La “shrink-consommation”, l’essor des fast-foods, “The Creative Quality Score”, le succès fou du MMA, le nouveau clivage écologique, le phénomène “Frenchie Shore”, le Dévendeur, “Ça craque”, Undeclared war et le retour de Starmania… Elles ont fait (ou pas) l’actualité, voilà la veille des idées de décembre 2023.
Bonne lecture !
Temps de lecture estimé : 15 minutes
ACTUALITÉS DE LA CONSO
Mener une vie au rabais : pour les classes moyennes, l’heure de la “shrink-consommation”
Une note publiée par la Fondation Jean-Jaurès et co-rédigée par Jérôme Fourquet (Ifop), Marie Gariazzo (Ifop) et Samuel Jéquier (Bona Fidé) se penche sur le ressenti de ce qui constitue aujourd’hui encore le coeur battant de la société française : les classes moyennes. Les analyses, fort riches, se basent sur une enquête sociologique menée par l’Ifop, croisant du quanti et du quali. Surtout, l’enquête permet de mesurer les évolutions depuis 2010, date à laquelle l’Ifop avait réalisé une enquête similaire, dans un moment où le pays était confronté à une grave crise économique.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés.
1/ Près des 2/3 des Français s’auto-positionnent toujours dans le grand bloc central. Dans le détail, 7 % des Français estiment appartenir aux Défavorisés (+3 pts depuis 2010), 30 % aux catégories modestes (+1 pt), 33 % aux classes moyennes inférieures (+11 pts), 19 % aux classes moyennes véritables (-8 pts), 10 % aux classes moyennes supérieures (-3 pts depuis 2010), et 1% aux favorisés (-1 pt).
Dans une société que l’on décrit souvent comme fracturée, l’auto-positionnement central reste majoritaire : “la classe moyenne reste un cadre rassembleur, qui continue de faire sens” concluent les auteurs, qui notent toutefois un phénomène sociologique majeur : en treize ans, les classes moyennes véritables ont été aspirées vers le bas, vers les classes moyennes inférieures. “Une traduction concrète, dans les représentations, de la panne de l’ascenseur social mais aussi d’une fragilisation économique touchant de nombreux Français”.
2/ Face à la perte de capacité économique, des stratégies d’adaptation. Ayant intégré que leur situation de dégradation de leur revenu était durable, de nombreux concitoyens ont développé des comportements nouveaux, parmi lesquels ce que les auteurs appellent “l’économie de la débrouille”: un Français sur cinq (un sur deux au sein des catégories défavorisées) dit être régulièrement aidé par des proches. Pas moins de 9 % de la population vend des objets ou des vêtements au moins une fois par semaine via des plateformes (type LeBonCoin ou Vinted). “Comme un retour en grâce de ces marchés paysans d’antan, on constate depuis quelques années un très fort développement des vides-greniers, braderies et autres foires-à-tout” - près de 50 000 braderies et vides-greniers sont organisés chaque année en France !
3/ Extension du domaine de renoncement. C’est la partie de l’étude la plus fouillée, et la plus glaçante, aussi. 53 % des sondés déclarent renoncer « très souvent » ou « assez souvent » à acheter certains produits ou certaines marques en raison de leur prix, quand 32 % le font de « temps en temps ». Seuls 15 % des Français ne sont jamais ou rarement confrontés à cette situation.
“Le renoncement à certains produits ou marques est donc aujourd’hui massivement répandu dans la population française, mais cette expérience est très inégalement vécue dans les différentes catégories de la population et elle constitue ainsi un marqueur social très segmentant dans notre société de consommation (…). On touche ici sociologiquement un point très important. Dans notre société de consommation, le seuil d’accès à la classe moyenne véritable se matérialise par le fait que le renoncement fréquent à l’achat de produits ou de marques en raison de leur prix devient minoritaire”
Les auteurs soulignent que le renoncement à des achats génère et alimente des représentations très puissantes de déclassement social, “la consommation étant bien devenue dans l’imaginaire collectif un critère de positionnement social de premier ordre”.
L’étude donne à voir une batterie de chiffres qui montre l’étendue des arbitrages et des renoncements, qui rendent de plus en plus rares ces “petits extras” dont parlaient les Gilets jaunes sur les ronds-points : par exemple, en vingt ans, la part des Français qui ne vont jamais au restaurant est passée de 8 % à 25 % ; 37 % des femmes renoncent “souvent” ou “de temps en temps” à s’acheter du maquillage pour des raisons financières (+9 pts en 13 ans) ; même chose pour les soins médicaux, le taux de renoncement pour raisons financières est passé de 23 % en 2010 à 30 % aujourd’hui ; 42 % des Français ont réduit les portions ou la quantité de leurs repas, 24 % ont même supprimé certains repas (petits-déjeuners, goûters, dîners).
4/ Le résultat, c’est le sentiment généralisé de “mener une vie au rabais”. Les auteurs parlent d’une “systématisation des comportements de vigilance dans toutes les strates de la société”, avec des dépenses de plus en plus réfléchies et calculées. Dans ce contexte, la note propose le concept de la shrink-consommation : “une tendance à réduire ou contrôler sa consommation un peu sur tous les postes - des vacances plus courtes, moins de sorties, des portions moins importantes, plus de seconde main, etc”.
Cette étude ne nous apprend pas l’existence d’un déclassement des classes moyennes, mais a l’immense vertu d’en éclairer statistiquement les différents versants. Aux marques de mettre en place des dispositifs pour palier les renoncements : par exemple, Carrefour vient de lancer une assurance pour continuer à faire des courses en cas "de perte soudaine de pouvoir d’achat" …
“Pour un abonnement de 2,90 euros ou 3,90 euros, les adhérents peuvent obtenir chaque mois des bons d'achat d'un montant de 75 à 150 euros en cas d’incapacité de travail ou de perte d’emploi. Pour une invalidité lourde ou une perte d’autonomie, l'indemnisation s'élèvera à 500 euros”
En France, il y a davantage de fast-foods que de restaurants traditionnels
Un article fouillé du journal Le Monde, avec belles infographies à l’appui, revient sur la croissance exponentielle des restaurants kebabs, burgers et autres tacos en France : de fait, la restauration rapide est entrée dans les mœurs tricolores depuis l’arrivée du premier McDo, en 1972, en passant d’une centaine de restaurants en 1990 à plus de 160 000 aujourd’hui.
En utilisant la base de données Sirene (Insee), l’enquête montre que depuis 2021, la France compte davantage de fast-foods que de restaurants traditionnels - avec des écarts encore plus marqués dans des villes comme Marseille ou Nantes, mais aussi dans certains quartiers du nord de Paris, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, où les revenus médians sont peu élevés.
Deux éléments d’analyse sont avancés.
1/ Les risques sur la santé publique des ménages les plus défavorisés. “En Île-de-France, explique Capucine Frouin, docteure en urbanisme de l’université Paris-Est Créteil, les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont ceux où les fast-foods occupent une place importante dans l’offre alimentaire. Les commerces de fruits et légumes frais y sont aussi moins nombreux, l’environnement alimentaire y est moins favorable à la santé”. Or, l’obésité est près de deux fois plus fréquente au sein des ménages les plus modestes (18 % chez les ouvriers et employés) que parmi les plus aisés (10 % chez les cadres supérieurs), rappelle l’Observatoire des inégalités.
2/ La surreprésentation de kebabs ou burgers (en particulier ceux tenus par des indépendants) dans certains quartiers et centres-villes est désignée comme le symptôme de leur paupérisation. Le Figaro, pour sa part, a publié le classement des villes qui se sont, je cite, “laissées envahir par les fast-foods”. Comme le remarque Jean-Laurent Cassely, interrogé dans l’article, l’un des points communs dans ce classement c’est que “18 de ces 30 municipalités sont impliquées dans le plan gouvernemental Action Cœur de ville”, du nom de ce programme lancé en 2017 et qui a pour objectif de redonner vie à des centres-villes délaissés, vidés de leurs commerces. “Ce sont des localités dans lesquelles les vacances commerciales sont nombreuses (…). Les entrepreneurs désireux d’ouvrir un restaurant rapide y trouvent des locaux bon marché, ce qui n’est plus le cas dans les grandes villes”.
À la lecture de l’article précédent, il manque peut-être une autre version de l’analyse : l’explosion des fast-foods constitue peut-être une réponse pour tous ceux qui ont renoncé à aller au restaurant pour des raisons financières …
À Grenoble, la cohue pour Primark
À Grenoble, ville dirigée par l’écologiste Éric Piolle, l’ouverture d’un nouveau magasin Primark dans le centre commercial Grand’Place, le 27e en France, a fait sensation : une “foule monstre et 45 minutes de queue”, dixit le site local Actu Grenoble, s’est formée devant l’entrée de “l’hypermarché du vêtement”. Les images ont fait le tour des réseaux sociaux.
Enable 3rd party cookies or use another browser
“Qui sont ces gens qui se précipitent pour surconsommer de la fringue jetable alors que la planète brûle ?”s’interroge, un brin ironique, le journal l’Opinion. Parmi les raisons “classiques” avancées (l’importance du prix, la fin de la classe moyenne), on trouve cette analyse de Philippe Goetzmann, spécialiste de la grande consommation, qui remarque que Primark est irlandais, H&M est suédois, Normal et ses produits d’hygiène bradés, est danois … Leur point commun ? Ces chaines viennent toutes du nord de l’Europe, de pays prospères, pas de pays à bas salaires. De pays où règne un pragmatisme du commerce. “La France, le pays qui a inventé l’hypermarché, modèle en déshérence, est dans un déni de la réalité de la consommation du pays. Elle a voulu s’occuper de la morale du client, elle en a totalement oublié ses attentes”.
SIGNAUX FORTS
En hommage à la newsletter Signaux Forts de l’agence Bona Fidé, rédigée par Jean-Laurent Cassely et Thierry Germain entre l’automne 2021 et l’été 2023.
ROAI – Nestlé Magic AI Machine
Fin novembre, au détour d’un Tweet de Vincent Balusseau, nous apprenions que depuis 2021, Nestlé utilisait l’AI pour l’ensemble de ses campagnes online. Avec l’aide de la société Creative X, Nestlé a nourri la bête artificielle avec des milliers de campagnes passées pour déterminer les éléments qui en optimisaient le ROI.
Ce directeur de création artificiel en a tiré un certains nombre d’enseignements jusqu’à établir un système de notation « The Creative Quality Score » utilisé pour toutes les campagnes digitales et social média.
Les 15 000 marketeurs qui travaillent sur ses 2000 marques à travers 200 pays et leurs agences, sont obligés de passer par ce système. Appel à nos lecteurs : si quelqu’un a eu l’occasion de travailler sur le “Creative Quality Score”, on serait très curieux d’en savoir plus !
Le succès fou du MMA
Longtemps resté marginal en France avant d’être légalisé le 31 janvier 2020 et placé sous l’égide de la fédération française de boxe, le MMA (“Mixed Martial Arts”, pour “Arts Martiaux Mixtes”) est peut-être LE phénomène sportif (et sociétal) de l’année.
Pratiqué à l’intérieur d’une cage grillagée (appelée octogone), le MMA est un sport de combat “regroupant des techniques issues de nombreux arts martiaux et sports de combat (judo, boxe, karaté) pour former une discipline singulière avec ses propres spécificités”, pour reprendre la définition proposée par le ministère des sports et des Jeux olympiques et paralympiques.
Une date importante dans l’essor de la pratique : le 21 octobre 2020. Ce jour, l’ARCOM a autorisé la diffusion des compétitions officielles - après 22 h 30 sur les services de télévision linéaires gratuits et sur les services de médias audiovisuels à la demande, et après 20 h 30 sur les services de télévision payants et sur les services de paiement à la séance. L’autorité demande aux éditeurs de retenir la classification « déconseillé aux moins de 16 ans ».
Pour les chaînes RMC ainsi que pour la chaîne l’Équipe – qui participent à la démocratisation de la discipline en retransmettant les combats – le succès est bel et bien là. Le 30 septembre dernier, la victoire en direct de Cédric Doumbè face à Jonathan Zebo a permis à RMC Découverte de recueillir 12 % de part d’audience sur la cible des hommes âgés de 25 à 34 ans (soit, à date, le 2e meilleure score de la chaîne en 2023 sur la cible). L’événement, organisé par la PFL (Professional Fighters League), se déroulait à guichets fermés – comme quasiment toutes les réunions de MMA – dans une ambiance électrique au Zénith de Paris.
Thibaut Schepman, dans un excellent article paru sur le site La revue des médias, nous apprend que la triomphe de Cédric Doumbè « lui a valu une tournée médiatique dont peu de sportifs toutes disciplines confondues peuvent se vanter : le 7/10 de France Inter avec Léa Salamé le 2 octobre, Clique avec Mouloud Achour et C à vous avec Mohamed Bouhafsi le même jour, RTL Bonsoir avec Julien Sellier le 4 octobre, et Quelle époque ! sur France 2 de nouveau avec Léa Salamé le 7 octobre ».
Non seulement Doumbè est un féroce compétiteur, mais c’est aussi un communicant hors pair. Cédric Doumbè et David Foucher, son manager, “poussent le marketing toujours plus loin. Doumbé a beaucoup fait parler de lui avant son combat en faisant livrer un matelas à son adversaire Jordan Zebo pour l'avertir qu'il allait "l’endormir" en le mettant K.-O. L’opération était sponsorisée par une célèbre marque de matelas”.
Alors que certains sports majeurs peinent encore à s’y faire une place, le MMA a su s’emparer de façon très habile des réseaux sociaux tant pour rajeunir son auditoire que pour valoriser son histoire et celle des athlètes. Les chiffres des followers sur les comptes Instagram, X et Facebook des grands noms du MMA se passent de commentaire. Seuls les footballeurs et les basketteurs font mieux !
Qui aurait pu imaginer qu’un sport à la réputation hautement sulfureuse et décrié en raison de son extrême violence connaisse une montée en popularité aussi rapide que spectaculaire ?
La Place des Vosges primée au “Prix de la France moche” à cause d’une … publicité géante
Depuis 1992, l’association Paysages de France décerne tous les ans les “Prix de la France moche”, invitant ses adhérents à "photographier un lieu qu’ils trouvaient "moche" dans leur environnement". Avec un objectif : lutter contre la pollution visuelle au sein des paysages français, comme l’explique BFMTV.
Cette année, la zone commerciale du Pré-Droué à Chavelot (Vosges) a été nominée dans la catégorie “tripotée d’enseignes, et sans concessions” ; l’entrée de ville de Honfleur, dans la catégorie “Foire à l’enseigne”. Contre toute attente, le Prix de la France moche de la catégorie “mise en valeur du patrimoine” a été attribué à un endroit emblématique de Paris, habituellement célébré pour son élégance : la place des Vosges. Pour motiver sa décision, le communiqué de presse indique ironiquement :
De l’utilité des travaux sur monuments historiques pour pouvoir installer des bâches publicitaires gigantesques...
Dommage qu’ici, la vue sur la pub soit gâchée par un arbre.
Le nouveau clivage écologique
Pendant longtemps, le réchauffement climatique n'a pas été l'objet de débat en Europe : contrairement aux États-unis, aucun grand parti de gouvernement, aucune force politique majeure n’avaient produit dans l’espace public une offre explicitement climato-sceptique. Ce consensus a volé en éclats : l’enjeu climatique est en train de s’imposer comme un clivage majeur en Europe. En atteste l’émergence d’une offre politique “climato-relativiste” (« on exagère », « on en fait trop », « il y a d’autres priorités »), opposée aux mesures concrètes mises en œuvre dans le cadre de la transition.
En s'appuyant sur une enquête d'opinion, Jean-Yves Dormagen (Cluster 17) a publié dans Le Grand Continent une étude détaillée sur l'évolution de l’opinion française face à la crise climatique. Quelques points saillants à retenir :
1/ Le climato-scepticisme “à la française” ne repose pas sur le phénomène lui-même, mais sur ses origines. Si le climato-négationnisme radical reste donc marginal (2-3 %), près d’un quart des Français (24 %) refusent d’imputer le réchauffement climatique aux activités humaines, en considérant que “le réchauffement climatique est d’abord la conséquence d’un cycle naturel”. Pire, une proportion comparable de citoyens (21 %) considère que “la gravité du réchauffement climatique est généralement exagérée”.
2/ La distribution des réponses n’est pas homogène dans l’espace social. L’institut d’études Cluster 17 a pour méthodologie de segmenter la population française en 16 groupes (clusters), en prenant pour seuls critères les attitudes et les valeurs profondes des individus. On constate que dans certains clusters, ces deux attitudes sont totalement ou presque totalement absentes (Multiculturalistes, Sociaux-Démocrates, Progressistes, Solidaires, Centristes et Révoltés), tandis que dans d’autres, ces attitudes sont au contraire largement répandues (Libéraux, Conservateurs), voire majoritaires (Sociaux-Patriotes, Identitaires) - voir le tableau ci-dessous.
3/ La défiance envers les élites et le sentiment d’injustice nourrissent le rejet des politiques de transition
L’étude montre que le rejet des politiques de transition puise sa source dans la défiance envers les élites, laquelle va souvent de pair avec l’adhésion à des énoncés complotistes. Les sondages Cluster 17 révèlent en effet que 42 % des sondés se déclarent en accord avec la proposition selon laquelle « les élites ont pour projet d’instaurer une dictature climatique » (!) - la proportion dépassant même les 75 % pour les Sociaux-patriotes et les Eurosceptiques.
“La crise climatique et les politiques de transition sont devenues l’une des aires de jeu privilégiées des producteurs de narratifs éco-complotistes, pour la plupart issus de la sphère anti-vax, tout particulièrement sur les réseaux sociaux”
Deuxième facteur baissant drastiquement l’acceptabilité des politiques de transition, le fort sentiment d’injustice. On le repère à partir de questions sur la répartition des coûts. Ainsi, un énoncé tel que « la sobriété énergétique est imposée seulement au peuple, mais pas aux élites » rencontre une approbation archi-majoritaire : 76 %. Dans le même registre, une proposition comme « ce sont les plus pauvres qui paient la crise climatique et énergétique alors que ce sont les plus riches qui en sont responsables », enregistre un soutien encore supérieur : 79 %.
En conclusion, Jean-Yves Dormagen estime que si l’écologie est de plus en plus clivante, c’est “qu’elle se confronte à des intérêts et qu’elle porte de fait un projet de transformation des modes de vie et même des styles de vie qu’une fraction non-négligeable de la population rejette”. Son étude montre, en effet, que la majorité des individus ne sont pas prêts à contribuer — ou pour la plupart pas beaucoup — pour réduire l’intensité du changement climatique - que ça soit pour “se passer de la voiture thermique” (41 % d’acceptation générale, mais la proportion varie de 8 % chez les Eurosceptiques à 66 % chez les Multiculturalistes), pour “renoncer à se loger dans une maison individuelle” (23 % d’acceptation générale) ou pour “installer une éolienne près de chez vous” (37 % d’acceptation générale, mais la proportion varie de 11 % chez les Identitaires à 71 % chez les Multiculturalistes).
“Dès lors, ceux qui se sentent — à tort ou à raison — les plus menacés par la fin des véhicules thermiques, par de possibles taxes sur les carburants, par l’installation de parcs éoliens ou tout simplement stigmatisé dans leur mode de vie (pavillonnaire) vont avoir tendance à se reconnaître dans les discours et les positions hostiles aux politiques de transition”
Au fond, cette étude montre en creux que la question du passage à l’acte de la transition écologique ne sera effective que lorsqu’il y aura des solutions alternatives. Les marques sont attendues pour être force de propositions …
Le trouble RSE : le consommateur veut-il vraiment sauver le monde ?
D’après un rapport de Barclay, The New Retail Reality, “70 % des consommateurs déclarent que la durabilité d’un produit est un critère important dans l’achat d’un produit”.
Ce pourcentage est vrai mais il ne l’est que dans la mesure où les autres propositions de choix proposées aux 2000 sondés se limitaient à : Le juste traitement des employés, des fournisseurs, la durabilité des produits, le support aux communautés locales ou encore la politique environnementale de l’entreprise.
Une étude Kantar, récente et sur 100 000 individus, intégrant cette fois-ci une trentaine de variables de choix d’un produit de beauté, ne place aucun de ces items au-dessus des 6 %, loin derrière le prix, l’efficacité etc.
Il ne s’agit pas de dénoncer un énorme mensonge ni une horrible manipulation, mais d’acter notre échec collectif à rendre ces items désirables. Nous avions espéré collectivement un effet « nudge », jouant sur le besoin qu’a l’humain de faire partie de la norme, du type : “70 % des gens choisissent des produits respectueux de l’environnement, et vous ?”
Le succès d’Amazon (52 % des Français prévoient d’y faire leurs achats de Noël), de Shein hier et de Temu aujourd’hui auprès d’une GenZ pourtant décrite comme plus consciente, nous rappellent chaque jour que notre impact aura été pour le moins limité.
C’est en substance le message que veut faire passer Mark Ritson dans une saillie dont il a le secret : “Badly designed surveys don’t promote sustainability, they harm it”.
Dans un article de Marketing week, il s’attaque aux études et sondages qui peuvent donner l’impression aux plus naïfs « que 82 % des Américains privilégient les marques dont les valeurs RSE s’alignent avec les leurs », alors qu’un autre sondage nous apprend que “78 % des Américains ne savent pas ce que signifie réellement la RSE” …
Arrêtons de faire croire que le marketing et les consommateurs par leurs comportements d’achat peuvent ou plus simplement veulent sauver le monde. Comme le disait David Ogilvy, “people, don’t think what they feel, don’t say what they think and don’t do what they say” …” especially when it comes to ESG stuff”, ajoute Ritson.
Plus tôt on prendra conscience de l’absence de volonté de sauver le monde chez la grande majorité des consommateurs et des marketeurs, plus tôt ceux qui ont un véritable pouvoir d’action devront prendre leurs responsabilités.
ACTUALITÉS MÉDIA
Les Français et les médias : une envie de s’informer malgré une forte méfiance
Toujours très attendus, les résultats de la 37e édition du baromètre La Croix / Kantar Public sur “La confiance des Français dans les médias” ont été publiés fin novembre.
Parmi les résultats à retenir, une forte hausse de la proportion de Français qui s’intéressent “avec grand intérêt” à l’actualité : ils sont 75 % aujourd’hui, contre 62 % en janvier 2022. Dans le même temps, 57 % des Français considèrent qu'il faut "se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d'actualité".
En revanche, relate France info, ils sont 51 % à ressentir de la fatigue ou du rejet par rapport aux informations et à l'actualité. Seuls 4% des Français n’ont jamais ressenti de la fatigue ou du rejet par rapport à l’information et à l’actualité. Parmi les raisons de cette fatigue, on peut citer : l'impression que les médias parlent toujours des mêmes sujets (48 %), la sensation d'être angoissé ou impuissant (38 %), ou encore le manque de confiance dans ce que disent les médias (27 %). D'ailleurs, 31 % des sondés avouent avoir abandonné de suivre un média à cause d'un traitement de l’information qui semblait trop négatif ou anxiogène.
On remarquera que parmi les événements de 2023 proposés aux sondés, seules “les émeutes qui ont suivi la mort du jeune Nahel” et “la guerre en Ukraine” ont une proportion de gens qui estiment qu’on en a “trop parlé” supérieure à celle qui estiment qu’on en a “parlé comme il faut”.
Les entrées du film “Consentement” dopées par TikTok
C’est un phénomène suffisamment rare pour être souligné : un film qui cartonne après une première semaine décevante. Après sa première semaine d’exploitation en salle, le film de Vanessa Filho, adaptation du best-seller de Vanessa Springora (350 000 exemplaires vendus) racontant la relation d’emprise entre Vanessa Springora et l’écrivain Gabriel Matzneff, ne dépassait pas les 60 000 entrées après sa première semaine. En deuxième semaine, un phénomène né sur les réseaux sociaux a fait décoller son box-office, jusqu’à atteindre 300 000 entrées en troisième semaine. La clé du succès, dixit Libération, qui en a tiré un article : des jeunes filmant leur ressenti à la sortie du cinéma.
Le phénomène s’explique par la conjonction de la viralité numérique et du caractère sensible et très actuel du sujet traité : la prise de conscience par une jeune femme en devenir de la relation toxique qui l’attache à un homme manipulateur.
“Le pire a été le silence glacial à la fin du film”, dit par exemple Emma dans sa vidéo, parlant d’un “film qui fait fortement réfléchir sur la vie et ses atrocités”. Sur Twitter (renommé X), le producteur Marc Missionner déclare que les “ados se sont emparés du film par eux-mêmes […] le film les a touchés au cœur, c’est certain. Les salles nous disent qu’ils n’ont jamais eu autant de jeunes de moins de 20 ou 25 ans pour venir voir un film d’auteur français”.
Alors, TikTok au secours du cinéma français ?
CHAPEAU L’ARTISTE
L’ADEME - Le dévendeur
Une fois n’est pas coutume, la Cortex Newsletter a décidé de mentionner une campagne made in Havas. Diffusée à l’occasion du Black Friday, la dernière campagne de l’ADEME a suscité tant de débats qu’il nous semblait important d’en parler - avec, en prime, quelques éclairages internes.
Pour résumer : si trois des quatre spots de l’ADEME recommandent aux consommateurs de préférer les produits recyclés, loués ou réparés aux produits neufs, le dernier film (“Le dévendeur et le polo”) conseille explicitement … de ne pas acheter.
Décroissance ? Déconsommation ? Cet appel a fait grincer des dents, à l’heure où les temps sont durs pour les petits commerçants et pour certaines grandes franchises de l’habillement en redressement judiciaire (Camaïeu, Kookaï, Go Sport, etc.). « Mon gouvernement finance des pubs à la télévision pour dire de ne pas consommer, c'est fou, c'est la mort du petit commerçant » s’exprimait par exemple au JT de 20h de TF1 une responsable d’un petit magasin de centre-ville. Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a jugé la campagne “maladroite” : "Je crois profondément à la sobriété mais pas en prenant les vendeurs ou les commerces physiques comme cibles, et pas en culpabilisant", a-t-il ajouté.
De son côté, le Ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, a refusé de retirer les spots litigieux : “Que 0,2% du temps d’antenne publicitaire soit consacré à se demander si tous les achats sont utiles, franchement, vu les enjeux de transition écologique, ça ne semble pas déraisonnable”. En appui de son propos, il s’est fendu d’une tribune dans le journal Le Monde pour marteler son message : “J’assume de porter depuis cinq cents jours au gouvernement une politique d’incitation à une révolution des pratiques des producteurs et des consommateurs vers un usage plus raisonné des ressources de la planète”
De notre côté, nous avons interrogé Nicolas Favier, le partner marque en charge de l’ADEME pour Havas Paris. “Piloter une campagne de communication pour l’ADEME est à la fois un défi porteur de sens et un challenge sensible en communication”, nous explique-t-il. “Il ne s’agit pas que de communication ou de publicité : il est d’abord question de débat de société, avec toutes les conséquences que cela implique”.
Il nous a rappelé que le brief de départ du client était très clair :
“Nous voulons interpeller et non plus sensibiliser au fait indéniable qu’en 60 ans (1960 à 2019, source ADEME), nous avons multiplié par 4 notre consommation individuelle… Il y a urgence…”
Nicolas Favier reconnait qu’une telle campagne, publiée à la veille du Black Friday et du gros temps fort commercial de Noël, peut sembler « hostile » : “Mes parents et grands-parents sont des commerçants de proximité, j’ai contribué à cette campagne, je débats beaucoup (beaucoup) avec eux, je comprends parfaitement qu’elle fasse réagir”. Toutefois, cette campagne ne fait selon lui que produire un effet de loupe sur notre paradoxe sociétal : le business écologique. Y arriverons-nous ?
“La campagne que nous avons menée avec l’ADEME a pour but de tous nous poser les bonnes questions avant d’acheter grâce à un Dévendeur qui n’exhorte pas à ne pas acheter, comme l’a rappelé le Ministre de l’Écologie, mais à envisager d’autres solutions comme la location, l’emprunt, la réparation ou l’achat avec un bon indice de réparabilité - quand cela est possible, bien sûr !”
Japan Railway Group - Des timbres de gare pour partir à la découverte de son pays
Repéré dans la dernière édition de Komando, la newsletter de Kéliane Martenon qui se présente comme un “shot de créativité”.
Le point de départ : seuls 6% des Japonais ont visité les 47 préfectures du pays. Pour inciter ses compatriotes à partir à la découverte de leur pays, la compagnie de chemin de fer du Japon a lancé une opération de gaming, en créant une grande collection de timbres sur-mesure à collectionner.
Si le concept du tampon pour faire découvrir des destinations touristiques n’est pas nouveau en soi, Kéliane Martenon salue l’exécution : “Ils se sont inspirés des techniques ancestrales de gravure sur bois japonaise tradi’, se sont forcés à n’utiliser qu’une palette de 6 couleurs. Bref, c’est clairement de la campagne maligne parfaitement adaptée au contexte culturel”
DERNIÈRES PARUTIONS
Un essai : “Ça craque” (François-Xavier Ménage, Robert Laffont)
Reporter de guerre pour la télévision, jusqu’alors plutôt habitué des zones de conflit (en Libye, en Centrafrique ou en Afghanistan), François-Xavier Ménage a réalisé cinq années de reportages en France, en immersion auprès de plusieurs dizaines de Français, avec un objectif : tenter d’approcher au plus près leur vécu, leurs difficultés, leurs craintes. Sur le terrain, une même expression lui revenait comme un boomerang, si bien qu’elle a fini par donner le titre de son livre-enquête publié cet automne aux Éditions Robert Laffont : « Ça craque ».
Sur 42 courts chapitres (5-7 pages en moyenne), le journaliste dresse un panorama à 360° des difficultés mais aussi des solidarités de la société française, posant un regard neuf sur tout un tas de préoccupations du quotidien, en partant à chaque fois de lieux concrets : un supermarché à Grigny, un HLM à Nancy, le centre-ville de Saint-Brieuc, le bus à Ploërmel, l’insécurité judiciaire à Pontoise, le désert administratif à Proisy …
Si son tableau de la France est si convaincant, c’est que l’auteur fait sans cesse l’effort de passer du portrait au plan d’ensemble : ses récits partent de situations individuelles, les vies difficiles ont des prénoms (Moussa, Samia, Arthur, Johnny et Myriam, Cécile), mais elles s’accompagnent toujours d’un important travail de documentation permettant, à coup d’études et de rapports, de donner une portée plus générale au propos.
À lire - c’est un des essais les plus utiles du moment pour comprendre la société française.
Une série : “Undeclared war” (Canal+)
Cette mini-série anglaise de 6 épisodes nous plonge dans une cyber-guerre menée par la Russie, dans une Angleterre en pleines élections législatives.
Tout l’intérêt de cette fiction est de nous donner à voir les pratiques de ces “ingénieurs du chaos” chers à Giuliano da Empoli : au sein d’une usine à trolls russes d’un côté, au sein du GCSQ (la “NSA britannique”) de l’autre. Un épisode montre même la façon dont une chaine de télévision fictive, appelée Russia Global News, parvient à déformer la perception du réel, en suscitant elle-même des tensions pour pouvoir les filmer et laisser croire que le pays ne serait qu’émeutes et affrontements violents …
Pour reprendre les dires d’une protagoniste qui verbalise la stratégie suivie : « Le principe, c’est d’habituer tout le monde à l’idée que tout soit un mensonge, qu’il n’y ait pas de vérité. Une fois qu’ils l’ont accepté, le plus gros menteur l’emporte »
À voir, d’urgence !
Un spectacle : Starmania
L’opéra-rock mythique de Michel Berger et Luc Plamondon, présenté pour la première fois au Palais des Congrès en avril 1979, est de retour sur scène. Après 90 premières représentations à La Seine Musicale fin 2022 avec plus de 300 000 spectateurs, et une tournée complète dans toute la France, Starmania revient pour une deuxième saison : le Cortex était présent à la première représentation de cette prolongation musicale.
Le spectacle a été profondément remanié sous la houlette du metteur en scène Thomas Jolly, qui est parti d’une intuition forte : “La fable de Starmania s’est, d’après moi, effacée derrière les chansons et diluée au fil des mises en scène”. Les chansons, entrées dans la culture populaire (“Quand on arrive en ville”, “J’aurais voulu être un artiste”, “Ziggy”), sont devenues si célèbres qu’elles ont fini par effacer le contenu politique très fort que portait l’histoire de Starmania : un groupe d’extrême-gauche, les Etoiles noires, cherchent à empêcher que l’homme le plus riche de la ville, Zéro Janvier, ne devienne président de l’Occident. D’où cet objectif poursuivi par ce Starmania 2.0, dixit Thomas Jolly : “Ce projet était une traversée complète de l’œuvre, guidée par la volonté de remettre en lumière ce que Starmania dit de notre société, de notre monde”.
À l’arrivée, le show est sublime. Il nous rappelle que pour porter des idées auprès du plus grand nombre, rien ne vaut un bon spectacle …
À voir !
C’est tout pour aujourd’hui ! Passez de belles fêtes de fin d’année. Rendez-vous en 2024 pour un nouveau numéro de la CORTEX NEWSLETTER.
En attendant, n’hésitez pas à vous abonner pour recevoir les prochains numéros directement dans votre boite mail