Le télétravail comme facteur d’abaissement du coût de la mobilisation, la plateforme sociale BeReal, le “travel therapy”, le local qui remplace le bio, comment Levi’s est redevenu une légende, l’auto-dérision à la sauce Dior, le “de-influencing” sur TikTok ou L’ère de l’individu tyran … elles ont fait (ou pas) l’actualité, voilà la veille des idées du mois de février 2023. Bonne lecture !
Temps de lecture estimé : 15 minutes
LES MONDES DU TRAVAIL
La mobilisation contre les retraites: trois enseignements
Comme l’expliquait très bien la journaliste Corinne Lhaïk dans L’Opinion, la réforme des retraites “délivre une radiographie de la société française entre peurs, fantasmes et réalités”. Dans deux articles publiés par News Tank RH, le sociologue du travail Denis Maillard revient sur les principaux enseignements qu’il tire de cette mobilisation :
1/ Au-delà de la retraite, la question du travail.
“Nous ne sommes pas sur la scène d’un dialogue social classique où des négociateurs rompus au jeu d’acteur accepteraient les termes d’une pièce dont ils savent déjà comment elle se terminera, entre claquement de portes et faux départs… Il s’agit cette fois-ci de répondre à un malaise beaucoup plus profond portant sur le sens du travail et de “l’engagement professionnel”. Ce n’est donc pas tant l'âge de départ à la retraite qui est l’enjeu de cette mobilisation et lui donne sa densité, mais le rapport « durée du travail sur effort fourni », c’est-à-dire le temps passé à travailler et la pénibilité du travail”
2/ Le télétravail abaisse le coût de la mobilisation.
“De chez soi, il est facile de se mettre « off » pour aller manifester durant 3h. Pas besoin de se signaler « en grève » et de perdre du salaire : coupez vos cameras, inventez un rdv Teams et sortez de chez vous !
D’où une sociologie particulière dans les manifestations, notamment une plus forte proportion de jeunes actifs. Et une géographie aussi : les villes moyennes voient une mobilisation inédite”
3/ Une fracture Paris / province
“Le mouvement est également marqué par une moindre mobilisation dans la capitale où l’on ne compte « que » 80 000 manifestants par rapport à des villes moyennes où l’on n’avait quasiment jamais vu autant de monde dans la rue… On est visiblement aux prises avec un mouvement qui épouse une forme nouvelle entre grande manifestation unitaire à Paris et embrasement local à la mode gilets jaunes”
Preuve s’il en est qu’on n’a pas encore mesuré l’intégralité des conséquences du télétravail - y compris, demain, pour des mouvements sociaux au sein des entreprises …
Crise du travail, crise du loisir : même combat ?
Notre société est-elle malade du temps libre ? Question paradoxale en plein débat sur la réforme des retraites. C’est pourtant la thèse avancée par l’économiste Olivier Babeau, président du think tank Sapiens, dans son livre “La Tyrannie du divertissement”, sous-titré : “Ne laissez pas les loisirs gâcher votre vie”. Sa thèse : le travail étant de moins en moins au centre de nos vies, de moins en moins pourvoyeur de sens, il laisse un immense vide, un temps libre, qu’on gaspille dans des divertissements (TikTok, Netflix) qui ne remplissent pas une vie, et qui participent in fine à son désenchantement.
“Jusqu’au XVIIIe siècle, les humains occidentaux ont été motivés par le Paradis. Ensuite, aux XIXe et XXe siècles, par la patrie. Pendant les Trente glorieuses, ce qui les a motivés, c’est le pavillon (…). Aujourd’hui, le travail ne conditionne plus la reconnaissance sociale : les jeunes n’attendent plus le travail pour se définir. Problème : pour nombre d’entre eux, le travail n’a pas été remplacé par autre chose.
L’homme n’a pas été préparé aux loisirs. La crise du travail et la crise des loisirs sont les deux aspects d’une même dépression. L’humain se retrouve devant une profusion d’offres qui veulent capter son attention, son temps de cerveau disponible. Faute de savoir trier, il se perd dans des divertissements stériles. (L’Opinion)
Alors qu’on a beaucoup parlé de la fatigue liée au travail, ce que souligne Olivier Babeau c’est qu’il y aurait aussi une fatigue liée aux loisirs. Dans les deux cas, c’est le manque de sens qui est en cause. D’où une nécessité pour les marques : proposer des “divertissements pourvoyeurs de sens” … sous peine de saturation de l’entertaining.
Ces entreprises qui passent à la semaine de 4 jours
Travailler moins pour travailler mieux. Alors que les débats autour de la réforme des retraites fait monter le sujet des conditions de travail en France, plusieurs reportages (télé, radio, presse écrite) se sont penchées sur ces entreprises qui avaient pris la décision de proposer à leur salarié un autre aménagement de leur temps de travail : la semaine de 4 jours.
Toute la question est de savoir si elle s’accompagne, ou non, d’une baisse effective du temps de travail. La Belgique, par exemple, offre aux salariés des entreprises du public et du privé la possibilité de travailler 4 jours par semaine, pour le même salaire … mais avec le même nombre d’heures hebdomadaires. Il s’agit donc de faire 38h en 4 jours : un surcroit de stress et de charge de travail au quotidien qui ne convient pas forcément à tout le monde.
En avril dernier, l’Espagne a quant à elle lancé un “projet pilote” permettant aux entreprises qui le souhaitent de mettre en place la semaine de 4 jours, avec cette fois-ci une baisse sensible du temps de travail hebdomadaire : 32 heures sur quatre jours, contre 39,5 sur cinq jours habituellement. Le géant espagnol de la téléphonie, Telefonica, a mise en place la mesure pour 10% de ses effectifs.
Au Royaume-Uni, raconte Welcome To the Jungle, une initiative massive a été lancée : près de 3 300 salariés issus de 70 entreprises testent pendant six moi la semaine de quatre jours, en s’inspirant du modèle 100 - 80 - 100 : 100 % du salaire, 80 % du temps en échange de 100 % de la productivité.
“Les études évoquent aussi une réduction assez nette du temps passé à faire autre chose que travailler : consulter les sites infos, aller sur les réseaux sociaux, passer des appels personnels ou envoyer des SMS, par exemple”
En France, le sujet n’a pas encore vraiment émergé, mais on découvre dans le baromètre IFOP-Cadremploi que 65% des cadres rêvent de bosser dans une entreprise qui pratiquerait la semaine de 4 jours. 27 % se disent même prêts à concéder une baisse de leur rémunération en contrepartie de la flexibilité de leurs horaires de travail., selon l'enquête « People at Work 2022 : l'étude Workforce View » réalisée par ADP. Mais selon les indicateurs de la Dares. seuls 2,4 % des employés français à temps complet bénéficiaient, en 2021, d’une durée hebdomadaire de travail comprise entre 32 et 35 heures.
Cadremploi fait la liste des entreprises françaises qui ont sauté le pas : Acorus, Bizay, Elmy, MyGroup, Systemes B, IT Partners … si elles sont encore peu nombreuses, on retrouve à chaque fois les même retours d’expérience : est à chaque fois identique : “qualité de vie au travail”, “équilibre vie pro / vie perso”, et même … “gain de productivité”.
Et si la semaine de 4 jours devenait le nouvel argument phare des marques-employeurs ? Puisqu’en dessous de 35h, le temps de travail est laissé à la discrétion des employeurs, l’aménagement du temps de travail devient un avantage concurrentiel RH.
Après the “Big Quit”, les patrons reprennent le pouvoir sur leurs salariés
Ces dernières années, la balance des pouvoirs dans le marché du travail a plutôt penché en faveur des salariés : dans un marché du travail très dynamique, les entreprises avaient beaucoup de mal à retenir les talents. Post-pandémie, beaucoup ont démissionné de leur emploi, un phénomène désormais célèbre sous le nom de “Big Quit”. Les choses sont peut-être déjà en train de changer.
Aux Etats-Unis, un changement de mentalité se fait jour, écrit le Wall Street Journal. Suite aux vagues de licenciement (dans les grandes entreprises de la Tech, notamment) et au ralentissement des augmentations de salaire, les relations de pouvoir s’inversent, au profit des patrons.
“Les employeurs qui avaient la sensation de perdre la main dans le marché du travail tendu de ces deux dernières années disent bénéficier désormais de davantage de pouvoir de négociation avec les employés. Beaucoup se sentent moins obligés de se précipiter pour recruter de peur de passer à côté d’un très bon candidat. D’autres mettent en place des règles de présence obligatoire au bureau qui jusqu’ici étaient traitées par-dessus la jambe par certains employés. « Une partie des PDG se disent : “OK, je reprends la main” », explique Tim Ryan, président et partenaire principal de PricewaterhouseCoopers (PwC) aux Etats-Unis”
Il semblerait donc que la tendance du “Big Quit” se soit vite retournée aux US : a-t-elle seulement eu le temps de se déployer en France ?
ACTUALITÉS DES MÉDIAS
LinkedIn veut diffuser des idées et plus seulement des CV
Dans Les Echos, on apprend que LinkedIn cherche à se constituer en média à part entière, suivant une stratégie très distincte des autres réseaux sociaux.
Chaque jour, 221 millions d'internautes (dont 1,8 millions de Français) reçoivent en notifications un « récap actu » préparé dans neuf langues différentes. Pour se faire, Linkedin a constitué une solide rédaction, constituée de 150 journalistes dans le monde, “dont des anciens du Financial Times, de l'AFP ou de la Süddeutsche Zeitung” précise l’article.
En France, le réseau a démultiplié ses « Top Voices », autrement dit “la liste de contributeurs experts et de personnalités mises en avant par le réseau” : depuis 2021, la plateforme sélectionne et promeut ses « Top Voices » pour l'emploi, l'environnement, l'entrepreneuriat, le social et l'humanitaire ou la santé…
“LinkedIn a aussi créé des postes de « managers de créateurs », chargés de pousser les outils internes auprès des experts, de leur proposer des sujets ou de repérer les membres à fort potentiel. Ils sont une soixantaine dans le monde et quatre en France. Chaque semaine, ils envoient une liste d'idées d'interventions aux créateurs de contenu pour les jours suivants. Avant les fêtes, les suggestions de la liste Entrepreneuriat allaient de « Travailler pendant les fêtes : opportunité ou déprime ? » à « Choisissez-vous votre banque en fonction de vos convictions ? », en passant par « Faut-il craindre la généralisation des caisses automatiques en magasin ? »”
À un moment où les marques interrogent les réseaux sociaux sur leurs pratiques de régulation de contenu, Linkedin est peut-être en train de s’imposer comme LE réseau social corporate de demain - non plus seulement comme le point de contact de campagnes B2B, mais comme la source de contenus de marque de qualité. D’ailleurs, dans les tendances à venir pour l’industrie des médias dévoilées par le Reuters Institute, on trouve comme enseignements recueillis par le chercheur Nic Newman auprès de 303 leaders de l’info : “Capitaliser sur LinkedIn pour les newsletters”


BeReal, l’anti-Instagram
“Tes Amis pour de Vrai” : c’est le slogan du réseau social BeReal, inventé en 2020 par deux jeunes développeurs français, et qui revendique pas moins de 20 millions d’utilisateurs dans le monde. Fin novembre 2022, l’application a décroché le prix de l’application iPhone de l’année. Le concept : chaque jour, à heure variable, l’utilisateur reçoit une notification l’enjoignant de photographier dans les deux minutes son visage et son environnement immédiat (le smartphone utilisant les deux caméras, avant et arrière, simultanément). L’application bannit les likes, les abonnés, les filtres, les retouches et les publicités. « Si vous voulez devenir influenceur, restez sur TikTok ou Instagram » proclame l’application.
Un article du journal Le Monde s’est intéressé sur la promesse d’authenticité véhiculée par BeReal. BeReal constituerait à première vue un “retour de balancier pour la génération du “fake”, des images lissées, de vies scénarisées, en quête de perfection esthétique et de pouces levés”.
“Sur BeReal, l’ordinaire des vies s’expose, sans artifice, ni enjeu d’influence ni risque d’addiction (une seule publication autorisée par jour), dans une succession de repas peu alléchants, de chambres en bazar, d’open-spaces sinistres, de claviers, d’écrans, de chiens, de chats sous éclairage blafard”
Vraiment ? Pas si sûr : les utilisateurs de l’application avouent, eux aussi, se mettre en scène. “Les BeReal, on ne les fait pas quand on ne fait rien. C’est la honte. Et on évite toujours le double menton de la prise de vue en plongée, on enfile un pull sur le pyjama …”. Selon une étude de la plateforme Sortlist publiée en octobre 2022, seulement 9% postent le premier cliché réalisé : ils en reprennent d’autres, dans le but de se mieux se valoriser.
« Faire croire qu’on peut être 100 % authentique en communiquant sur une scène sociale, c’est un fantasme, observe Anne Cordier, professeure de sciences de l’information et de la communication à l’université de Lorraine. Mais quel beau coup marketing ! Se draper dans la vertu, donner une image responsable pour la santé mentale et physique… »


Le sport féminin, en grave déficit de visibilité médiatique
On se souvient qu’aux lendemains du titre olympique remporté par l’équipe féminine de handball à Tokyo en 2021, L’Équipe affichait : « Paris vaut bien un Messi » se félicitant de l’arrivée du joueur argentin au PSG. Cléopatre Darleux, gardienne de l’équipe de France de handball, s’en était émue sur Twitter.


La presse n’est pas le seul media à reléguer le sport féminin au second plan. Les résultats de l’analyse menée par l’Arcom - dans le cadre son opération annuelle baptisée "Sport Féminin Toujours" - sur les retransmissions de compétitions sportives féminines à la télévision sont tout simplement édifiants :
“Sur l’ensemble du media télévision, le volume horaire du sport féminin est particulièrement faible relativement à celui du sport masculin. Avec une part du "sport masculin" de 71,5% contre 4,5% pour le "sport féminin" sur la période 2018-2021, le volume horaire du "sport masculin" est seize fois plus élevé que celui du "sport féminin". Les diffusions "mixtes" représentent de leur côté en moyenne 24% des retransmissions sportives diffusées sur la période 2018-2021”
Ces chiffres peuvent être rapprochés du taux de licences toutes pratiques confondues délivrés à des femmes qui s’élevait à 37,8% en 2021 ou aux 52% de femmes que compte la population française.
Pour l’Arcom, l’enjeu consiste à inciter les media à diffuser davantage de retransmissions sportives :
« Les chaînes peuvent choisir de mettre en avant des compétitions féminines dans l’objectif de contribuer à modifier les préférences des téléspectateurs qui n’auraient pas d’appétence particulière pour le "sport féminin". La programmation des chaînes de télévision agit alors comme un moteur du changement des perceptions sur le "sport féminin", contribuant à mettre fin à sa sous-valorisation”
Pas gagné !
SIGNES DES TEMPS
“Les gens ne croient plus au déficit : la crise sanitaire a changé notre perception de l’argent public”
C’est en tout cas la thèse avancée par l’économiste François Lenglet dans une interview au Figaro :
“Il n’y avait plus un fifrelin, et, d’un jour à l’autre, des centaines de milliards se sont trouvés disponibles pour lutter contre les effets économiques de l’épidémie. Puis la guerre a été déclenchée, et avec elle la flambée des prix de l’énergie. Des dizaines de milliards d’euros ont alors été mobilisés pour les divers boucliers tarifaires… (…). Les Français ne comprennent pas, après le déluge d’aides et de subventions - on va jusqu’à financer sur fonds publics la réparation des grille-pain! - qu’on renâcle à trouver la dizaine de milliards nécessaire pour équilibrer le régime de retraites d’ici dix ans. Dix milliards, c’est un fétu de paille, au temps du « quoi qu’il en coûte »”
Difficile de savoir quel impact pour les marques. Au temps de l’Entreprise-providence, qui elle aussi a embrassé le “quoi qu’il en coûte” pendant la crise sanitaire, on ne voit pourtant pas le même rapport à l’argent magique se dessiner …
La fatigue, nouveau critère de leadership
Xavier Dolan dans le cinéma, Jacinda Ardern en politique, mais aussi Naomi Osaka dans le tennis … dans des contextes différents, chacun d’entre eux ont porté sur le devant de la scène leur fatigue pour expliquer leur retrait du circuit.
Avec, à chaque fois, une vague d’empathie et de soutien à leur égard de la part du grand public. La fatigue, nouveau critère de leadership ?
Le “travel therapy”
Une étude publiée par l’IFOP met l’accent sur une nouvelle tendance dans le tourisme : le “travel therapy” (ou voyage transformationnel), “un mode de tourisme qui vise à transformer les individus (…) : le voyage n’est plus appréhendé comme une « parenthèse » dans son quotidien, mais comme un mode de voyage permettant intentionnellement de grandir, apprendre et évoluer vers de nouvelles façons d’être pour se connecter au monde”
Selon l’étude, près d’un quart des Français (23%) déclarent qu’ils ont déjà réalisé par le passé un voyage destiné à changer le cours de leur vie. Un jeune de moins de 35 ans sur 2 envisagerait de réaliser une travel therapy dans le futur.
L’IFOP a testé les destination les plus propices à la réalisation d’un travel therapy. Une nouvelle géographie touristique se dessine : ce sont ainsi les destinations dites “spirituelles” (Inde, Bali, Thaïlande, Mexique, Pérou, Chili, Saint-Jacques de Compostelle, La Mecque …), plébiscitées « en premier » par 24% des répondants ; devant les « destinations isolées » (Ecosse, Irlande, Nouvelle-Zélande, Larzac, Auvergne), qui sont citées « en premier » par 19% des répondants. Ensuite, 18% mentionnent également « en premier » les destinations « Grands espaces » (Etats-Unis, Canada, Islande).
Les destinations “épicuriennes” (Rome, Baléares, Îles Grecque), “farniente” (Île Maurice, Seychelles, Maldives) ou “Bucket List” (New-York, 7 merveilles du monde, Japon, Australie, Tanzanie), toutes traditionnellement plébiscitées par le tourisme de masse, n’arrivent qu’en bas de classement.
Cette notion thérapeutique du voyage peut s’appliquer à d’autres catégories, pour devenir un vrai enjeu de réflexion marketing : en quoi tel produit, tel service ou telle catégorie peut-devenir une thérapie pour le consommateur ?
Le local, “belle endormie” de la consommation
Dans une note publiée par la Fondation Jean-Jaurès, et recensée dans Les Echos, Emily Mayer, directrice des études à l’institut IRI, et Philippe Goetzmann, expert de l’agro-alimentaire, sont revenu sur la consommation des produits locaux - comprendre, des produits fabriqués dans le coin, de façon artisanale et vendus en circuit court.
Une carte mesure la part du CA des marques locales au sein des produits de grande consommation en hyper/supermarchés par département. Il apparait que l’Alsace, la Bretagne, et les Pays basque forment “ce trio de tête des territoires où les marques locales pèsent le plus lourd dans la consommation - ce qui montre, bien sûr, le rôle majeur de l’identité régionale”.
Selon les auteurs de la note, les produits locaux constitueraient une manne estimée entre 500 millions et 2 milliards d’euros supplémentaires pour les supers et hypermarchés. C’est qu’ils portent un imaginaire rassurant :
“Face à une consommation standardisée et largement désincarnée, face à une société de plus en plus fragmentée, les produits locaux, formidables vecteurs d’ancrage, d’identité, de confiance et de proximité, apparaissent comme une valeur refuge”
En 2021, rappelle Les Echos, une enquête a montré que 51 % des consommateurs souhaitaient plus de local dans les magasins, juste devant les produits made in France (49 %) et très loin devant le bio (18 %). Quelque 86 % des Français choisiraient un produit local plutôt qu'un produit bio. Selon IRI, l'origine locale est mieux notée que les origines France et européenne (respectivement 7,6 sur 10, 7,1 et 4,9). Le lieu d'origine des ingrédients autant que le lieu de fabrication identifie le caractère local.
Bref : la dimension locale constitue un formidable levier de croissance pour les marques, dans l’alimentaire et bien au-delà. “Le local est une belle endormie” martèle Philippe Goetzmann. Le local, parce qu’il porte un imaginaire du terroir, de la recette, de la tradition, dispose d’un plus fort potentiel de communication que le bio - qui n’est bien souvent communiqué que sous la forme d’une norme de production. N’est-il pas temps de réinventer la com’ du bio pour éviter son dépérissement ?
CHAPEAU L’ARTISTE
Comment Levi’s est redevenu une légende
Après avoir inventé le jean en 1853, Levi’s s’est hissé dans les années 80 au rang de marque iconique, emblématique du style de vie référentiel des classes moyennes. En 2000, après vingt années d’érosion des ventes, Business Week titrait son magasine : “Can Levi’s Be Cool Again ?”. Concurrence de nouveaux venus, image brouillée, créativité en panne, montée en puissance de “l’athleisure” : rien n’allait plus. En changeant de PDG et de stratégie, la marque a réussi à reconquérir sa place : Les Echos Week-End conte comment.
En 2011, Chip Bergh (ancien capitaine de l’armée de terre, passé par Procter & Gamble) prend la tête de la marque, qui était encore dirigée par la famille. Sa première intuition : in-no-ver. Avec plusieurs millions de dollars d’investissement, et contre l’avis de sa propre direction financière, Bergh va créer l’Eureka Innovation Lab, situé à quelques encablures du siège de San Francisco. Bilan des courses : une quarantaine de brevets déposés, et le développement de nouveaux produits - comme ce blouson connecté à Google qui, “grâce à des senseurs incorporés dans le tissu, permet de répondre aux appels de son smartphone par simple pression de la manche” ou encore le modèle 511 Commuter, destiné aux cyclistes : “dans un denim extensible et imperméable, il devient réfléchissant une fois la nuit tombée”
Autre intuition : capitaliser sur l’immense patrimoine immatériel de la marque, qui a su devenir l’uniforme de la contre-culture, porté par Marlon Brando, James Dean, Marilyn Monroe, mais aussi Bob Dylan, Mick Jagger, Bruce Springsteen, Serge Gainsbourg ou Johnny Halliday … Une blague circulait au siège de Levi’s : “À Woodstock, Levi’s devait détenir 97% de parts de marché. Les 3% restants ? Probablement des gens à poil !”. Décision du PDG : mener une politique d’acquisition de jeans mythiques, érigés en quasi-reliques. Ainsi la marque a-t-elle acheté pour 104 000$ chez Christie’s le modèle Menlo que portait Albert Einstein (“le cuir était encore imprégné de l’odeur de la pipe du physicien”), ou encore du Levi’s 501 que Steve Jobs portait dans les années 1980 (“une façon de rappeler que l’histoire de Levi’s est aussi liée à celle de la Silicon Valley et de ses innovateurs”).
“Chip Bergh a remis au goût du jour une notion de base, théorisée naguère par Michael Porter, le gourou de la stratégie, appelée tout simplement dans le langage commun le rapport qualité / prix. Une marque leader qui a le passé et la culture d’entreprise de Levi’s ne peut se permettre de s’en affranchir” (Les Echos)
Dernier élément, pour inscrire la marque dans la modernité (et auprès des jeunes générations) : une stratégie de partenariats bien ciblés. Elle a d’abord multiplié les collaborations avec des artistes en vogue - en France, le rappeur Oreslan ont retravaillé le 501, le 512 et le blouson Trucker “avec des tâches de peinture et des bandes noires et jaune fluo”.
En 2014, Chip Bergh a racheté le nom du plus grand stade de football américain de Californie (68 500 places), domicile de l’équipe de San Francisco, les 49ers - “un contrat de 220 millions de dollars sur vingt ans pour le renommer Levi’s Stadium” :
“C’était beaucoup d’argent. Mais le public des matchs reste notre coeur de cible. La mascotte des 49ers porte des jeans Levi’s, notre marque est partout dans le stade”
A l’occasion des 150 ans de ses Jeans 501, Levi’s a récemment lancé sa nouvelle campagne “Legends never die”, en célébrant les petites et grandes histoires vécues par des fans du 501 aux quatre coins du monde. Une autre façon de revivifier la marque …
Avec Camille Cottin, Dior ose l’auto-dérision (et c’est formidable)
Sur TikTok, Dior a lancé une série de vidéos intitulée “In my Lady”, qui voit des célébrités raconter ce qu’on peut trouver dans leur sac Dior Lady. Dans le passé, Ana Barbarosa, Elizabeth Debicki, Chiara Ferragni se sont pliées à l’exercice, sans grand intérêt. Dans le dernier épisode, en revanche, Dior fait faire faire l’exercice à Camille Cottin, et cette fois-ci le résultat vaut le coup d’oeil.
En fouillant le fond de son sac, l’actrice déterre une masse invraisemblable de boucles d’oreilles, ce qui lui permet de se lancer dans un numéro d’auto-dérision assez jouissif :
“Petit quizz : quel était l’animal porte bonheur de Monsieur Dior ? La Taupe … Non, je plaisante, c’est l’abeille bien sûr”
“Ah cette crème pour le visage, moi je ne l’utilise pas pour le visage, je l’utilise pour mes lobes. Un lobe bien hydraté, c’est un lobe prêt à accueillir la boucle d’oreille Tribale”
“Mince, je n’ai plus qu’une seule boucle d’oreille, j’ai perdu l’autre. Je sais plus si c’est moi ou si c’est Paul Valéry qui disait : ‘Les bons souvenirs sont comme des bijoux perdus’”
Une opération rafraîchissante qui permet à une marque de luxe de sortir des canons traditionnels de son secteur. On ne le dira jamais assez : pour viser la génération Z, l’auto-dérision, ça fonctionne.
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La campagne qui a fait débat au Cortex : “La vie ne devrait pas coûter aussi cher” (Intermarché)
Dans un contexte d’inflation à deux chiffres des produits alimentaires, les enseignes de la grande distribution multiplient les campagnes pour montrer leurs actions de lutte contre la vie chère. Dans sa dernière prise de parole, Intermarché nous plonge dans un monde surréaliste où tous les produits basiques du quotidien (Compotes, lardons, cookies, crèmes au chocolat) sont devenus un luxe.
“Attends, mais elle a une compote par jour ? C’est bizarre hein … Ça se trouve, ses compotes, elle les a louées”
Le ton est décalé, mais est-ce pertinent ? Le sujet divise au planning. D’un côté, certains estiment que “l’humour drolatique de ces films ne fait rire que ceux qui n'ont pas de vrais problèmes de fin de mois”. D’autres au contraire apprécient le décalage : “depuis quand les pauvres n’ont pas d’humour ?” Et vous, vous la trouvez comment, cette campagne ?
TIKTOK TRENDS
#DEINFLUENCING
Un article de Glossy rend compte d’une nouvelle tendance sur TikTok : #DeInfluencing, qui cumule près de 21,4 millions de vues. Le principe :
“After years of telling you what to buy, content creators and regular consumers on TikTok have decided to flip the script and tell you what not to buy — and they’re calling it de-influencing”
Une influenceuse nommée Lévitan a récemment publié une vidéo intitulée " Ce maquillage que je n'achèterai plus", dans laquelle elle mentionne les bâtons de fard à joues Pixi, notant qu'elle adorait les couleurs, mais trouvait la formule trop collante, car ses cheveux collaient à ses joues lorsqu'elle la portait.
“Brands can take “de-influencing” as an opportunity to receive honest feedback” conclut l’article. La pratique éclaire une nouvelle fois l’aspiration à l’honnêteté de la “génération no-fake” (pour reprendre la terminologie de JL Cassely).
#PERFUMETOK
Acheter un parfum sans l’avoir senti ? C’est l’effet que produit le #PerfumeTok. Avec plus de 2,5 milliards de vues, le hashtag a mis en lumière des parfums jusque-là peu connus et qui affichent désormais sold out. En dehors du degré de confiance accordée à la plateforme en matière de recommandations, la tendance révèle surtout une manière différente de communiquer sur les fragrances.
Loin des publicités démesurées-à-la-Invictus, TikTok réinvente l’incarnation des odeurs, en les rendant plus concrètes. Certains parfums sont directement conseillés en fonction du moment approprié pour les porter - “parfum pour un premier date” ou “parfum pour revoir son ex”.
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Et comme, souvent sur la plateforme, ce sont les émotions qui comptent, de nombreuses vidéos mettent en avant les réactions suscitées par l’odeur. L’exemple le plus flagrant : le parfum « Missing Person » de la marque Phur ayant buzzé sur TikTok via des milliers de vidéos d’utilisateurs se filmant en train de pleurer après l’avoir senti, désormais en rupture de stock.
Bref si vous cherchez un parfum, foncez sur TikTok.
La religion nouvelle génération
Qui a dit qu’être croyant était passé de mode ? TikTok l’a bien prouvé avec le buzz provoqué par la chanson Comment ne pas te louer, chant catholique devenu viral sur la plateforme. Oui, la religion peut être « trendy ».
Lire des textes sacrés en live, expliquer comment réaliser des rituels religieux ou bien apprendre à se voiler (et cela également pour les chrétiens)… les vidéos sur le sujet ne manquent pas.
TikTok permet aux fidèles de partager leur foi, leurs expériences allant parfois jusqu’à se convertir en live… quitte à s’encourager entre eux à être le plus rigoureux possible sur leurs pratiques dans les commentaires. Au final, au-delà du traditionnel cercle familial, pour les plus jeunes TikTok devient un nouveau canal de fidélisation.
Cette nouvelle proximité avec les croyants vient dépoussiérer l’image d’institutions religieuses souvent perçues comme archaïques. La preuve avec l’influenceuse religieuse Sœur Albertine aux 86 milliers de followers qui utilise la plateforme pour montrer les coulisses de sa vie de religieuse, et qui libère la parole sur des sujets comme celui de la sexualité ou la place des femmes dans l’église.
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DERNIÈRES PARUTIONS
Un essai : “L’ère de l’individu-tyran, la fin d’un monde commun” (Eric Sadin, Grasset)
Dans cet ouvrage passionnant, le philosophe Éric Sadin propose une réflexion sur l’impact des technologies numériques sur notre psychologie individuelle et collective. Après deux décennies de pratiques de plus en plus assidues, elles auraient selon lui “modifié nos mentalités, contribué à l’adoption de postures inédites, redéfini le rapport usuel au réel, aux autres et à nombre de cadres qui déterminaient jusque-là la vie en commun”. Avec pour principale conséquence : l’avènement d’un “nouveau régime historique d’existence en commun”, dont il explore dans le détail tous les atours, et qui consacrerait ce qu’il appelle « l’ère de l’individu-tyran », à savoir :
« L’avènement d’une condition civilisationnelle inédite voyant l’abolition progressive de tout soubassement commun pour laisser place à un fourmillement d’êtres épars qui s’estiment dorénavant représenter l’unique source normative de référence et occuper de droit une position prépondérante »
Tout ceci serait d’abord rendu possible par l’émergence de nouveaux outils numériques offrant aux individus des possibilités d’expression inégalées dans l’Histoire, constituant « un imaginaire se nourrissant de l’illusion d’une autosuffisance » et offrant un « éventail de narrations divergentes » qui s’éloignent du macro-récit unificateur qui avait cours jusqu’à présent.
Mais si ces technologies ont remporté un tel écho, explique Sadin, c’est que leurs récits encapacitant(empowering) ont dans le même temps rencontré une perception croissante d’impuissance du citoyen. Dans les démocraties se réclamant de l’individualisme libéral, de plus en plus de gens éprouvent le sentiment « d’avoir depuis si longtemps été trahi et d’avoir assisté à la désagrégation continue du contrat social fondé sur l’intervention de la puissance publique et le principe de la solidarité ». Du fond de leurs désillusions et de leurs souffrances, les gens auraient charrié tellement d’expériences déçues, accumulées un tel volume de dépit et d’amertume que « la majeure partie des consciences ne peuvent plus croire en aucun projet collectif, étant seulement renvoyées à elles-mêmes sans plus d’illusion relative à de possibles perspectives communes ». En un mot : “le projet dessiné par le libéralisme démocratique a suscité tant de déceptions successives qu’il n’inspire plus aucune foi”. Pire : dorénavant, « toute représentation majoritaire devrait être combattue dans la mesure où il est estimé que chacune d’elles contribue à perpétuer des situations ne profitant qu’à certains ». Bref, on assisterait selon lui à “la fin d’un monde commun”.
A lire !
Un film: The Menu (réalisé par Mark Mylod)
Un thriller (voire, parfois, un film d’horreur) qui évoque la perte de sens du travail dans le milieu de la haute restauration, il fallait être sacrément inventif (ou tordu) pour l’imaginer. Le résultat est assez jouissif : un chef multi-étoilé, las d’ériger sa cuisine en art pour une poignée de riches qui ont le snobisme de critiquer des plats dont ils ne comprennent pas le génie, décide de se venger. Attention les yeux !
Pour s’en sortir, la jeune Margot Mills (incarnée à l’écran par Anya Taylor-Joy) a une idée : remémorer au chef le plaisir d’effectuer des repas simples - comme au temps où il remportait le concours du meilleur burger … Le sens du travail bien fait peut sauver des vies !
Un podcast : “Histoire de l’Humanité : faut-il revoir notre copie ?” (France Culture)
Au cas où la déconstruction vous passionne, la voici appliquée à l'histoire de l'humanité. A coup d'anthropologie et d'archéologie, on apprend dans ce podcast (et l'essai référent de David Graeber) que la trajectoire de la caverne à la cité n'a pas du tout été rectiligne.
Nous ne sommes pas passés d'un petit groupe égalitaire de chasseurs cueilleurs à de grandes organisation inégalitaire dans les villes.
Nous ne sommes pas non plus passés de petits groupes violents en guerre permanente à un état organisé et hiérarchisé.
Aucune de ces histoires ne sont vraies si on regarde les traces laissées. Il n'y a pas eu de révolution agricole mais des processus extrêmement lents, une longue série d'expérimentations sociales et de changements. En passant par exemple au gré des saisons d’un système hiérarchique à un autre ou d’un rôle de chasseur à celui de cueilleur. Rien n'était écrit et rien ne l'est, nous explique l’anthropologue David Graeber. C'est une histoire de choix. There is an alternative.
Un podcast à retrouver sur France Culture. Bonne écoute !
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