L’ère de l’ébullition mondiale, la “canicule asymptomatique”, le bien-être sexuel, le “mouvement des serviettes”, #Barbenheimer, les effets politiques des notes Twitter, le retour de Plus belle la vie, l’explosion des guides de voyage générés par l’IA, le come-back de Jean-Jacques Goldman (dans les librairies), Yannick … elles ont fait (ou pas) l’actualité, voilà la veille des idées de la rentrée 2023.
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LES TENDANCES DE L’ÉTÉ 23’
La “canicule asymptomatique”, “l’ère de l’ébullition mondiale”, “Sur-Été” … la bataille des imaginaires estivaux
D’après l’agence européenne Copernicus, la température relevée à travers le globe en juillet 2023 a été la plus élevée jamais enregistrée. “Ce mois de juillet a été le plus chaud de notre histoire et, très probablement, le plus chaud des 120 000 dernières années” écrit Le Grand Continent, qui a rédigé une “pièce de doctrine” intitulée “l’ère de l’ébullition mondiale”, utilisant une expression du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres.
Toutefois, en raison d’un déplacement du jet-stream, la France a été plutôt épargnée par les températures extrêmes, et a même subi en juillet une météo plutôt maussade et humide. Il n’en fallait pas plus pour que certains climato-sceptiques inventent une nouvelle expression : la “canicule asymptomatique”.
Comme le relève Le Monde, “l’expression « canicule asymptomatique », d’une ironie mordante, s’est largement répandue depuis le milieu de l’été”. D’abord sur Twitter, relayée ensuite par des médias aux accents populistes (Le Média en 4-4-2), puis reprise par des politiques (Florian Philippot).
L’expression (“asymptomatique”) montre que le complotisme sanitaire est bel et bien en train de migrer vers le complotisme écologique, comme le montrait une étude réalisée par Cluster 17 pour la Fondation Jean-Jaurès.
Or, comme le rappelle la revue Usbek & Rica, les dernières projections du GIEC sont sombres : “dans les scénarios les plus pessimistes, une canicule comme celle de 2003, qui avait causé 70 000 morts en Europe, pourrait avoir lieu environ un été sur deux d’ici 2050”. Aujourd’hui, d’après un sondage mené par l’institut YouGov, l’été est la deuxième saison préférée des Français (à 43%), juste derrière le printemps (44%) et loin devant l’automne (8%) et l’hiver (6%). L’article pose la question de l’impact de ces perturbations climatiques sur la perception culturelle de cette période estivale :
« L’été va devenir la saison de tous les dangers », tranche Gaétan Heymes, ingénieur prévisionniste et nivologue à Météo France. « L’été va devenir la saison la plus éprouvante pour une grande partie de Français. Les congés, les grandes vacances, le bronzage sous les cocotiers : je ne sais pas si cet imaginaire va pouvoir survivre à la réalité… »
Tôt ou tard, les marques vont devoir s’adapter à cette nouvelle donne symbolique et culturelle de l’été, et imaginer de nouveaux imaginaires estivaux. Certains parlent même de l’apparition d’une cinquième saison, le “Sur-Été” …
Les “sex retreats” : le bien-être sexuel, nouveau critère de distinction de l’hôtellerie de luxe
Dans Libération, on lit qu’une nouvelle tendance émerge dans l’hôtellerie de luxe : les “sex retreats”. De nombreuses offres hôtelières promettent de renouer avec sa sexualité sous l’œil de coachs ou de thérapeutes, moyennant un budget entre 2000 et 15 000 euros. Une tendance niche, mais qui commence à émerger dans les magazines de voyage branchés :
“Condé Nast Traveler relève, émerveillé, une retraite sexuelle au St. Regis de Punta Mita au Mexique où l’on peut assister à une démonstration d’orgasme, assis en demi-cercle parmi d’autres voyageurs. Le Elle Québec s’intéresse à de nombreuses destinations de «bien-être sexuel»”
Dans son dernier rapport publié en janvier 2023, le Global Wellness Institute prédit une croissance annuelle du tourisme lié au bien-être sexuel de 27,9 % jusqu'en 2025.
Un autre article du Figaro s’est penché sur la même tendance, donnant la parole à des “guides tantriques”, sexologues et autres “master therapists”. “Depuis la pandémie, note Mahesh Natarajan, directeur général de l’hôtel Ananda Ayurveda Resort (Sri Lanka), une nouvelle clientèle internationale, majoritairement trentenaire, souhaite aller plus loin du côté de l'exploration intime”. Conséquence côté programmation : les établissements du monde entier rivalisent d'audace et d'imagination pour répondre à cette nouvelle demande.
“Le W Brisbane (groupe Marriott), en Australie, s'est par exemple doté d'un « sexologist concierge ». Comme si la suite WOW avec sa vue imprenable sur la ville, son lit king size et sa douche dotée de quatre pommeaux ne suffisait pas, les clients qui la réservent peuvent, depuis l'année dernière, bénéficier gratuitement d'une consultation téléphonique avec Chantelle Otten, sexologue star d'Instagram (200 000 abonnés) et d'un accès à une plateforme de vidéos éducatives”
Notons que, pour le moment, ce sont des marques de luxe qui ont préempté la notion de “bien-être sexuel” en le transformant en critère compétitif de distinction. Il est probable que cette notion s’élargisse à d’autres catégories et à d’autres marques : une mutuelle, une marque de literie ou d’aménagement intérieur ne pourraient-elles pas, à leur tour, s’emparer du “bien-être sexuel” ?
Le “mouvement des serviettes”, ou la plage comme nouvel horizon de lutte
Né sur l'île de Paros (Grèce), le « mouvement des serviettes » lutte contre l'occupation illégale du littoral par des bars et restaurants de plage. La loi grecque impose aux entreprises ou bars de plage de laisser un espace libre égal à 50 % de la surface de la plage au minimum, afin de garantir l'accès à la mer ; or, dans les faits, les plages sont presqu’intégralement recouvertes de transats et de parasols, loués une fortune (jusqu’à 100 euros la journée).
Résultat : les résidents de Paros se sont coalisés pour protester auprès des pouvoirs publics, en fondant un groupe Facebook intitulé « le mouvement des citoyens de Paros pour des plages libres » (10 000 membres). “Nous revendiquons le droit de profiter des plages” explique l'un des membres du mouvement, Damianos Gavalas (Les Échos). Le mouvement s’est propagé à d’autres iles grecques, avec le même mode opératoire : mobilisation digitale, manifestation physique, pétitions et lettres envoyées aux autorités publiques. Le gouvernement grec a suivi de près cette mobilisation inédite :
“Dans un tweet, le ministre de l'Economie, Kostis Hatzidakis, a annoncé mercredi que sur 918 inspections de plages conduites depuis le 21 juillet, 331 violations de la réglementation avaient été détectées. a été suivi d’effets : des amendes et des arrestations ont eu lieu” (BFM)
Sans en exagérer la portée, ce “mouvement des serviettes” peut être vu comme un formidable signe des temps. Signe d’une relation de plus en plus conflictuelle entre résidents et touristes. Signe que l’accès aux plages est susceptible de mobiliser des citoyens souvent décrits comme indifférents, surtout pendant la période estivale. Signe que les loisirs constituent peut-être le prochain horizon de lutte.
#Barbenheimer : un mème pour sauver Hollywood
Juillet 2023. Deux films que tout oppose sont en compétition dans les multiplexes américains: la rêverie satirique et colorée de Greta Gerwig, Barbie, et l’étude intense du père de l’arme atomique Oppenheimer, par Christopher Nolan.
L’enjeu : la reconquête et la capture d’un public réticent à revenir au cinéma. En 2023, le box-office américain peine encore à se remettre de l’abandon des salles obscures suite à la crise sanitaire. La tendance porteuse des comic book movies s'essouffle. Warner Bros en souffre particulièrement - les échecs consécutifs de The Flash et Shazam : Fury of the Gods ayant conduit à des pertes record pour le studio. Depuis sa fusion avec Discovery en avril 2022, le titan d’Hollywood subit une importante dévalorisation boursière et une chute des souscriptions à son service de streaming Max. Et son ancienne poule aux œufs d’or, le réalisateur britannique Christopher Nolan (The Dark Knight, Inception, Interstellar), s’apprête à sortir son nouveau film chez un concurrent - une première depuis 2005. Sale année.
Le schisme entre le studio et le réalisateur est né d’une différence de vision. Deux ans plus tôt, Warner Bros annonçait limiter au maximum les sorties de nouveaux films sur grand écran, froissant Nolan, ardent défenseur des salles obscures, et le poussant à frapper à la porte d’Universal pour financer son Oppenheimer. Rancunier, Warner se précipite pour trouver un moyen de saper l’hégémonie de l’auteur britannique sur le box-office estival. Sa solution : accélérer la mise en production d’un film sur le personnage de Barbie, dont le studio détient les droits depuis 2018, et sortir le résultat le même jour que le biopic de Nolan..
Comme dans un conte de fée post-moderne, les plans du studio seront contrecarrés par l’amour du public pour un bon mème. L’idée de voir s’opposer en salles deux œuvres aussi différents que similaires - castings révérés, auteurs mêlant cachet mainstream et crédibilité artistique, certains des meilleurs techniciens d’Hollywood - donne naissance à un mot, à un concept : Barbenheimer, ou la fusion absurde des deux œuvres. Les fans de cinéma, d’histoire, de pop-culture se rallient derrière ce mot, initialement blague,source de montages photos et vidéos s’amusant des contrastes entre les deux films. Le mot devient tendance; la tendance phénomène. De “quel film voir ?”, le débat se mue en “quel film voir en premier?”.
En amont de la date fatidique du 19 juillet, 942 millions de tweets sont publiés avec le mot-clé ou hashtag Barbenheimer, dont 200 millions le seul weekend de la sortie des films. Sur TikTok, 18 000 vidéos sont publiées en juin et juillet, pour plus de 400 millions de vues. La tendance - née de tweets obscurs publiés par des comptes sans influence dès la fin 2022 - apparaît comme naturelle, organique, inclusive.
Dans les jours précédant la date de sortie, la chaîne de cinémas AMC annonce que plus de 20 000 spectateurs ont réservé des billets pour voir les deux films à la suite. Le weekend du 19 juillet, Barbenheimer engrange un total cumulé de 235 millions de dollars au box-office, loin des prévisions qui, un mois plus tôt, envisageaient au mieux un score de 140 millions. Un démarrage extraordinaire - le quatrième meilleur weekend de l’histoire pour le box-office américain - et des records qui s’enchaînent : Barbie est le premier film réalisée par une femme à dépasser le milliard de recettes à l’international, tandis qu’Oppenheimer est, à date de l’écriture de l’article, le deuxième plus gros succès pour un film Rated R (interdit aux mineurs non-accompagnés) et pour un film sur la Seconde Guerre mondiale.
A travers ce mème, une industrie qui s’effondre sous le poids des algorithmes et de la confusion entre art et contenus voit la possibilité d’un nouveau souffle, donné par une action organique portée une promesse de qualité cinématographique, et l’impression de participer à un “moment” culturel, dans l’air du temps - entre poptimisme inclusif et angoisses existentielles.
Et pour plus tard ? C’est cette question de l’organique, du spontané qui se posera. Nul doute que certains tireront la leçon qu’un timing de sortie - d’oeuvre, de produit - opportuniste pourra servir de moteur à une stratégie montée de toute pièce pour tenter de capitaliser sur une opposition …
SIGNAUX FAIBLES
Le réchauffement climatique bouscule l’identité culturelle des régions
Dans Le Monde, un article passionnant s’interroge sur l’effet du réchauffement climatique sur l’identité culturelle des régions françaises. Tourisme, agriculture, attractivité … Les changements à venir sont tels qu’ils peuvent menacer des cultures séculaires dans les prochaines décennies, ce qui constitue un péril pour l’image des régions. En Bretagne, par exemple, les températures de 2022 ont abouti à une baisse d’environ 30 % des récoltes de deux productions emblématiques, l’oignon et l’artichaut. Comme le relève Magali Reghezza-Zitt, géographe et membre du Haut Conseil pour le climat :
« La géographie est le produit d’un environnement naturel et d’un patrimoine historique ; la transition climatique bouleverse les choses. A terme, on peut se demander ce que vont devenir les marais salants de Guérande [Loire-Atlantique], les marais maritimes du Mont-Saint-Michel, la Camargue, les régions viticoles, les sapinières de montagne. La France bouge déjà beaucoup au niveau des paysages, et ça va s’accélérer. »
Pour les régions, le réchauffement pose aussi le défi de l’attractivité. Le climat peut devenir de plus en plus prépondérant dans les choix des entreprises et provoquer des migrations nouvelles au sein du pays. Depuis quelques années, les retraités, qui plébiscitaient la Côte d’Azur, se tournent vers l’Atlantique et la Manche. En 2022, Granville (Manche) et Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) ont été élues villes où il faisait le mieux vivre pour les seniors, dans deux classements différents qui tenaient compte de l’ensoleillement.
“A l’occasion d’une vaste étude, « Imageterr », qui montre une attraction pour le littoral atlantique, les villages et les villes moyennes, les responsables de la chaire ont aussi pu récupérer 4 500 verbatims. « Au moins 600 de ces entretiens évoquent le climat. En majorité pour chercher le soleil. Mais on voit monter en puissance, dans une cinquantaine de verbatims, les mots “tempéré”, “douceur”. Il y a clairement une préoccupation grandissante », conclut Christophe Alaux, directeur de la chaire Attractivité et nouveau marketing territorial (université Aix-Marseille)”
Comment travailler l’imaginaire d’un terroir quand l’avenir des A.O.C est très incertain ? Faut-il anticiper un marketing du “roquefort d’Ile-de-France” ?
À vos marques, prêts, bougez - le sport, c’est la santé
Cet été, la chaîne Arte a programmé le documentaire À vos marques, prêts, bougez - Le sport c’est la santé. Le constat de départ est le suivant : depuis l’épidémie de Covid-19, nous avons observé un phénomène de flemme qui touche une grande partie de la population. En favorisant la sédentarité, les nouvelles technologies ont contribué à une baisse significative de notre taux d’activité physique et augmenté les risques de maladies cardio-vasculaires, d’obésité. Un Français sur deux avoue ainsi ne faire aucun sport. 87% des jeunes Français ne font pas assez d’exercice physique et 49% d’entre eux s’exposent à des risques élevés pour la santé avec plus de 4 heures passé chaque jour devant un écran.
Dans ce contexte, comment remettre nos sociétés en mouvement de manière durable ?
Dans son documentaire, Arte va ainsi explorer à travers le monde les différentes initiatives pour nous aider à retrouver le goût de l'exercice et améliorer notre compréhension de ses effets bénéfiques. Chercheurs, médecins, et même urbanistes ou concepteurs de jeux vidéo - au cœur du marché florissant des "exergames" – développent différentes pistes pour nous rendre un peu plus actifs. Mais dans une société où la sédentarité est largement corrélée aux conditions de vie et au niveau de ressources, le nerf de la guerre reste l'investissement des États au travers de politiques publiques ambitieuses.
Pour les prochaines années, la France fait le pari des Jeux Olympiques pour faire bouger 3 millions de Français. Cet événement majeur sera l’occasion d’interpeler les Français sur l’activité physique et ses bienfaits à tous les âges de la vie. Pour pérenniser l’effet JO (qui en général ne dure qu’un an ou deux), un plan d’action baptisé « Héritage 2024 » a été déployé pour développer de nouveaux concepts favorisant l’activité physique. Mais ces mesures gouvernementales peinent à se déployer sur le terrain. Il faudra également compter sur un accompagnement des entreprises privées.
Selon une étude menée par KPMG et Sporsora, le sponsoring privé pèse pour près de 2,5 milliards d’euros. Et contrairement aux idées reçues, la majorité des investissements (40%) vont en direction des clubs amateurs. 36% sont captés par des clubs professionnels, 9% pour les fédérations et 7% pour des événements récurrents (Roland-Garros, Tour de France, etc.). Par ailleurs, les entreprises s’intéressent de plus en plus à la pratique du sport sur le lieu de travail. La proposition d’activités physiques par les entreprises tend à se développer car le sport participerait à l’augmentation de la productivité des salariés.
Accompagner les Français dans leur activité physique et les aider à prendre soin de leur santé : entreprises et marques ont tout intérêt à poursuivre dans cette démarche meaningful. Si le sujet n’est pas neuf, le signal faible est qu’on se remet à en reparler dans le débat public …
ACTUALITÉS MÉDIA
La rentrée des médias : proximité et tangibilité
Comme l’écrivait CBNews, la proximité est le maître mot des médias en cette rentrée. Une volonté affichée lors de la présentation des nouvelles grilles de programme : être proche de leurs publics. France 3 comme France Bleu le revendiquent comme leur ADN, TF1 promet de faire vivre « les Français ensemble », Europe 1 comme 20 Minutes ont placé la proximité au cœur de leur stratégie.
Cette volonté de proximité s’exprime aussi par une tendance de tangibilisation des médias : redonner de l’humanité et du concret à l’heure de l’IA et de chatGPT. Cette tendance s’illustre de plusieurs façons :
1/ L’humanisation : en s’incarnant via des gestes humains qui valorisent et mettent en avant le travail réalisé
Un insight et des exemples puisés dans la newsletter In Bed With Social.
Pour concrétiser le travail réalisé par ses équipes et donner une « human touch » à ses contenus, le New York Times donne désormais accès aux coulisses de la rédaction d’un article via les notes partagées, et transmet directement en PDF des documents sources annotés par sa rédaction : une démarche entre making-of et co-création pour ses lecteurs.
Pour humaniser et valoriser leur travail d’investigation, certains journalistiques ont choisi l’hyperphysique et l’hyperhumain pour leur data-visualisation : heatmap en crochet, cartes en broderies, graphiques en tricot...
2/ L’incarnation : concrétiser sa ligne édito et ses rubriques par une présence physique dans l’espace public
Cet été, le NY Times a pris d’assaut toute une rame du métro, où chaque wagon incarne une rubrique des abonnements au média : cuisine aux recettes alléchantes et exclusives, le sport aux couleurs des Giants, des jeux pour la voiture Wordle…
3/ L’ancrage géographique - en s’ancrant dans un lieu
Incarner et ancrer son média dans un Pop-Up shop, dans un lieu et une période donnée (comme la fashion week ou le salon du design) pour plus de tangibilité : comme Monocle à l’aéroport de Zurich, ou Highsnobiety à Paris ou Milan. Une manière d’aller à la rencontre de ses audiences, en associant curation de produits et collaborations avec des marques ou des institution locales : on peut citer le Pop up highsnobiety à Paris et ses collab allant de JM Weston à Adidas, et du Café de Flore au Palais de Tokyo, en passant par l’As du Fallafel.
À l’ère de la bataille pour l’attention, avec ces stratégies de tangibilisation, les médias se différencient et participent à la valorisation de l’humain et du travail journalistique. Cette démarche de proximité va toutefois au-delà des marques médias et de la presse. Dans l’édition, le divertissement et la fiction, on observe une extension de l’expérience au-delà du medium : pop-up expérientiel Netflix pour vivre l’expérience Strangers Things IRL,merch-ification de l’édition et du BookTok… En somme, les médias prennent une nouvelle dimension, et passent du storytelling au storyliving.
« Plus Belle la vie » et Michel Drucker : la télé française saura-t-elle se renouveler ?
En février 2022, l’annonce de son arrêt avait suscité beaucoup de commentaires. Il faut dire qu’après 18 ans d’antenne sur France 3 et 4665 épisodes cumulés, “Plus Belle la vie” s’était forgé un statut à part dans l’histoire du petit écran. Les études montraient alors qu’un Français sur trois avait déjà regardé la série.
Cet été, à la surprise générale, TF1 a annoncé relancer sur sa chaine la série culte. Événementielle, feuilletonnante - c’est-à-dire fidélisante - et capable de rassembler plusieurs générations sur le canapé, la saga ne manque pas d’atouts pour dynamiser la consommation de MYTF1, explique Le Figaro :
«Les marques télévisuelles iconiques sont rares. Celles qui continuent d’avoir un public fidèle et constitué en grande partie de jeunes sont très rares. Et celles qui, en plus, sont capables de générer de fortes audiences à la fois en linéaire et sur le digital sont extrêmement rares. Il se trouve que Plus Belle la vie regroupe l’ensemble de ces qualités», estime Ara Aprikian, le directeur général adjoint chargé des contenus du groupe TF1.
Si TF1 s’est décidé à relancer la série, c’est aussi qu’elle correspond à sa ligne éditoriale, résumée par un nouveau slogan: «Les Français ensemble.»
“Plus belle la vie est «un grand feuilleton populaire, régional, incarné autour des valeurs de solidarité», résume Ara Aprikian. Dans un contexte de fragmentation de la société de plus en plus marqué, cette fiction doit continuer à «promouvoir la construction du lien social»,insiste-t-il (…). «Nous sommes très attentifs au fait que la représentation de l’imaginaire collectif, à travers la fiction, ne soit pas réduite à une forme de parisianisme. Les histoires doivent s’incarner localement», insiste Ara Aprikian. HPI se déroule à Lille, Demain nous appartient a pour décor la ville de Sète. Ici tout commence est implanté en Camargue. Et Plus Belle la vie va de nouveau poser ses valises à Marseille.
Cette annonce interroge toutefois la capacité de la télévision française à se renouveller. Dans Le Monde, la journaliste Helene Bekmezian pointe, avec le retour des figures historiques de Michel Drucker et de Nelson Monfort à l’antenne de France 2, un drôle de “retour vers le futur” :
“Il n’empêche, cette télévision continue visiblement de plaire. Pour son retour dimanche 27 août sur France 3, après plusieurs mois d’interruption pour raisons de santé, notre Michel Drucker national a rassemblé près de 8 % des téléspectateurs devant leur petit écran, soit 818 000 personnes. C’est mieux qu’il y a un an pour la première du retour de « Vivement dimanche » (609 000), mais loin des sommets à 1,2, voire 3 millions, au plus fort de la gloire de l’émission. La recette ? Surtout, ne pas bousculer. Inviter quelques usual suspects : Laurent Gerra donc, mais aussi Les Chevaliers du Fiel, Mathieu Madénian et même Roland Magdane en visio”
Plus largement, on notera que la fibre “nostalgie” a été beaucoup activée, en cette rentrée. Citons pêle-mêle : les deux soirées spéciales consacrées aux 20 ans de “Un gars et une fille” (TF1) ; le magazine “Une école à remonter le temps” qui nous transporte sur les bancs de l’école de nos parents, grands-parents et arrière-grands-parents (M6) ; ou encore le remake de la série “Un, dos, très”, 18 ans après sa première version (W9).
Comment les “notes Twitter” contrarient les politiques
Depuis peu, une nouvelle fonction est apparue sur X (anciennement Twitter) : les utilisateurs peuvent désormais ajouter - anonynement - des éléments de contexte à n’importe quel message posté sur la plateforme. Il s’agit d’un outil collaboratif, géré par les utilisateurs de X, inspiré de Wikipedia, et censé s’auto-réguler.
Rapidement, la fonctionnalité a été utilisée pour des messages d’hommes et de femmes politiques, dans une volonté de recontextualiser leur propos. Les principaux intéressés dénoncent le moyen d’amoindrir la portée de leur message, comme le raconte un article de Raphaël Grably, expert tech de BFMTV :
"J’ai le sentiment que ces notes sont un nouvel espace de lutte. Un petit groupe bien organisé peut maintenant jeter le discrédit ou mettre en cause les propos tenus par autrui. Le tout, sans droit de réponse" regrette Hadrien Clouet, député LFI. Le 19 août, il avait évoqué une impossibilité de trouver un médicament (le Movicol), dans quatre pharmacies d’une même région. Une "Note" Twitter a ensuite été affichée pour préciser que le médicament n’était pas en "situation de pénurie" selon l’ANSM, l'Agence du médicament. "Pointer le fait qu’il manque un médicament localement n’implique pas forcément une pénurie au niveau national. Ce sont des propos qui tapent à côté du propos initial pour jeter le discrédit" estime le député.
Dans cette fonction, la député écologiste Sandrine Rousseau voit "un outil culturel supplémentaire dans la bataille d’Elon Musk", dans une “entreprise de décrédibilisation de toute parole qui ne plaît pas”.
Les marques doivent-elles s’inquiéter de voir, demain, des “notes Twitter” remettre en cause leur promesse de marque ?
TECH & IA
“Is the AI boom already over?”
C’est le titre - provocant - d’un article très commenté de Vox, un média en ligne anglo-saxon. Qui part du constat que de récentes études et sondages montrent que les consommateurs sont (déjà) en train de perdre de l’intérêt pour les outils d’intelligence artificielles génératifs : pour la première fois, ChatGPT perd des utilisateurs (-9,7% en juin), et la nouvelle recherche Bing (Google) basée sur l’IA n’a pas renversé la table (“The new bing with AI chatbot is cute, but not a game changer” dixit le Wall Street Journal). Pour résumer :
“Des rapports récents suggèrent que, à mesure que l'élan initial d'enthousiasme et de curiosité s'estompe, les gens pourraient ne pas être aussi intéressés par les chatbots que beaucoup l'espéraient”
De quoi, peut-être, commencer à relativiser un peu la “folle ruée vers l’IA” observée ces derniers mois ?
Une fausse chanson d’Angèle produite intégralement par IA
En trois semaines, le titre cumule plus de 2 millions de vues sur YouTube. À première vue, “Saiyan” est un nouveau tube de Angèle. En réalité, il s’agit d’un morceau créé par le beatmaker Lnkhey à l’aide d’un logiciel d’intelligence artificielle, qui a reproduit de façon très étonnante la voix de la chanteuse belge.
Contacté par Le Figaro, le créateur, qui dit n’avoir aucune “volonté de profit”, explique son procédé :
« Pour obtenir ce résultat, j’ai isolé environ dix minutes de la voix d’Angèle à partir de ses chansons, j’ai ensuite transmis les pistes audio à RVC. Après cela, j’ai modifié un petit peu la mélodie pour qu’elle puisse aller avec la voix de l’artiste. J’ai terminé par m’enregistrer en chantant les paroles et l’IA a fini le boulot en remplaçant ma voix par celle d’Angèle! »
Comme le relève Creapills, le faux titre n’a pas manqué de faire réagir la principale intéressée : sur TikTok, elle a repris le morceau au piano en précisant s’inquiéter pour son métier …
Enable 3rd party cookies or use another browser
En avril dernier, un duo de Drake et The Weeknd (Heart on my sleeve), créé par l’intelligence artificielle à l’insu des deux artistes, avait déjà divisé le monde de la musique. Demain, assistera-t-on à l’apparition de fausses publicités de marques, diffusées à leur insu ? Le Figaro précise qu’en France, le cadre juridique autour des deepfake (vidéo ou audio) reste assez flou …
L’explosion des (mauvais) guides de voyages générés par IA
Le New York Times s’est penché sur une tendance émergente : la prolifération ces derniers mois de guides de voyages de mauvaise qualité, “qui semblent avoir été compilés à l’aide de l’intelligence artificielle générative, auto-publiés et soutenus par de fausses critiques”. Ce qui est fascinant, explique l’article, c’est que ces livres sont le résultat cumulé de différents outils modernes : des applications d’IA générative capables de produire instantanément des textes et de créer des images de toute pièce ; des plateformes d’auto-édition (comme Kindle Direct Publishing d’Amazon) avec peu de gardes-fous contre l’utilisation de l’IA ; et la possibilité de solliciter, d’acheter et de publier de fausses critiques en ligne. Tous ces outils ont permis aux livres de se hisser en tête des résultats de recherche d'Amazon et d'obtenir parfois des mentions d'Amazon telles que « Guide de voyage n°1 sur l'Alaska ».
Pour les acheteurs, les conséquences peuvent aller au-delà de la déception d’un contenu plat et sans originalité. Le New York Times a relevé qu’à plusieurs reprises, les guides omettaient de préciser des informations importantes, encourageant les voyageurs à se rendre dans des destinations dangereuses car … en guerre :
“A guidebook on Moscow published in July makes no mention of Russia’s ongoing war with Ukraine and includes no up-to-date safety information. (The U.S. Department of State advises Americans not to travel to Russia.) And a guidebook on Lviv, Ukraine, published in May, also fails to mention the war and encourages readers to “pack your bags and get ready for an unforgettable adventure in one of Eastern Europe’s most captivating destinations.”
CHAPEAU L’ARTISTE
McDonald’s - As Featured In Meals (Wieden + Kennedy)
Dans sa dernière campagne publicitaire, adaptée dans près de 100 pays, McDonald’s célèbre sa place dans la pop culture. Films, séries télé, manga … McDo compile des extraits vidéos où la marque apparait, de George Costanza offrant à son date un Big Mac à Seinfeld au penchant du patron de The Office, Michael Scott, pour le Filet-O-Fish, mais aussi Pulp Fiction, Big Daddy ou Le Cinquième Élément ... En filigrane, cette idée créative toute simple, mais très puissante : tout le monde a déjà commandé chez McDonald’s, même dans le monde de la fiction !
“It’s not only our real-life fans who have a go-to order, for decades our favourite movie and TV characters have, too. The As Featured In Meals is our biggest Famous Order yet, celebrating the most memorable McDonald’s references across the world of entertainment.” Morgan Flatley, global chief marketing officer de McDonald’s (Creative Review)
Sur Twitter, le responsable des réseaux sociaux, Guillaume Huin, explique que le déploiement de la campagne a été construit comme une sortie de film. Brillant !
Les premiers films Paris 2024
Si dans nos rues commencent à fleurir les premières prises de parole des partenaires des Jeux (Carrefour, Coca-Cola…) c’est la déclaration d’amour en forme de film de France TV qui nous a, pour l’instant, le plus émus ou hérissés les poils pour emprunter l’expression dans l’excellente newsletter Komando, qui nous l’a fait découvrir.
Une copie qui résonne avec le film Faire gagner la France de nos amis d’Havas Paris pour FDJ.
DERNIÈRES PARUTIONS
Un essai : “Goldman” (Ivan Jablonka, Seuil, 2023)
Comment expliquer que, vingt ans après avoir tiré sa révérence, Jean-Jacques Goldman soit encore la « personnalité préférée des Français » ? Bien sûr, il y a l’immense succès commercial – 30 millions de disques vendus, 300 chansons composées, dont près de la moitié pour d’autres artistes –, mais il n’explique pas tout. Quelque chose chez Goldman entre profondément en résonnance avec la société française et continue de travailler son inconscient politique. Pour le comprendre, l’historien Ivan Jablonka lui a consacré un livre, sobrement intitulé Goldman, qui se situe au confluent de la biographie, de l’ouvrage de sociologie politique et de l’essai de « pop culture ».
À plusieurs reprises, Jablonka nous replonge dans la critique acerbe de la presse généraliste de l’époque, qui a longtemps refusé à Goldman l’accès à la “culture légitime”. Sa musique, qualifiée de « soupe instantanée des supermarchés », est jugée trop commerciale (« Un côté jingle, fille de pub » écrit Libération) : ancrés dans la variété française, les multiples tubes de Goldman – Quand la musique est bonne, Envole-moi, Je marche seul – sont devenus les ingrédients de la culture de masse, nécessairement indignes de respect. Pourtant, loin de vouloir se présenter comme un poète des temps modernes, avec tout ce que cela implique d’appartenance à une certaine élite littéraire, le chanteur assumera toujours produire des chansons populaires qui s’offrent au public sous « une forme consommable », comme il le dira lui-même. « Oui, j’aime les tubes » affirme-t-il sans ambages au journaliste Didier Varrod en 1982.
Au lieu de dénoncer cette musique « utilitaire », Jablonka y voit, lui, une vertu politique. « Ses chansons sont démocratiques, écrit-il, parce qu’elles font naître une émotion fédératrice », agrégeant « une communauté de fraternité et de solidarité ». Plus encore qu’un « mythe Goldman », il y aurait même, selon lui, une « nation Goldman ».
A lire !
Un film : “Yannick” (Quentin Dupieux)
Ces dernières années, Quentin Dupieux a habitué son public à des scénarios franchement loufoques (Fumer fait tousser, Le Daim, Mandibules). Dans son dernier film, Yannick, le réalisateur imagine qu’un membre du public d’une salle de théâtre interrompt la représentation en cours, en raison de sa médiocrité. Il s’appelle Yannick, il est gardien de parking, il a posé une journée de congé pour venir de Melun, et n’accepte pas d’être “pris en otage” par une pièce qu’il juge mauvaise. A son tour, il va prendre en otage les acteurs (avec un pistolet, de son côté) pour leur faire jouer autre chose.
En creux, le film pose mille questions : celle du consommateur-roi, pour qui l’ennui est interdit et qui se croit dans son droit de tout exiger ; mais aussi la question du “spectateur moyen”, souvent ignoré par le cinéma d’auteur.
Un petit bijou de 1h07 - soit tout juste 3mn de plus que la durée minimale pour être catégorisée comme un long-métrage !
Un podcast : Mais où va Twitter ? (Les Éclaireurs du numérique)
Face à l'immense MuskBashing, et l'impossibilité pour les journalistes (qu'il déteste) d'avoir des interviews, il est difficile de se faire une réelle idée de la trajectoire de X/Twitter. “Mais où va Twitter ?” se demandent Les Eclaireurs du numérique dans leur dernier podcast.
On peut gloser ad nauseum sur la folie branding d'abandonner une marque connue mondialement (et dont le nom même est devenu un verbe), il faut en revanche reconnaitre que la plateforme semblait avoir bien besoin d'un nouveau Business Model. Couper les coûts et subir la baisse des revenus pour devenir rentable et se déployer ? Pourquoi pas, la métaphore du Phoenix reste dans le champ lexical ornithologique. Mais prendre pour nom une lettre, indéposable et donc impossible à valoriser, est pour le moins étrange.
La réponse business se trouve sans doute du côté de la Defi, du Dodgecoin et de leurs avatars, c'est à dire dans l'évolution vers une app de paiement, utilisant l'audience (payante) et les contenus (gratuits) pour faire aussi bien circuler l'argent que les opinions.
Pour l'instant, sur ce qu'on voit, aucun réseau n'a remplacé X/Twitter dans les pratiques des politiques, journalistes, et autres power people des idées. Les divers ajustements sur la modération, le shadow banning ou les community note font hurler bon nombre d'illustres utilisateurs, mais il parait que Musk est ravi que la plateforme recueille maintenant autant de confiance de la part des démocrates que des républicains. Une certaine vision de l'impartialité …
Tout ça pour dire qu'il faut écouter ce podcast, quitte à ce que cela vous contrarie.
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