Risque de pénurie de bière, “funflation”, les 100 ans de Disney, imaginaire post-fossile, “congés de respiration”, le parti de la Bière, la Netflix Cup, un CDI à la Matmut, le “smile shame”, les risques politiques de la société du sur-mesure et la sortie de l’hyper-consommation … elles ont fait (ou pas) l’actualité, voilà la veille des idées de novembre 2023.
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ACTUALITÉS DE LA CONSO
Aux États-Unis, les ventes de bière sans alcool explosent
Aux États-Unis, alors que les ventes totales de bière stagnent depuis le Covid, le chiffre d’affaires des bières non alcoolisées a augmenté de 32 % en glissement annuel, et de 31 % en moyenne sur les quatre dernières années, d’après les données de NielsenIQ dévoilées dans le Wall Street Journal.
Les études consommateurs notent que ce sont surtout les jeunes buveurs qui sont friands de bière alcoolisées. Un élément à mettre en lien avec la multiplication d’études qui ont mis en évidence un déclin prononcé de la consommation d’alcool chez les jeunes au cours des deux dernières décennies, non seulement aux États-Unis, mais dans l’ensemble des pays occidentaux :
“Selon Gallup, entre 2021 et 2023, 62 % des Américains âgés de 18 à 34 ans se sont décrits comme des consommateurs d’alcool plutôt que comme des abstinents. Deux décennies plus tôt, ils étaient 72 % à le faire. Par ailleurs, 38 % seulement ont déclaré avoir bu un verre au cours des sept derniers jours, contre 49 % vingt ans plus tôt”
Cela étant, ces nouveaux produits ne s’adressent pas uniquement aux abstinents. Les données de NielsenIQ montrent en effet que la grande majorité des acheteurs de bières sans alcool achètent également des boissons alcoolisées. Certains souhaitent simplement modérer leur consommation ; pour d’autres, il s’agit de profiter de nouvelles occasions en matière de bière, en pouvant en boire, par exemple, à l’heure du déjeuner ou avant de prendre le volant.
Ces éléments dessinent un insight puissant : on ne sépare plus des gens, mais des moments. On peut l’étendre à d’autres catégories de produit : il existe des moments avec ou sans sucre (Coca-Cola, Coca sans sucres), des moments margarine et des moments beurre, etc.
La “funflation”, ou l’explosion du coût des loisirs
Le Wall Street Journal a récemment mis le doigt sur une variante de l’épidémie inflationniste : la “funflation”. Un néologisme inventé par Jessica Reif Ehrlich, une analyste de Bank of America, pour décrire l’augmentation vertigineuse du coût des loisirs aux États-Unis, des concerts aux parcs d’attractions en passant par les matchs de sport.
Selon les données du mois d’août du Bureau d’analyse économique, l’augmentation du coût des loisirs aux États-Unis serait de 23% par rapport à l’année dernière - un chiffre nettement supérieur à l’inflation américaine (3,7%), et même plus forte que celles des prix de l’alimentation et de l’essence. Pour illustrer la spirale inflationniste des loisirs, le Wall Street Journal cite les concerts de la chanteuse Taylor Swift, où plus la demande est élevée et plus les prix augmentent : la billetterie officielle affichait des tarifs allant de 199 à 899 dollars pour écouter la star chanter.
Observe-t-on le même phénomène en France, s’est demandé le journal Le Point ? Non, à en croire les analystes du cabinet Asterès, qui parlent au contraire d’un phénomène de “fundésinflation” en France :
“L'inflation totale en France en septembre était de + 4,9 % en glissement annuel. La hausse des prix est nettement plus faible dans les secteurs du divertissement et de la culture : +3,5 % pour les services récréatifs et sportifs, +0,7 % pour les cinémas, théâtres, concerts et surtout -22,6 % pour les redevances et les abonnements audiovisuels”
Ce qu’on constate aux États-Unis, c’est une inflation par la demande ; il semblerait que ce soit moins le cas en France, bien qu’il existe ici aussi une perception très ancrée de “funflation”, alimentée par la hausse du prix de produits emblématiques : augmentation des pass annuels à DisneylandParis (+26% en un an) ou du ticket d’entrée du Parc d’Astérix (de 55 à 59€), augmentation du prix moyen d’une place en salle (+2,2% en un an), et du tarif moyen d’une place de festival de musique (+14% entre 2019 et 2023), etc.
Les 100 ans de Disney : consensus ou polarisation ?
“Peut-on être à la fois centenaire et trop moderne pour la société ?” s’interroge l’institut de sondage IFOP, qui pour les 100 ans de la création de Disney, a réalisé une enquête approfondie sur l’influence de Disney sur la perception des Français. “Loin d’être un sujet frivole, les films d’animation Disney apparaissent en France comme un sujet d’éducation fondamental, tant ces œuvres accompagnent les premières années de chaque nouvelle génération” explique Gautier Jardon de l’IFOP.
Premier enseignement : les Français sont de grands consommateurs de films d’animation Disney. Un quart en regardent tous les mois (24%) tandis que près de deux sur trois (63%) en ont visionné au cours des trois dernières années. Une proportion qui grimpe à 85% pour les 18-34 ans, contre 30% (tout de même !) chez les plus de 65 ans.
Deuxième enseignement, l’influence des films Disney sur le degré de tolérance de celles et ceux qui les regardent fait assez largement consensus parmi les Français. 63% d’entre eux estiment que leur visionnage les a incités à être plus tolérants, un avis particulièrement partagé par les 18-24 ans (70%) et les 25-34 ans (76%)
Disney exerce même un rôle non négligeable dans les attentes sentimentales des Françaises, surtout auprès des consommatrices les plus assidues : 36% des Françaises qui visionnent des œuvres de Disney au moins une fois par mois estiment par exemple qu’elles ont été influencées dans leur attente d’un homme romantique contre 14% de celles qui en regardent moins souvent.
Dernier enseignement, les Français sont plutôt conservateurs vis-à-vis de la volonté de Disney de réaliser des films d’animation plus inclusifs. Les interrogés se montrent globalement réticents aux modifications que pourrait apporter la firme pour mieux adapter ses longs métrages d’animation et autres films aux évolutions de la société : cette démarche n’est approuvée que par 38% des personnes interrogées, un chiffre similaire à celui enregistré auprès du public américain (39%). Les plus jeunes sont certes les moins réfractaires (46% des moins de 35 ans sont pour), mais sans pour autant dégager une majorité.
Cette tendance conservatrice se retrouve dans les réponses aux différents changements lorsque ceux-ci sont clairement énoncés. Pour plus des deux tiers (77%) des personnes interrogées, il n’est pas question de remplacer les nains de Blanche-Neige par des créatures magiques comme le prévoit l’adaptation de ce grand classique en 2024.
Toutefois, des différences très nettes se font jour dès lors que l’on entre dans le détail des différentes catégories de répondants. La fracture est ainsi forte entre les très progressistes, qui approuvent ces modifications à 68%, et les conservateurs qui s’y opposent pour 85% d’entre eux. Ce qui semble aller dans le sens de la conclusion que faisait Martin Kaplan pour les États-Unis : “ Nous sommes tellement divisés aujourd’hui que même Disney a du mal à nous rassembler”.
À la lecture de cette étude, ce qui est frappant de constater, c’est que l’influence de Disney s’est jusqu’ici construite sur une stratégie d’accompagnement de la doxa (le romantisme, l’homme protecteur, etc). La vraie question, c’est de savoir si dans les prochaines décennies Disney parviendra à garder son influence en jouant le rôle d’une avant-garde (progressiste).
RESPONSABILITÉ
Construire un imaginaire culturel et politique d’un monde post-fossile
Dans Le Grand Continent, le philosophe de l’environnement Pierre Charbonnier publie une remarquable “pièce de doctrine” sur les façons de résoudre la panne de l’imaginaire écologique. Sa conviction profonde est la suivante :
“Il n’y a pas d’impasse climatique. Mais l’idée qu’elle existerait produit des effets qui empêchent toute politique décisive en faveur de la transition”
Sa réflexion part d’un paradoxe : “celui d’un monde objectivement souhaitable mais subjectivement non désiré”. On sait que “pour faire exister une réalité, il faut d’abord la représenter” : or, le chercheur note que, “cernés par l’imaginaire visuel et narratif de la catastrophe”, on peine à trouver dans les grandes productions cinématographiques, sur les plateformes de diffusion de contenus, dans la publicité ou la communication politique mainstream “l’idée même d’un monde commun soutenable”. Alors même qu’on sait combien le rêve moderniste de la ville, par exemple, ou de l’émancipation par la consommation, “a été promu aux 19e et 20e siècles via la production tous azimuts d’images, de discours dominants”.
“On se trouve donc dans une situation où une bonne partie de la population sait que le modèle socio-économique dans lequel elle vit n’est pas soutenable, mais n’a aucune idée de ce à quoi ressemblerait le monde vers lequel il faut aller. Comment alors pourrait-elle vouloir de ce monde ? Comment échanger une réalité instable mais bien tangible contre une autre, totalement abstraite et sans séduction. À défaut de cet imaginaire-là, celui, obsolète, des libertés fossiles — voiture, avion, viande, pavillon de banlieue, etc. — conserve sa puissance d’attraction et, pire, devient un bastion à défendre dans le cadre d’une guerre culturelle”
Pierre Charbonnier s’est attelé à identifier les obstacles structurels qui expliquent, selon lui, la panne de l’imaginaire écologique, parmi lesquels :
i/ Le débat entre gradualisme et radicalité, qui anime une bonne partie des discours politiques et économiques d’aujourd’hui, tend surtout à “créer les conditions d’un attentisme artificiel, puisque chaque camp prend prétexte de l’existence de l’autre pour ne pas engager une voie de transformation qui, lente ou rapide, soit au moins tangible”.
ii/ S’il existe un accord sur la nécessité de se passer des énergies fossiles, il n’y en a pas à ce jour sur les modalités de la substitution énergétique et technique, ni sur l’ampleur du levier qu’est la sobriété choisie : “en somme, quelle est la part respective de l’innovation/substitution et de la sobriété dans le processus de décarbonation ?” Il appelle de ses voeux la constitution de “coalitions post-fossiles, plus puissantes que les coalitions fossiles du passé”.
Enfin, dans un long développement sur la nécessaire transformation des discours écologiques, Pierre Charbonnier explore la dimension de la “bataille culturelle de l’écologie”
i/ Il faut selon lui acter que la “stratégie historique de l’environnementalisme européen est en échec”. L’idée sous-jacente était qu’”une modification graduelle des normes de comportement, de consommation, des attentes sociales, allait se produire sous l’égide d’une avant-garde verte”. Or, cette conception a entrainé de graves conséquences : "le fait que l’avant garde culturelle en question se trouve être principalement composée de personnes plutôt privilégiées tend à associer le mode de vie écologique à ces privilèges, et à susciter par contrecoup les réticences des groupes moins favorisés”
“La société, et la transition climatique, sont ainsi prises en étau par une alliance entre élites fossiles et classes populaires, dont les intérêts convergent par la force des circonstances, et dont l’expression la plus manifeste au quotidien est cette insistance répétée, à droite et dans l’écosystème médiatique qu’elle entretient, pour qualifier toute action climatique de crime contre les valeurs traditionnelles de l’homme ordinaire. Le clin d’oeil d’Emmanuel Macron à la culture automobile dans sa récente intervention médiatique (« J’adore la bagnole ») est une nouvelle manifestation de cette bataille culturelle : il est désormais quasiment impossible de ne pas rassurer les habitudes de l’âge fossile, pour prévenir le douloureux backlash de la transition”
ii/ Pour défaire les stéréotypes culturels bien ancrés (ceux d’une bourgeoisie urbaine éduquée qui investit dans le mode de vie écologique par stratégie de distinction), il faut que la modification des habitudes ne prenne pas la forme d’un acquiescement explicite, mais d’une “réorganisation des modes de production, de circulation, de consommation par défaut” :
“Quelques exemples : la viande doit être plus chère et de meilleure qualité pour en limiter la demande, le vrac doit être généralisé par les distributeurs, les voitures électriques doivent être moins chères et plus commodes d’usage que les voitures thermiques, les transports en commun encore moins chers et plus commodes que le véhicule individuel, etc. C’est l’architecture normative et l’organisation des infrastructures matérielles qui doivent intégrer les principes écologiques, exactement comme par le passé l’ébriété énergétique a été imposée par défaut”
Apple x “Mother Nature” - raconter la neutralité carbone
Il y a trois ans, Apple s’engageait à avoir une empreinte carbone totalement neutre d’ici à 2030. Lors de la traditionnelle keynote annuelle d’Apple, Tim Cook a fait un point d’étape, en dévoilant une vidéo de 5 minutes mettant en scène un comité de direction dirigé par … “Mère Nature” en personne, incarnée par l’actrice américaine Octavia Spencer.
Transport par bateau plutôt que par avion, magasins Apple alimentés en énergie renouvelable, engagements pour la sauvegarde d’écosystèmes au Kenya ou en Colombie … devant une “Mother Nature” très circonspecte et sarcastique, faisant régner la terreur devant les différents membres de la direction du géant de la Tech, Apple parvient à raconter son plan de transformation écologique. Et de dévoiler ses dernières innovations : l’Apple Watch série 9 sont les premiers produits Apple 100% neutres en carbone.
Comme le relevait La Réclame, “un nouveau récit de marque où la RSE est LA star du conseil d’administration, ce n’est pas neutre !” Cela n’a pourtant pas empêché Apple d’être classé dans le “Panthéon du Greenwashing” du mois d’octobre 2023 par le collectif Pour un réveil écologique, qui reproche à Apple de “personnifier Mère Nature pour auto-cautionner son plan climat”.
Unilever lâche du lest sur le purpose
Dans La Réclame, on apprend que le 26 octobre dernier, lors d’une réunion avec les investisseurs, Hein Schumacher, le nouveau PDG d’Unilever, a déclaré que le géant des biens de consommation cesserait d’imposer une mission sociale ou environnementale à toutes ses marques. Cette décision arrive dans un contexte où Unilever, sous la direction de son ancien PDG Alan Jope, a été critiqué pour avoir privilégié le “purpose” au détriment de la croissance financière.
“Schumacher said that for some brands, purpose was central to the marketing and positioning to consumers, but for others, it was an “unwelcome distraction” and added that the time and investment the company had put into sustainability may have “diluted efforts” in areas like performance. “Not every brand should have a social or environmental purpose. And we don’t want to force fit that on brands unnecessarily”. “Expressing more long-term commitment and ambitions is not going to help,” he said. “We need to step up and drive short-term action and be super transparent about what we can achieve.” (Financial Times)
À cet égard, l’exemple de Ben&Jerry’s est particulièrement frappant. Star du purpose dans le monde corporate, la marque, propriété d’Unilever, rappelons-le, accumule les campagnes de boycott à son égard, à mesure que la marque multiplie les déclarations radicales - en faveur de l’abolition du “privilège blanc” ou de la “restitution des terres indigènes volées”.
SIGNAUX FAIBLES
Prime annuelle d’habillement, congés «de respiration» : les nouvelles demandes des top-candidats lors des entretiens d’embauche
Face à un marché de l’emploi en tension, les candidats se sentent désormais en position de force pour négocier leur contrat. Pour les plus hauts postes, les candidats portent désormais des demandes de plus en plus exigeantes - Le Figaro a mené l’enquête, mi-outré, mi-fasciné devant l’audace des candidats.
« Lors des entretiens d’embauche, ils donnent le sentiment de plus s’intéresser aux avantages que peut leur apporter l’entreprise, qu’au poste lui-même », déplore un patron. Le 100% télétravail est un classique … “ mais lorsqu’il s’agit d’un poste de direction, demander d’exercer en télétravail est dénué de sens”, observe une directrice des ressources humaine (DRH).
L’article explique que lors de l’entretien d’embauche, un nombre croissant de candidats se renseignent sur la politique d'épargne salariale, la qualité du comité social et économique (CSE) et la durée des congés. “Certains nous demandent s’il est possible de prendre des congés de respiration, non-décomptés des vacances”, témoigne un recruteur. Dans les grandes villes, et en particulier à Paris, les candidats n’hésitent pas à demander des aides au logement. Sous prétexte qu’il représentait régulièrement son entreprise à l’occasion de réceptions, un haut dirigeant souhaitait qu’une prime annuelle d’habillement soit incluse dans son package.
Des témoignages qui font furieusement écho à la dernière campagne de Swile, qui pointait un insight fort : les avantages matériels d’être salarié.
“Le CDI à La Défense” is the new “Le tour du monde en van”
“Faire un tour du monde aujourd’hui, c’est boire un café en terrasse - voilà, c’est pas original. Tu serais venu me voir, tu m’aurais dit : heuuuu, ça y’est, je me lance, je me fais un 8h-18h à La Défense, à la Matmut, en CDI, je t’aurais dit : wow, challenge, c’est beau”
En Autriche, la percée surprise du “parti de la Bière”
En Autriche, une enquête d’opinion publiée par le très sérieux institut de sondage Unique Research pour le tabloïd autrichien Heute a fait sensation. Il estimait que, dans le cadre des futures élections régionales du Land de Vienne prévues en 2025, le dénommé BierPartei (le Parti de la Bière), recueillerait 12 % d’intentions de vote.
Fondé en 2014, le BierPartei a longtemps été décrit comme un parti satirique - et on peut le comprendre : sa constitution originelle le désignait comme un « mouvement bièrocratique » (« bierokratische Bewegung »), où le pouvoir découle de la bière. En 2020, le programme du parti proposait dix propositions plutôt hétérodoxes, allant de l’installation d’une fontaine à bière dans le centre-ville de Vienne à la promesse d’une « bière pour tous » (la provision gratuite d’un baril de bière à chaque foyer autrichien par mois), en passant par l’abolition de l’obligation de fermeture des bars et restaurants à une certaine heure.
Comment comprendre cet Ovni politique ? Dans l’Opinion, on y tire la leçon suivante : le consumérisme est désormais un moteur politique.
“Quarante ans après l’hypothèse Coluche, une candidature, elle aussi, considérée comme farfelue et, là encore, pensée comme une façon de chambouler le système politique, il n’est pas anodin qu’aujourd’hui le moteur de la mobilisation passe par un objet de grande consommation populaire - la bière.
C’est qu’entre temps, nous avons basculé dans une société structurée par et autour de la consommation. Si Coluche disait s’adresser à « tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques » (et de citer, pêle-mêle : les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques, ...), aujourd’hui le BierPartei s’adresse aux consommateurs. Dans les deux cas, l’objectif est le même - récupérer les déçus du champ politique traditionnel ; ce qui change, c’est la forme : le « comique politique » d’alors laisse place à la « bière politique ».
Baisse de natalité et baisse de consommation
725 997, c’est le nombre de naissances enregistrées par l’Insee en France pour l’année 2022. L’institut nous annonce qu’il “s’agit du nombre de naissances le plus faible depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale”. En 2022, on compte 16 000 naissances de moins qu’en 2021 (soit - 2,2 %). Cette baisse s’inscrit dans une tendance de plus long terme : depuis 2011, les naissances reculent chaque année, à l’exception de 2021 et sont désormais inférieures de 12,8 % à celles de 2010. Le dernier creux des naissances remonte au début des années quatre-vingt-dix, dans un contexte de récession économique.
Évolution du nombre de naissances par an depuis 1901
Source : Insee, statistiques de l'état civil
Pour la sociologue Catherine Scornet, les temps de crise ne sont pas favorables à la natalité, ils « incitent les couples à faire moins d'enfants et à reporter les naissances à des temps meilleurs ». Les causes de cette déprime démographique sont aussi ailleurs, nombreuses et pas forcément quantifiables : chute de la fécondité (qui s'observe surtout dans les âges les plus jeunes), manque de confiance dans l’avenir, sentiment d’éco-anxiété portée par la tendance GINK (Green Inclination No Kid), volonté de s'épanouir en dehors des contraintes inhérentes à la parentalité, besoin de se stabiliser dans la vie professionnelle avant de devenir parents…
Faut-il alors s’alarmer de ces chiffres ? Le déclin de la natalité semble s’inscrire dans la durée. Dans les scénarios les plus moroses, l’Insee envisage que le nombre de décès pourrait prochainement dépasser celui des naissances. À plus ou moins long terme, ce sont des pans entiers de l’économie (biens et services liés à la petite enfance, immobilier, système éducatif et de santé…) qui risquent d’être profondément affectés par cette situation. Il y a deux ans, LSA s’en inquiétait déjà :
« En matière de produits de grande consommation, les catégories dépendantes de la natalité sont plus nombreuses que celles liées au vieillissement. Si cette baisse de natalité touche en premier lieu les marchés enfants, elle commence à se répercuter sur l’ensemble de la consommation. […] Ainsi, l’an dernier, le panéliste NPD estimait l’impact du recul de la natalité pour le marché du jouet entre 0,5 et 1 point de décroissance. Et si la baisse concernait surtout les jouets pour les préscolaires, nul doute qu’elle se retrouvera demain sur les autres catégories du jouet ainsi que sur les fournitures scolaires, la mode enfantine, les articles de sport mais aussi les goûters, les briquettes de jus de fruits, les gourdes de compotes, les bonbons…».
ACTUALITÉS MÉDIA
Faute de droits sportifs, Netflix créé ses propres compétitions
Alors qu’Amazon achète à coups de millions de dollars les droits de compétitions sportives (la NFL aux US, la Ligue 1 en France), on lit dans Stratégies que Netflix diffusera en direct le 14 novembre la Netflix Cup, qui opposera les stars de ses deux séries sportives : des pilotes de Formule 1 (Formula One : pilotes de leur destin) et des golfeurs (Full Swing).
“Entre 15h et 18h (heure de Las Vegas), quatre pilotes de Formule 1 et quatre golfeurs s’affronteront sur un circuit en 8 trous. Parmi les pilotes sélectionnés, le Français Pierre Gasly, qui sera aux côtés de Carlos Sainz, Lando Norris et Alex Albon. Chacun sera épaulé par un golfeur (Rickie Fowler, Max Homa, Collin Morikawa et Justin Thomas). Les deux meilleurs duos s’affronteront dans une épreuve finale”
La question essentielle reste tout de même la suivante : qui regardera la Netflix Cup ?
Comment Mario est devenu le personnage le plus célèbre des jeux vidéo
Dans une société où règnent le présent immédiat, l’éphémère et le jetable, Mario – ambassadeur mondial de Nintendo – fait véritablement figure d’ovni. La mascotte du jeu vidéo reconnaissable à sa moustache, sa salopette bleue et sa casquette rouge a surpassé le culte de l’instantanéité pour s’installer durablement dans la culture populaire. C’est très fort !
Le personnage, créé par Shigeru Miyamoto, apparaît pour la première fois en 1981 dans Donkey Kong, l’un des tous premiers jeux de plateformes. Il se prénomme alors Jumpman, il est quadragénaire, charpentier et grimpe sur des échelles avec une massue en bois. Mais c’est en 1985 qu’il devient Mario, le plombier jovial connu de tous aujourd’hui – héros infatigable et emblématique de la série de jeux vidéo la plus vendue de tous les temps. Plus de 373 millions d’exemplaires ont été écoulés aux quatre coins de la planète depuis sa création, ce qui fait un jeu vendu toutes les trois secondes.
Top 10 des ventes mondiales des jeux vidéo Mario (en millions d’exemplaires)
Source : Statista, ventes à fin mars 2023
Dans Les Inrocks, le journaliste William Audureau, auteur d’une « Histoire de Mario », analyse l’extraordinaire longévité du phénomène :
« Mario est à la fois familier, plastique et insaisissable, comme toutes les bonnes mascottes faites pour durer. (…) Il est anachronique. Le personnage ne vieillit pas parce qu’il a toujours été plus vieux que son époque. Il est toujours un simple plombier au look tout, sauf technophile. C’est sa grande force. Il évoque quelque chose d’universel et intemporel, alors même qu’il est lié à des innovations et des cycles technologiques très courts. Il rend la technologie accueillante, bon enfant. Tout le contraire de Sonic par exemple, dont le positionnement jeune et ado, très dans l’air de son temps au début des années 1990 (baskets, références à Mickaël Jackson, Dragon Ball Z…) a naturellement vieilli. Quand on est né jeune, on ne peut que vieillir. Mais quand on est né vieux, que voulez-vous que le temps vous fasse ? »
Non content de truster le classement des ventes de jeux vidéo, Mario est aussi assuré d’occuper la première place du box-office de l’année 2023 en France. Le long métrage Super Mario Bros. le film, produit par Universal, Nintendo et Illumination Studios, a attiré plus de 7 millions de spectateurs. Il cumule, pour l’heure, 1,3 milliard de dollars de recettes dans le monde. Ce qui en fait le deuxième film d'animation le plus rentable de tous les temps, juste derrière La reine des neiges 2. Carton plein !
La Sphère, ou l’hybridation entre expérience physique et digitale
C’est la dernière folie made in Las Vegas : une salle de concert sphérique avec le plus grand écran LED du monde. Si l’expérience est impressionnante, le coût l’est également : pour une journée de publicité, le prix est fixé à 450 000 dollars, avec des impressions estimées à 300 000 sur site, mais surtout un reach estimé de 4,4 millions sur les réseaux sociaux.
A la croisée de l’attraction physique et digitale, les possibilités qu’offre La Sphère pour les marques s’inscrivent dans une tendance de redéfinition de la publicité OOH et/ou DOOH, qui se doit dorénavant d’être conçue et orchestrée comme une expérience physique à événementialiser en social media, pour profiter de la puissance du reach combiné.
La tendance du FOOH (Fake out of home) utilisée récemment par des marques comme Gucci, Jacquemus et des artistes tel que Angèle ou Ice Spice traduit à la perfection cette dynamique d’hybridation entre expérience physique et digitale.
Par ailleurs, on constate que récemment certaines publicités print en OOH s’approprient directement les codes esthétiques et d’UX du digital, brouillant ainsi encore plus la frontière déjà très fine entre communication IRL et digital.
CHAPEAU L’ARTISTE
“Life is not an IKEA catalogue”
Repéré par La Réclame. L’agence TRY a concocté pour IKEA Norvège une série de trois spots publicitaires qui vont à rebours de ceux habituellement produits par la marque d’ameublement. Plutôt que de ne montrer que des intérieurs tirés à quatre épingles, IKEA a voulu montrer la réalité, qui est souvent moins glamour.
“Dans sa dernière campagne, IKEA Norvège semble entamer sa publicité d’une manière que l’on connait bien : musique apaisante, intérieur parfait et prix défilants à l’écran, tous plus aguicheurs les uns que les autres. Pourtant, ces pièces de rêve révèlent vite leurs sombres secrets : vomi maternel sur canapé, pipi canin en intérieur, et soirée façon Projet X dans le douillet domicile familial”
Pour résumer : “La vie n’est pas un catalogue IKEA”. C’est plutôt bien trouvé !
Colgate contre le “smile shame”
Repéré par Dans Ta Pub, qui explique qu’à l’occasion de la Journée mondiale du sourire, célébrée le 6 octobre, Colgate a décidé de s’attaquer à un phénomène de société : la honte du sourire, ou “smile shame”, particulièrement répandu en Asie du Sud-Est.
Pour lutter contre ce fléau, la marque a donc concocté une campagne intitulée #FreeYourSmile dans plusieurs pays d’Asie, mettant à l’honneur des sourires authentiques, avec des appareils dentaires, des espaces et des formes asymétriques, loin des canons de beauté. La marque est même allée jusqu’à adapter son logo aux formes de dentition rencontrées.
DERNIÈRES PARUTIONS
Un essai : “Uniques au monde - de l’invention de soi à la fin de l’autre” (Vincent Cocquebert, Arkhê Editions)
Dans un essai remarqué paru aux lendemains du COVID, Vincent Cocquebert s’était penché sur ce qu’il appelait La civilisation du cocon (Arkhê Editions, 2021), à savoir la recherche excessive de confort, de bien-être et de sécurité engendrant une forme de repli dans un « chez soi » protecteur, conçu comme une réponse défensive à un mythe du progrès jugé périmé.
Dans son nouvel essai, tout juste paru (Uniques au monde, Arkhê Éditions), le journaliste se penche cette-fois ci sur une autre promesse dévoyée de la modernité : l’individualisation pour tous. « Si ce monde ne tourne pas rond, c’est que chacun pense en être le centre » dit joliment le rappeur Fuzati, dans une citation placée en exergue et qui résume à elle seule la thèse défendue dans le livre. Vincent Cocquebert décrit ce qu’il appelle « la société du sur-mesure », où tout, absolument tout, doit être à notre propre mesure et être le reflet de notre moi, soumis à cette obsession de l’« identification » : nos films, nos meubles, nos vêtements, nos produits cosmétiques, mais aussi nos relations amicales ou amoureuses, et même nos hommes et femmes politiques. Cette promesse d’hyperpersonnalisation, portée par le marketing et qui s’épanouit majoritairement dans la sphère de la consommation, grignote nos quotidiens depuis une trentaine d’années. Tout l’intérêt du livre est d’en mesurer les effets sur nos psychés individuels et collectifs.
Ce livre est bien plus qu’un condensé de tendances de consommation : il doit être compris comme une forme plus grave d’interpellation sur les risques politiques de la société du sur-mesure. Dans sa conclusion, l’auteur appelle à « retrouver le sens de notre dépendance réciproque les uns envers les autres » : c’est en effet le chantier auquel devraient s’atteler nos dirigeants, politiques comme économiques.
À lire !
Un roman : Les naufragés du Wager (David Grann, Editions du sous-sol) … ou comment écrire une bonne reco
Grand journaliste, David Grann est auteur de La Note Américaine, adapté au cinéma sous le titre Killers Of The Flower Moon et sorti en salle pile au moment où son dernier livre débarquait sur les étals des librairies - il est donc un bon marketeur, aussi ...
Le livre évoque une phase peu connue de l’histoire anglaise, le naufrage d’un vaisseau – d’une armada de 7, dont un seul reviendra - sur une île déserte et hostile en 1740 quelque part vers le Cap Horn, lors de la guerre de l'oreille de Jenkins, elle aussi méconnue.
Des histoires de survie sur des îles désertes, ça fait plus de 20 ans que TF1 nous en sert, on connait. Pourtant, David Grann, même si c’est difficile à concevoir, est un bien meilleur conteur que Denis Brognard. C’est même un très bon planneur strat.
Le prologue de deux pages est un executive summary — Deux bandes de marins issus du même naufrage refont leur apparition à Londres à deux moments différents, les uns accusant les autres de mutineries et autres joyeusetés cannibales. Le procès sera vite expédié, personne ne sera condamné pour éviter de tacher l’histoire navale anglaise. Avant même de commencer, on connait la fin et toutes les slides qui suivent ne sont là que pour densifier la proposition de valeur énoncée dans le prologue, le crédibiliser pour nous y faire y adhérer. Quant à l’acheter, il est déjà trop tard.
La première partie est une suite de persona — Chaque personnage important est détaillé : socio-démo, CSP, attitudes et comportements, motivations, composition de son foyer, environnements dans lesquels il a évolué et qui fait de lui ce qu’il est au moment T, etc… rien n’est oublié.
La suite du récit est accumulation d’insights sur les mœurs de l’époque et la nature humaine — Des insights qui tantôt prennent la forme de verbatim réels, issus des carnets de bord retrouvés (« Sous 40 degrés, il n’y a plus de lois, mais sous 50 degrés, il n’y a plus de Dieu. ») ; tantôt la forme de rapports d’expériences récentes et « sérieuses » (parce que Stanford ou Harvard) qui attestent de la véracité des comportements décrits. Et pour relier les points entre intuitions, considérations de marins et expériences sociologiques scientifiques, de nombreux extraits de poèmes philosophiques de Lord Byron, comme références culturelles inattaquables - son arrière-grand-père était de l’aventure.
Le devis n’est pas oublié, il figure en der de couv ; cette indispensable leçon de storytelling ne vous coûtera que 23,50 euros.
Un podcast : peut-on sortir de l’hyper-consommation ? (Cercle de l’ObSoCo)
À l’heure de la prise de conscience que le modèle de la consommation est à bout de souffle, à l’heure des injonctions à la sobriété mais aussi des revendications de pouvoir d’achat, peut-on sortir de l’hyperconsommation ?
Telle était la thématique centrale du colloque organisé par le Cercle de l’ObSoCo le 16 octobre dernier, dans les locaux de l’ESCP Business School. Pas moins de 12 universitaires (sociologues, philosophes, anthropologues, économistes) se sont succédés sur scène. Toutes les interventions sont disponibles en podcast, avec en prime celles de Philippe Moati (“Sortir de l’hyper-consommation : la nécessité d’une approche systémique”), de Benoît Heilbrunn "(“Plein ou plénitude ? Le chemin zen de l’abondance”) ou de François Attali (“Les liens entre hyperconsommation et narcissisme”).
À écouter, un crayon à la main !
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