La “doctrine Musk”, l’entrée dans la “post-truth economics”, le “péril vieux”, la “perte de souveraineté domestique”, la cuisson passive, le marché de la flemme, Les dépossédés et le retour de la violence en politique … elles ont fait (ou pas) l’actualité, voilà la veille des idées du mois de novembre 2022.
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TECHNOPOLITIQUE
La “doctrine Musk” : Musk-3T
Elon Musk a racheté Twitter. Bien loin d’être une simple opération économique, c’est la continuité d’un projet idéologique plus vaste. Telle est la thèse défendue dans Le Grand Continent par Asma Mhalla, spécialiste de la Tech Policy et des enjeux politiques et géopolitiques de l'économie numérique. Elle revient sur la vision du monde et des institutions d’Elon Musk - et c’est passionnant.
“Bien plus que n’importe quel autre patron de la Silicon Valley, il symbolise l’avènement de ces nouvelles formes de pouvoir entre BigTech et États, en somme une nouvelle clé de répartition des pouvoirs entre ces deux mondes”
Pour Asma Mhalla, la doctrine Musk s’articule autour du triptyque des 3T : Trolling économique, Technologie totale, Techno-politique.
Trolling économique, d’abord. Après la ‘post-truth politics” de Donald Trump, Elon Musk nous fait entrer dans la “post-truth economics”, à travers l’invention d’une capacité de nuisance inédite sur le plan économique. En témoigne le psychodrame qui a accompagné toute la séquence du rachat chaotique de Twitter, qu’il a effectué en menant une vraie guerre psychologique. Point culminant du psychodrame, le drôle d’emoji que Musk opposera aux longues explications relatives au comptage des faux comptes du PDGde Twitter Parag Agrawal.
Le « trolling » économique lui permet de disrupter les codes du marché financier mondial et les institutions qui l’encadrent. Musk peut déstabiliser le marché financier de la Tech qui compte aujourd’hui les plus importantes valorisations boursières : un tweet et le marché, irrationnel, peut, théoriquement, s’effondrer.
Technologie totale, ensuite, qui repose sur une idéologie à la fois libertarienne et techno-centrée. Illustration : ses satellites starlink, présentés comme réponse ultime à tous les problèmes du monde.
“Les satellites en orbite basse Starlink sont l’une des pierres angulaires du projet de technologie totale de Musk. En captant les nouvelles infrastructures de connectivité mondiale, il entend réinventer le panoptique à échelle globale. Le monde, et chaque parcelle de nos existences, vus du ciel. Et exploite allègrement ses satellites pour tenter de résoudre à peu près n’importe quel problème : gagner la guerre en Ukraine, combattre la déforestation en Amazonie ou vaincre la pauvreté et la famine en Afrique. Tout voir, tout capter, par tous les angles possibles pour surveiller, monitorer, tout contrôler”
Au travers du rachat de Twitter s’illustre son projet de technologie totale de la “X app for everything”, sur le modèle chinois de WeChat, à savoir “un écosystème technologique total, en l’occurrence totalement fermé sur lui-même, où tous les services numériques seraient disponibles et interconnectés, concentrant ainsi l’ensemble des usages, un effet système sans couture qui organiserait l’enfermement algorithmique et permettrait une captation sans discontinuité des données”.
Ce qui se profile derrière le rachat de Twitter n’est pas Twitter en soi, mais la conquête de tout ou partie du monde dans un contexte où l’économie globale, se géopolitise, se militarise, se démondialise.
Techno-politique, enfin. “Musk est en train de construire une puissance géopolitique formelle, complémentaire des prérogatives actuelles des États-Unis”. Dans un article qui a fait beaucoup de bruit aux Etats-Unis, le New York Times a parlé de lui comme d’un “Geopolitical Chaos Agent”. De fait, sur les seules quatre dernières semaines, Elon Musk a proposé un plan de paix pour la Russie et l'Ukraine, au grand dam des responsables ukrainiens ; il a publié un tweet sur l'accès à Internet iranien qui a exposé les manifestants du gouvernement à un stratagème de phishing ; il a également suggéré dans une interview que la Chine pourrait être apaisée si elle recevait un contrôle partiel sur Taiwan.
Asma Mhalla propose une interprétation intéressante de la politisation des marques technologiques :
“Contrairement à ce qui est trop rapidement écrit ou véhiculé dans le débat public, les Big Tech ne sont pas des « États parallèles » mais se situent au contraire sur un même continuum, fonctionnel, avec les États. Cette « Power Politics » matérialisée par de nouvelles clefs de répartition de pouvoir ne signifie pas une dilution de souveraineté de l’État américain mais sa reconfiguration.
En l’état, par la loi, la souveraineté suprême reste, assez classiquement, celle de l’État américain, les géants technologiques américains étant dans le fond des auxiliaires de guerre technologiques plus ou moins puissants dans un cyberespace ultra-militarisé. En l’occurrence, la puissance techno-industrielle n’est pas exactement la même chose que le pouvoir institutionnel et politique. Musk met la puissance de SpaceX au service de la politique étrangère des États-Unis, qui ont le dernier mot, autrement dit le pouvoir ultime, par la coercition financière — subventions, commandes publiques, taxation — ou par la loi.”
Illustration. En février 2022, à la demande du gouvernement ukrainien et avec l’aval de l’administration américaine, Musk envoie ses satellites Starlink en Ukraine, dans les zones occupées. “L’enjeu est d’assurer une redondance de connectivité — vitale pour la logistique militaire et la coordination des actions sur le terrain — et de contourner le sabotage de réseau dans les zones frappées par l’armée russe dans le champ cinétique ou cyber”
Le système Musk doit nous pousser à interroger le rôle et la nécessaire redéfinition de l’État comme construction politique et juridique face à des acteurs hybrides d’un genre nouveau, à la fois entreprises privées, acteurs géopolitiques et parfois espaces publics.
Wikipédia, au coeur des batailles idéologiques de l’époque
Dans Libération, on lit une belle enquête sur le rôle politique de Wikipédia. Cinquième site le plus consulté au monde avec 5,5 milliards de visiteurs uniques chaque mois, cumulant près de 65 millions d’entrées dans 300 langues, Wikipédia est bien souvent le premier résultat qui apparait sur Google, quelle que soit la requête. D’où son rôle central dans le cadrage de telle ou telle définition … et les tentatives de manipulation externes qui en découlent :
“Pendant que les agences de com rivalisent de stratégies pour ripoliner les pages de leurs clients, l’extrême droite s’essaye à l’entrisme dans ce qu’ils appellent «Wokipédia». A l’inverse, des militants antiracistes et féministes dénoncent «un bruit de fond» réactionnaire dans les entrailles de l’encyclopédie”
En pleine campagne présidentielle, Vincent Bresson, journaliste infiltré dans l’équipe de campagne d’Eric Zemmour, a révélé l’exsistence d’une cellule baptisée «WikiZédia», dont l’objectif était de lustrer les pages dédiées au polémiste, à son parti et à ses soutiens (l’enjeu n’était pas négligeable, la page Zemmour étant la plus visitée de France en 2021) (…). Jusqu’à légender, en pleine polémique zemmourienne, une photo de Pétain et Laval en indiquant que leur «responsabilité dans la Shoah en France est sujette à débat» (…). Le but affiché était bien de peser, in fine, sur les pages les plus sensibles, comme celle consacrée à la théorie raciste du «grand remplacement». Cette dernière, champ de bataille permanent, a été placée depuis 2020 sous «semi-protection pour une durée indéfinie». En clair, les administrateurs ont posé un gros cadenas dessus, et sont désormais les seuls à pouvoir y intervenir. Un cas unique en français”
A l’échelle française, Wikipédia compte 30 millions de lecteurs par mois, ce qui en fait, au-delà de son statut encyclopédique, “le site d’infos le plus lu de France”, dixit Libération. De fait, loin de ses principes originels de recul, la plateforme s’est mise à coller à l’actualité en temps réel - et c’est une nouveauté à intégrer pour les annonceurs.
“Deux exemples parlants : une longue page «Affaire Lola» a été échafaudée dans les quarante-huit heures suivant le meurtre de la jeune parisienne de 12 ans. Et lors des dernières législatives, un utilisateur s’est empressé d’amender la page de la députée insoumise à peine élue Rachel Keke, ex-femme de chambre, pour préciser : «Le soir de son élection, elle a des difficultés à s’exprimer en direct à la télévision.» Si l’ajout malintentionné a été supprimé rapidement, il illustre désormais le tempo à lequel sont soumis les gardiens du Wiki-temple”
Libération multiplie les exemples de débats idéologiques qui ont secoué la communauté Wikipédia ces derniers mois : Valeurs Actuelles est-elle une source jugée “fiable” ? Quel traitement pour les militants anti-racistes à l’instar de Rokhaya Diallo, dont les fiches seraient «des listes à la Prévert de commentaires critiques, […] de citations tronquées ou surinterprétées» selon une tribune de Sihame Assbague, figure clivante du combat contre les violences policières, dans le numéro d’octobre de la Revue du crieur ? Faut-il utiliser l’écriture inclusive ? La Fondation Wikipédia doit-elle aider des projets visant à rendre la plateforme plus diverse, tant dans ses contenus que ses contributeurs ?
Wikipédia est-il un «miroir de la société» ou la boussole de l’époque ? Un arbitre impassible ou un agrégateur de polémiques ? La neutralité du savoir est-elle la neutralisation des luttes ? Le bénévolat est-il l’assurance de la probité ? Vastes débats. Les wikipédistes vont devoir trancher, quitte à verser des litres de jus de crâne. Ils y sont prêts.
MEDIA
Après la télé, les jeunes délaissent déjà les Netflix, Disney + et Amazon Prime
C’est le constat tiré par Le Figaro : les 15-24 ans consacrent de plus en plus de temps à YouTube et TikTok au détriment des grandes plateformes de vidéo à la demande. Ce qui constitue un risque, demain, pour le modèle économique de ces services.
“Au cours du troisième trimestre 2022, le nombre de 15-24 ans ayant regardé quotidiennement en France des programmes sur Disney+, Amazon Prime Video, Netflix, Apple TV+, Salto, myCanal, GulliMax, OCS… a encore baissé, selon le baromètre SVoD Médiamétrie/Harris Interactive. Entre juillet et septembre dernier, ils étaient 1,17 million. «C’est-à-dire 400.000 de moins qu’au troisième trimestre de 2021 et 800.000 de moins qu’à la même période en 2020», constate Philippe Bailly, le président du cabinet NPA Conseil.
«C’est le sixième trimestre consécutif dans le rouge», fait observer l’expert. «Non seulement les 15-24 ans sont moins nombreux à se brancher chaque jour sur un service de streaming par abonnement, mais lorsqu’ils le font, ils regardent moins d’épisodes de séries»”
Ces dernières années, l’usage du streaming vidéo par abonnement (SVOD) s’est pourtant considérablement développé. En 2018, environ 2 millions de Français utilisaient chaque jour un service de SVOD, selon le baromètre Médiamétrie/Harris Interactive. Ils sont pratiquement 9 millions aujourd’hui. L’audience de ces plateformes a grossi, mais elle a aussi vieilli. L’article parle d’un “péril vieux”:
“En l’espace de deux ans, le nombre de 15-24 ans a chuté de 42% pour s’établir à un peu plus de 1 million. Dans le même temps, celui des plus de 50 ans a progressé de 52% pour atteindre les 2 millions. Les 25-34 ans et les 35-49 ans constituent toujours le gros du contingent d’abonnés”
«TikTok ronge le temps passé à regarder toutes formes de vidéo, qu’il s’agisse de vidéo sur mobile, de télévision linéaire ou de streaming vidéo», déclarait récemment Richard Greenfield, analyste du cabinet américain LightShed Partners. En 2021, selon un rapport du cabinet américain Data.ai, le temps passé sur ces applis de vidéos courtes a augmenté de 38% en un an et atteint 450 milliards d’heures. Soit le triple, sur les smartphones, du temps total consacré aux applications de streaming vidéo comme HBO Max ou Netflix.
“Ces miniclips de quelques secondes ou de dix minutes pour les plus longs, que les jeunes voient défiler sur leurs portables à la manière de programmes s’enchaînant à la télévision, sont en train de ringardiser les films et les épisodes de série: trop longs, trop lents, trop fastidieux à regarder… Même Reed Hastings, de passage en Italie pour inaugurer des bureaux Netflix en mai dernier, s’en est ému. «Les jeunes ont une sensibilité différente, expliquait-il, interrogé par le magazine Screendaily à propos de la concurrence de TikTok et YouTube. Nous devons tous investir dans la production télévisuelle et cinématographique pour éviter que cette forme d’art ne soit écrasée et garder ces histoires vivantes.» Car avec ses défis et ses musiques virales, «TikTok est tout simplement plus amusant. C’est le remède ultime contre l’ennui», considère l’analyste Richard Greenfield. Et un possible dynamiteur de l’écosystème médiatique tel qu’il existe aujourd’hui”
WINTER IS COMING
Sobriété : ce qu’en disent les Français
Le laboratoire d’idées Destin Commun a réalisé des études quantitatives et des focus groupes pour mieux appréhender la perception de la sobriété de la part des Français. On peut en retenir trois idées principales.
1/ La “sobriété à deux vitesses”. Si 72% des interrogés considèrent que la sobriété, comme moindre consommation, est “une solution souhaitable pour protéger l’environnement et lutter contre le changement climatique”, 48% considèrent que la sobriété n’est une option que pour les plus fortunés.
“Les personnes importantes ou les grosses sociétés ne veulent pas faire d’effort. On demande aux personnes au plus bas niveau et on n’a pas le choix”
2/ La sobriété comme régression, comme fin des plaisirs et des traditions. Un participant s’exclame : “Pour moi, Noël c’est Noël, y’aura des guirlandes lumineuses partout dans la maison. je les emmerde !”
« Bien que la sobriété soit perçue comme désirable par une large majorité des Français, elle est parfois considérée, notamment chez les plus modestes et les plus âgés, comme une forme de régression par rapport au confort matériel acquis au fil des générations, observe Laurence de Nervaux, directrice de Destin commun. Dans le monde d’hier, la consommation était un horizon d’attente, une validation de réussite sociale. Dans ce passage d’un paradigme à l’autre, ces personnes sont tiraillées entre la peur du déclassement et l’aspiration forte à un nouveau modèle de réussite plus sobre et plus humain. » (L’Opinion)
3/ La sobriété comme “perte de souveraineté domestique”. Le domicile était un espace jusqu’ici préservé des turpitudes du monde, qui offrait aux Français une dernière sensation de contrôle. En incitant les gens à ne pas chauffer leur logement au-delà de 19°C, le gouvernement a réactivé des craintes de pertes de liberté individuelle.
“On est assez grands pour être capable de savoir qu’il ne faut pas chauffer beaucoup. Chez nous, c’était le seul endroit où on avait le droit de décider ce qu’on va faire”
“Le chauffage, aujourd’hui c’est 19, dans 3 ans ce sera 18”
Trois insights très précieux pour les marques, qui cherchent toutes ou presque à jouer un rôle dans l’ère de la sobriété qui s’annonce. Comment faire pour que la subversion ne soit pas seulement du côté de celles qui oseraient prôner un intérieur chauffé à 22°C ? Demain, assisterons-nous à l’émergence d’une marque d’intérieur souverainiste, qui prônerait un discours type : “MAKE YOUR HOME GREAT AGAIN” ?
La com’ à l’ère de la sobriété : faut-il taxer les budgets publicitaires qui incitent à consommer plus ?
L’achat de biens de consommation est le premier poste d’émissions de CO2 des ménages français, lit-on dans Libération, qui fait l’écho d’une proposition d’un rapport de l’Institut Veblen et de Communication et démocratie, une ONG qui vise à renforcer l’encadrement des activités de com : une taxe de 8 % sur les dépenses publicitaires.
Intitulé «La communication commerciale à l’ère de la sobriété. Taxer la publicité pour consommer autrement», le rapport indique qu’une telle mesure contribuerait à «réduire le volume de communication commerciale de l’ordre de 13 %», aiderait directement à «lutter contre la surconsommation», permettant également d’augmenter le «bien-être» économique de la population en évitant des dépenses inutiles. A l’échelle du pays, l’introduction de cette taxe pourrait générer 1,66 milliard d’euros annuels en moyenne sur trois ans, toutes recettes fiscales confondues, même avec la baisse des dépenses de communication commerciale induite par cette même taxe.
Autre recommandation : «On suggère d’exclure de la taxe – complètement ou partiellement – la publicité pour des produits favorables à la transition écologique et sociale comme le bio, les énergies renouvelables, le réemploi, etc.», indique Renaud Fossard, délégué général de Communication et démocratie.
La publication de ce rapport a une vertu : celle de réinterroger le sens de la communication. A l’ère de la sobriété, la publicité doit-elle avoir un autre rôle que celui de pousser à la consommation ? A cet égard, le spot publicitaire de Leroy Merlin ci-dessous est un bon exemple de marque qui passe d’une démarche mercantile à une démarche servicielle - en l’occurence, fournir des conseils et bonnes pratiques pour réduire sa consommation énergétique.
Se nourrir, se chauffer, se déplacer : la politique de retour aux besoins primaires
Difficultés à s’approvisionner en essence, pénuries alimentaires (de l’ordre de 10 à 12% des produits s’alarme Dominique Schelcher, le patron de Système U, dans les colonnes du JDD) … Quelles conséquences politiques d’un retour aux besoins primaires, s’interroge le journal L’Opinion ?
“Jusqu’à aujourd’hui, l’accès à n’importe quel service ou marchandise, à n’importe quel moment, n’était même plus questionné. Tout était tendu vers l’augmentation des offres. Avoir une plus grande maison, se déplacer plus, mieux manger : la politique était devenue l’extension du domaine de la consommation”
Si les Français se recentrent sur des besoins primaires, s’ils craignent de manquer, s’ils sont révoltés qu’un grand pays comme le leur ne soit plus en mesure de leur garantir la lumière, quelle conséquence politique cela peut-il avoir ? Les critères d’évaluation d’un bon leader politique sont revus à la baisse. Un chef de l’Etat doit-il porter un ensemble de valeurs démocratiques, se battre contre le dérèglement climatique, étendre l’influence de son pays dans le monde ? Ou simplement nourrir son peuple ?
“Le risque est de passer du contrat social rousseauiste au Léviathan hobbesien. Dans une ère d’abondance, celle des Trente glorieuses, on choisit le leader sur sa capacité à garantir une harmonie commune. Un peuple libre possède un chef, mais n’a pas de maître. Dans un régime primaire, qui voit les risques de chaos augmenter, la tentation de la population pourrait être de déléguer volontairement son pouvoir à une force autoritaire”
CHAPEAU, L’ARTISTE
En Belgique, Decathlon devient Nolhtaced
Decathlon Belgique change de nom et s’appellera Nolhtaced, soit Decathlon écrit à l'envers … pour inciter le consommateur à “faire du shopping à l’envers”. Un coup de pub’ pour illustrer l’offre seconde main de Décathlon :
“À présent, vous pouvez y faire vos courses à l'envers. Au-delà de l'achat d'équipements sportifs, vous pouvez également vendre vos propres articles de sport, anciens ou inutilisés. Décathlon les répare et les revend ensuite comme articles de seconde main et sous garantie. L'objectif est de réutiliser autant d'équipements que possible pour ainsi réduire l'impact sur notre environnement et éviter les déchets. L'offre en seconde main de Décathlon permet également aux consommateurs moins fortunés d'acheter des équipements sportifs de qualité à moindre prix” (Décathlon)
🇺🇦 vs 🇷🇺 : propagande contre propagande
On l’a souvent souligné, le conflit militaire qui oppose l’Ukraine à la Russie est aussi (et même, à maints égards : surtout) une bataille de communication.
Illustration avec ces deux clips vidéos, massivement diffusés sur les réseaux sociaux. Le premier utilise (et détourne avec humour) les référentiels culturels français pour remercier l’aide militaire française. Le deuxième multiplie les clichés woke pour décourager les Russes de rejoindre l’Occident.
British Airways, ou la recherche des “reasons to fly” perdues
Au Royaume-Uni, la dernière campagne British Airways est un peu ce qu'était la dernière partition jouée par l’orchestre du Titanic ; un pur moment de grâce malgré l'effondrement.
Jusqu'à présent, la communication d'une compagnie aérienne se résumait à égrainer des raisons de voler qui se divisaient en deux : pour les loisirs, pour le business ou, pire, pour le "bleisure” (néologisme pré-covid mixant "business et leisure").
Et voilà que British Airways et son agence Uncommons, visiblement accompagné par Marcel Proust en direction de création, déploie une campagne composée de 500 indicibles raisons de voler.
Sous le jargon de l'aviation, les émotions ; 500 raisons de voler qui ne s'adressent ni au consommateur de paysage de carte postale, ni au grand et important professionnel mais directement à l'être humain derrière ses masques.
C'est "délicat", très, trop peut-être ; mais rarement une chose si délicate ne nous nous avais mis un tel coup de poing dans le bide. Alors oui, Adland se déchire sur son potentiel à transformer. Si elle ne fonctionne pas, c’est que l’être humain derrière le consommateur est définitivement perdu. Et que nous avons de plus gros problèmes.
Pourvu qu’elle marche ! 🙏
La sobriété selon Barilla : la “cuisson passive”
Sur son site, Barilla propose depuis la fin septembre une nouvelle méthode visant à obtenir un résultat parfaitement identique à celui d'une cuisson normale, mais en allumant ses plaques moins longtemps: la cuisson passive.
“La Cuisson Passive est une technique qui existe depuis le milieu du 19e siècle. C'est une méthode alternative de cuisson des pâtes qui permet d'économiser de l'énergie et de réduire les émissions de C02 jusqu'à 80 %*. Pour ce faire, il suffit d'éteindre la plaque de cuisson après 2 minutes de cuisson active, de couvrir la casserole avec un couvercle et d'attendre le temps de cuisson indiqué”
Preuve s’il en est que toute marque peut porter un discours sur la sobriété …
SIGNAUX FAIBLES
L’émergence d’un “marché de la flemme”
Dans une note publiée à la Fondation Jean-Jaurès, Jérome Fourquet et Jérémie Peltier reviennent sur ce qu’ils appellent “l’épidémie de flemme”, comprendre “l’impact du Covid sur la motivation et l’état psychologique des individus, ainsi que sur leur capacité à effectuer un effort mental et physique et à résister aux aléas de la vie”.
De fait, depuis la crise sanitaire, 30 % des sondés déclarent être moins motivés qu’avant. 45 % des Français disent être régulièrement touchés par une “épidémie de flemme” les dissuadant de sortir de chez eux.
“Si près de six de nos concitoyens sur dix ne semblent pas avoir été affectés psychologiquement par cette épreuve, la balance est nettement négative puisque seuls 12% des sondés se disent plus motivés qu’avant dans ce qu’ils font au quotidien, contre donc près d’un sur trois qui l’est moins. C’est encore plus vrai chez les plus jeunes avec 40 % des 25-34 ans indiquant être moins motivés qu’avant (contre seulement 21 % des plus de 65 ans)”
Autre illustration : quand, dans une enquête récente du Crédoc demande aux Françaises et aux Français quel serait pour eux un vendredi soir idéal, le premier élément qui arrive en tête est un plateau repas devant la télévision : pour 37 % des sondés, un vendredi soir idéal c’est un plateau télé, score deux fois plus élevé qu’une sortie entre amis (15 %).
L’enquête corrobore l’hypothèse d’une fragilisation psychologique et mentale accrue depuis la crise sanitaire : 31 % des Français disent ne pas se sentir suffisamment solides mentalement pour tout affronter dans leur vie quotidienne. 14 % des Français disent avoir durant la journée davantage envie de pleurer depuis la crise sanitaire.
Point très intéressant souligné par la note : la prise en charge de cette nouvelle donne par le marché, via l’émergence de ce qu’ils appellent le “marché de la flemme”.
“Chez Monoprix par exemple, les équipes ont récemment anticipé une plus forte demande en plaids ces prochaines semaines, afin de permettre aux consommateurs de passer l’hiver au mieux. De la même façon, les spas et jacuzzis, nouveaux équipements indispensables développés par la « civilisation du cocon », se vendent comme des petits pains depuis plusieurs années. La tendance à « chiller », comme l’épidémie de flemme, ont généré de nombreuses opportunités de marché bien comprises par les enseignes. Ainsi, la marque de viande Charal lançait au lendemain du premier confinement une publicité pour ses burgers préparés à faire réchauffer au micro-onde avec le slogan : « Le soir vous avez la flemme, nous on a la flamme »”
“La publicité des acteurs se positionnant sur ce marché vise à abattre ces obstacles culturels et moraux et à décomplexer totalement le consommateur, comme l’illustre par exemple un des slogans de Gopuff, start-up de livraison à domicile : « Lendemain de soirée [difficile] ? On arrive ». Plus récemment encore, la plateforme Uber Eats décidait d’axer sa dernière campagne de publicité autour d’un slogan on ne peut plus explicite : « Embrace the art of doing less » (Adopter l’art d’en faire moins)”
“Enfin, dernier exemple s’il en fallait, le secteur des transports de voyageurs à la demande surfe lui aussi sur la tendance à la flemme, en témoigne la campagne de publicité de la plateforme Heetch que l’on pouvait retrouver dans les tunnels du métro parisien en octobre dernier : « Vous avez la flemme ? On a le VTC »”
HSBC - dire ou ne pas dire, telle est la question
Au Royaume-Uni, l’Advertising Standards Authority (ASA) a récemment retoqué une campagne de la banque HSBC, qui avait suscité de nombreuses plaintes lors de sa sortie initiale en octobre 2021 à Glasgow, au moment de la COP 26. En cause, le fait que « malgré les initiatives mises en avant dans les publicités (un milliard de dollars investis par la banque dans des initiatives au service du climat), HSBC continuait à financer des entreprises et des industries qui émettaient des niveaux importants de dioxyde de carbone et d'autres gaz à effet de serre ». L’ASA a jugé cela d’autant plus inconvenant qu’à son sens « les consommateurs ne pouvaient pas savoir que c’était le cas, et que ces publicités omettaient des informations importantes et étaient donc trompeuses ».
Une banque puissante donc, qui agirait pour un monde meilleur tout en finançant un monde pas top. Deux revers d’une même pièce, mais dont on ne montre légitimement que la partie la plus brillante. Alors se dessine un enjeu massif pour les marques et leur communication. Pour les banques évidemment, car elles ont un poids monumental dans la transformation des sociétés, mais aussi pour la plupart des marques qui nous animent au quotidien. Une question majeure qui se pose en les termes suivants : peut-on dire ce que l’on fait de bien quand on ne fait pas (encore) tout bien ?
Interrogation vertigineuse tant elle remet en question nombre d’initiatives, de campagnes, mais aussi de raisons d’être d’entreprises. Difficile évidemment d’y répondre de manière uniforme, mais plusieurs voies pourraient néanmoins s’offrir aux annonceurs.
Il y a d’abord le sujet du décalage entre les actions vertueuses et les actions contestables. Une simple logique d’équilibre - ou de compensation - pourrait mener à penser que plus on agit mal d’un côté, plus on devrait agir bien de l’autre. L’époque semble néanmoins exiger que l’on aille au-delà de ce jeu à somme nulle, et que l’on fasse basiquement pencher le curseur du côté de la responsabilité. Ce n’est qu’une fois ce contrat respecté que l’on pourrait s’enorgueillir de quelque initiative engagée que ce soit.
À cela s’ajoute l’impératif croissant de valoriser la trajectoire que l’on veut donner à ses actions, et de proposer une perspective positive et transparente autour de l’impact de son entreprise dans les années à venir. Il est normal que certaines transformations prennent du temps, et cela semble tout à fait audible si c’est expliqué avec soin et humilité.
Enfin, tout ce qui n’est pas dit n'existant pas, il semblerait dommage de ne pas valoriser les bonnes initiatives. Parce qu’elles ont déjà le mérite d’exister, et parce qu’elles font évoluer culturellement les considérations et attentes à l’égard d’un secteur. C’est en ce sens qu’il faut travailler les discours, avec l’ambition de dépasser le simple argument commercial au profit d’un changement de modèle vertueux qui engage l’ensemble de son marché.
NEW DEAL
Dans “Future Risks Report” (AXA), le climat est devenu le risque n°1
Depuis 2014, AXA publie une enquête annuelle très fouillée (20 000 sondés et 4 500 experts interviewés, dans près de 50 pays) qui fait l’inventaire des risques qui pèsent sur le monde. L’édition 2022 voit le climat devenir, pour la première fois, le risque systémique numéro 1. Le risque climatique est en tête dans toutes les zones géographiques, y compris aux Etats-Unis, dépassant les risques géopolitiques, le risque cyber, le risque pandémique, mais aussi l’énergie, les mouvements sociaux ou la stabilité financière.
Fait frappant : seuls 14% des experts et 27% de la population estiment que les Etats en font assez pour maitriser le risque climatique. Plus largement, le niveau de confiance du grand public recule de façon marquée, aussi bien vis-à-vis des scientifiques (66% de confiance cette année contre 75% l’an dernier), des autorités publiques nationales (58% contre 62%), des ONG et de la société civile (53% contre 56%) que des entreprises (45% contre 47%). A noter que les experts gagnent en confiance (69% contre 64%).
60 entreprises demandent la mise en place d’une TVA verte
Alors que l’examen du projet de loi de finances pour 2023 se poursuit à l’Assemblée nationale, 60 entreprises ont signé une tribune dans Le Journal du dimanche appelant à l’application d’un taux de TVA réduit à 5,5% sur les produits écologiquement responsables.
“Il existe aujourd’hui en France plusieurs biens et services bénéficiant, à raison, d’un taux de TVA réduit comme les livres, certaines denrées alimentaires ou encore les places de cinéma. Notre idée est simple : appliquer un taux de TVA réduit aux produits écologiquement responsables afin de soulager le portefeuille des ménages et d’encourager les entreprises qui œuvrent pour la transition écologique et sociale”
Un nouvel exemple de “legislative brands” dont nous parlions dans un précédent numéro de la Cortex Newsletter, à savoir des marques qui cherchent à peser de façon positive dans des processus législatifs “mieux-disants”.
Sur les réseaux sociaux, alerte au greenwashing
Comment les entreprises de l’industrie fossile ont-elles abordé les évènements climatiques de l’été 2022 sur leurs réseaux sociaux ? C’est la question que s’est posée Geoffrey Supran, chercheur à l’université Harvard, dans une étude pour Greenpeace repérée par Society.
Résultat : Sur 2325 posts analysés, émanant de 22 entreprises européennes, 67 % sont qualifiés de greenwashing.
"La manière dont elles exagèrent les efforts qu’elles fournissent du point de vue de l’innovation verte est une déformation de la réalité."
"Les compagnies aériennes, par exemple, parlent beaucoup sur leurs comptes de ce qu’on appelle les ‘carburants durables’, alors qu’il n’a pas encore été prouvé que ces carburants avaient un impact significatif sur l’atténuation du changement climatique. Surtout, il reste un long chemin avant leur commercialisation."
Pour le chercheur, l’un des moyens “les moins subtils" mais systématiquement utilisés par ces entreprises pour communiquer,iquer sur leur aspect “vert” sont … des photos de la nature. Il regrette qu’il n’y ait aucune législation sur l’utilisation de ces images.
“97 % des posts des compagnies aériennes et entre 50 ou 60 % de ceux des autres entreprises sur le thème de l’innovation verte étaient accompagnés de photos de paysages."
DERNIÈRES PARUTIONS
Un livre : Les dépossédés, Christophe Guilluy (Flammarion)
L’auteur de “La France périphérique” revient avec un court essai sur son thème de prédilection : les classes populaires ou, comme il l’appelle, “la majorité ordinaire”. Cette dernière subit un éloignement géographique (progressivement coupé de la mer et des centres-villes, trop onéreux), social, politique et culturel, qui explique qu’ils sont à l’origine de toutes les contestations actuelles.
“Le récit national contemporain des pays occidentaux est moins perturbé par la diversité d’origine des populations que par l’invisibilisation de leurs blocs majoritaires (…). Après avoir perdu leur statut de référent économico-social, les classes populaires et moyennes ont été dépossédées de leur statut de “référent culturel”, hier encore opératoire pour les élites comme pour les nouveaux arrivants. En perdant ce statut, les gens ordinaires (quelle que soit leur origine) voient leur existence culturelle contestée par le haut et par le bas”
L’essai fourmille d’intuitions, pas toujours étayées, mais souvent très stimulantes. Parmi elles, on peut retenir :
i/ La transformation des moteurs de la mobilisation sociale. “Aujourd’hui, les ressorts profonds ne sont plus seulement matériels, mais surtout existentiels”. Contrairement aux mouvements sociaux des XIXe et XXe siècle, l’auteur note que les mouvements les plus mobilisateurs aujourd’hui ne sont pas portés par une lutte pour l’acquisition de nouveaux droits, mais par la volonté de préserver le statut social et culturel de la « majorité ordinaire ». C’est leur dimension immatérielle qui rend ces mouvements plus difficilement arrêtables : « on ne peut pas acheter des gens qui ne se battent pas seulement pour leur pouvoir d’achat, mais surtout pour sortir du chaos existentiel dans lequel les élites les ont plongés », écrit-il. En cela, Guilluy s’oppose frontalement à l’analyse fourquetienne, qui voit plutôt les Gilets jaunes comme une sorte de jacquerie consommatoire.
ii/ L’évolution des finalités de la contestation : pas contre, mais ailleurs. “Pour la première fois, la majorité ordinaire n’est pas ‘contre’ le spectacle d’un pouvoir politique impuissant, mais ‘ailleurs’. Et ce positionnement au-delà des luttes et de la conscience sociales sous contrôle le déstabilise”
A lire !
Un podcast: « BigTechWiki, toutes les casseroles des GAFAM » (Les éclaireurs du numérique)
Entre les pertes abyssales de leur valeur boursière et les licenciements de masse, les Big Tech sont en plein questionnement. Il ne faut cependant pas oublier qu'elles ont fait rêver car elles représentaient l'avenir et la croissance.
Mais quand le bizness et le rêve marquent le pas, les zones d'ombre deviennent aveuglantes. Avec 90 dossiers un peu épineux pour les GAFAM, le wiki BigTechWiki donne une vue d'ensemble sur les lignes de force des gros acteurs de la tech : La Chine, les taxes, l'intelligence artificielle, le lobbying, la désinformation, les minorités, la santé mentale. Tout y est référencé et sourcé dans le détail. Par exemple, on y apprend que les normalisations sur Facebook, Instagram et YouTube ont créé des normes arbitraires discriminatoires concernant la sexualité ou les contenus sexuels, interdictions des pubs pour les marques de bien être sexuel destinées aux femmes ou LGBTQ.
Comment cela va évoluer ? Difficile de ne pas penser que ces grandes entreprises ne vont pas ingérer/digérer la contestation pour revenir plus fortes encore. Mais en attendant, l'effet de classification et d'accumulation donne le vertige.
Un podcast à retrouver ici.
Une revue : “Le retour de la violence en politique” (Revue des deux mondes, Novembre 2022)
Numéro très intéressant de La Revue des deux mondes, qui donne la parole à des intellectuels et politiques de bords très différents pour explorer le thème du retour de la violence en politique. On découvre qu’aux Etats-Unis entre 15 et 20 millions d’Américains pensent que la violence serait justifiée pour réinstaller Trump au pouvoir. On y lit aussi Jean-Luc Mélenchon théoriser la stratégie de la conflictualité. Tout en tentant une distinction entre la « violence révolutionnaire », qu’il réprouve, et le conflit politique, dont il se revendique, il explique :
“La stratégie de la conflictualité part de l’idée que c’est par le conflit que l’on découvre un autre aspect de la réalité et donc la nécessité de l’alternative. Elle est productrice de conscience”
A parcourir !
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