données de Publicis Media, rappelle que la durée d’écoute a baissé de 10% en cinq ans.
2/ Le sport écrase tout. Les matchs de la Coupe du monde de rugby (ou émissions afférentes, comme l’avant-match) dominent largement le classement, avec 9 places sur les 10 premières. La Palme d'or revient au match entre la France et l'Afrique du Sud qui a réuni 16,5 millions de téléspectateurs (et plus de 60 % de part d'audience sur TF1).
3/ La fiction française cartonne, en trustant 42 places du Top 100 contre 37 l'an dernier, ce qui fait d’elle le premier genre télévisuel devant le sport (38 rangs). En particulier, la série HPI (sur TF1) s’impose comme un véritable banger : ses épisodes réunissent entre 8 et 10 millions de téléspectateurs en direct. Deux phénomènes observés depuis quelques années se confirment : il n'y a aucune série étrangère dans les 100 programmes les plus regardés, et le cinéma est quasiment absent (seulement deux films dans le Top 100, comme en 2022 : “Pourris gâtés” et “Antoinette dans les Cévennes”).
Alors que l’année 2024 sera un “millésime français” particulièrement marqué par le sport (Euro de football, JO de Paris 2024), les marques ont tout intérêt à s’associer d’une manière ou une d’autre à ces “fiertés françaises” …
“Les idées de demain” de Philosophie magazine
À la fin de chaque année, Philosophie magazine publie une sélection de textes de grands penseurs contemporains parus dans la presse internationale tout au long de l’année écoulée. Avec l’idée que ces idées nous offrent de précieux outils pour comprendre de quoi l’année qui vient sera faite. De ces 127 pages de réflexions condensées, nous en tirons plusieurs idées-forces.
Dans un entretien au New Yorker, l’informaticien et essayiste américain Jaron Lanier revient sur son concept de “dignité numérique” (data dignity), conçu “comme une alternative à l’organisation actuelle, dans laquelle les gens donnent gratuitement leurs données en échanges de services gratuits, comme les recherches internet ou les réseaux sociaux (…). Les utilisateurs font l’expérience d’un paradis communautaire, mais ils sont criblés par des algorithmes discrets et addictifs qui rendent les gens vains, irritables et paranoïaques”. Il voit dans la dignité numérique, qui nécessiterait une vaste recherche technique et une ambitieuse politique d’innovation, une façon de répondre aux angoisses liées à l’IA.
Pour Prospect Magazine, le philosophe Julian Baggini pose une question provocante : faut-il interdire les milliardaires ? Pour y répondre, il déploie un concept forgé par la philosophe politique belge-néerlandaise Ingrid Robeyns : le “limitarisme”, selon lequel “personne ne devrait posséder plus qu’un certain plafond de biens”. Tout l’intérêt, c’est qu’il ne s’agit pas d’un énième concept idéologisé, mais d’une critique se disant porter sur le fonctionnement du système :
“Si pour l’essentiel la philosophie politique moderne est fondée sur des théories - elle établit des principes de justice, puis les applique -, Robeyns adopte une démarche “fondée sur les problèmes”, faisant valoir que le limitarisme répond à de nombreux besoins pressants (pauvreté, changement climatique, démocratie). La philosophe explique donc que si “certaines interventions peuvent régler des problèmes non résolus et exigent des ressources financières, l’excédent d’argent devrait servir à satisfaire ces besoins”
La philosophe américaine Agnes Callard, quant à elle, publie un texte intitulé “L’idiotie du voyage”. Battant en brèche les vertus traditionnellement associées au tourisme (élévation, découverte, formation du caractère, ouverture à l’autre), elle développe un discours anti-tourisme radical, s’appuyant sur des auteurs comme G.K. Chesterton (“Le voyage rétrécit l’esprit”) ou Fernando Pessoa (“Seule l’extrême pauvreté de l’imagination justifie de devoir se déplacer pour ressentir”). Le point clé de sa démonstration est ce qu’elle appelle “l’illusion du voyageur” :
“En réalité, nous savons déjà comment nous serons à notre retour. Partir en vacances, ce n’est pas comme immigrer dans un pays, s’inscrire à l’université ou commencer un boulot. Nous nous lançons dans ces entreprises avec l’excitation de qui entre dans un tunnel sans savoir comment il sera quand il en sortira. Le voyageur, lui, part avec la certitude qu’il reviendra avec les mêmes centres d’intérêt, les mêmes convictions et le même quotidien. Le voyage est un boomerang. Il vous renvoie à votre point de départ”
ACTUALITÉS DE LA CONSO
Bourdieu aujourd’hui : “La Distinction” réactualisé
Publié en 1979, La Distinction est un classique des sciences sociales : toute la puissance théorique de l’ouvrage du sociologue Pierre Bourdieu est de proposer une nouvelle grille de lecture permettant d’avoir une description plus fine des rapports de domination que la seule vision “classiste” (riches contre pauvres). Sa thèse : en plus du capital économique, ce qu’il appelle le “capital culturel” joue un rôle structurant de différenciation entre des catégories d’individus. “Les sujets sociaux se distinguent par les distinctions qu’ils opèrent entre le beau et le laid, le distingué et le vulgaire”, écrit-il.
45 ans plus tard, le journal Marianne a eu le culot de proposer une “actualisation” - et ce, à l’aide d’une vaste étude menée par l’institut de sondage Cluster 17. Les résultats ont permis de reproduire le fameux graphique “synoptique” bâti par Bourdieu : en ordonnée, le capital total (économique + culturel) ; en abscisse, la composition du capital des individus (+ culturel qu’économique sur la partie gauche, + économique que culturel sur la partie droite). Le tout, avec des items so 2024 : TPMP, CNews, Jul mais aussi l’astrologie, les films Marvel ou la danse country …
Le journal y consacre un dossier de pas moins de 20 pages, gorgées d’analyses et de graphiques en tout genre. Il a eu, en plus, la bonne idée de réaliser un long entretien croisé de deux spécialistes de Bourdieu (Jean-Laurent Cassely et Frédéric Lebaron) pour les faire réagir sur les résultats.
Voilà quelques points saillants à retenir :
1/ La fracturation des modes de vie. Sur le graphique ci-dessus, on remarque un nombre important de duos dont le premier est aux antipodes du second : “Je n’ai pas de voiture” vs “SUV”, “Twitter” vs “Journal de 20h”, “Annie Ernaux” vs “Guillaume Musso”, “Pastis” vs “Grands crus”. Marianne nuance le propos en parlant de “la chimère de la culture consensuelle”, qui n’a jamais existé.
2/ La permanence des structures. “Si les contenus ont changé, écrit le journaliste Louis Nadau, la structure globale du nuage de points reste très similaire”. Comprendre : en 45 ans, la République sociale, ses institutions, son école, ont été incapables d’atténuer le poids des déterminismes sociaux dans le rapport à la culture des Français.
3/ Une hybridation montante des goûts et des pratiques. Jean-Laurent Cassely prend l’exemple de Johnny ou de Goldman, des chanteurs jadis décriés et qui jouissent aujourd’hui d’un statut de patrimoine national : “Les aimer n’est plus très différenciant. C’est plutôt ne pas les aimer qui l’est”.
4/ Un nouveau type de domination : “l'omnivore culturel”. En 2002, dans un article intitulé “Les cretons autant que le caviar, ou l’érosion des hiérarchies culturelles”, les sociologues canadiennes Viviana Fridman et Michèle Olivier posaient l’hypothèse d’une nouvelle figure de dominant culturel : celui qui mange de tout, s’habille partout, écoute de toutes les musiques. “Une ouverture ostentatoire à la diversité a remplacé, chez les classes cultivées, la consommation ostentatoire de produits coûteux comme stratégie de distinction” écrivaient-elles.
On peut regretter qu’il n’y ait aucune mention de volumétrie : que pèsent respectivement les quatre catégories retenues (les bobos, les bourges, les dominés, les popus), dans la mesure où il est bien entendu qu’il n’y a pas d’équipartition ? Sans ce type d’indication, cette typologie risque d’être inutile pour les marques.
La shrinkflation : débats croisés
Le concept est sur toutes les lèvres depuis la rentrée de septembre dernier : la “shrinkflation”, ou le fait d'en fournir moins pour le même prix. Pour y voir plus clair, la Fondation Jean-Jaurès a publié deux notes sous la forme de regards croisés.
La première note est rédigée par Sophie Coisne, du magazine 60 millions de consommateurs, et revient sur "ce concept qui ne passe pas" auprès des consommateurs. Elle montre que c'est le manque de transparence de la part des industriels qui suscite l'indignation - comme en témoignent les publications du groupe Facebook "Shrinkflation et dérive Fr dénonce". Plus encore que l'inflation elle-même, c'est l'idée de se faire berner par une inflation masquée qui déclenche les passions.
Dans un article passionnant à paraître dans Marketing Science, le chercheur Ioannis Evangelidis a voulu savoir s'il existait des situations dans lesquelles le consommateur pouvait trouver la shrinkflation juste. Les résultats sont intéressants :
"Ils montrent tout d’abord que le consommateur est davantage déçu par la shrinkflation d’un produit plutôt que par une simple augmentation de prix, même si l’une et l’autre aboutissent à une même hausse de prix. Cette déception repose sur l’inquiétude de ne pas repérer la manœuvre (...). Autre résultat : l’aversion du consommateur pour la shrinkflation est diminuée si l’industriel est transparent et qu’il communique sur la réduction de volume combinée au maintien du prix. S’il évoque des difficultés économiques à l’origine de ce changement, la pilule passe encore mieux : il s’agit du seul cas de figure où le consommateur peut trouver la shrinkflation juste"
De son côté, la note de Philippe Goetzmann propose une réflexion sur ce qu'il appelle "l'impossible débat sur la baisse des volumes". Dénonçant un "emballement médiatico-politique excessif", il rappelle que seule une centaine de références sont concernées, sur un total de 30 000 références de produits alimentaires dans un hypermarché - soit 0,3% de l'offre présente en magasin.
Pour lui, le débat sur la shrinkflation est tronqué : "Il ramène la consommation à une simple transaction autour d’une quantité de matière". Et appelle à déplacer la focale sur les tendances structurantes de la consommation alimentaire :
"Entre perte de la dynamique démographique, évolution des besoins et réduction de l’écart entre consommation et achat, le monde de l’agroalimentaire doit s’attendre à une baisse de volume qui, à horizon 2030, pourrait dépasser largement les 10%. Faire ce mouvement de baisse à prix/kg identique revient à faire entrer la filière alimentaire en décroissance"
Surtout, Philippe Goetzmann défend l’idée que la shrinkflation est la moins pire des solutions pour 1/ financer des transitions écolo 2/ réduire le gaspillage, le tout sans faire gonfler les prix. Exemples dans l’Opinion :
“Le yaourt pèse, depuis des décennies, 125 grammes. Une bouteille de vin, c’est 75 centilitres. « Nous ne nous porterions pas plus mal avec des yaourts de 110 g, plus adaptés aux enfants et qui ne retirerait rien au plaisir du dessert. Des bouteilles de vin de 60 cl contribueraient à la sobriété, mais cela éviterait aussi le “dernier verre pour l'évier”. La “shrinkflation” a eu lieu avec succès avec le café en dosettes ou la lessive en tablettes. Les prix au kilo ont certes augmenté… Mais le gaspillage a été considérablement réduit. Dans ces deux cas, désormais, le prix correspond à un usage net et précis, pas à un poids de produit”
Dans tous les cas, on notera qu’en ce début d’année 2024, le gouvernement a déclaré vouloir passer un décret pour contraindre les supermarchés à signaler explicitement les hausses de prix maquillées par les baisses de quantité.
SIGNAUX FORTS
Une vaste enquête Ipsos sur les idées reçues
Une enquête Ipsos pour les Entretiens de Royaumont, conduite auprès de pas moins de 10 000 personnes dans onze pays, s’est penchée sur les idées reçues. Son constat : “Les écarts entre réalité et perception sont souvent considérables”.
Application : quand on demande aux Français quel est, selon eux, le pourcentage de la richesse totale que possèdent les 1% les plus riches, ils répondent 44%, contre 13% en réalité. L’écart est moins important en Allemagne (33% vs 10% en réalité) ou aux États-Unis (21% vs 43% en réalité), mais nettement plus prononcé au Royaume-uni (45% vs 10% en réalité).
L’enquête fait également le point sur l’état des croyances plus irrationnelles. En moyenne, un quart de la population interrogée déclare croire personnellement à l’existence des fantômes, de la voyance et de la sorcellerie. Et (toujours en moyenne), près de la moitié de la population exprime une défiance vis-à-vis des scientifiques : en France, 40% des interrogés déclare que “pour savoir si un fait est vrai ou faux scientifiquement, je fais plus confiance à mon expérience et à mes recherches personnelles qu’aux explications des scientifiques” - la proportion atteint 53% aux États-Unis, 54% en Allemagne et même 60% en Pologne.
Au fond, un nouveau clivage semble s’imposer pour les marques : réel vs imaginaire. Est-ce que les marques doivent travailler à faire émerger les faits, ou à continuer dans le fantasme ou le subjectif ?
Migrer pour des raisons climatiques : une partie des Français y songent déjà
Lu dans L’Express. Selon l’Obs’COP 2023, le baromètre annuel de l’opinion sur le climat publié par EDF, 8 % des Français sont certains de devoir déménager dans les dix ans qui viennent en raison du changement climatique. Et 15 % l’envisagent comme une probabilité.
Mais une autre peur émerge, précise le magazine. La France fait partie des pays qui s’attendent le plus certainement à l’arrivée de migrants climatiques sur leur sol (32 %), devant l’Italie (25 %) et à égalité avec l’Inde ! Elle fait aussi partie, avec la Pologne, le Japon, l’Allemagne et la Turquie, des pays les plus fermés face à ces nouvelles arrivées car seuls 26 % des sondés s’y montrent favorables.
ACTUALITÉS MÉDIA
La mesure de l’audience de la télévision se transforme pour être plus exhaustive
Le 1er janvier 2024 est une date historique pour la mesure d’audience de la télévision, le Médiamat. Après une première étape en mars 2020, où l’audience de la télévision hors domicile sur tous les écrans a été intégrée à la mesure, ce sont désormais les écrans internet à domicile qui sont pris en compte. Le périmètre du Médiamat sera par ailleurs élargi aux foyers non équipés d’un téléviseur. Ces évolutions s’inscrivent dans un contexte de très forte digitalisation de la consommation de la TV, désormais regardée sur tous les supports.
« Ces deux évolutions majeures et concomitantes sont l’aboutissement d’un important programme de transformation de la mesure d’audience de la télévision. Après l’intégration de l’audience hors domicile tous écrans, en mars 2020, le Médiamat couvrira un périmètre de mesure France entière, soit 62,4 millions d’individus âgés de 4 ans et plus. Plus de foyers et d’écrans mesurés, c’est mécaniquement plus de téléspectateurs et de contacts avec le media TV. Médiamétrie garantit ainsi au marché et à ses clients, chaînes de télévision, régies publicitaires, agences, annonceurs, une mesure toujours plus complète, pour piloter au plus près leurs contenus éditoriaux et leurs stratégies publicitaires. » (Laurence Deléchapt, Directrice TV & Cross Médias de Médiamétrie)
Le marché est en train de se familiariser avec ces nouveaux repères qui sont davantage représentatifs de la réalité de la consommation TV. Tous les points de contact télévisuels sont ainsi mieux appréhendés.
Ces évolutions de la mesure TV sont le préalable à la mise en place de la future mesure cross médias tant attendue par le marché publicitaire dans le courant de l’année 2024. Affaire à suivre, donc.
Squeezie x Hugo Décrypte sur France 2 : anatomie d’une chute
« Tu connais la différence entre le cinéma et la télévision ? Au cinéma ce sont des célébrités qui jouent les anonymes, à la télé, ce sont des anonymes qui deviennent des célébrités. »
Dans Téléréalité, le romancier Aurélien Bellanger transformait en épopée l’ascension télévisuelle du duo Stéphane Courbit & Arthur - des Enfants de la Télé au Loft, des années 1990 à 2000, de la Drôme aux yachts sur la Méditerranée.
Vingt ans plus tard, France TV fait venir le streamer et journaliste Hugo Décrypte sur ses chaînes pour tenter de rajeunir ses audiences « Leur télévision s’appelle souvent YouTube. Et leur réflexe d’info se situe sur les réseaux sociaux. »
L’annonce de sa venue a suscité un nombre impressionnant de reprises média. Le samedi 23 décembre, pour sa troisième “interview face cachée” sur France 2, Hugo Décrypte recevait entre 20h30 et 21h “l’homme le plus regardé de France” dixit Télérama, celui qui pèse 18 millions d’abonnés sur YouTube : Squeezie. Logique, tant celui qui fait l’unanimité parmi les 15-24 ans, celui qui de Twitch à YouTube, détient le record de vidéos vues en 2023.
Si Aurélien Bellanger devait, après celle du minitel et de la TV, romancer l’ère du streaming, nul doute qu’il choisirait lui aussi Squeezie. L'incarnation d'une époque, un reflet de la société de consommation et de la culture populaire.
Patatras : en trente minutes, l’interview a fait fuir près de la moitié des audiences, en passant de 4 millions de téléspectateurs en fin de JT à moins de 2 millions à la fin du programme.
Sur le réseau social X, le journaliste Vincent Glad s’est penché sur le phénomène. Pour lui, l’explication tient en un chiffre : la moyenne d’âge des téléspectateurs de France 2 est de 63 ans - loin, très loin, des abonnés de Squeezie. “Le gouffre entre les audiences télé et internet semble de plus en plus béant” commente-t-il.
Channel 1, une chaîne d’info en continu 100% IA
Lu dans Stratégies. Channel 1, une chaîne d’info en continu 100% incarnée par des présentateurs virtuels, émettra dès mars 2024 sur le réseau social X.
Une vidéo explicative d’une vingtaine de minutes, incarnée par des présentateurs virtuels, a donné des premiers éléments du projet. La chaîne cherche à rassurer, en certifiant que “toutes les informations relayées sur Channel 1 s’appuieront sur des sources vérifiées et recoupées”. Les reportages présentés seront réalisés par de (vrais) journalistes et les sujets abordés par les présentateurs proviendront de communiqués de presse ou de rapports gouvernementaux.
Surtout, Channel 1 avance que l’intégration de l’IA dans les médias permettra de réelles avancées :
“La chaîne met en avant que l’utilisation de l’IA permettra de délivrer l’information de manière adaptée, personnalisée et localisée. Ainsi chacun pourra définir les contours de son JT, des thèmes abordés à l’apparence du présentateur virtuel.
Si Channel 1 explique qu’elle pourra retransmettre des duplex avec des reporters du monde entier sur le terrain, qui pourront être traduits dans n’importe quelle langue, elle explique aussi qu’elle pourra diffuser des images d’évènements auxquelles les caméras n’ont pas accès en les générant grâce à l’intelligence artificielle. Les traductions et les images générées seront accompagnées d’une mention « AI generated image »”
Après avoir disrupté le marché de la musique, Spotify s’attaque aux livres
Dans le New York Times, on lit une analyse détaillée sur la nouvelle fonctionnalité audiobooks proposée par Spotify (disponible depuis novembre aux États-Unis). L’inquiétude, c’est que Spotify fasse au marché du livre ce qu’il a fait au marché de la musique.
D’abord, la réplication de l’effet concentration observé dans le domaine musical, selon la logique du “Winner Takes All”. En 2020, une étude avait montré que 90% des royalties versées par Spotify avait été accordées à 0,8% des artistes. Au détriment, donc, de l’écrasante majorité des artistes, laissés sur le carreau. “Le résultat, écrit l’article, c’est une détérioration graduelle de notre culture et de notre mémoire collective”.
Ensuite, la destruction de la valeur totale du marché. En 2022, le marché des musiques nouvelles a décru, et The Atlantic a même montré que les chansons anciennes représentaient désormais 70 % du marché musical américain (!).
“Streaming royalties are a pittance compared with à la carte sales — the pricing model changed a decade ago to Spotify’s monthly fee (currently $10.99) for access to millions of songs from around $10 for a downloaded album, $13 for a compact disc and $24 for a vinyl record. As a result, many would-be musicians cannot afford to pursue their art”
D’autant qu’on apprend que les auteurs ne seront payés intégralement que si les utilisateurs terminent le livre. “Si quelqu’un n’écoute qu’une partie du livre, l’auteur n’est payé que pour le temps pendant lequel la personne l’a écouté. Étant donné que de nombreux livres sont vendus mais ne sont jamais terminés, de nombreux auteurs gagneront probablement beaucoup moins avec ce modèle”.
D’où ce cri du coeur lancé en conclusion de l’article :
“In the best of times it’s hard to make a living as a writer or a musician. The best of times these are not. Now more than ever, we need new music and ideas to remind us of our shared humanity. We need to feed — not starve — our artists”
CHAPEAU L’ARTISTE
L’Oréal s’engage contre le harcèlement de rue
Repéré par Creapills, un exercice de créativité média de la part de l’Oréal Belgique. Alors qu’en fin d’année les rues de Bruxelles arborent traditionnellement des messages du type “Joyeuses fêtes”, cinq installations suspendues de la rue Botanique ont été repensées avec… des remarques sexistes. L’objectif ? Dénoncer le harcèlement de rue que subissent au quotidien des milliers de femmes.
“Une idée créative en collaboration avec le collectif Touche pas à ma pote, et qui a vu le jour suite à une étude menée auprès de 1000 femmes par le groupe de cosmétiques français qui a notamment mis en lumière qu’en Belgique, 95% ne se sentent parfois pas en sécurité dans la rue et que 91% des jeunes femmes bruxelloises ont déjà été harcelées sexuellement dans des lieux publics”
Leclerc - Prix réels, prix ressentis
En météo, il y a température et température ressentie … Et si pour les prix, c’était pareil ? C’est l’insight malin que tire la dernière campagne Leclerc pour les fêtes de fin d’année. Ses spots publicitaires sont structurés autour du même schéma :
Acte 1 - le prix réel : un individu / un couple / une famille se réjouit de faire une bonne affaire, en acquérant un bien consommable Leclerc pas cher (une truite fumée éco+, une bûche Marque Repère) ;
Acte 2 - le prix ressenti : au moment de les goûter, les convives s’extasient devant la qualité des produits, en étant reconnaissant que leurs hôtes aient su mettre le prix (“De la truite comme ça, on n’en mange pas tous les jours ; tu as fait des folies, ma fille !” ou “Y’a pas à dire, quand on y met le prix, y’a la qualité !”)
Morale de l’histoire : le bon n’est pas forcément cher. Simple, mais joliment mis en scène.
La Fondation allemande d'aide à la dépression
Repérée par la newsletter Komando, la dernière campagne de la German Depression Aid Foundation, destinée à “éliminer les tabous entourant cette maladie” dont souffrent 5 millions d’Allemands. Le principe : des affiches à double lecture, pour montrer que l’une des caractéristiques de la dépression, c’est qu’elle est difficile à identifier de l’extérieur.
Puissant !
DERNIÈRES PARUTIONS
Un essai : “Le théâtre de Léon Blum” (Milo Lévy-Bruhl, L’Aube)
On le sait peu, mais le leader du Front populaire a été, au début du XXe siècle, l’un des plus importants critiques dramatiques de son temps. Dans un essai captivant, Milo Lévy-Bruhl, doctorant en philosophie politique, a sélectionné et présenté une trentaine de critiques théâtrales de Léon Blum, parmi les plus de 800 qu’on lui connait.
Ce que Lévy-Bruhl montre avec brio, c’est que Blum utilise la critique théâtrale comme un prolongement de son engagement socialiste, en devenant le premier “critique socialiste du théâtre bourgeois”. L’idée est la suivante : investir le lieu de la bourgeoisie pour l’influencer, et la ramener dans le camp du socialisme démocratique. Constatant avec effroi, lors de l’Affaire Dreyfus, qu’une partie importante de la bourgeoisie marquait une dangereuse tendance réactionnaire, Blum s’est donné pour objectif de montrer, au sein de ses propres productions culturelles, tout ce qui signalait un besoin de socialisme.
Un seul exemple pour bien comprendre : dans sa critique de la pièce de Maurice Donnay, Le retour de Jérusalem, Blum pointe la trajectoire antisémite de la bourgeoisie, en réussissant le tour de force de « relever l’incohérence d’une pièce par une stricte analyse interne de l’évolution de ses personnages et de son intrigue ; s’en servir pour dévoiler les tendances historiques nouvelles de la bourgeoisie ; s’y opposer ; et en même temps, rappeler cette même bourgeoisie à ce qui fut sa grandeur ». Il agira de même sur d’autres thématiques : comme « aveugle à son propre mouvement historique », il rappelle, toujours par le théâtre, que la bourgeoisie s’est jadis battue pour le droit des individus, le recul de l’influence de l’Église, la justice en lieu et place de la charité, etc.
À lire !
Un film : Le plongeur (Francis Leclerc)
Cinquième long métrage du réalisateur québécois Francis Leclerc, Le plongeur capte de manière saisissante la spirale infernale de l'addiction aux jeux de Stéphane, un étudiant de 19 ans à Montréal. Au lieu d’aller en cours, il passe ses journées devant les machines à sous, dilapidant tout son argent non pas tant dans l'espoir de toucher le jackpot que pour l’adrénaline que cela lui procure.
Pour rembourser ses dettes, Stéphane travaille comme plongeur dans un grand restaurant, La Trattoria. Et c’est là où le film devient sociologiquement intéressant : derrière l’ambiance feutrée, cosy et sereine de la salle de restaurant, peuplée de clients fortunés, la cuisine se révèle être, à l’inverse, un univers où on hurle, on stresse, on s’épuise, et où se croisent des individus de milieux très différents : une journaliste qui a lâché la plume, un dealer d’amphétamines, un immigré … La puissance du film, c’est de nous faire découvrir l’univers de la restauration depuis le poste très particulier de la plonge. Métier ingrat par excellence (le sociologue Denis Maillard parlerait du “back office” de la restauration), le film ne cache pas sa dureté, mais sait parfaitement montrer la franche camaraderie qui s’en dégage, ainsi que la fierté du travail bien accompli : une plonge bien faite est indispensable au bon fonctionnement de l’ensemble du restaurant.
Un film qui fait chaud au coeur !
Un documentaire : "Nos futurs” (Canal+)
Passionnant docu-série où Canal+ se projette en 2080 sur la base d'entretiens avec des experts scientifiques pour imaginer les évolutions dans quatre grands domaines : se soigner, se déplacer, se nourrir, se divertir.
Si de nombreuses anticipations convergent (montée en puissance de l'IA et de la connectivité via la data, raréfaction des matière premières, croissance de la population, enjeux climatiques...), l'intérêt du traitement est d'envisager les points de bascule entre des scenarii (très) optimistes et d'autres plus pessimistes voire cauchemardesques.
Par exemple, quelle frontière établir entre “réparer” et “augmenter” dans le domaine médical ? Qui prend le contrôle des données et de leur exploitation ? Quel équilibre entre libertés individuelles et bien commun (les assurances imposeront-elles une surveillance nutritionnelle au risque d'annihiler tout plaisir de notre alimentation ?) ? Qui contrôlera les mondes virtuels et avatars ?
Au-delà des capacités technologiques (la lentille connectée semble s'imposer comme mode de communication entre l'homme et son environnement dans l'ensemble des épisodes, le métaverse devient l'espace des nouvelles formes de divertissements immersifs, mais les nouvelles mobilités font appel aux Hyperloop et drones taxis plutôt qu'à de la téléportation...), c'est donc plus l'éthique et les choix de société que nous ferons qu'interroge cette série.
C’est tout pour aujourd’hui ! Rendez-vous le mois prochain pour un nouveau numéro de la CORTEX NEWSLETTER.
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