Moral des décideurs, réinvention (forcée) de la consommation, “Le Bon Pote”, TikTok comme moteur de recherche, Tsundoku, “Observatoire de la guerre écologique”, le “Purpose Nihilism”, la sobriété commerciale, Paris en 2050 et “Service public, une rédaction face à une élection” … elles ont fait (ou pas) l’actualité, voilà la veille des idées du mois de décembre 2022.
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CONSOMMATION SOUS PRESSION
L’inflation et ses conséquences
Dans Le Figaro, on lit que l’inflation moyenne en rayon (12 % en octobre sur un an) “pourrait atteindre 20% depuis que les prix ont commencé à progresser” :
“En 2022, les négociations ont essentiellement visé à répercuter dans les prix la hausse du cours des matières premières, explique Dominique Schelcher, le président de Système U. Nous nous apprêtons désormais à affronter une seconde vague d’inflation, résultant de la hausse des prix de l’énergie”
“Il nous faudrait 5% à 10% d’augmentation des prix rien que pour compenser le triplement de la facture énergétique des enseignes” s’alarme Jacques Creyssel, le délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD).
Dans ce contexte, industriels comme distributeurs tentent par tous les moyens de réduire leurs coûts. L’article explique que ces adaptations se feront certainement au détriment du choix des consommateurs :
“Les industriels rationalisent leur production en limitant le nombre de références. Ils privilégient les plus vendues, arrêtent celles qui ne sont plus rentables. Les distributeurs réduisent leur assortiment pour limiter leurs coûts logistiques”
Autre conséquence de l’inflation : d’après le dernier Baromètre Kantar x LSA, 27% des foyers français envisagent de réduire leurs dépenses pour Noël (ils étaient 23% à le dire en 2021).
Dans le champ politique, un débat est en train de prendre forme. Si jusqu’ici il y avait une acceptation tacite de la prolongation du “quoi qu’il en coûte” du Covid, de nouvelles critiques se font jour sur le thème : “le gouvernement coupe les citoyens de la réalité de l’inflation”. Ce qui a pour conséquence indésirable de freiner certaines transitions désirables - comme le raconte Jean Quatremer dans C ce soir, en Belgique, qui voit la population faire face à un triplement de leur facture énergétique, “les gens ne parlent que d’isoler leur logement et de remplacer leur chaudière par des pompes à chaleur”.
“Cette crise est trop importante pour qu’on la gâche” explique Daniel Cohen : les marques ont-elles un rôle à jouer pour faire de cette crise du pouvoir d’achat un moment de transition ?

Baromètre des décideurs : la chute du pouvoir d’achat entraine la chute du Moral des Décideurs
Le Baromètre des Décideurs, réalisé fin novembre par ViaVoice pour HEC Paris, Le Figaro et BFM Business, est marqué par une nette dégradation du Moral des Décideurs - qui chute de 7 pts en un mois, pour s’établir à -41 (à comparer avec les -56 de la crise financière de 2008 et -48 de la crise covid). Commentaire de ViaVoice : “cela signe l’entrée du moral économique en zone de risque systémique, où la démoralisation peut être synonyme de ralentissements majeurs des décisions économiques”.
Le baromètre est important, nous explique ViaVoice, parce qu’il comporte un élément prédictif : “la démoralisation est souvent synonyme de ralentissements majeurs des décisions économiques à venir”.
Dans les raisons de ce décrochage, on retrouve les tensions liées au pouvoir d’achat.
89 % des décideurs et 81 % des Français ont le sentiment que leur pouvoir d’achat a diminué depuis le début de la guerre en Ukraine, dont un tiers qui ont même le sentiment qu’il a « fortement diminué ».
En conséquence, une très large majorité à la fois des décideurs (65%) et des ménages (67%) ont réduit leur consommation ces derniers. C’est à la fois au niveau des loisirs (71 %), de l’alimentation (68 %) et de la consommation d’énergie (67 %) que des sacrifices de dépenses ont été réalisés par la population française.
Attention, toutefois, à la prophétie autoréalisatrice. Dans ce contexte, les marques n’ont-elles pas aussi le rôle d’être volontaristes et optimistes pour éviter toute sinistrose ?
Face à l’inflation, une réinvention forcée de la consommation ?
La Fondation Jean-Jaurès a exploité les données de L’Observatoire E.Leclerc des nouvelles consommations 2022, qui suit 15 familles françaises, pour tenter de comprendre comment l’inflation redessine le rapport à la consommation. Les enseignements sont multiples, et franchement passionnants.
Sans surprise, l’écrasante majorité des interrogés (91%) disent « faire des efforts » dans ce contexte de hausse des prix - 45 % disent même en faire « beaucoup ». Ce qui est plus inattendu, c’est leur capacité d’adaptation ainsi que l’énergie et l’expertise qu’ils déploient pour « contrer le truc » et vivre « la bonne vie » malgré les difficultés. 65 % des personnes interrogées disent ainsi « avoir trouvé des moyens pour tirer le meilleur parti de leurs ressources ». De fait, environ 45 % des foyers expriment le sentiment de parvenir, jusqu’ici, « à maintenir leur qualité de vie ».
Optimiser sa consommation, c’est « plus rentable que travailler plus » explique une participante. Qui dit avoir créé une boucle WhatsApp pour se tenir au courant des bons plans entre amis. L’exemple revient chez d’autres participants : on devine que la pratique n’est pas marginale. 78% des foyers interrogés indiquent avoir changé leur manière de consommer.
“À écouter les plus investis des participants à notre enquête, on ressent leur tension, leur inquiétude, leurs efforts et, paradoxalement, leur fierté, voire une sorte de jubilation. Ils battent la machine, « hackent » le système, inventent leurs solutions, mesurent leur performance aux économies réalisées. Ils ont des armes et savent les manier”
La note revient sur le rôle des outils digitaux et tout particulièrement des applis dans la construction et l’exercice de cette expertise de la consommation. 42% des interrogés utilisent des services d’entraide entre particuliers, 41% utilisent des solutions de cashback.
“Ainsi outillé, le parcours du consommateur tient parfois de la pratique sportive ou du loisir. C’est en tout cas une activité à part entière, dans laquelle on me-sure ses progrès et dont on compare ses résultats à ceux de ses proches”
Conséquence pour les enseignes :
“Plus personnes n’assimile la fréquentation d’Aldi ou de Lidl à une consommation dégradée ou dégradante. C’est payer « plein pot » qui n’est pas normal”
“Il y a quelques années, quand nous explorions ainsi la consommation quotidienne, le supermarché était fréquemment évoqué comme un lieu de « classement » (on vaut ce qu’on peut se payer) et, donc, d’expérience du déclassement ou de l’exclusion. Le hard discount, qui, il faut le dire, a considérablement modifié son positionnement depuis, c’était des magasins pour pauvres. Rien de tel en 2022 : ce que j’achète ne me définit pas. Comment j’achète, en revanche, dit quelque chose de moi”
Conséquence pour les marques :
“Autre surprise : la quasi-absence des marques dans le discours sur la consommation quotidienne. Il y a de multiples critères pour déterminer la valeur d’un produit. La marque, dont le rôle historique est préci- sément de signifier un supplément de valeur, n’est plus, dans la vaste majorité des cas, qu’un critère parmi d’autres. Certains ne les considèrent plus. D’autres ne s’y intéressent que si elles sont en pro- motion. Peu sont prêts à « payer de la marque » et pour peu de marques”
L’étude se conclut par une interview de Michel-Edouard Leclerc, qui est appelé à réagir à l’enquête. Deux pépites :
« T’as vu, tout ce qui est sur la table, c’est des produits locaux. » C’était l’argument du restaurant 1 étoile. On fait ça dans les familles maintenant”
“Le prix bas n’est plus un indicateur de statut social. C’est un indicateur de la capacité à consommer intelligemment…”
Cette note offre de très riches perspectives, notamment pour la communication du low cost, qui passe de la simple logique du moindre prix à la valorisation de l’habileté du consommateur.
ACTUALITÉ DES MÉDIAS
L’édition 2022 du Reuters Institute Digital News Report est disponible
Chaque année, le Reuters Institute publie un rapport sur les médias. Cette année, plus de 93000 personnes, réparties dans 46 pays, ont été interrogées sur leurs habitudes et opinions quant aux médias. Plusieurs enseignements pour la France :
i/ La confiance des Français dans les médias continue de baisser (29%, -1 pts en un an). Ce qui classe la France parmi les pays les plus méfiants vis-à-vis des médias (juste devant les Etats-Unis, à 26%, mais loin derrière l’Allemagne, à 50% de confiance).
ii/ La presse locale continue d’être le média dans lequel les Français ont le plus confiance (à 58%), devant France Télévisions (53%) et France Info (50%).
iii/ De plus en plus de Français se détournent des informations - la proportion s’élève à 36% en 2022, contre 29% en 2017.
Plus que jamais, les marques doivent bien réfléchir à se mettre dans les bons espaces pour communiquer…
“Le Bon Pote”, en croisade contre le greenwashing
Thomas Wagner, ancien consultant en finance, est devenu vulgarisateur sur le climat et démolisseur de «greenwashing». Le Bon Pote, lancé en 2018 sous la forme d’un blog personnel, est devenu un site très suivi sur les réseaux sociaux : - il compte 153 000 abonnés sur Linkedin, 166 000 sur Instagram et 70 000 sur Twitter.
Sa marque de fabrique : son ton incisif, mais toujours documenté. Le journal suisse Le Temps, qui lui a consacré un portrait, le décrit en “justicier de Linkedin”.
“Sur LinkedIn, en «pirate de la décroissance», il tire sans filtre mais avec sarcasme voire provocation sur les boîtes qui «greenwashent» – donc utilisent l’argument écologique dans le seul but d’améliorer leur image. Dix ans dans la finance lui ont donné certains outils, dit-il, et certaines sources lui susurrent des informations depuis les entrailles des entreprises” (Le Temps)
Exemple d’illustration. Lorsque le PDG de Total Energie appelait à plus de sobriété énergétique : « Plus que jamais, la meilleure énergie est celle qu'on ne consomme pas », Thomas Wagner lui répond quelques heures plus tard : « Plus que jamais, Total doit arrêter ses projets climaticides. [...] Tout nouveau projet gazier ou pétrolier nous ferait sortir de l'Accord de Paris », en complétant d’une liste d'accusations sourcées et chiffrées.
“Inutile de dire que Thomas Wagner ne passe pas inaperçu dans les états-majors des grandes boîtes. Tantôt on le trouve extrémiste, tantôt on s'agace de ses manières qui ne laissent pas de place aux débats, nous confie un responsable com' du CAC 40. “Maintenant, on fait gaffe parce qu'on sait qu'on va se faire allumer par Bon Pote”, aurait rapporté une source interne à Thomas Wagner. Même du côté des politiques, son impertinence est remarquée. Bruno Le Maire (ou plus vraisemblablement son responsable des réseaux sociaux) a fini par répondre aux saillies du fondateur de Bon Pote” (Les Echos)
Le Bon Pote cherche aussi à débunker les idées reçues autour de la transition écologique - notamment en partenariat avec le CNRS :
“En 2021, l’aventure «Bon Pote» s’unit à la sphère des chercheurs. Dans un souci de lutte contre la désinformation et le climatoscepticisme en ligne, des scientifiques du CNRS lui proposent un partenariat. Une vingtaine d’articles coécrits s’ensuivent” (Le Temps)
Pour les marques, Le Bon Pote peut être un intéressant stress-test anti-greewashing : “que dirait Bon pote s’il était en plansboard avec nous ?”
Hugo Clément lance Vakita, un “nouveau média d’enquête et d’action”
C’est le dernier né dans la galaxie des médias en ligne indépendants : Hugo Clément a lancé mi-novembre “Vakita” - en référence à un mammifère marin considéré par la WWF comme le plus en danger au monde. Le média se réclame d’une ligne éditoriale engagée, traitant de sujets sociétaux et environnementaux - pouvant aller du féminisme à la cause animale.
Le concept : une enquête vidéo par jour avec un parti-pris et un engagement bien définis. Les abonné·es sont invité·es à donner l’alerte, le slogan du média étant : “Vous alertez, nous enquêtons !” (Les Inrocks)

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CHAPEAU, L’ARTISTE
Pour la Journée Mondiale de la Santé Mentale, Asics détourne le “Avant / Après”
Une étude récente menée par ASICS révèle que près des trois quarts des gens estiment que l'obsession de la société pour le corps parfait nuit à la santé mentale. Pire : 80 % des gens disent être démotivés à l’idée de faire de l'exercice après avoir vu des images de transformation physique de type “Avant/Après”.
Pour promouvoir les bienfaits du sport sur la santé … mentale, Asics détourne cette rhétorique visuelle à l’aide d’un slogan : “Not all exercice transformations are visible”. Malin !
Daniel Craig pour Belvedere
Personne d’autre que lui n’aurait pu être l’égérie de la marque de Vodka premium Belvedere … pour autant, dans ce spot publicitaire totalement décalé, Daniel Craig est méconnaissable - avec une chaine autour du cou, une veste en cuir et en marcel moulant, il se déhanche dans les rues de Paris. A la toute fin, le réalisateur s’exclame : “CUT ! Let’s go again, just be yourself”. Déjà culte !
ACTUS DE LA TECH
TikTok, nouveau moteur de recherche
Le New York Times consacre un long article sur la façon dont la génération Z utilise TikTok comme un moteur de recherche, en lieu et place de Google.
“Plutôt que d’avoir des pages Web sans visage, TikTok offre des réponses fournies par de vraies personnes. Sur TikTok, "vous voyez comment la personne se sentait réellement à propos de l'endroit où elle a mangé", a déclaré Nailah Roberts, 25 ans, qui utilise l'application pour chercher des restaurants à Los Angeles, où elle vit. Une longue critique écrite d'un restaurant ne peut pas retranscrire son ambiance, sa nourriture et ses boissons”
« Dans nos études, quelque chose comme près de 40 % des jeunes, lorsqu'ils cherchent un endroit pour déjeuner, ils ne vont pas sur Google Maps ou Search. Ils vont sur TikTok ou Instagram », a déclaré Prabhakar Raghavan, vice-président principal de Google, lors d'une conférence en juillet.
“L'ascension de TikTok en tant que moteur de recherche peut signifier que plus de gens tombent sur des contenus de désinformation, explique Francesca Tripodi, professeure d'information et de bibliothéconomie à l'Université de Caroline du Nord à Chapel Hill. La plate-forme a eu du mal à modérer le contenu trompeur sur les élections, la guerre en Ukraine et l'avortement”
Si la tendance se confirme, les marques doivent totalement repenser leur référencement pour être certaines de bien apparaitre dans les recherches TikTok. Huge.






SIGNAUX FAIBLES
Le “Purpose Nihilism”
En réaction à la campagne de la marque de bière Brewdog au Qatar, l’auteur et poète Nick Asbury propose une réflexion très intéressante sur l’entrée dans ce qu’il appelle le “purpose nihilism”.


Le problème avec le “purpose branding” en général, explique-t-il, c’est le “moral grandstanding”, qui génère du cynisme et une grande lassitude auprès des consommateurs:
“What aggravates people about these campaigns is not the attempt to do good, or even the attendant hypocrisy. It’s the self-celebration and self-heroisation: the sense that the real motivation is status-boosting, not altruism. This is the foundational problem with purpose—it’s built into the concept in a way that can’t be removed or reprogrammed. It’s one thing for corporations to claim they do good things for society. It’s quite another for corporations to claim this is the reason they exist. That extra step is the seed that has grown into a thousand deluded ads and tortuously reverse-engineered purpose statements”
Ce que reproche l’auteur, c’est de confondre purpose, éthique et performance. Le “Purpose Nihilism” serait le fait de dire le purpose branding, ça marche :
“I’ve always tried to make one nuance clear: the ethics matter, but purpose is the wrong way to frame them. Most of the ethical responsibilities of business will be in tension with the profit motive, rather than aligning with it. When for-profit business delude themselves and others into believing they are for-purpose, moral mayhem ensues.
Like Mark Ritson, I am absolutely in favour of brands embracing P.T. Barnum-style showmanship to generate salience. But when politics becomes part of the show, you’re encroaching on a different space. This is part of the Ancient Greek meaning of hubris—it involves a transgression into another realm. In legal usage, it was used to describe certain categories of crime, including assault and theft of public property. Yes, we can cleverly recognise a world where Baudrillardian brands are marching into the civic realm and turning politics into a cynical clown show, but it doesn’t mean we have to (fucking) accept it”
Il propose une alternative pour éviter tout “purpose nihilism”:
Le Tsundoku, le “syndrome de la pile à lire”
Selon les derniers chiffres de GfK, au premier semestre 2022, les Français ont acheté 143 millions de livres neufs imprimés, ce qui représente un chiffre d’affaires de plus de 1,6 milliard d’euros - en retrait par rapport aux premiers mois de 2021 (-5%) mais en forte progression (+10%) comparé à l’année 2019. Sans nul doute que certains de ces livres ont été acquis par des individus atteints de tsundoku. Vous souffrez de cette pathologie si vous :
i/ Ressentez un besoin irrépressible d’acheter des (quantités de) livres ;
ii/ Construisez, en mode Kapla, des piles et divers autres monticules avec ces ouvrages ;
iii/ Remettez sans cesse à demain voire à jamais la lecture de ces écrits.
Khalil Mouna, co-fondateur de l'application de lecture Gleeph, explique :
« Le pic d’émotion et de plaisir est plus immédiat en allant sur les réseaux sociaux qu’en lisant un livre. Scroller un réseau social au bout d’une minute seulement libère de la dopamine, l’hormone du plaisir, la sensation est agréable immédiatement. À l’inverse, il faut lire au moins dix minutes pour rentrer dans le livre et pour avoir ces moments de bonheur ».
On pourrait – c’est si facile – incriminer les écrans et leur imputer l’existence de cette névrose bégnine et originale. Ils ont certainement une part de responsabilité, mais le tsundoku ne date pas d’aujourd’hui. Le mot a vu le jour au Japon sous l’ère Meiji, au 19e siècle. Il se compose de deux termes : Tsunde-Oku, qui désigne l’accumulation de choses en vue d’une utilisation ultérieure, et Doku-Sho qui signifie « lire des livres ».
Le psychologue Ruben Rabinovitch nous dit :
« La lecture est un moment où nous sommes débranchés des autres, c’est un exercice solitaire qui peut générer de l’angoisse et du vide. Au contraire, quand on regarde une série, on peut en parler avec les autres, la commenter et c’est rassurant ».
Quant à Alfred Edward Newton, auteur américain et grand collectionneur de livres, il expliquait que la simple présence de livres non lus apporte le confort et la sécurité d'un accès immédiat. Le livre non lu c’est une promesse d’infini. Quoi qu’il en soit, tous les Français ne sont pas concernés par ce syndrome insolite. Une récente étude menée par l’ObSoCo pour le Syndicat de la librairie française nous apprend effectivement que les Français lisent en moyenne 7,1 livres chaque année. On n’insistera pas trop sur le fait que ce chiffre décline sensiblement depuis 10 ans (7,8 en 2019 et 8,0 en 2013) …

La fin des certitudes marketing ?
Une étude passionnante menée auprès de 6 000 européens (dont 2 000 français) par l’éditeur de logiciels Adobe montre que les consommateurs aspirent de plus en plus à sortir des grandes catégories inventées par le marketing.
Premier élément important : l’étude conclut à la “quasi-inutilité des étiquettes générationnelles pour déployer les services ou produits ciblés qu’attend le consommateur d’aujourd’hui”. En France, 57% des interrogés ne jugent pas pertinent d’être étiquetés en fonction de leur âge (contre 42% au Royaume-Uni et 38% en Allemagne). 32 % des interrogés disent ne pas correspondre aux stéréotypes associés à leur âge.
Autres enseignements : 75 % des Français interrogés estiment changer de goûts au bout de quelques mois seulement, et 32 % d’entre eux estiment ne plus être la même personne qu’un an auparavant.
Si les Français changent si facilement de goûts et de couleurs, c’est - très cyniquement - un moteur de croissance assez inespéré !
Le Grand Continent lance son “Observatoire de la guerre écologique”
À l’échelle européenne, comment notre système énergétique va-t-il passer l’hiver ? “Pour comprendre la macrocrise qui se prépare, il faut identifier les bons indicateurs”. C’est précisément ce à quoi s’attelle Le Grand Continent : chaque vendredi à 11h, le site publie 5 points, 14 graphiques et 7 cartes avec les indicateurs-clés à suivre.
“La crise climatique bouleverse la structure même des rivalités : avec la guerre en Ukraine, l’énergie est au cœur de l’affrontement géopolitique. Depuis le mois de mars, l’Union et ses États-membres manœuvrent pour réduire leur consommation tout en cherchant des alternatives d’approvisionnement — une nécessité qui devient de plus en plus pressante à mesure que l’hiver approche”
A l’échelle des différents pays européens, Le Grand Continent scrute chaque semaine l’évolution du prix de l’électricité, le mix de production d'électricité, le remplissage des réserves de gaz, la capacité de fabrication des panneaux solaires photovoltaïques … un impressionnant travail de compilation, à destination des dirigeants (et citoyens éclairés).
Quelle marque pourrait adopter une démarche similaire, et proposer une veille régulière (et disponible à tous) des indicateurs qui lui semblent importants de suivre ?
NEW DEAL
Pascal Demurger invente la “sobriété commerciale”
Dans Les Echos, le patron de la MAIF fait un constat lucide :
“A l’échelle de l’entreprise, le choix de la sobriété serait inefficace s’il conduisait uniquement à réduire la facture énergétique sans faire évoluer un modèle de développement fondé sur une consommation débridée. La véritable bascule se fera si la sobriété se place au coeur même de l’activité de l’entreprise, à savoir la vente d’un produit ou d’un service”
C’est ce qu’il appelle la “sobriété commerciale” à même celui lui, de créer de la valeur. “Proposer le juste nécessaire, savoir renoncer à des ventes, est source de performance (…). On ne quitte pas et, au contraire, on recommande une marque qui vous apporte autre chose qu’une simple relation transactionnelle et vous accorde une attention sincère”.
Il cite plusieurs exemples : la Camif qui a fermé son site pendant le Black Friday, Patagonia qui propose un service de réparation gratuit et illimité pour ses vêtements, ou encore … la MAIF (#autopromo), qui recontacte des clients dont les enfants ont quitté le foyer familial pour les inciter à clôturer des contrats devenus inutiles.
Il conclue sa tribune en appellant les entreprises à anticiper le mouvement : “Qu’on le veuille ou non, les réalités économiques, les opinions ou les réglementations imposeront le changement”


Aux Pays-Bas, la marque de chocolat Tony’s Chocolonely soutient … une taxe sur le sucre
Après KLM et sa campagne “Fly Less” ou Philipp Morris qui appelle de ses voeux un “Smoke-free future”, voici un nouvel exemple de marque qui déploie ce qu’on pourrait appeler un “marketing du rachat de pêchés” …
Aux Pays-Bas, Tony’s Chocolonely affirme clairement : “Facing up to an inconvenient truth: we’re part of the sugar problem (…). We’re an impact company that makes chocolate, not the other way around. But sugar happens to be the inconvenient ingredient that helps make our work possible”.
Après leur manifesto publié sur leur site internet, la marque publie un long rapport sur les conséquences néfastes du sucre sur la santé. Le constat étant posé, la marque cherche à apporter des solutions - et cela passe selon eux par une taxation du sucre :
“We believe that to make a sugar change, we need a system change. We believe, for example, foods high in sugar and low in nutritional value should be taxed in the Netherlands — including our chocolate! That money rolling in would conveniently ease the transition from the current EU-wide 5% VAT to the proposed 0% VAT that foodwatch recently put forth for non-processed fruit and veg”
DERNIÈRES PARUTIONS
Un livre : “Paris face au réchauffement climatique” (Editions de l’Aube, 2022)
Un court essai de prospective et d’analyse politico-écologique absolument passionnant. À l’horizon 2050, les projections montrent que Paris sera confronté à un climat méditerranéen … le problème, c’est que Paris est une ville “a-climatique”, comprendre : qui n’a jamais développé une culture climatique du chaud (comme à Marseille) ou du froid (comme à Amsterdam). Résultat : faute d’habitat pensés pour résister à de fortes chaleurs, faute de patios rafraîchissants ou de ruelles étroites qui permettent une évacuation plus facile de la chaleur la nuit, les effets du réchauffement climatique risquent de faire de Paris une ville insupportable. Si rien ne change, l’auteur imagine chaque année de vastes déplacements de populations de parisiens qui, entre mai et octobre, se réfugieront ailleurs.
Tout n’est pas perdu pour autant : l’auteur explore plusieurs pistes convaincantes pour faire de Paris non plus la “Ville Lumières” mais la “Ville Nature”. A lire !
Un film: “Service public, une rédaction face à une élection” (Salhia Brakhlia, Mouloud Achour)
Un documentaire co-réalisé par Salhia Brakhlia et Mouloud Achour, sorti sur grand écran le 23 novembre dernier, entend éclairer la campagne présidentielle depuis un poste d’observation bien spécifique : la matinale de France info. Dans Service public : une rédaction face à une élection, le spectateur est plongé entre août 2021 et mai 2022 dans les coulisses de l’interview de 8h30, co-animée par Marc Fauvelle et … Salhia Brakhlia, dont on peut regretter qu’elle soit juge et partie.
Le documentaire est un précieux témoignage sur le fonctionnement politico-médiatique de l’époque. Qui démontre notamment que le journaliste détient encore un rôle cardinal dans l’organisation et la structuration des débats publics. En tant que médiateur, il dispose d’un pouvoir de prescription et de légitimation, mais aussi celui de sélection et de cadrage. Ses questions déterminent la teneur des discussions menées sur le plateau … et au-delà. Mélenchon raconte : « Où que j’aille, on me pose les questions de la télé, avec les mêmes mots ». Plus tard, on surprend Marc Fauvelle penser tout haut : « Tu te rends compte de la violence de nos journaux ? T’imagines la dose de stress qu’on fout aux gens au réveil ? (…). On ne peut pas être qu’une radio-colère ». Comme en miroir, on entend un peu plus loin Fabien Roussel rapporter ce qu’il entend sur le terrain : « Les gens sont d’autant plus en colère qu’ils ont l’impression que personne ne parle de leur problème. Ça donne la rage, ça. »
À l’heure du bilan, il serait bon que chaque média fasse sa propre introspection : qu’est-ce qui nécessite d’être corrigé d’ici la prochaine élection présidentielle ?
Un podcast : “La culture change le monde” sur L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme (France Culture)
Livre fondamental, souvent cité, mais assez complexe à lire, "l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme" de Max Weber est toujours d’actualité alors que les phénomènes dont il parle ne sont pas forcément récents : Protestantisme et Capitalisme. Le grand mérite de cette œuvre est d’avoir montré à quel point une idée religieuse, révolutionnaire en son temps, a transformé notre rapport au monde et libéré son exploitation croissante, et maintenant abusive.
Savourez l’ouverture de Régis Debray, qui y voit « une liquidation de l’antinomie idiote et fatale entre spiritualisme et matérialisme, entre les hommes de prière et les hommes d’entreprise. L’œuvre d’un des grands pionniers de l’histoire dynamique des mentalités, de l’efficacité symbolique, la façon dont les idées abstraites peuvent devenir forces matérielles »
Avec la disparition d’un éventuel paradis à quérir à coup de prières, l’esprit d’entreprise et le progrès des sociétés ont pris leur envol et développé leur emprise sur le monde. Mérite, frugalité, austérité, contrôle de soi faisaient partie des premiers pas du capitalisme protestant et on peut se demander quelles dérives l’ont poussé aujourd’hui vers le cynisme du chacun pour soi et dieux pour tous.
Le jugement se rapproche, avec cette accusation croissante de crime contre la terre, portée par une partie de la population.
Ethique et Esprit, mots un peu oubliés du titre, reprendront-ils la main dans les années qui viennent ?
Un podcast à retrouver sur France Culture.
C’est tout pour aujourd’hui ! Rendez-vous le mois prochain pour un prochain numéro de la CORTEX NEWSLETTER.
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