Les vacances sous inflation, le best of Cannes 2023, la fin de l’ère du télétravail dans la tech, l’adaptation climatique, l’impact des baisses d’investissements publicitaires pour les marques, Threads by Instagram, les “spin-dictators”, Léon Blum … elles ont fait (ou pas) l’actualité, voilà la veille des idées de l’été 2023.
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LES VACANCES SOUS INFLATION
Entre 35 % et 40 % des Français ne partiront pas en vacances cet été
C’est le résultat des sondages IFOP pour Paris Première et CSA pour Cofidis, publiés fin juin. Des chiffres en hausse de 14 points par rapport à 2022, d’après le premier institut, et de 3 points pour le second. Première raison invoquée, et de loin : le manque de moyens (44%). 26% déclarent préférer rester chez eux, et 15% ne partiront pas en vacances cet été pour raisons professionnelles. Au total, 3 millions d’enfants resteront à quai.
Il s’agit des premières vacances sous forte inflation, ce qui accroit considérablement les tensions. Un reportage du journal Le Monde livre plusieurs témoignages saisissants - comme cette aide-soignante qui, dans l’impossibilité de mettre suffisamment de côté cette année, n’emmènera pas ses quatre filles en vacances cette année : “Les vacances, c’est une façon de les féliciter et de les motiver pour l’école. C’est très dur pour elles de ne pas partir. Une copine de ma fille lui a dit qu’elle était une clocharde !” On lit que dans l’Eure, le Secours populaire a accueilli 18 % de personnes de plus cette année, et a revu à la hausse le nombre d’enfants qu’il emmènera au parc Astérix, lors d’une Journée des oubliés des vacances. "Les vacances, c’est le premier budget que les gens suppriment”
Outre le volet financier, Aurélie Mercier, chargée de projets et de plaidoyer au département solidarités familiales du Secours catholique, explique qu’il faut aussi lever d’autres freins pour aider les personnes précaires :
“Beaucoup estiment ne pas avoir droit aux vacances, parce qu’ils sont au chômage ou inactifs, alors qu’il est encore plus important de souffler quand on est obligé de compter les centimes toute l’année. Et il y a beaucoup de peurs : de quitter son domicile, de prendre le train, de ne pas être à l’aise une fois sur place et d’être jugé. La précarité isole énormément les personnes”
Vers une “politique publique des vacances” ?
C’est en tout cas la proposition de loi déposée par six députés NUPES, dont François Ruffin, et dévoilée dans une tribune publiée dans Le Journal du Dimanche. Leur idée : prendre des mesures d’urgence pour “rendre le droit aux vacances effectif”, en passant de 60% à 80% de partants.
Parmi les mesures contenues dans cette proposition de loi figurent notamment : un aller-retour en voiture sans péage ; un billet illimité de TER à 29 euros ; l’universalisation des Chèques-Vacances pour les salariés, qui ne bénéficient aujourd’hui à qu’à un salarié sur cinq ; rendre gratuit le Bafa, pour tripler le nombre d’animateurs sur le territoire.
De son côté, la Fondation Jean-Jaurès a publié un rapport intitulé “Vers la vie pleine - réenchanter les vacances au XXIe siècle”. Avec un même objectif : s’attaquer aux inégalités face aux vacances. “Comment faire partir les enfants malgré tout ? Comment faire en sorte d’avoir un « sentiment de vacances » même en cas de non-départ ?” résume Jérémie Peltier, codirecteur général. S’en suivent quinze propositions, certaines concrètes, d’autres plus symboliques, fruit d’un séminaire de travail sur le droit aux vacances qui sa réuni chercheurs, experts, responsables associatifs, élus et dirigeants syndicaux.
Preuve en est qu’il est possible d’imaginer des solutions concrètes pour faciliter le départ (ou de compenser le non-départ) en vacances des Françaises et des Français. Quid des marques ? Dans le transport, le logement, la restauration, les loisirs, le terrain de jeu est immense. Force est de constater qu’au delà des promotions sur les BBQ et les crèmes solaire, les marques s’emparent peu du sujet des inégalités face aux vacances.
BEST-OF CANNES 2023
Le Cortex Havas était sur la croisette pour les Cannes Lions, et vous propose une sélection de quatre cas, illustrant autant de tendances structurantes du monde publicitaire.
Inclusion - “Trucss” (DDB Brazil)
Le Brésil est le pays où le plus de femme trans se font tuer dans le monde. Comme la plupart d'entre elles gardent leurs organes génitaux masculins, les cacher (en utilisant des bandes, des ficelles et même de la superglue) est une façon de se rendre invisibles à la violence dans les rues. Mais avec les organes collés à leur corps, il leur devient impossible d’aller facilement aux toilettes. Par conséquent, les maladies liées aux reins constituent l'un des principaux facteurs de mortalité chez les femmes trans.
D’où cette innovation produit au service de l’inclusion : Truccs, une lingerie spécialement conçue pour le corps d'une femme trans.
Il s’agit d’un cas emblématique des Cannes Lions 2023 : après le social et l’environnemental, l’inclusion est en train de revenir le troisième pilier de la RSE. Et les entreprises s’en emparent : sur LinkedIn, le nombre de “Chief Diversity Officer” a été multiplié par deux depuis 2015 ; un nombre croissant de patrons sont rémunérés par des “primes d’inclusion” ; et dans l’opinion on constate une explosion des attentes vis-à-vis des questions sociétales (l’inclusion des personnes LGBTQ+ en entreprise : +23 pts depuis 2020, d’après l’Observatoire des marques dans la Cité).
Ressources Humaines - “Bar Experience” (Heineken, Publicis Italy)
Aux lendemains de la pandémie, l’hôtellerie restauration est en grave pénurie de main d’œuvre, allant jusqu’à menacer beaucoup de bars de mettre la clé sous la porte. Dans une initiative gagnant-gagnant, Heineken a lancé une campagne intitulée “Bar Experience” qui consiste à reconnaître officiellement l’expérience de barmaid dans leur processus d’embauche.
“Il s’agit d’une initiative pour aider les bars à trouver du personnel, en montrant aux jeunes adultes que le travail au bar ne doit pas être négligé car c'est une excellente occasion de maîtriser de nombreuses compétences importantes telles que : la gestion d'équipe, la communication verbale, logistique, service à la clientèle, ventes, critiques constructives, écoute active et plus encore”
Un très bon exemple de la façon dont une marque peut s’emparer d’un vrai problème de société pour en faire un combat de marque, tout en restant fidèle et très cohérent avec ses valeurs, sa mission et son business model.
Politique - “The Best-Seller Constitution” (Mercado Libre, Gut, Brésil)
En janvier 2023, des milliers de manifestants d'extrême droite, mécontents du résultat de l'élection présidentielle brésilienne, ont pris d'assaut le palais du Planalto, siège du gouvernement fédéral brésilien, dans une menace sans précédent pour la constitution brésilienne. Mercado Livre, la plus grande plateforme de e-commerce du pays, a décidé de prendre position, dès le lendemain des événements, en mettant à disposition des exemplaires de la Constitution fédérale avec une remise de 99 %, afin que « les Brésiliens n'oublient jamais la valeur de la démocratie ». En un peu moins de 12 heures, l'initiative a fait la une des journaux à l'échelle nationale et 100 % de l'inventaire a été vendu en quatre heures.
Nous parlons souvent de la politisation des marques : voilà l’exemple d’une marque qui s’érige en défenseur de la démocratie. Et pas seulement par des mots lancés dans une vidéo-manifeste, mais par une action sonnante et trébuchante (une promo !) liée à son coeur d’activité (la vente de livres en ligne). Puissant !
IA - 175 Replayed (Airtel, Leo Burnett, Inde)
Les 175 courses de Kapil Dev lors de la Coupe du monde de cricket de 1983 sont considérées comme l'un des plus grands exploits du sport. Cet événement est considéré comme le début de la passion intense de l'Inde pour le cricket. Malheureusement, une grève de la BBC a privé l’Inde (et le monde entier) de toute image. Airtel, le leader indien des télécommunications, a utilisé ses capacités technologiques en intelligence artificielle pour recréer le match dans les moindres détails.
Un cas qui ne fait pas qu’illustrer la place prépondérante de l’IA dans les créations publicitaires de cette édition des Cannes Lions : il ouvre la porte à une montagne de futures créations. Hier, on faisait des documentaires pour recréer l’enfer de Verdun ou la vie à la cour de Versailles ; demain, on en fera peut-être des films avec l’IA pour recréer des images qui n’existent pas.
L’oeil du Cortex - Keep Humanity Weirdo
Toutes les conférences des Cannes Lions, même celles sur l’IA, ne parlaient que de ça : des « sub-cultures ». La monoculture, celle partagée par le plus grand nombre, qui dicte la normalité et la conduite à suivre pour s’y conformer, est morte. Et si elle a un jour existé, peut-être n’était-ce qu’une fiction à laquelle on faisait semblant de croire pour donner l’illusion de faire société. Fiction qui aura rendu beaucoup de gens, pressés par la société de s’y conformer, malheureux.
Si la série MASH a, en 1983, rassemblé + de 100 millions d’Américains en live pour son épisode final, c’était peut-être davantage lié à l’absence d’autre choix culturels qu’à la qualité intrinsèque de la série. Par comparaison, Game Of Throne, n’a rassemblé « que » 19 millions d’Américains en 2019 pour son final, et Succession, 2,9.
L’époque est à la culture de sa singularité, de sa créativité propre et à l’affirmation de goûts « différents » auparavant moqués. Démocratiser la créativité de tous, sous toutes ses formes, même les plus Weirdo. L’imagination est le seul avantage concurrentiel qu’aurait l’humanité pour survivre face à l’intelligence artificielle.
La signature officieuse de la ville de Portland est Keep Portland Weird ; elle mériterait d’être globalisée. On n’y avait jamais pensé, mais ce qui manque cruellement à l’humanité, c’est peut-être une signature : Keep Humanity Wierdo.
L’ADAPTATION CLIMATIQUE
C’est le nouveau mot à la bouche de tous les décideurs, des patrons du CAC40 au Ministre de la Transition Écologique : “adaptation”. En parallèle des politiques d’atténuation climatique, qui consistent à faire baisser la quantité de CO2 émis dans l’atmosphère, les politiques d’adaptation climatiques visent à adapter les économies, les territoires et les bâtiments à l’hypothèse d’un réchauffement de + 4°C.
“L’adaptation, c’est le fait d’agir pour faire face aux effets, aux impacts, aux conséquences du changement climatique” explique Nourritures terrestres, l’excellente newsletter consacrée à l’écologie. Pendant longtemps, lit-on, appeler à agir pour l’adaptation était mal vu, car considéré comme un renoncement à l’action. Il faut désormais comprendre que nous devons “éviter l’ingérable ET gérer l’inévitable", pour reprendre les mots de Morgane Nicol, spécialiste de l’adaptation.
Toujours est-il que l’adaptation climatique constitue un nouvel axe d’engagement très puissant pour les marques. En atteste cet exemple de campagne signée Suncorp, une banque et une compagnie d'assurance australienne, qui a contribué à mettre au point la première maison conçue pour résister aux cyclones, aux inondations et aux incendies (“One House To Save Many”).
“Adaptation”, le projet phare du journal Le Monde
Entre le 11 juin et le 16 juillet, Le Monde publie une enquête en onze chapitres, consacrée aux “innombrables défis que représente l’adaptation de la France au réchauffement climatique”. Pour ce faire, le journal a mobilisé des ressources sans précédents :
“Le projet « Adaptation » a été ouvert à l’ensemble de la rédaction du Monde, pour avoir la vision la plus large possible du phénomène. Au total, plus d’une centaine de personnes y ont participé. Quelque soixante-dix journalistes ont été mobilisés, des reporters qui ont sillonné le pays entre les mois de février et de juin, des chefs de service, des éditeurs et des correcteurs pour encadrer les enquêtes et relire les articles. Une trentaine de photographes, vidéastes et iconographes ont été sollicités pour saisir les traces déjà visibles du réchauffement climatique et de l’adaptation qui a commencé à l’échelle locale. Une quinzaine d’infographistes et de membres de l’équipe du design ont travaillé à mettre en scène le projet. Avec une idée en tête : trouver les bons formats pour donner à toucher du doigt, à travers les mots, les images, les représentations graphiques, tout à la fois l’immensité du défi et l’urgence de l’action”
On y découvre, entre autres choses : que d’ici à cinquante ans, la moitié des espaces forestiers devrait changer de visage sous l’effet du dérèglement climatique (le hêtre et le chêne vont disparaître, le pin maritime va s’imposer) ; que la vallée de la Tarentaise et ses douze stations de ski, confrontées à la perte de 3 mois d’enneigement dans les 50 ans à venir, vont devoir repenser leur modèle économique ; qu’avec la sécheresse, le phénomène du “retrait-gonflement des argiles” menace 10 millions de maisons individuelles en France.
À lire - et plutôt sur écran, le UX design est superbe !
Axa Climate : bienvenue dans la France de 2050
Axa Climate, l’entité du groupe AXA qui opère différents métiers en lien avec l’adaptation au changement climatique (formation collaborateurs via la Climate School, conseil, financement), a produit une étude prospective sur comment le réchauffement climatique touchera les territoires, et son impact sur le business model des entreprises. Ses principaux résultats ont été publiés dans le journal L’Express.
“Submergés par les eaux, certains lieux touristiques emblématiques - à l’image des planches de Deauville - ne seront plus praticables à certains moments de l’année… Les avions auront du mal à décoller en période de canicule du fait de la moindre portance de l’air. Dans les Landes, la saison propice aux incendies sera trois fois plus longue qu’aujourd’hui”
Armés de super-calculateurs, les scientifiques d’Axa Climate sont en capacité de dire très précisément à une entreprise si elle peut s’implanter dans telle ou telle zone.
Le message principal de l’étude est donc que la France va devoir s’adapter. Or, sur ce terrain, notre pays accuse un retard préoccupant :
"Il y a quatre ans, l’adaptation au changement climatique n’était pas du tout dans les esprits. On se concentrait surtout sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’adaptation était considérée comme un signe de renoncement par les autorités publiques. Et comme quelque chose d’inintéressant pour les acteurs économiques" (Antoine Denoix, PDG d’Axa Climate)
Depuis, les lignes commencent à bouger. "Une partie de nos clients cherchent à s’adapter en changeant par exemple de business model", confirme le patron d’Axa Climate. L’article cite plusieurs exemples marquants :
- un producteur de petits pois dans le nord de la France avance ses dates de semis dans la saison afin d’éviter les risques de gel. Au sud du pays, un producteur de blé teste des variétés plus résistantes à la sécheresse…
-dans l’industrie, beaucoup d’entrepôts frigorifiés, dans la grande distribution ou le secteur pharmaceutique, ont connu l’été dernier des ruptures de refroidissement liées aux chaleurs extrêmes. Ajouter uniquement du froid ne ferait qu’accroître le problème : plus d’énergie équivaut à plus de gaz à effet de serre, donc plus de réchauffement. Certaines entreprises s’orientent donc avec succès vers le nettoyage systématique de la poussière accumulée dans les grilles d’évacuation de la chaleur.
Techno-solutionnisme : le retour ?
Dans Le Point, l’économiste libéral Augustin Landier s’inquiète de voir la France s’enferrer dans ce qu’il considère être une “fâcheuse exception culturelle” : l’adhésion aux récits de la décroissance, tandis que les autres pays, les Etats-Unis et la Chine en tête, poussent les feux sur les investissements dans les technologies vertes pour lutter contre le réchauffement climatique. Landier cite une étude de l’économiste Stefanie Stantcheva, qui montre que seuls 20% des Français pensent qu’il est techniquement possible de mettre fin aux émissions de gaz à effet de serrer, tout en maintenant un niveau de vie satisfaisant - un des niveaux les plus bas au monde. Avec son collègue David Thesmar, Augustin Landier estime que “le défi climatique, dont nous ne nions en rien l’importance et l’urgence, est davantage à présenter comme une course contre la montre technologique”.
“Un gigantesque effort d’innovation doit être engagé, car la sobriété ne suffira pas. Bien sûr, certains comportements vont devoir changer. Il faudra modérer, voire supprimer, la consommation de certains produits, mais cela se fera en grande partie en leur inventant des substituts plus verts (…). Le projet décroissantiste radical est ultra-minoritaire dans le monde, et je ne crois pas qu’il fera des émules en quantité suffisante pour constituer une solution. A contrario, l’innovation a un effet d’entrainement car elle change les structures de coût : s’il devient moins cher de produire vert, tout le monde fera la transition”
SIGNAUX FAIBLES
Le président de BlackRock ne veut plus parler d’ESG
Sa lettre annuelle est devenue un rendez-vous corporate très attendu. Tous les ans, Larry Fink, président de BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde (près de 10 000 milliards de dollars), adresse à ses investisseurs un courrier dans lequel il s’efforce d’identifier les enjeux du monde qui vient. Ces dernières années, il avait habitué la planète finance à parler “purpose”, “capitalisme responsable”, etc …
Changement de ton cette année : lors du Festival des idées d’Aspen, Larry Fink dit refuser d’utiliser le célèbre acronyme ESG (environnement, social, gouvernance). La raison : l’acronyme serait aujourd’hui manié comme une “arme politique” Attention, Larry Fink continue de croire au “capitalisme conscient”, qui doit aller au-delà de la seule création d’emplois et de profits. Simplement, l’ESG serait “mal utilisé par l’extrême droite et l’extrême gauche”, déplore-t-il.
“Ron DeSantis, le gouverneur républicain de Floride, candidat à la primaire de son parti, en fait l’une des manifestations du « capitalisme woke ». Dans son Etat, mais aussi au Texas et en Louisiane, les autorités locales retirent des capitaux de sociétés de gestion accusées de ne pas bien défendre leurs intérêts” rappelle l’Opinion.
Une déclaration avant tout motivée pour des raisons de prudence et de business, donc. Aux Etats-Unis, des fonds “anti-ESG” se montent, comme Strive Asset Management, qui se targue de n’investir que dans l’énergie carbonée (!).
Au-delà du débat sémantique, assistons-nous à un début de bifurcation … de désengagement écologique ? D’autres signaux faibles montrent que le fond de l’air est peut-être bien en train de changer. Dans Le Monde, on lit par exemple qu’après avoir pris des engagements en faveur de la transition écologique, les géants du pétrole européens (BP, Shell et TotalEnergies) “renoncent à leurs promesses et misent sur des profits à court terme dans le secteur”:
“Le nouveau patron de Shell, Wael Sawan, a annoncé mi-juin que l’entreprise n’avait pas l’intention de tenir ses objectifs climatiques. Il a même pris un virage à 180 degrés en prévoyant d’aller concurrencer le géant américain Exxon, dont la rentabilité retrouvée est érigée en modèle par les tradeurs du secteur. Il suit ainsi BP, qui a renoncé, dès février, à réduire massivement ses émissions de carbone d’ici à 2050. Le patron de TotalEnergies répète sans sourciller que l’entreprise – comme ses deux concurrents – continuera à investir dans de nouveaux puits de pétrole au moins jusqu’en 2030”
Est-ce la fin du “en même temps” dans les communications d’engagement (du profit et de l’utilité) ? Un nombre croissant d’entreprises semblent se dire qu’il vaut peut-être mieux choisir son camp, et qu’assumer frontalement la dimension business leur évitera les procès en hypocrisie environnementale. Attention, danger !
Télétravail : les géants de la tech demandent à leurs salariés de réintégrer leurs bureaux
Dans Courrier International, on lit que un à un, les géants de la tech reviennent sur leur politique massive de télétravail, mise en place à la suite de la pandémie. Ce changement de politique RH semble bien être un volte-face : comme le souligne le magazine Quartz, les entreprises de la tech comptaient parmi les championnes du travail flexible, faisant même du travail à distance un argument de poids en matière de recrutement. Elles semblent aujourd’hui ne plus y croire, ce qui est très paradoxal :
“L’étonnant est que les entreprises qui se montrent aujourd’hui les plus rétives à laisser leur personnel travailler entièrement à distance sont précisément celles qui ont créé les outils nécessaires pour rendre la chose possible dans tous les secteurs.”
Google vient de revenir sur sa politique de télétravail : un minimum de trois jours par semaine en présentiel est désormais requis. L’entreprise envisage même de sévir contre les employés qui ne seraient pas régulièrement présents au bureau, rapporte CNBC. Cette intervient alors que la direction “appelle tout le monde sur le pont” pour faire face à la concurrence de Microsoft et d’OpenAI dans le domaine de l’intelligence artificielle.
Quelques jours auparavant, un message similaire a été envoyé aux employés de Meta pour leur annoncer que, dès le mois de septembre, ils devront retourner au bureau trois jours par semaine. Et Salesforce, l’un des principaux éditeurs de logiciels américains – parmi les pionniers du travail à distance –, tente maintenant de convaincre ses salariés de revenir au bureau en s’engageant durant deux semaines à faire un don à des organisations à but non lucratif “pour chaque journée travaillée en présentiel”.
Reste à savoir si un changement de pied aussi radical correspond à ce que la plupart de leurs salariés sont prêts à accepter. Une fois qu’on a placé le pot de miel sur la table, peut-on le retirer facilement ? “Selon le Pew Research Center, la majorité des employés ayant expérimenté les modes de travail hybrides préféreraient au contraire augmenter la part de travail effectué à distance”
Xavier Dolan et la crise de sens fictionnelle
En début d’année, alors que sortait sa première série télé, La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, projet dans lequel il s’était énormément investi, signant la mise en scène, l’écriture et le montage des 5 épisodes, tout en tenant un rôle important à l’écran, le cinéaste québécois Xavier Dolan avait paru marquer le pas. Coup de fatigue, se rassurait la presse spécialisée.
Alors que sa série est lancée en Espagne, Dolan a donné quelques interviews à la presse nationale espagnole, et “ce qui pouvait ressembler à un raz le bol passager apparait désormais comme un rejet total du cinéma” (Première). "Je renonce au cinéma et à la réalisation", lâche-t-il dans les colonnes d’El Pais.
Dans un autre entretien accordé à El Mundo, Dolan en vient à exprimer une répulsion très forte vis-à-vis de la création en général. Rattrapé par le réel et consterné par l’état du monde (il craint une guerre civile “provoquée par l’intolérance” et déplore la remontée de l’homophobie), il ne veut plus entendre parler de fiction :
"Je ne comprends pas à quoi ça sert de s’efforcer à raconter des histoires pendant que le monde s’écroule autour de nous. L’art est inutile, et se consacrer au cinéma une perte de temps. Je réfléchis à ce à quoi consiste mon travail et je me vois écrire, tourner, monter, dans le processus de post-production… Puis je voyage à travers le monde pour raconter ce que j’ai tourné, monté et post-produit… On fait comme si on avait le temps mais s’il y a bien quelque chose que nous n’avons pas, c’est le temps."
Nous pensions la crise de sens réservée aux “bullshit jobs”, eh bien pas du tout : le burn-out artistique de Xavier Dolan le démontre. À l’avenir, au fur et à mesure que l’eco-anxiété progresse dans la population, il n’est pas impossible de voir ce type de crise de sens fictionnelle se multiplier : à quoi sert les histoires dans un monde qui s’écroule ? Un sacré défi à relever pour les marques !
ACTUALITÉS MÉDIA
Une marque est-elle en danger quand elle réduit ses investissements media ?
C’est une question qui revient de plus en plus, à mesure que les crises passent et s’installent (Covid, guerre en Ukraine, inflation …). La tentation de couper les investissements publicitaires est grandissante, car nous savons bien qu’en temps de crise, les budgets du marketing et de la communication sont les premiers impactés.
Pour la première fois, Havas Media Network a réalisé, en collaboration avec Kantar, une analyse approfondie de 52 marques de grande consommation pendant 8 ans pour quantifier et comprendre l’impact des baisses d’investissements publicitaires sur les KPIs clefs de la performance. En voici les principaux enseignements.
Logiquement, le souvenir publicitaire est significativement affecté pour l’ensemble des marques étudiées. Il faut compter 6 semaines en moyenne pour que le recul des investissements media soit pénalisant. Dans la moitié des cas, cet impact est immédiat.
La considération suit rapidement, avec 87% des marques trackées touchées. Sa décroissance se concrétise au terme de 7 semaines avec un impact immédiat dans 45% des cas.
Le chiffre d’affaires n’est pas épargné. Même si la sanction n’est pas immédiate (16 semaines en moyenne), elle touche près de 3 marques sur 4 dont 21% immédiatement. Une baisse de 10% du budget media brut réduira les sommes dépensées de 1,3% en moyenne !
Quant à la pénétration, elle affichera un recul dans près de 70% des cas au terme de 17 semaines. Les marques les plus touchées perdent en moyenne 100 000 acheteurs pour 10% d’investissement en moins.
« Toutes les marques qui diminuent leurs investissements media sont à risque! Près de 9 sur 10 sont moins considérées, près des 3 sur 4 subissent un impact sur leur CA et 2 sur 3 voient leur pénétration reculer. Elles sont donc bel et bien en danger. »
Une idée forte se dégage de cette étude :
« Quelle que soit sa situation ou sa stratégie de désinvestissement, une marque se met réellement en danger quand elle réduit son soutien publicitaire. Il est maintenant possible d’approcher concrètement ce niveau de risque »
Pourtant les idées reçues persistent… Par exemple, celle-ci : “Ma marque a l’habitude d’investir beaucoup, elle est naturellement plus préservée quand je réduis”
Vrai…et faux !
Effectivement, pour les gros investisseurs media (investissement supérieur ou égal à 10M d’Euros bruts), le recrutement diminue pour moins de la moitié lorsqu’ils choisissent de désinvestir (indice 67 vs la moyenne) mais lorsqu’ils sont touchés, l’impact est significativement plus marqué quel soit l’indicateur étudié ! Oui, le risque d’être impacté est plus faible mais quand le cas se présente, les conséquences sont plus problématiques.
Au total, cette étude liste six idées reçues, avec pour chacune une démonstration qui la confirme ou non. « Le fait de réduire sa communication quand on investit déjà peu se voit-il rapidement dans les performances ? » ; « Une diminution ponctuelle des investissements media a-t-elle réellement moins d’impact qu’un désinvestissement sur le long terme ? » ; « Une marque qui présente une forte fréquence d’achat est-elle mieux protégée ? », etc.
Une étude à se procurer pour la lire dans le détail !
Comment les chaînes de télé françaises disparaissent du petit écran
“La menace est bien réelle”, lit-on dans un article du Figaro. “Demain, ou après-demain, les chaînes de télévision françaises pourraient disparaître du petit écran, reléguées au rang de diffuseurs de seconde zone, balayées par les géants du streaming américains et asiatiques”.
Le principal responsable : les smart TV. Il suffit d’observer une télécommande pour s’apercevoir que les claviers de numérotation s’effacent au profit de touches Netflix, YouTube, Amazon Prime… Par ailleurs, on nous explique qu’un système d’enchères permet d’apparaître sur l’écran d’accueil des télévision (prime à ceux disposant de plus de moyens financiers). Résultat, lorsque l’on allume la télévision aujourd’hui, TF1, M6, France 2 ou encore Arte n’y apparaissent plus forcément en pole position. Il faut aller les chercher, derrière Netflix, YouTube, Disney+, et même TikTok.
“C’est un dossier majeur pour les chaînes de la TNT. Les smart TV, les interfaces en général, à l’image de Chromecast ou d’Apple TV, et même les box des opérateurs, organisent de plus en plus leur écran d’accueil comme un magasin d’applications. Et ces interfaces privilégient toujours les services payants”
(Roch-Olivier Maistre, président de l’Autorité de régulation
de la communication audiovisuelle et numérique)
Netflix a créé le premier panneau de pub qui transpire
Repéré par Créapills. Pour la promo du film Tyler Rake 2 avec Chris Hemsworth, Netflix a conçu un panneau de pub qui transpire... la sueur de l'acteur. Étonnant !
La nouvelle application Threads by Instagram : un malware ?
C’est le phénomène US de ces derniers jours : Threads by Instagram, le clone de Twitter développé par Meta, a recruté ses 100 premiers millions d’utilisateurs encore plus rapidement que ChatGPT.
Jusqu’à détrôner l’oiseau bleu ? Les analyses abondent et les points de vue diffèrent alors qu’un potentiel duel dans une arène de MMA entre Elon Musk et Mark Zuckerberg fait les choux gras des bookmakers.
Est-ce une pure copie ? Est-ce que Threads apportera quelque chose de nouveau ? Faut-il mesurer le nombre d’utilisateurs ou leur engagement ? Beaucoup notent que la vitesse et la méthode de développement de l’application sont une sorte d’hommage du vice à la vertu. 20 ingénieurs pendant 9 mois : il y aurait donc certaines méthodes de Musk adoptées par Zuck …
Dans sa tribune du 7 juillet 2023, le designer Sharang Sheth s’attarde sur une autre dimension, celle des éléments de design toxique inclus dans l’application - on se souviendra que la conception méphitique d’Instagram avait déjà été beaucoup critiquée en son temps.
L’inventaire de ces onze schémas de design qu’il qualifie de “malveillants” peut paraître technique, mais il souligne le peu de cas qui est fait de la protection des données, les liens forcés vers et avec Instagram, la surexploitation d’un ciblage publicitaire fusionné et les mauvaises pratiques anticoncurrentielles.
C’est d’autant plus préoccupant que certains interprètent ce lancement comme une stratégie pour créer un maximum de données texte à faire analyser par les IA.
Une chose est sûre, malgré les changements de nom, de stratégie et de produits, certaines (mauvaises) habitudes persistent au sein du géant californien et expliquent, en grande partie, son absence des app stores européens.
DERNIÈRES PARUTIONS
Un essai : “Spin Dictators - le nouveau visage de la tyrannie au XXIe siècle” (Sergeï Guriev & Daniel Treisman, Payot, 2023)
Sergueï Guriev, russe, est chef économiste de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Daniel Treisman, américain, est professeur de sciences politiques à Harvard. L’an dernier, ils ont cosigné un ouvrage très commenté aux Etats-Unis, dont la traduction française vient de paraitre aux éditions Payot. Leur objectif : rendre compte de la nature des dictatures actuelles, qui ne ressemblent pas à celles mises en places par Staline, Hitler ou Mao. D’un mot, leur thèse est la suivante : pour asseoir leur domination, les dictateurs du XXIe siècle (Lee Kwuan Yew, Fujimori, Poutine, Erdogan, Orban, etc.) sont passé de la terreur à l’influence.
“Les dictateurs ont changé. Les tyrans classiques du XXe siècle étaient des personnages écrasants, responsables de la mort de millions d’être humains. La terreur était leur outil universel (…). Vers la fin du siècle, quelque chose a changé. Ces nouveaux dictateurs engagent des sondeurs et des consultants politiques organisent des émissions de débat avec séances publiques de questions-réponses et envoient leurs enfants dans les universités occidentales”.
Le titre claque : “Spin Dictators”. Une référence directe aux spin doctors, ces conseillers en communication qui influencent l’opinion publique en composant l’image d’une personnalité politique. “Comme les spin doctors, expliquent-ils, les spin dictators profitent d’un système en place pour manipuler les sociétés des Etats qu’ils dirigent, à partir des moyens de communication”.
Un livre très documenté, à lire un crayon à la main (et pas forcément sur la plage)
Un film : “Cash” (Netflix, Jérémie Rozan)
Un nouveau film de braquage ? Oui, mais à-la-française. Notre gangster national est manutentionnaire dans un entrepôt d’une usine de parfum, près de Chartres. Anti-héros absolu, mais beau parleur, doué avec les mots, il vit dans le ressentiment de la famille Breuil, une famille sur-puissante qui domine économiquement la “Cosmetic Valley”.
Porté par l’irrésistible Raphaël Quenard, aperçu dans l’excellent Chien de la casse et qui crève de nouveau l’écran, ce film est une sorte de condensé fictionnel du monde social contemporain, une sorte de plongée dans le “back-office de la société “ décrit par le sociologue Denis Maillard. Avec, au coeur du film, ce moment de grâce :
“Tu as oublié ce que c’était que l’essentiel de la vie.
- L’argent ?
-Non, le panache”
À voir !
Un podcast : “Blum, une vie héroïque” (Philippe Colin, France Inter)
Sorti en décembre 2022, le podcast réalisé par Philippe Colin s’est penché sur une figure plutôt méconnue et largement oubliée de la politique française : Léon Blum, le leader du Front populaire, dont le destin est retracé dans une série de neuf épisodes.
Six mois après, le bilan est flatteur : plus de 1,3 million d’écoutes à la demande ont été enregistrées. Surtout, il se murmure que Léon Blum pourrait figurer dans la liste des prochaines personnalités panthéonisées. Du podcast au Panthéon : voilà un sacré KPI d’influence pour un contenu audio !
La Mort et le Mourant
La Mort ne surprend point le sage ;
Il est toujours prêt à partir,
S'étant su lui-même avertir
Du temps où l'on se doit résoudre à ce passage.
Ce temps, hélas ! embrasse tous les temps :
Qu'on le partage en jours, en heures, en moments,
Il n'en est point qu'il ne comprenne
Dans le fatal tribut ; tous sont de son domaine ;
Et le premier instant où les enfants des rois
Ouvrent les yeux à la lumière,
Est celui qui vient quelquefois
Fermer pour toujours leur paupière.
Défendez-vous par la grandeur,
Alléguez la beauté, la vertu, la jeunesse,
La mort ravit tout sans pudeur
Un jour le monde entier accroîtra sa richesse.
Il n'est rien de moins ignoré,
Et puisqu'il faut que je le die,
Rien où l'on soit moins préparé.
Un mourant qui comptait plus de cent ans de vie,
Se plaignait à la Mort que précipitamment
Elle le contraignait de partir tout à l'heure,
Sans qu'il eût fait son testament,
Sans l'avertir au moins. Est-il juste qu'on meure
Au pied levé ? dit-il : attendez quelque peu.
Ma femme ne veut pas que je parte sans elle ;
Il me reste à pourvoir un arrière-neveu ;
Souffrez qu'à mon logis j'ajoute encore une aile.
Que vous êtes pressante, ô Déesse cruelle !
- Vieillard, lui dit la mort, je ne t'ai point surpris ;
Tu te plains sans raison de mon impatience.
Eh n'as-tu pas cent ans ? trouve-moi dans Paris
Deux mortels aussi vieux, trouve-m'en dix en France.
Je devais, ce dis-tu, te donner quelque avis
Qui te disposât à la chose :
J'aurais trouvé ton testament tout fait,
Ton petit-fils pourvu, ton bâtiment parfait ;
Ne te donna-t-on pas des avis quand la cause
Du marcher et du mouvement,
Quand les esprits, le sentiment,
Quand tout faillit en toi ? Plus de goût, plus d'ouïe :
Toute chose pour toi semble être évanouie :
Pour toi l'astre du jour prend des soins superflus :
Tu regrettes des biens qui ne te touchent plus
Je t'ai fait voir tes camarades,
Ou morts, ou mourants, ou malades.
Qu'est-ce que tout cela, qu'un avertissement ?
Allons, vieillard, et sans réplique.
Il n'importe à la république
Que tu fasses ton testament.
La mort avait raison. Je voudrais qu'à cet âge
On sortît de la vie ainsi que d'un banquet,
Remerciant son hôte, et qu'on fit son paquet ;
Car de combien peut-on retarder le voyage ?
Tu murmures, vieillard ; vois ces jeunes mourir,
Vois-les marcher, vois-les courir
A des morts, il est vrai, glorieuses et belles,
Mais sûres cependant, et quelquefois cruelles.
J'ai beau te le crier ; mon zèle est indiscret :
Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret.
(Jean de La Fontaine)
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