“Untact-economy”, des prêtres influenceurs, essor de la sorcellerie, limites de méritocratie et éloge des fausses informations … Elles ont fait (ou pas) l’actualité, voilà les idées des quatre dernières semaines.
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BIENVENUE DANS LE “NEW NORMAL”
L’essor de “l’untact-economy”
Un reportage du Monde raconte la volonté de la Corée du Sud de devenir le leader de l’économie “untact”.
“Travailler, déjeuner et faire ses courses dans l’une des plus grandes mégapoles d’Asie sans approcher un être humain de la journée : en Corée du Sud, la « société sans contact » ne relève plus de la science-fiction, et elle a pris un peu plus d’ampleur encore avec la pandémie liée au Covid-19”
L’expression “untact-economy” a été forgée en 2017 par Rando Kim, spécialiste des tendances de consommation à l’Université nationale de Séoul, pour évoquer l’essor des interactions humaines virtuelles dans la consommation comme au travail, et l’utilisation de robots pour pallier le vieillissement de la main-d’œuvre.
« Il devient possible d’imaginer un monde économique – des usines aux consommateurs individuels – où les contacts humains sont minimisés » détaille McKinsey. Plusieurs chiffres montrent un basculement très rapide des usages : entre juillet et septembre, les retraits de billets aux distributeurs sont en baisse de 10 % par rapport à la même période l’an passé, et les paiements en magasin avec saisie du code confidentiel ont chuté de 25 %. En revanche, les paiements sans contact ont bondi de 65 % par rapport à 2019, favorisés par le relèvement du plafond de 30 à 50 euros, et les paiements par l’e-commerce ont progressé de 25 %.
Les marques doivent-elles d’ores et déjà s’adapter à un monde sans contacts, où le masque sera permanent et où plus personne ne se serreront les mains, ou doivent-elles au contraire se mobiliser pour inciter le retour les contacts physiques une fois que l’épidémie sera derrière nous ?
In a Pandemic, We Buy What We Know
Un article du Harvard Business Review revient un paradoxe : en pleine pandémie, comment expliquer que les ventes de produits bios (salade) et de “mal-bouffe” (Big Macs) augmentent de concert ? Dans beaucoup de catégories de produits, les études montrent que la pandémie entraine une modification très importante du comportement des consommateurs, qui les poussent à privilégier les marques qu’ils connaissent déjà.
“In normal times, customers often make purchasing decisions based on practical considerations such as a product’s healthiness, value, or price. But when consumers feel uncertain or afraid, these practical concerns can become overwhelmed by their emotional reactions. In the face of a contagious disease in particular, fear and disgust shift people’s natural desire for familiarity and predictability into overdrive — meaning that Big Macs become more popular again and Oreos fly off the shelf, even as sales of organic food surge”
Conséquence pour les marques : travailler le lien avec leur base solide de consommateurs dans une stratégie de réassurance
“For one, while innovation is generally a good thing, right now might not the best time to start getting creative with consumer products. While you may be excited about advertising the latest potato chip or ice cream flavor, you might be better off waiting for a time when consumers are feeling a little less fearful.
Our analyses found that right now, people are more likely to put traditional Oreos in their cart, rather than the trying out the latest new flavor. In the face of so much constant fear, an unfamiliar Oreo seems to be a risk that many consumers are simply unwilling to take”
COMMENT SAUVER L’ESPRIT DE NOËL ?
Face à l’incertitude grandissante de vivre un Noël dans les règles de l’art, les inquiétudes augmentent : d’après un sondage OpinionWay pour Proximis, 73% des Français sont stressés par au moins un aspect de leurs achats (sanitaire, logistique, économique, expérience en magasin). À mesure que Noël approche et dans l’attente des annonces gouvernementales, 85% des Français font preuve de résignation et voit la probabilité d’un Noël « normal » s’éloigner.
Comment sauver l’esprit de Noël ? Le Cortex s’est penché sur la question, dans une note que nous avons décidé de mettre en libre accès >> à télécharger ici
NEW MEDIA, MEDIA NEWS
Parler, le réseau social de l’alt-right américaine
Pour tous les déçus de Twitter & autres Facebook qui ont l’outre-cuidance de censurer les propos de Trump … Voici Parler, le réseau social de la « liberté d’expression »
« Nous avons démarré Parler pour fournir une plateforme neutre pour la liberté d’expression, comme les Pères fondateurs [des Etats-Unis] l’avaient voulu, et également pour créer un environnement qui protégerait les données »
Parmi ses 10 millions d’abonnés, on peut y croiser l’ancien leader du Klu Klux Klan, la milice d’extrême droite des Proud Boys ou encore des sympatisants QAnon
Dans Les Échos, une remarque marrante d’une chercheuse de Harvard qui s’interroge sur le succès durable d’une application affinitaire : « L’une des choses qui alimentent la participation sur les grandes plate- formes, c’est la capacité à troller des gens de l’autre bord. Si tout le monde est d’accord dans la conversation, c’est de plus en plus difficile de faire revenir les gens »
La multiplication des réseaux sociaux communautaires est en tout cas un nouveau signe inquiétant de l’hyper-fragmentation des sociétés occidentales. Et dans le cas de Parler, la preuve que le trumpisme survivra à Donald Trump …
Neo, le Brut des Somewhere
Dans son livre The Road to Somewhere, l’essayiste britannique David Goodhart théorisait en 2017 que les sociétés occidentales se construisaient autour d’un nouveau clivage : Anywhere (populations urbaines éduquées qui se sentent à l’aise partout, à Tokyo comme à Londres, pro-mondialisation et pro-immigration) vs Somewhere (populations rurales plus défavorisées, qui ont un fort ancrage local, méfiantes vis-à-vis de la mondialisation et réticentes vis-à-vis de l’immigration).
En remplacement des traditionnels clivages Libération vs Figaro ou France 2 vs TF1, le clivage Anywhere vs Somewhere est peut-être en passe de devenir un nouveau positionnement média. Car face aux Brut, Konbini, Loop & co, tous construits sur un positionnement Anywhere, il y avait un espace à occuper chez les Somewhere.
C’est désormais chose faite avec Neo, media 100% digital lancé fin novembre et cofondé par Bernard de La Villardière, présentateur d’Enquête exclusive sur M6.
«Nous sommes un média de la proximité, des territoires, engagé auprès des artisans, des paysans, des chefs d’entreprise qui composent la France d’aujourd’hui, expliquent les fondateurs dans un article du Figaro. Neo est un média positif, loin des idéologies qui déconstruisent et tentent de culpabiliser la France et les Français. Au contraire, nous voulons leur faire retrouver du commun et un peu de fierté. Nous parlerons de l’actualité mais aussi de la France de Jean-Pierre Pernaut, celle de “Des racines et des ailes”»
C’est en tout cas la confirmation de la puissance du local comme levier pour résoudre les problématiques de la société française dans les prochaines années.
Macron sur Brut, ou l’institutionnalisation des médias en ligne
On apprend sur CBnews que grâce au déploiement d'un dispositif multi-plateformes avec un Facebook live retransmis sur YouTube, Twitter et Twitch, et des stories sur Instagram et TikTok, “l'interview d'Emmanuel Macron été vue par plus de 50% des 15-34 ans en France". L'entretien de plus de 2 heures, mené par les journalistes Rémy Buisine, Yagmour Cengiz et Thomas Snégaroff, a en outre suscité plus de 200.000 commentaires. Sur Snapchat, où le président s'est livré à une session de questions-réponses, l'interview "a généré plus de 100 millions de Snaps vus pour la même story"
À l’heure de l’offensive gouvernementale “Un jeune, une solution”, c’est un très bon exemple de capacité à adapter ses supports pour mieux toucher ses cibles. “The Medium Is The Message”, comme dirait l’autre …
Snapchat, intégrateur d’applications
Après la possibilité de pouvoir identifier des plantes à travers son application, un article du Siècle digital nous informe que Snapchat intègrera désormais Yuka (1 million de produits référencés - 12,5 millions d'utilisateurs en France) et Vivino (12 millions de références de vin - 29 millions d’utilisateurs dans le monde).
Une stratégie de différenciation (vs Tik Tok et Instagram) du réseau social pour devenir un facilitateur d'achat, une envie de recruter de nouveaux utilisateurs, ou le constat que sa cible vieillit, fait plus attention à son alimentation et ne boit plus n’importe quoi ?
L’AVOD (Advertising Video On Demand), le modèle de demain pour les plateformes ?
Les rumeurs vont bon train sur la possible ouverture de Netflix à la publicité. Ce n’est pas d’actualité selon son patron Reed Hastings, mais le marché de l’AVOD est pourtant prometteur. Il devrait représenter près de 32 milliards de dollars de revenus dans le monde en 2020 selon Deloitte, qui estime la croissance du marché à plus de 50% sur deux ans.
Certains acteurs se positionnent déjà. Aux Etats-Unis, et pour concurrencer Netflix, Amazon Prime Video ou Disney+, NBCUniversal a inauguré en juillet 2020 « Peacock », sa plateforme d’AVOD. Outre la formule gratuite, Peacock est aussi disponible par abonnement payant avec davantage de programmes et sans publicité, pour 4,99 dollars par mois.
Plus récemment, Discovery a annoncé le lancement international de « Discovery+ », son service de streaming par abonnement axé sur les contenus de divertissement non fictionnels. Il sera disponible aux États-Unis à partir du 4 janvier 2021, avec un abonnement moins cher pour le flux avec publicité (4,99 dollars par mois avec publicité vs 6,99 dollars par mois sans publicité).
En France, le modèle AVOD est beaucoup moins développé qu’aux USA, et est surtout pratiqué par les services de VOD des différentes chaînes TV comme MyTF1 ou 6Play (M6), et d’autres acteurs comme Rakuten TV ou Molotov, qui vient d’annoncer le lancement de « Mango », un service de streaming gratuit financé par la publicité. Mais l’arrivée annoncée en janvier 2021 dans l’hexagone de la plateforme gratuite « Pluto TV » (ViacomCBS) va peut-être changer la donne.
Le modèle inspire aussi l’industrie du cinéma, obligée de se réinventer face à la crise actuelle. Le groupe MK2, par exemple, a annoncé en novembre dernier le lancement de « MK2 Curiosity », après un essai lors du premier confinement : des films d'auteur sont disponibles gratuitement et financés par la publicité.
Mais à l’heure de l’hyperchoix et de la « subscription fatigue », et si la clé était de laisser les consommateurs choisir entre payer ou non l’accès à des contenus ?
L’émergence des “prêtres influenceurs”
Alors que le déclin des pratiques religieuses ne cesse de se confirmer ces dernières années, la quête d’une spiritualité d’un nouveau genre fait son apparition sur les réseaux sociaux. Depuis cet été, ceux que l'on pourrait qualifier de “prêtres influenceurs” ont réussi à moderniser la foi pour rencontrer une audience grandissante. Si prières et chants ont laissé la place à humour et messages réconfortants, les vidéos et tweets de ces influenceurs en soutane s'appuient le plus souvent sur la théologie pour apporter des réponses pragmatiques à des problématiques actuelles (homosexualité, bonheur, emploi etc.). Un contenu qui, à la lecture des commentaires, séduit bien au-delà du cercle des fidèles puisque de nombreuses personnes se déclarant athées font part de leur intérêt pour ce type d'informations.
Un contraste saisissant qui soulève plusieurs questions : l'horizon qui peine à s'éclaircir favoriserait-il un “revival” de la spiritualité sous toutes ses formes ? Quels nouveaux idéaux naîtront de cette crise inédite ? Dans quelle mesure l'utilisation d'un nouveau canal de communication a le pouvoir de rafraîchir son image auprès de nouvelles cibles ?
L’observation de ce microphénomène révèle la nécessité d'innover pour rencontrer les aspirations de citoyens en quête de connaissances plurielles, mais également de soutien et de réconfort.
BUSINESS & ENTERTAINEMENT
50 ans de monétisation des jeux vidéo
Dans Visual Capitalist, une superbe data-viz qui retrace l’évolution de la monétisation des jeux vidéos, de la sortie de la Atari en 1972 et de son jeu phare Pong à l’essor du jeu online et mobile avec le célèbre Fortnite et ses 350 millions de gamers.
Le ShowPing bascule à l’Est
Dans Siècle Digital, on apprend que la Chine a battu un nouveau record lors du single day: 62,9 milliards d'euros dépensés en quelques jours sur Alibaba et ses plateformes, ce qui place virtuellement cette opération d'envergure dans le top 100 des PIB mondiaux, devant le Luxembourg, la Bulgarie ou l'Uruguay.
Il faut bien sûr voir dans cette démonstration de force du commerce digitalisé un des axes de conquêtes soft power de la chine. Combiné à l’attrait croissant dans nos pays pour une société autoritaire, data driven et sécurisée, ça ouvre à la Chine la possibilité de revendiquer un modèle de société plus efficace et pérenne que bien des démocraties. Mais au-delà de ces considérations géopolitiques, l’énorme succès est aussi l’avènement du ShowPing, mélange de retail et de divertissement avec notamment 24h de show live avec stars mondiales). Avec ses séries gratuites dans Prime, Amazon joue aussi sur cette association de spectacle et de commerce. Walmart aurait aimé être le 3ème larron s'il avait pu acheter Tik Tok l'été dernier.
Et les distributeurs français, ou en sont-ils, eux qui ont quasi inventé le retail ?
Audio augmenté : “enter-training”
Comment allier running et contenu immersif ? C’est toute la puissance « enter-training », cette tendance qui s’appuie sur le sport augmenté dans une logique de gamification avec l’aide de nos smartphones.
Running Stories, une nouvelle application de fitness et de divertissement audio développée par BBH Singapour et uniquement disponible pour les habitants de la cité-Etat en est une version audio immersive. Ici la narration est au service de l’exploration sportive de la ville grâce à une expérience personnalisée qui utilise les données en temps réel pour transformer votre parcours en véritable fiction immersive.
COMPLOTISME : DEUXIÈME VAGUE
“Hold-Up” : l’expression d’une scission sociétale
S’intéressant à la réception du documentaire complotante Hold-Up, le philosophe Eric Sadin développe une réflexion très intéressante dans Marianne:
“Ce qui est à l’œuvre, c’est bien davantage l’expression d’une scission, qui, depuis longtemps, germe dans la société. Entre, d’une part, ceux qui se fient – en dépit de ses défauts inhérents et de ses dérives chroniques – à un ordre général en place, édifié sur des pratiques démocratiques et des institutions. Et d’autre part, celles et ceux, toujours plus nombreux, qui n’accordent plus aucun crédit à une classe politique et technocratique dont ils estiment qu’elle n’a fait que les léser décennie après décennie”
Si le complotisme est si important pour nous autres, communicants, c’est qu’il vient heurter les “Reasons to Believe”, si essentiels à toute marque. A l’ère de la défiance, la manière de les présenter évolue. Eric Sadin toujours :
“La pratique du fact-checking, dévolue à vérifier la conformité de certaines allégations, revêtait peut-être une efficacité il y a quelques années, lorsque le mouvement de suspicion demeurait encore relativement à la marge et qu’il convenait de réfuter, pièces à l’appui, des affirmations fallacieuses.
Aujourd’hui, la "post-vérité" serait secondaire. L’heure étant à une atomisation des croyances avant tout déterminées par les souffrances et les ressentiments subjectifs. Et aucune argumentation, qui se voudrait rationnelle, ne saurait les contredire, dans la mesure où s’est opérée une déliaison entre des foules d’individus et toute parole considérée émaner de l’"ordre officiel". Celui qui se voit vigoureusement rejeté au nom de toutes les iniquités qu’il n’aurait cessé de produire.
C’est pourquoi les postures moralisantes, notamment celles qui se manifestent chez les dits "spécialistes du complotisme", faisant toujours montre d’une posture de surplomb dans leurs analyses et d’une forme de satisfaction à se trouver du côté de la raison ne cessent de démontrer leur stérilité”
Les climatosceptiques sont plus nombreux qu’on ne le croit
Une étude IPSOS pour EDF menée dans 30 pays montre qu’un tiers des citoyens n’associe pas le changement climatique à un phénomène d’origine humaine, et que 7 % le nient purement et simplement. Les Etats-Unis deviennent le pays le plus climatosceptique au monde, avec 52 % des Américains ne croyant pas à un changement climatique d’origine humaine (+ 7 points par rapport à 2019).
Nombre de citoyens pensent en outre que les scientifiques sont divisés sur les causes du réchauffement climatique – deux tiers des sondés en République tchèque, près de la moitié au Royaume-Uni et 39 % en France –, alors qu’il existe un consensus total parmi les climatologues. Enfin, une minorité importante (34 %) estime que les conséquences du changement climatique seront plus positives que négatives en France.
La vérité est ailleurs ? Voyance, sorcellerie et astrologie
Une étude de la Fondation Jean Jaurès s’intéresse à la croissance, dans la société française, du nombre d’adeptes des parasciences, comme la voyance, la sorcellerie ou l’astrologie.
Les résultats d’une enquête réalisée par l’Ifop pour Femme actuelle permettent en effet de relativiser l’idée selon laquelle les sociétés occidentales seraient le produit de la victoire éclatante et définitive de la raison sur l’explication divine des faits :
“Contrairement à certaines idées reçues qui tendent à les réduire à des croyances obscures et marginales, l’engouement pour les parasciences est un phénomène à la fois majoritaire et de plus en plus répandu. En effet, une majorité de Français (58 %) déclarent croire à au moins une des disciplines de parascience, à savoir l’astrologie (41 %), les lignes de la main (29 %), la sorcellerie (28 %), la voyance (26 %), la numérologie (26 %) ou la cartomancie (23 %)”
L’étude montre un très fort retour du spirituel chez les générations X et Y : 40 % des moins de 35 ans croient en la sorcellerie contre 25 % des plus de 35 ans, signe d’une forte imprégnation chez les jeunes.
Dernier élément : si, comme toute croyance, les parasciences permettent à leurs adeptes de se forger une vision du monde qui les entoure, plusieurs enquêtes ont mis en lumière une corrélation entre la croyance dans les parasciences et l’adhésion aux visions complotistes du monde. Pour l’auteure, “il semble que ces deux phénomènes relèvent des mêmes leviers sociaux et comportementaux et répondent au même rejet de l’institution, qu’elle soit politique, médiatique ou religieuse”
Ces derniers temps, un nombre croissant de marques ont multiplié les références à l’astrologie. Nous avions consacré une prez tendances sur ce sujet (“Le grand retour de l’astrologie”) : elle n’est hélas pas auto-portante, donc n’hésitez pas à nous contacter pour plus d’informations !
Pourquoi parler de complotisme dans une agence de communication ? Parce que cela vient heurter violemment les deux éléments qui sont essentiels à notre métier : les contenants et les contenus.
Les contenus, c’est ce qu’on raconte : dans une campagne publicitaire, sur une bannière, sur une affiche, etc. Dans les briefs qu’on écrit, il y a toujours une case “reasons to believe” : quelle est la preuve de notre propos ? Qu’est ce qui fait qu’on va croire que la lessive, la voiture, la formule d’abonnement est meilleure que celle du concurrent ? Au fond, le complotisme pose la question fondamentale des « “reasons to believe”…
Il y a aussi une question sur le contenant. Toutes les fake news circulent via des médias. Médias plus ou moins référencés, plus ou moins autorisés, plus ou moins considérés comme complotistes. Cela nous oblige à avoir une réflexion attentive sur le support de prise de parole de nos marques.
Comment communiquer à l’ère de la défiance et du complotisme ? Pour en parler, le Cortex a invité Antoine Bristielle, professeur agrégé de sciences sociales et expert associé à la Fondation Jean Jaurès. Ses travaux nous offrent des clés de réflexion passionnantes pour nous autres, communicants.
>> la semaine prochaine, nous diffuserons nos échanges sous la forme de podcast : stay tuned !
NEW DEAL
Les grandes marques dans le piège Ouïgour
Une enquête dans La Croix montre que les géants du textile ou de l’électronique sont accusés de se fournir auprès d’entreprises chinoises qui ont recours au travail forcé des Ouïghours. Un nombre croissant d’entreprises annoncent rompre toute relation avec leurs fournisseurs qui seraient impliqués.
Ces ruptures sont le résultat d’une vaste campagne menée par des ONG, des syndicats, et quelques élus au premier rang desquels le député européen Raphaël Gluksmann. Une pétition qu’il a lancée sur Internet a déjà recueilli près de 250 000 signatures. Elle demande au président français de soutenir des sanctions contre la Chine, ainsi que «l’interdiction de toute importation de produits fabriqués par les esclaves ouïghours ».
Début juillet, 180 organisations non gouvernementales ont également lancé un appel à toutes les entreprises pour qu’elles quittent la région de Xinjiang
L’article très équilibré de La Croix pointe une difficulté pour les entreprises : celle de s’assurer qu’aucun fournisseur qui se trouve ailleurs en Chine n’a accueilli de main-d’œuvre ouïghoure déportée.
«Beaucoup de marques nient ou disent qu’elles ne savent pas, du fait de la complexité de leur chaîne de production, mais la réalité les rattrape. Même si elles n’ont pas directement contracté avec une entreprise de la région, elles sont présentes sur place à travers des sous-traitants qui ont eux-mêmes recours à d’autres fournisseurs. D’où l’importance de connaître parfaitement l’ensemble de sa chaîne de production » explique Nayla Ajaltouni, porte-parole du collectif Éthique sur l’étiquette.
D’où l’importance pour les entreprises d’avoir une cartographie précise de leurs fournisseurs. La rendre publique, et renforcer la traçabilité de leurs produits, c’est faire acte de transparency-telling qui est à même de combler la méfiance des citoyens-consommateurs sur ces sujets.
Vers une “justice climatique” ?
Un rapport d’Oxfam réalisé avec l’Institut de l’Environnement de Stockholm,(“Combattre les inégalités des émissions de CO2 dans l’Union Européenne”) pointe les “inégalités carbone” au sein de l’UE. Entre 1990 et 2015, les émissions annuelles des 50% les plus pauvres ont baissé de 24 % et celles des 40 % ayant des « revenus moyens » de 13%. Parallèlement, les émissions des 10 % les plus riches ont augmenté de 3 %, et celles des 1 % les plus riches de 5 %.
Conclusion de l’ONG : “Pour parvenir d’ici 2030 à une réduction d’émissions qui soit conforme à une trajectoire d’émissions alignée avec l’objectif de réchauffement de 1,5°C, l’UE doit faire davantage pour maîtriser les émissions excédentaires de ses citoyens les plus riches (..). Alors que l’Europe lutte pour se remettre de la crise de COVID-19, le « Green Deal » de l’UE doit servir non seulement à réduire les émissions, mais aussi à lutter contre les inégalités, en construisant des sociétés européennes plus justes, plus saines et plus résilientes.
Danone : le statut d’entreprise responsable ne signifie pas s’affranchir de l’exigence des actionnaires
Danone a annoncé plan d’économie d’un milliard d’euros comportant 2000 suppressions de poste (dont 400 en France), réalisé pour retrouver la confiance des actionnaires alors que l’action a perdu plus d’un quart de sa valeur en 2020. Un plan très commenté, alors que Danone est devenue la première “Entreprise à mission” côtée.
Un article de The Conversation revient sur cette décision : pour l’auteur, ce que connait Danone aujourd’hui est le premier test grandeur nature de la tension entre le shareholder capitalism et le stakeholder capitalism appliquée à une société à mission.
“Danone se retrouve bien entre l’enclume des marchés et sa volonté d’être une entreprise socialement responsable. Mais in fine, le PDG a tranché : il faut rassurer les actionnaires en améliorant sa performance économique et financière”
Mais l’auteur montre que la particularité de Danone : la dispersion de sa structure d’actionnaires
“Aucun actionnaire connu ne dispose de plus de 10 % du capital et, avec un flottant de plus de 60 %, Danone est une société « opéable », c'est-à-dire particulièrement exposée à un rachat éventuel ; c’est dire si le management doit prendre au sérieux les exigences des actionnaires. À noter que malgré la politique sociale affichée, l’actionnariat salariés reste peu développé : les salariés n’ayant que 1,3 % du capital de leur société.
En plus de cette dispersion de l’actionnariat, la faiblesse des performances financières de l’entreprise ont conforté ce statut de société opéable de Danone dans les conditions de marché actuelles. L'amélioration de la rentabilité opérationnelle de l’entreprise apparaît dès lors comme une arme de protection contre un éventuel rachat”
Conclusion : entreprise à mission ou pas, la question de la gouvernance est cruciale.
Les supermarchés britanniques, tous unis contre le racisme
Fait rarissime : on apprend dans The Guardian que les grands supermarchés britanniques se sont réunis pour prendre position contre la réaction raciste en ligne qui a suivi la publicité de Noël de Sainsbury's mettant en scène une famille noire.
Aldi, Asda, Co-op, Iceland, Lidl, Marks & Spencer, Sainsbury's, Tesco et Waitrose ont diffusé leurs publicités l'une après l'autre pendant deux heures de grande écoute sur Channel 4 vendredi soir, avec le hashtag #StandAgainstRacism - alors que d’habitude, les concurrents évitent activement de diffuser leurs publicités à proximité les unes des autres. Rachel Eyre, responsable de la communication et de la création de la marque chez Sainsbury's, a déclaré : "Nous nous efforçons d'être un détaillant inclusif et nous sommes fiers de nous unir à nos collègues de l'industrie pour lutter contre le racisme. Nous avons la passion de refléter la Grande-Bretagne moderne et de célébrer la diversité des communautés que nous servons, de notre publicité aux produits que nous vendons".
DERNIÈRES PARUTIONS
Un essai : Comment parler des faits qui ne se sont pas produits ? (Pierre Bayard, Minuit)
“On ne cesse de critiquer les informations fausses, en méconnaissant tout ce qu’elles apportent à notre vie privée et collective. Elles ne sont pas seulement, en effet, source de bien-être psychologique, elles stimulent la curiosité et l’imagination, ouvrant ainsi la voie à la création littéraire comme aux découvertes scientifiques. Ce livre prend leur défense”
Voilà la thèse de cet ouvrage très original, signé Pierre Bayard, professeur de littérature à l’université de Paris-VIII-Vincennes-Saint-Denis : le faux nous est indispensable. À travers une série d’exemples littéraires, historiques et scientifiques, se déploie une défense et illustration de l’impérieuse nécessité de fabuler, d’inventer des paysages, des récits, des faits et des mondes.
Un exemple de la fécondité du faux dans les sciences humaines : contrairement à ce qu’écrivait Freud, il s’est avéré que Léonard de Vinci a bien eu une vie sexuelle (homosexuelle) riche et épanouie. Pour autant, cette fake news lui a permis de construire sa théorie de la sublimation, à savoir cette capacité qu’aurait tout artiste à transformer sa libido sexuelle en force créative. Théorie certes fausse dans le cas de Léonard de Vinci, mais qui n’en a pas moins été une trouvaille importante de la psychanalyse au XXe siècle.
Tout au long de son ouvrage se déploie le concept de « croyance intermédiaire », définit comme un « mélange indénouable, chez un même sujet, de conviction et de doute, lesquels ne sont pas alternatifs mais concomitants ». Pour Pierre Bayard le territoire de la crédulité humaine n’obéit pas à la dichotomie du vrai et du faux, tout un chacun est habité de sentiments contradictoires de croyances et de doutes.
Autrement dit, la frontière entre le complotiste et le non-complotiste est-elle aussi nette qu’elle ne parait ? Pierre Bayard plaide en tout cas sans vergogne pour un « droit à la fabulation ».
Un podcast : la méritocratie en procès (France Culture)
Le modèle méritocratique serait-il à bout de souffle ? C’est ce que semble dire 4 ouvrages de chercheurs dans un podcast France Culture. Ils relèvent tous les dérive d'un fonctionnement poussé à l'extrême. Une nouvelle oligarchie légitime, forte de son statut car acquis par le travail intellectuel, promeut ses valeurs, ses pairs et sa descendance, renvoie les autres classes à leur incapacité voire leur inadéquation au monde moderne, donne le sentiment de favoriser ses intérêts de classe, de concentrer toutes les richesses, aux dépends des fonctions tout autant méritantes mais peu valorisées. (cf les récents "métiers essentiels")
Ils y voient les racines du populisme croissant.
Petit espoir : Celles et ceux qui parviennent en haut de la pyramide des études brillantes fournissent des efforts/sacrifices de plus en plus impressionnants (temps, argent...) et de plus en plus intolérables à leurs yeux. La révolte viendra-t-elle de la jeunesse méritante ?
Il faut que ça vienne vite, car cela n’est pas sans conséquences sur le contrat social.
Une série : The Queen’s Gambit (Netflix)
The Queen's Gambit (le Jeu de la dame en VF), minisérie Netflix en sept épisodes adaptée d'un roman de Walter Tevis paru en 1983, met en scène l'histoire fictive d'une gamine, Beth Harmon, qui débute avec le concierge de l'orphelinat où elle a été placée avant de dompter le monde du «roi des jeux». Une série qui cartonne, avec près de 68 millions de vues sur la plateforme Netflix.
“C'est le plus gros coup médiatique depuis Deep Blue contre Kasparov, en 1997” a déclaré à Libération Maxime Vachier-Lagrave, numéro 5 mondial des échecs.
Forbes délivre plusieurs chiffres très impressionnants qui permettent de mesurer l’impact d’une série Netflix sur les pratiques culturelles :
“The show seems to have single-handedly managed to make chess “cool again,” with unit sales of chess sets having jumped 87% in the U.S., while chess book sales rose by an astonishing 603%, according to research firm NPD Group. No marketing campaign could have crafted a better chess commercial, it seems”
Sur E-Bay, les ventes de plateaux d’échecs ont augmenté de 215%. Chez Jouet Club, elles ont été multiplié par 2.
Le site chess.com a vu son nombre d’utilisateurs quotidien dans le monde passer de 30 000 par jour à plus de 110 000. En France, de 700 à près de 7000.
Dans Le Monde, le rédacteur en chef Michel Guérin écrit que “la série devient un art dominant”. Pour changer les comportements, et si les séries avaient dépassé le pouvoir du cinéma et de la publicité ?
Un roman : Comédies françaises (Eric Reinhardt, Gallimard, 2020)
Alors que la France débat sur la lampe à huile et la 5G, un romancier nous rappelle que nous sommes passés à côté de l'Internet sous Giscard pour cause de lobbyisme du téléphone. Voilà le pitch de Comédies Françaises d'Eric Reinhardt. Passionné par les points de bascule historique, il raconte également comment la scène artistique française, exilée à New York pendant la guerre, aurait transmis le témoin à l'avant-garde américaine. Extraordinaire scène où Max Ernst initie Jackson Pollock au dripping avec une boite de conserve, parachevant ce transfert par-dessus l'atlantique.
Un roman sur les mérites du destin, le fameux kairos grec, celui qu’on saisit ou qu'oriente pour changer le cours de sa vie. Extrait choisi :
“Si Valéry Giscard d’Estaing ne s’était pas laissé gouverner par Ambroise Roux, Unidata serait peut-être devenu aussi puissant, face aux firmes américaines, qu’Airbus l’est aujourd’hui face à Boeing ? Et le réseau Cyclades aurait peut-être donné naissance, en France, à Internet ?
Oui. La réponse est certainement oui. Pourquoi en serait-il allé autrement ? Les premiers utilisateurs d’Internet auraient dû être européens, voire français, ça c’est certain, et ils l’auraient été si la France ne s’était pas éviscérée comme elle l’a fait”
Chères marques françaises, qu’avez-vous saisi récemment de votre destin ?
C’est tout pour aujourd’hui ! Rendez-vous l’année prochaine pour un prochain numéro de la CORTEX NEWSLETTER. Bonnes fêtes à tous !