La grève à Disneyland Paris, l’explosion des “Superfake Handbags”, la crise du bio, l’étonnant succès de Shein, l’édition 2023 de l’Observatoire de la consommation responsable, le duel McDo vs Burger King sur ChatGPT, #BeigeFlag, “Sick of myself” et comment “Succession” dézingue le capitalisme … elles ont fait (ou pas) l’actualité, voilà la veille des idées du mois de juin 2023. Bonne lecture !
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SIGNAUX FAIBLES
« Aux urgences, la prise en charge d’un Golden Retriever sera bientôt meilleure que celle d’une personne âgée »
Et c’est Le Monde qui le dit. Dans un long article consacré au marché des soins pour les animaux de compagnie, on lit que l’irruption de multinationales ou de fonds d’investissement (IVC Evidensia, AniCura, Mon véto ou Sevetys) a considérablement bouleversé le secteur, historiquement construit autour de la figure du praticien libéral, installé seul ou avec deux ou trois collègues.
Résultat : en 2017, 2 % seulement des docteurs vétérinaires spécialisés dans les animaux de compagnie étaient salariés, directement ou indirectement, d’un groupe possédant plusieurs cliniques. La proportion était de 7 % en 2020, elle a bondi à 24 % fin 2022. Les projections parlent d’une proportion qui monterait à 50% en 2025.
L’article explique que les groupes ont commencé par racheter des cabinets au moment du départ à la retraite des vétérinaires, dans un contexte où ceux-ci ne trouvaient plus d’acheteurs parmi les jeunes praticiens. Le groupe Mon véto, par exemple, comptait 29 cliniques en 2017. L’entreprise en a racheté 83 en 2022 et compte en acquérir près d’une centaine en 2023. Le groupe Sevetys, lui, projette de passer de 150 cliniques à 300 d’ici à deux ans.
Cette concentration du marché s’accompagne d’une évolution d’une offre de soin, avec le développement de plateaux techniques de plus en plus ambitieux : “des scanners, des échographies, de l’endoscopie, de la radiologie, des IRM. Des traitements anticancéreux lourds et complexes. De la chirurgie cardiaque ou orthopédique. Des services d’urgence ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre”
« Le niveau de qualité des soins n’est pas très loin de celui de la santé humaine », relève Jacques Guérin, le président du Conseil national de l’ordre des vétérinaires. « Il y a vingt-cinq ans, avoir une radio était un luxe. Il y a dix ans, c’était de pouvoir faire une échographie. Aujourd’hui, c’est le b.a.-ba, avec de l’endoscopie, des scanners… »
Ce qui est frappant, c’est le décalage entre la perception grandissante d’un système de santé français en déclin, et l’amélioration extraordinaire du système de santé canin.
La grève, nouvelle attraction de Disneyland Paris
Le 30 mai dernier, Disneyland Paris a fait l’objet d’une mobilisation inédite : environ un millier de salariés ont débrayé pour protester contre leurs conditions de travail et réclamer des augmentations de salaire« Marre d’être fauché comme Donald Duck », « Malgré ses grandes oreilles, Mickey ne nous écoute pas », « Cinq ans à trimer pour la souris toujours payé comme un rat » pouvait-on lire sur les pancartes. Tout a commencé par un groupe WhatsApp, qui prend le nom de Mouvement anti-inflation (MAI). A force de grossir, nourri par le bouche-à-oreille et des séances de tractage, il a vite atteint la limite des 1 000 membres autorisés.
Mais ce sont surtout les images qui ont frappé les esprits : après deux grèves peu médiatisées, les salariés ont décidé de rendre leur malaise visible en défilant … au milieu des attractions, dans Main Street.
« Avant le Covid, des petits gestes compensaient un peu : des petites primes, des déjeuners, des sorties offertes, se souvient Samir Chagroune, dans Le Monde. Ils ont disparu et ne sont jamais revenus. » Les salariés affirment que leurs conditions de travail, dégradées, ne leur permettent plus d’appliquer la « philosophie Disney » : sécurité, courtoisie, spectacle, efficacité, inclusion.
La grève comme nouvelle attraction à Disneyland Paris : voilà donc un élément de notre culture (sociale) que le géant américain du divertissement n’avait pas pensé recycler …
L’explosion des “Superfake Handbags”
Un très long article du New York Times s’est penché sur le business des “Superfake Handbags”, à savoir des sac à mains dont la contrefaçon est tellement bien réalisée que la fraude est invisible à l’oeil nu, même aux yeux des plus experts.
La contrefaçon a toujours existé : sauf que jusqu’ici, nous parlions de faux sacs Chanel vendus à 10€ et qui ne trompaient personne. La différence, c’est qu’une montée en gamme dans le business de la contrefaçon permet de se procurer des sacs contrefaits qui semblent être des copies parfaites des originaux, pour la modique somme de 10% du prix total. Avec l’inflation et les tensions autour du pouvoir d’achat, les recherches de “Superfake Handbags” ont explosé, ce qui chamboule tout le secteur. Cette nouvelle donne pose des questions commerciales et philosophiques vertigineuses : qu’est-ce qui est original, qu’est-ce qui est authentique ?
“Les maisons de créateurs dépensent des milliards pour lutter contre les contrefaçons, mais même les vrais Prada Cleos et Dior Book Totes sont fabriqués avec des machines et des modèles, ce qui soulève la question de savoir ce qui, exactement, est unique à un sac authentique. S'agit-il simplement de savoir qui va empocher l'argent ? ”
TENDANCES LOURDES
La consommation responsable à l’épreuve de l’inflation
Fin mai, l’ObSOCo a publié les résultats de l’édition 2023 de son Observatoire de la consommation responsable, réalisé avec Citeo.
Face aux contraintes budgétaires, “les idéaux fléchissent” explique l’ObSoCo, qui note “une légère érosion de la sensibilité environnementale des Français concomitante à la montée des préoccupations relatives au pouvoir d’achat”.
En un an, les comportements de consommation ont beaucoup bougé, dans un mixte entre sobriété choisie et sobriété contrainte qui voit la sensibilité-prix s’accroître considérablement. 89% affirment notamment être plus attentifs au prix de ce qu’ils achètent depuis un an.
En ce qui concerne les produits alimentaires, par exemple, l’impact environnemental n’arrive plus qu’en 6e position des critères de choix des consommateurs, en recul de 6 pts.
Un chiffre important : 60% des Français déclarent que consommer responsable est «difficile . La proportion de Français déclarant intégrer la question de l’impact environnemental dans leurs choix de consommation est en net recul par rapport à 2020 (-8 pts).
Une lueur d’espoir : le désengagement du neuf et du jetable, et une attention plus forte aux produits de seconde main. Toutes les pratiques du « faire soi-même » sont par ailleurs en plein essor : bricoler (pour 68% des Français + 7 points), faire pousser ses fruits et ses légumes (41%, + 1 point), fabriquer, restaurer des objets, des meubles (40%, + 8 points).
Que l’inflation chamboule la consommation responsable, nous en avions l’intuition et déjà des premiers signes. Cette étude vient le confirmer par une batterie de chiffres solides. A lire en entier !
La crise du bio se confirme
Le journal Le Monde a consacré un dossier très complet sur la crise du bio. A le lire, on constate que les mauvais signaux se multiplient. En Allemagne, la terre du bio par excellence, l’année 2022 a mis un coup d’arrêt à une évolution qui semblait immuable depuis vingt ans : la hausse toujours plus importante des ventes d’alimentation biologique, avec des progressions annuelles souvent à deux chiffres. L’an dernier, pour la première fois de son histoire, le chiffre d’affaires de la branche bio a baissé : − 3,5 % par rapport à 2021, à 15,3 milliards d’euros. Plusieurs chaînes régionales comme Bio-Supermarkt, Basic ou Reformhaus Bacher ont fait faillite. Et même les grosses enseignes bio comme Bio Company ont accusé des baisses de chiffre d’affaires de plus de 10 %. « Nous vivons le pire effondrement du marché bio depuis trente-cinq ans », se désole Götz Rehn, fondateur des magasins Alnatura.
En France, on retrouve la même dynamique baissière : en un an, la part du bio dans l’alimentation des Français est passée de 6,4 % à 6 %. « Près de 600 millions d’euros se sont évaporés en un an, et le marché du bio est redescendu à 12,076 milliards d’euros », affirme Laure Verdeau, directrice de l’Agence bio, structure publique chargée de l’animation de l’écosystème du bio. Le repli des ventes dans la grande distribution atteint 4,6 %, accentuant la contraction de l’offre bio dans les rayons des supermarchés.
A chaque fois, le même facteur : la forte inflation, qui a particulièrement touché les biens alimentaires et forcé les consommateurs à revoir leurs choix de consommation. Comme le résume le journaliste Philippe Escande : « Le bio est bon pour le climat, la santé et la biodiversité. Le message passe, mais régresse au moindre signal sur le prix »
Une conséquence a priori contre-intuitive : les ventes de bio se réalisent de plus en plus chez les discounters. Signe des temps : Naturland, un des labels bio allemands les plus traditionnels, créé en 1982, est présent, depuis mars, dans les magasins Aldi.
Cette brutale décélération, particulièrement sensible en 2022, après des années de croissance à deux chiffres, a pris l’ensemble des acteurs du bio à contre-pied, explique un autre article consacré cette fois-ci au volet production. Toutes les filières, œufs, lait, porc, fruits et légumes comme céréales, confrontées à d’importants surplus, se voient contraintes de brutalement “déclasser” leur production en non-bio. La baisse du nombre d’agriculteurs en conversion vers le bio a atteint 40 % en 2022. La crainte est de voir s’enclencher un effet-cliquet, avec des conséquences néfastes sur le moyen et le long terme.
L’enjeu aujourd’hui est d’éviter une vague de découragement dans les rangs des agriculteurs qui ont choisi de se passer d’engrais et de pesticides de synthèse. Avec un retour à une agriculture conventionnelle, voire un arrêt pur et simple d’activité. Pour certains éleveurs, cette crise peut être la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Cet article nous rappelle violemment qu’il n’y a pas de “sens de l’Histoire” : nous pensions la progression du bio irréversible, il n’en est rien - de même que l’équipement en voiture électrique ou l’évolution des mentalités autour du féminisme, par exemple, les retours en arrière sont toujours possibles.
Dans le cas présent, ce qui est intéressant de noter, c’est que l’engagement des entreprises était devenu quelque chose de consensuel : le coût de l’engagement augmente, ce qui le rend de nouveau plus valorisable. En particulier, le bio redevient un combat, après avoir longtemps été un passage obligé. Les marques vont devoir intégrer cette nouvelle donne.
Shein, le désastre écologique qui cartonne
La marque chinoise incarne un des paradoxes les plus vifs de l’époque. Malgré les nombreuses critiques reçues pour son impact environnemental désastreux et les conditions de travail déplorables de ses employés, la marque Shein est l’un des succès commerciaux les plus retentissants de ces dernières années.
Le Wall Street Journal a consacré un long article au succès de son modèle économique. L’année dernière, l’enseigne a généré 23 milliards de dollars de recettes - un chiffre d’affaires comparable à celui du géant H&M (21 milliards) et de Zara (25,5 milliards). En 2022, l’enseigne représentait 1,7 % des ventes de vêtements en Amérique du Nord, faisant d’elle le quatrième plus gros acteur du secteur derrière Nike, Old Navy et Lululemon. Lorsqu’on leur demande quelle est leur marque préférée pour les tenues habillées, les membres de la génération Z classent Shein en première position, et les millennials à la deuxième — après Amazon —, d’après une enquête menée par Cowen l’année dernière.
Dernier exemple en date : la folle attractivité de ses magasins éphémères en France, comme en témoigne le pop-up store Parisien implanté dans le Marais, qui a attiré pas moins de 10 000 clients en seulement 4 jours. Mais comment une marque aussi controversée peut-elle connaître un tel succès ? Comment Shein parvient-elle à faire patienter les consommateurs pendant plus de 3 heures consécutives, à une époque où la tendance est à une consommation plus responsable ?
Premier élément de réponse, côté offre. “Si ce que Zara a fait dans les années 1990 était de la fast fashion, Shein est, lui, passé à l’ ultra fast-fashion », écrit le Wall Street Journal. Selon le Boston Consulting Group, il faut en moyenne quarante jours à Shein pour renouveler ses stocks, contre quatre-vingts pour Inditex, la maison mère de Zara.
Mais l’autre élément décisif est du côté de la demande. Les principales motivations qui ressortent des études consommateurs qui lui ont été dédiées montrent deux éléments principaux : son attractivité prix et la variété de l’offre. Shein répond à un besoin d'accessibilité et de nouveauté grâce à la multitude de styles disponibles à prix cassés (7,8€ l’article en moyenne).
Sur les réseaux sociaux, on observe chez la Gen Z un tiraillement prégnant entre les valeurs du mieux consommer et la réalité de cette consommation : c’est souvent cher, chronophage et sans plaisir. C’est la raison pour laquelle passer commande sur SHEIN donne vraisemblablement envie, et se révèle même être une addiction malgré les controverses.
À noter une évolution majeure de la législation européenne, qui va avoir de lourdes conséquences pour Shein. Le 1er juin, les eurodéputés ont voté en faveur du renforcement du devoir de vigilance des entreprises, une disposition qui rend les multinationales responsables de l’identification et de la prévention des risques humains et environnementaux sur leur chaîne de valeur (de la production à la commercialisation). Jusqu’à présent, le texte se limitait aux entreprises de plus de 1 000 salariés et de 300 millions d’euros de chiffres d’affaires. Désormais, les nouvelles règles concerneront également les entreprises de plus de 250 salariés et cumulant 40 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Une adoption historique après 3 ans de mobilisation et de lutte largement portée par le député Européen Raphaël Glucksmann. Le texte doit encore être ajusté mais on se dirige vers des amendes allant jusqu’à 5% du chiffre d’affaires mondial, un principe de “name and shame”, des réparations aux victimes et le droit d’opérer des retraits de produits sur le marché.
ACTUALITÉS MÉDIA
L’écoute audio des Français : les podcasts en pleine expansion
L’institut Médiamétrie vient de publier les résultats 2023 de son étude Global Audio. Cette étude apporte une vision consolidée des usages audio des Français : radio en direct, podcasts (replay et natifs), livres audio, streaming musical et musique personnelle.
Dans cet univers audio, la radio conserve encore son leadership : 65% des Français de 15 à 80 ans écoutent chaque jour la radio en direct. Elle représente 52% du volume total de la consommation audio.
Parmi les différents formats audios digitaux, les podcasts ont le vent en poupe : ce sont désormais 15% des Français qui écoutent des podcasts replay ou natifs. Cette couverture journalière des podcasts atteint même 23% chez les hommes 25-49 ans.
Du côté publicitaire, les podcasts offrent de véritables opportunités pour les marques. Dans un paysage publicitaire de plus en plus encombré voire saturé, capter l‘attention des consommateurs est désormais un véritable défi pour les publicitaires. Lorsqu’on les interroge, les consommateurs déclarent éprouver un sentiment plus intime avec les podcasts et développent ainsi plus de confiance envers ce média. Dès lors, les recommandations et publicités diffusées dans un podcast sont mieux perçues par les auditeurs.
Les annonceurs saisissent les bénéfices de ce format. En effet, dans un contexte publicitaire un peu atone en ce début d’année, le Baromètre Unifié du Marché Publicitaire (BUMP) nous indique que le format digital audio s’inscrit dans une belle dynamique avec des investissements en forte progression : +27,9% vs le 1er trimestre 2022. Mais c’est encore un levier publicitaire largement sous investi : le digital ne pèse que pour 5% du total Audio selon le BUMP. Alors que, selon Médiamétrie, sur le périmètre gratuit et ouvert à la publicité, le digital représente 33% de l’écoute des Français.
Les livres audio nous font perdre notre esprit critique
C’est en tout cas la conclusion d’un article de New Scientist, basé sur une étude menée à l'université de Chicago par Janet Geipel et Boaz Keysar. Ces derniers ont montré qu’il existait deux façons d’apprécier une information :
“La première façon de recevoir l'info est basée sur l'intuition, l'instinct et le ressenti: c'est un mode de réception rapide, mais fortement réceptif aux biais cognitifs et à la désinformation. La seconde, plus analytique, consiste à penser une idée progressivement, à l'accueillir pas à pas. L'effort est supérieur, mais aussi plus rationnel” (Slate)
Or, il se trouve que l’étude montre que lire et écouter mobilisent deux façons différentes d’accueillir et d’absorber l’information. Via un système de questionnaires, des participants sont invités à répondre à une série de questions relativement simples portant sur un contenu qui venait de leur être présenté : le résultat, c’est qu’ils ont commis nettement plus d'erreurs quand le message leur avait été délivré par voie audio plutôt que sous forme écrite. Conclusion : “l'écoute favorise une écoute plus immédiate mais moins critique, tandis que la lecture favorise une analyse plus pointue des contenus ingérés”
Le journaliste a trouvé la parade : il lira des essais sur papier mais écoutera les romans en livre audio.
Channels, la nouvelle fonctionnalité Instagram
Depuis le 6 juin, Instagram a lancé en France une nouvelle fonctionnalité : Channels. Sur un format très proche de Telegram, il s’agit de chaines de diffusion qui permet d’échanger des messages (texte, vocaux, vidéos) avec les abonnés. Ces derniers peuvent réagir au contenu et participer aux sondages, mais seuls les créateurs peuvent envoyer des messages.
Pour l’instant, la fonctionnalité n’est disponible que pour 10 des créateurs de contenus les plus suivis sur Instagram. Et les premiers résultats sont impressionnants : en deux heures, 425.000 abonnés ont rejoint le canal de diffusion de Léna Situations, baptisé “entre nous”. Le créateur de contenus Just Riadh a, lui, baptisé son canal "la miff" qui rassemble déjà plus de 90.000 membres.
Sur Linkedin, Victor Cohen, fondateur de l’agence Follow, parle d’une '“révolution pour l’influence et les créateurs de contenus”, et voit une grande opportunité : rapprocher encore davantage les créateurs de leur communauté. Les créateurs peuvent désormais partager du contenu exclusif avec une tonalité différentes : des messages plus simples, plus directs et plus spontanés avec leurs abonnés. “Ce canal est une opportunité géniale de soumettre des nouvelles idées aux abonnés les plus proches en leur demandant leur avis sans polluer le fil du contenu quotidien”
Reste à voir comment les marques se saisiront de cette fonctionnalité quand elle sera disponible pour elles …
TECH & IA
L’enshittification de TikTok
Dans un long article de blog intitulé Pluralistic, l’auteur de science fiction Cory Doctorow a cette excellente formule sur la vie et la mort des plateformes numériques :
Here is how platforms die: first, they are good to their users; then they abuse their users to make things better for their business customers; finally, they abuse those business customers to claw back all the value for themselves. Then, they die.
C’est ce qu’il appelle, dans un néologisme anglo-saxon délicieux, “l’enshittification” des plateformes. Un phénomène selon lui inévitable, qui a concerné Amazon, Facebook, et qui est en train d’arriver à … Tik Tok.
“From the start, Tiktok was really, really good at recommending things to its users. By making good-faith recommendations of things it thought its users would like, Tiktok built a mass audience, larger than many thought possible, given the death grip of its competitors, like Youtube and Instagram.
For many years, even Tiktok's critics grudgingly admitted that no matter how surveillant and creepy it was, it was really good at guessing what you wanted to see. But Tiktok couldn't resist the temptation to show you the things it wants you to see, rather than what youwant to see. The enshittification has begun, and now it is unlikely to stop.
It's too late to save Tiktok. Now that it has been infected by enshittifcation, the only thing left is to kill it with fire”
McDo vs Burger King, le duel Chat GPT
La Réclame a repéré une campagne lancée par McDonald’s Brésil: interrogeant Chat GPT sur quel était le burger le plus iconique du monde, l’IA a répondu … le Big Mac. Il n’en fallait pas plus pour que McDo en tire un billboard élogieux.
La réponse n’a pas tardé à arriver chez son principal compétiteur, Burger King, qui a l’habitude de mettre en scène leur rivalité. Quelques jours seulement après l’apparition de cette campagne dans les rues du Brésil, Burger King a répliqué en y allant de sa propre question à ChatGPT : “Quel burger est le plus gros ?”. Cette fois-ci, c’est le Whopper qui a remporté la mise.
Au-delà du coup publicitaire, ce duel interposé montre qu’il y a un enjeu énorme dans les préférences affichées par les outils d’intelligence artificielle. Quel sera la voiture, le frigidaire, le canapé ou la destination touristique préférée par ChatGPT et autres ? Les marques ont compris depuis les années 2000 qu’elles devaient travailler leur “référencement Google” : faudra-t-il, demain, travailler à une sorte de “référencement IA” ?
The Frost ou comment l’IA dégivre les réalisateurs indépendants
C’est un nouvel imaginaire que convoque les réalisateurs qui, comme Stephen Parker (Waywarkn Detroit) utilisent l’AI pour réaliser leurs films - en l’occurence, ici, DALL-E.
Des visages esquissés, des détails gommés, des émotions en demie-teinte … tout concourt à l’atmosphère crépusculaire et buñuelienne de The Frost, un moyen métrage (12mn) entièrement réalisé à l’aide de l’outil. Parker a, en effet, alimenté DALL-E d’un script écrit par Josh Rubin pour produire chaque plan.
« Nous avons construit notre narration autour des capacités de Dall-E, c’est une esthétique différente qu’il s’agit d’accepter et d’accueillir comme une opportunité ».
The Frost n’est pas un épiphénomène, mais l’un des récits les plus aboutis parmi toute une vague de films entièrement générés par les machines. Sa société productrice, Waywark, a en réalité des visées marketing. Elle exploite ses publicités passées pour entraîner son modèle LLM et proposer à ses clients, notamment les plus démunis en images, un service de génération à la volée.
« Le processus est loin d’être parfait, mais à force d’essais et d’erreurs, des images qui auparavant auraient nécessité des jours de tournage, prennent vie. C’est une révélation ».
C’est un sentiment partagé par Chris Boyle, le fondateur du studio Londonien Private Island, auteur d’une parodie IA de publicité de bière qui a fait florès sur les réseaux :
« Au premier abord, cela ressemble à une publicité ordinaire mais au bout de quelques secondes un certain malaise s’installe : tous les visages sont inversés ! C’est un peu une métaphore de notre relation à cette technologie ».
Alors, bientôt des films IA partout ? Personne ne le sait vraiment, les clients restent frileux et les limites actuelles sont réelles. Mais c’est peut être la définition d’un nouveau genre …
CHAPEAU L’ARTISTE
Trenitalia - La Dolce Vita à grande vitesse
C’est l’une des toutes premières publicités qui concernent des trajets ferroviaires franco-français (ici, Paris-Lyon), désormais ouverts à la concurrence : la stratégie mérite le coup d’oeil.
Pour se distinguer du traditionnel SNCF, la compagnie de train italienne Trenitalia ne vend pas la destination, mais le voyage, en parlant d’une “Dolce vita à grande vitesse”. La marque multiplie les signes d’italiennité : les passagers mangent des spaghettis bolognese, un serveur amène un café ristretto dans un wagon “Classe Executive” …
Demain, verront-nous des trajets Paris-Bordeaux à l’Espagnole ou Paris-Strasbourg à l’Allemande ?
Aldi et les contes modernes
Quelques semaines après un premier film de marque “Cendrillon”, qui “réaffirmait son ADN de discounter pour enchanter la vie d’aujourd’hui” (dixit Packshomag), Aldi continue de revisiter l’univers des contes et légendes pour parler de ses produits.
Ainsi, pêle mèle : du Petit Chaperon Rouge, une jeune femme tout de rouge vêtue et bardée de sacs de courses dans le métro, qui traverse la ville pour ravitailler sa Mère-Grand ; de La Belle au Bois Dormant qui se fait réveiller par son prince charmant avec des viennoiseries Aldi.
Le détournement et l’actualisation des contes et légendes traditionnelles au monde d’aujourd’hui est certes un grand classique d’exercice de style publicitaire - on se souvient de celle de Adopte un Mec, à la sauce girl power - mais il est bien réalisé.
TIKTOK TRENDS
#BeigeFlag
Refuser de supprimer des anciens réveils sur son téléphone, prononcer trampoline trampoling, ne pas pouvoir dormir sans couverture même en été…. Rien de grave, à priori. Difficile de qualifier ces petites habitudes de red flag 🚩 (ces trucs toxiques que vous découvrez dès le premier date et qui doivent vous faire fuir). Mais ce ne sont pas des green flags pour autant.
Alors quoi ? Sur TikTok, les utilisateurs ont trouvé la solution avec le beige flag. Un beige flag, c’est donc une caractéristique un peu chelou qui en dit beaucoup sur la personne que l’on est sans que celle-ci soit une mauvaise ou bonne chose. C’est ce qui est censé nous rendre un peu unique. Et bien pas tant que ça…
En partageant leurs manies ou celles de leurs partenaires, les utilisateurs de TikTok se sont rendus compte qu’elles concernaient plus de monde qu’ils ne le pensaient. À croire qu’on est tous un peu weirdos.
Quand la musique est bonne
Bon, ça va, on a compris que les fans européens d’Harry Styles s’époumonaient sur “Leave America” tandis que ceux aux US oubliaient cette partie des paroles. Vous n’avez pas la ref ? Alors il est temps de parler des concerts sur TikTok.
Faire des TikTok lors des concerts est un peu devenu un rituel, une sorte d’after de celui-ci où l’on sait que l’on va pouvoir revivre les meilleurs moments via les vidéos postées. Des concerts à TikTok il n’y a qu’un pas : il n’y a qu’à voir comment les 20 secondes des extraits de musiques populaires sur la plateforme sont celles qui sont le plus chantées lors des concerts. Ou comment les artistes interprètent sur scène les reprises TikTok de leur morceau - on se souvient notamment de Stromae à Coachella. Depuis quelques années, certains diffusent même leurs concerts en live sur l’appli comme Niska (@pouloulou).
Mais en dehors des prestations, c’est l’expérience même des concerts qui est partagée. Il existe une vraie communauté TikTok d’utilisateurs qui aiment voir leurs idoles en concert depuis le front row. Et qui filment leur camping, la veille, devant la salle, leur fabrication de pancartes et les feedbacks de leurs concerts. Ils le savent, les TikTok qui sortent de l’ordinaire sont aussi ceux qui buzzent.
Pas étonnant, donc, de les voir envahir nos fils « pour toi ».
#SubwayShirt
En matière de techniques anti-harcèlement, les femmes sont créatives, et le font savoir sur TikTok. Récemment, on a vu apparaître le subway shirt - ce t-shirt ample ou chemise oversize que les femmes mettent dans les transports en commun pour éviter de se faire harceler. À l’approche de l’été, des décolletés et des robes à bretelles, être une femme dans un lieu public, c’est toute une opération commando.
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L’année dernière, c’est la technique du dindon qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux (et sa variante, la technique du T-Rex), qui consistent à faire fuir son harceleur avec des cris d’animaux.
Ces vidéos qui font des millions de vues permettent non seulement de mettre en avant des techniques utiles pour se sortir de situations dangereuses dans l’espace public, mais également de montrer la gravité de la situation quant au harcèlement que subissent les femmes dans la rue en 2023 - pour rappel, 80% des femmes en France ont déjà été victimes de harcèlement sexuel dans les lieux publics.
DERNIÈRES PARUTIONS
Un film : “Sick of myself” de Kristoffer Borgli
Esprits fragiles s’abstenir, film choc. Dans la lignée d’autres réalisateurs scandinaves, très en pointe sur la critique de la société contemporaine (le danois Thomas Vinterberg, qui a réalisé La Chasse et Drink, et le Suédois Ruben Östlund, double oscarisé avec The Square et Sans filtre), le norvégien Kristoffer Borgli signe l'un des films les plus cinglés du moment.
Le pitch : la jeune Signe, serveuse dans un bar à Oslo, vit dans l’ombre du succès de son petit ami Thomas, artiste plasticien. Pour attirer l’attention, elle décide de se rendre volontairement malade en avalant des pilules d’un médicament russe interdit à la vente, épinglé pour provoquer de graves lésions cutanées.
La spectaculaire transformation physique, parfois difficile à observer pour le spectateur, sert de métaphore d’un narcissisme poussé à ses extrémités. Évidemment, Signe est récupérée par le monde des médias, du mannequinat et de la publicité qui, sous couvert de promotion de l’inclusivité, exploite la douleur et le handicap à des fins commerciales.
Un petit bijou, sombre et douloureux, mais un bijou.
Un podcast : “Députés” de Anne Soetemondt (France Inter)
Reporter au service politique de France Inter, couvrant l’actualité parlementaire, Anne Soetemondt a cherché un format original pour mieux faire connaître le quotidien des députés de l’Assemblée nationale. Son idée, géniale : réunir des députés de partis politiques différents dans un groupe WhatsApp, pour leur proposer de s’échanger des notes vocales.
Cinq députés ont répondu à l’appel : Clémentine Autain (LFI), Pierre Cazeneuve (Renaissance), Julien Dive (LR), Benjamin Lucas (EELV) et Yael Ménache (RN). Le résultat, ce sont plus de 600 messages vocaux échelonnés sur un an de mandature, totalisant plus de 10 heures d’enregistrement.
Le podcast, structuré en cinq épisodes, permet une plongée authentique et passionnante dans le quotidien du député : sa vie en circo, le travail technique en commission, les séances nocturnes, les difficultés à articuler vie politique et vie familiale, le rythme infernal, les petites victoires et les grandes déceptions …
C’est franchement réussi. À écouter ici !
Une série : “Succession” (saison 4, HBO)
Sorte de House of Cards ou de Games of Thrones dans le milieu du business, Succession est l’une des séries-évènements de ces dernières années. Logiquement, la sortie de sa quatrième et dernière saison a été très scrutée, des dizaines d’articles lui ont été consacrés.
Parmi les plus intéressants, on trouve celui du communicant Arthur de Graves. Dans Usbek et Rica, il explique comment Succession dézingue … le capitalisme. “Sous ses faux airs de drame shakespearien à l’ancienne, la dernière série d’HBO se réapproprie le genre tragique pour tenir un propos puissamment corrosif sur le capitalisme contemporain”, écrit-il. En particulier, la série brosse ce qu’il appelle la “tragédie du Capital” : “si le capital est une divinité, c’est un Moloch qui dévore jusqu’à ses propres fidèles ; et que la seule manière de le conjurer est de cesser d’y croire”. À l’instar de Roman Roy à la toute fin de la série qui lance à son frère médusé :
« We are bullshit, you are bullshit. You’re fucking bullshit, I’m fucking bullshit, she’s bullshit. It’s all fucking nothing. I’m telling you this because I know it. We’re nothing. »
Rien que pour cette ultime tirade, la série mérite le coup d’oeil.
C’est tout pour aujourd’hui ! Rendez-vous le mois prochain pour un prochain numéro de la CORTEX NEWSLETTER.
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