L’accession au trône de TikTok, la consommation de Noël, la croissance comme nouveau clivage politique, la génération “indoor child”, le business du slow, la “nouvelle classe écologique” et Don’t Look Up. Elles ont fait (ou pas) l’actualité, voilà la veille des idées du mois de décembre 2021.
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ÇA S’EST PASSÉ EN 2021
TikTok est devenu le site web le plus visité au monde
C’est ce que révèle le classement annuel CloudFare : alors que Google régnait en maitre en 2020, TikTok s’est hissé à la première place des sites les plus visités au monde (le réseau social chinois n’était classé que 8e en 2020).
D’habitude, on compare TikTok aux autres réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Instagram, etc) : ce qui frappe, c’est qu’en termes de visites, TikTok se mesure désormais au maitre du secteur tout entier.
Les interprétations sont multiples : conséquence du confinement ? passage de relais de l’hégémonie américaine ? Changement d’ère digitale ?
Le pack de six bouteilles “C’est qui le patron” devient le plus vendu en France
Grande première pour un produit équitable : “C’est qui le patron”, la marque des consommateurs qui rémunère au prix juste les producteurs pour leur dégager un revenu décent, a vu sa brique de lait vendue en pack de six devenir la première référence de sa catégorie, devant Lactel et Candia.
"La marge de progression reste encore très importante, quand on sait que ces chiffres records sont obtenus pour un produit présent seulement dans 59 % de magasins" (Novethic)
C’est d’abord la victoire de la consommation responsable : le respect de la filière (les producteurs, les exploitants, les distributeurs) devient un standard des top critères de choix d’une marque. Les grands acteurs traditionnels du secteurs, qui sont encore dans la négociation malsaine, sont commercialement en danger …
C’est aussi la victoire d’une marque qui parvient à dominer commercialement sans avoir jamais recouru à aucune publicité … chapeau l’artiste !


Les SUV ont totalisé près de 50% des ventes en Europe
Les Echos notent que “malgré les polémiques et l'hostilité d'une frange de la population, les ventes de SUV ont représenté sur les dix premiers mois de l'année 42 % des ventes en Europe” contre 38% l’an passé … et seulement 19% en 2013.
Commentaire de Jean-Marc Jancovici, président du Shift Project, sur son LinkedIn :
“On se retrouve ici avec deux conflits d'objectifs que nous sommes incapables d'arbitrer en faveur du long terme :
- un conflit entre emploi/PIB et environnement : les modèles SUV sont des modèles à forte marge, et fabriqués en France ; ils sont donc particulièrement "précieux" pour les constructeurs français,
- un conflit entre "sécurité à court terme" (les SUV procurent une impression de sécurité de conduite parce qu'ils sont surélevés) et "sécurité à long terme" (ces modèles sont plus prédateurs de l'environnement : ils demandent plus de matériaux à la construction - et cela reste vrai pour les modèles électriques - et émettent plus à l'utilisation)”
Dans le même temps, la part de marché de la voiture électrique a atteint 9,8 % et celle de l'hybride rechargeable 8,5 %, tandis que les ventes de véhicules de seconde main en augmenté de 8,2% - pour atteindre 5,97 millions d’immatriculations en 2021.
SUV, voiture électrique et voitures d’occasion : le marché de l’automobile illustre à merveille les différentes faces de la consommation.
39% des Français ont franchi les portes d’un magasin Action
C’est sans doute l’un des best-sellers de l’année. Depuis son arrivée en France en 2012, les magasins Actions (et son slogan « des petits prix, grand sourire ») n’a cessé de gagner en popularité, sur un positionnement résolument low cost (en moyenne, chaque magasin propose près de 1500 références à moins de 1€).
En 2021, la chaine a ouvert son 600e magasin dans l’hexagone (le premier à Paris, étant d’habitude situé dans des zones péri-urbaines), et Nielsen estime son taux de pénétration à 39% cette année (contre 25% il y a 2 ans).
33% des Français se sont fait livrer des repas à domicile
Une étude YouGov montre que, boostée par la crise sanitaire, la livraison des repas s’est ancrée dans les habitudes des Français : 33% des Français y ont eu recours ces 6 derniers mois. La livraison de courses alimentaires à domicile, quant à elle, est utilisée par 20% des Français, un chiffre tiré à la hausse par les 18-24 ans (34%) et les habitants de région parisienne (30%).
Dans 49% des cas, la livraison se fait en remplacement d’une visite au restaurant. Parmi les trois principales raisons invoquées : gagner du temps (60%), se faire plaisir et faire plaisir à son entourage (56%), se simplifier la vie (47%).
Pour ceux qui n’utilisent pas ce service, YouGov a dégagé les principaux freins :
Série vs cinéma, livraison vs restauration sur place : voilà les nouveaux clivages de la “civilisation du cocon” (pour reprendre l’expression désormais incontournable de Vincent Cocquebert).
LA CONSO DE NOËL
« Au secours, ma belle-fille est végane »
Un article du Figaro s’amuse de voir que lors des repas de Noël, la consommation cristallise les tensions familiales :
“De quoi mettre en évidence un certain clivage, qui placerait «bons vivants» d'un côté et «écolos» de l'autre. Or ces deux camps, qui se redoutent voire s'invectivent dans le débat public, se retrouvent parfois un 24 décembre, autour de la même table couverte d'une belle nappe, avec en commun les liens du sang”
À ce titre, la consommation de foie gras est emblématique. Depuis plusieurs mois, l'association de défense des animaux PETA incite publiquement les municipalités à abandonner le foie gras dans leurs commandes publiques - une incitation suivie par les villes écolo de Strasbourg, Grenoble et Lyon. "Au moment des fêtes, le foie gras fait partie de notre culture et de notre patrimoine", défend au contraire Germinal Peiro, président du conseil départemental de la Dordogne et cosignataire de la tribune "Soyons fiers de notre foie gras et de nos artisans", aux côtés de 55 autres élus du Périgord. En France, le foie gras est reconnu "patrimoine culturel et gastronomique protégé" depuis 2006 (France info).
Pour autant, selon un sondage Opinionway pour Greenweez, ce sont 69 % des Français, dont 75 % des 25-34 ans, qui estiment que Noël est un moment où on peut abandonner l'écoresponsabilité … Noël, le dernier repas où tout est encore permis ?
“Acheter du neuf, c’est signifier qu’on n’est pas un cassos”
Un sondage IPSOS pour Rakuten soulignait à la mi-décembre la tendance des “cadeaux d’occasion” (pour des raisons financières, à 77%, et écologiques, à 71%) : cette année, 47 % des Français se disaient prêts à offrir un cadeau d’occasion à leurs proches, alors qu’ils n’étaient que 18 % à l’imaginer l’an passé.
«Nous avons assisté en 2021 à une normalisation à grande vitesse de l’achat de seconde main dans les pratiques de consommation des Français. Les possibilités offertes par l’e-commerce ont apporté des réponses à des aspirations profondes d’échange, de consommation plus respectueuse de l’environnement, accélérées par des phénomènes conjoncturels tels que les menaces de pénuries de produits et le retour de l’inflation », (Fabien Versavau, PDG de Rakuten France)
Oui, mais voilà : il serait faux de croire que l’intégralité de la population française se retrouve dans cette consommation de seconde main. Dans Usbek et Rika, le sondeur Jérôme Fourquet explique comment devoir renoncer à acheter du neuf peut provoquer colère et frustration :
“Il faut saisir que la consommation a, plus que jamais, une dimension éminemment symbolique et inclusive au plan social : le fait que que je puisse consommer un certain panier de produits signifie mon appartenance à la grande classe moyenne. Ce n’est donc pas tant à une paupérisation du bas de la classe moyenne qu’on assiste, mais plutôt à une élévation permanente du seuil d’entrée dans la classe moyenne, avec la création constante de nouveaux produits, de nouveaux désirs. Résultat : une partie de la population n’arrive plus à suivre et doit avoir recours à des expédients pour se maintenir à flot dans le grand bain de la consommation”
C’est ce rôle symbolique et inclusif essentiel de la consommation qui serait à l’un des moteurs de la crise des Gilets jaunes :
“Comme la consommation a acquis une dimension très statutaire, l’appartenance à la société, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, passe aussi en grande partie par la consommation (…) Un gilet jaune expliquait que la raison de sa colère venait du fait qu’il faisait auparavant ses courses chez Leclerc et qu’il devait maintenant consommer chez Lidl”
Pour 34 % des Gilets jaunes, consommer neuf c’est “pouvoir consommer comme tout le reste de la population”, et pour 20 % d’entre eux, c’est “pouvoir consommer de manière digne”. D’où la punchline finale de Fourquet : “Désormais, pouvoir acheter du neuf, c’est signifier qu’on n’est pas un « cassos »”
34% des Français ont le sentiment d’offrir moins de cadeaux à Noël par rapport il y a 2 ans …
… contre seulement 8% qui ont le sentiment d’en offrir davantage, dixit l’ObSoCo. Qui observe que “les facteurs économiques pèsent d’un poids au moins équivalent à celui des considérations environnementales dans la décélération du geste d’offrir”.
“On retrouve une tension entre ceux qui pourraient consommer mais ralentissent et ceux qui voudraient mais peuvent moins”
Noël et la précarité alimentaire
Noël, c’est aussi l’occasion de rappeler ses engagements. Carrefour a décidé de dédier sa campagne télévisée de Noël à toutes celles et ceux qui, clients comme collaborateurs, sont mobilisés pour lutter contre la précarité alimentaire. Ce faisant, il casse tous les standards de l’exercice de style des beaux films de fin d’année.
LES BONNES RÉSOLUTIONS
Quitter les réseaux sociaux
On découvre sur Influencia que la marque de cosmétique Lush a décidé de fermer ses pages Facebook, Instagram, Snapchat et TikTok. Trois raisons ont été invoquées :
1/ être cohérent avec les valeurs portées par la marque :
“En tant que créateur de Bombes de bain, ma priorité est de proposer des produits qui aident à se déconnecter, se relaxer et prendre soin de son bien-être. Les réseaux sociaux sont devenus l’antithèse de cet objectif, avec leurs algorithmes conçus pour inciter les gens à scroller éternellement, sans prendre un seul moment pour se déconnecter et se détendre” (Jack Constantine, directeur général Lush)
2/ protéger ses clients contre les risques liés aux réseaux sociaux :
“J’ai passé ma vie à éviter d’utiliser des ingrédients nocifs dans mes produits. Les risques que les réseaux sociaux représentent pour nous sont aujourd’hui plus que prouvés. Je refuse d’exposer ma clientèle à ces risques ; il est temps de retirer cet ingrédient de notre formule. Il est de notre devoir d’agir par nous-mêmes pour protéger notre clientèle des dangers et des manipulations auxquels elle s’expose lorsqu’elle nous cherche sur les réseaux sociaux” (Jack Constantine, directeur général Lush)
3/ redevenir souverain sur sa communauté de clients :
“Lush en avait assez de se battre contre des algorithmes qui conditionnent ce que la communauté Lush peut être ou avoir ou non. Nous avons dénoncé le pouvoir surpuissant de certaines plateformes sur la modération et la visibilité des contenus. Nous prenons désormais la main de notre plateforme” (Chloé Chazot, responsable communication de Lush)
Action isolée ou signal faible ? Acteur marginal ou early-adopter ? On se souvient qu’il y a tout juste un an, la griffe de luxe Bottega Veneta avait décidé de quitter Instagram … sans être suivie par aucun de ses concurrents. Plutôt que prendre la décision de les quitter, ne pourrait-on pas envisager un usage éthique des réseaux sociaux, pour exposer sa raison d’être au plus grand nombre sans renier ses valeurs ?
* Traduction de l’annonce :“Enfin chez soi”
BIENVENUE EN 2022
The In-Game Vaccine
Par "mesure de précaution", Pfizer a installé, au Brésil, des Virtual Vaccination Center dans le jeu GTA 5. La mécanique est aussi simple que redoutable : si vous vous faites vacciner dans le jeu et que vous postez une preuve que vous êtes aussi vacciné "in real life" via le #InGameVaccine, votre avatar devient plus fort dans le jeu. Ce qui ne vous tue pas dans la vraie vie vous rend aussi plus fort dans votre vie virtuelle : nouvelle preuve de l’abolition des frontières réalité / virtualité.
Reste une question à éclaircir : peut-on attraper le Covid dans le Métaverse ?
La croissance, nouveau clivage politique
À quelques mois des élections, remarque Le Monde, une ligne de partage se dessine dans le débat politique : le rapport à la croissance. On trouve des “décroissants”, des “altercroissants”, des “postcroissants”, des tenants de la “petite croissance”, et bien sûr, de la “croissance verte”. “Avec la crise écologique, les responsables politiques se disent que la croissance pour la croissance a ses limites, et qu’il faut la qualifier”, résume Jérome Fourquet.
“En 2021, la moitié des Français se disent favorables à plus de croissance et à ce qu’une priorité absolue soit donnée à la création d’emplois, tandis que l’autre moitié défend un autre modèle de développement ayant pour objectif la préservation des ressources. En 2017, les premiers étaient majoritaires”, constate Frédéric Dabi, directeur général de l’IFOP.
Le changement est important, car comme le note l’économiste Jérome Batout : “Les démocraties se sont reconstruites après guerre autour de quelques consensus, sur lesquels pouvaient ensuite se fonder les débats politiques. La croissance fut le consensus majeur”. Mais quand cet accord vacille, comme c’est le cas aujourd’hui, c’est tout le débat public qui se déstructure.
“Dans un monde politique polarisé, la notion de croissance, qui n’est pas si évidente à définir, ne joue plus son rôle naturellement fédérateur. Et les socles idéologiques des partis, fragilisés, ne permettent plus à eux seuls d’en comprendre le sens” (Le Monde)
Pour l’heure, le débat n’a que très peu infusé dans le discours des marques, mais elles seront bientôt forcées à se positionner sur le modèle de croissance qu’elles défendent. Et si c’était ça, leur prochaine “vision du monde” à creuser pour l’année 2022 ?
Un master “Boire, manger, vivre” à Sciences Po, pour alimenter le soft power français
À la rentrée prochaine, Sciences Po Lille proposera un nouveau master dédié à la “gastro-diplomatie”, une notion “que le gouvernement français a qualifiée d’outil majeur pour faire rayonner la France à travers le monde”, raconte The Telegraph.
Au programme figurent l’histoire de l’agriculture, l’aide alimentaire, les défis écologiques, le marché de la livraison à domicile, ou encore les problématiques liées au harcèlement sexuel dans les cuisines …
A n’en pas douter, plusieurs grandes marques alimentaires pourraient parler de gastro-diplomatie … un nouveau type de d’engagement dans la Cité ?
Uber Pet débarque en France
“Que vous rendiez visite à un ami ou fassiez une course rapide, l’application Uber peut vous aider à vous déplacer en un rien de temps, avec votre animal de compagnie” annonce Uber France dans un communiqué. Qui donne quelques conseils de bonne conduite pour emmener des animaux de compagnie dans un trajet Uber :
Attachez votre chien ou votre chat avec une laisse, un harnais ou placez-le dans une cage. Si votre animal n’est ni un chien ni un chat, il devra obligatoirement être placé dans une cage
Aidez les chauffeurs à garder les véhicules propres pour les autres passagers en apportant une couverture ou une serviette pour couvrir le siège et réduire le risque de dommages ou de saleté
Demandez à votre chauffeur s’il a une préférence pour l’emplacement de votre animal.
Ne laissez pas votre animal sans surveillance.
Le XXIe siècle sera celui des animaux, comme dirait l’autre. Dans un avenir proche, il n’est pas impossible qu’être perçue comme une “marque amie des animaux” devienne un nouvel impératif marketing. On arrive dans une ère où le pet marketing va se développer, en humanisant toutes nos prestations pour les animaux via des services qui lui seront proposés pour augmenter la sérénité et surfer sur l’amour irrationnel des maitres pour leurs animaux.
Pour rappel : un Français sur deux possède au moins un animal de compagnie, et le marché des animaux de compagnie représente désormais 5 milliards d’euros en France (500€/personne/an en moyenne). Un sondage réalisé en mai 2021 par Zoomalia montrait que 72% des Français partaient en vacances avec leur animal, et que 36% des sondés déploraient la difficulté de trouver un logement de vacances qui accepte la présence d'un animal.
Découvrant qu’ils sont mortels, les millennials se mettent à rédiger leurs testaments
Dans The Wall Street Journal, on apprend que selon un sondage réalisé par LegalZoom, 32 % des adultes de moins de 35 ans ont déclaré que l’épidémie de Covid-19 les a poussés à préparer un testament. Et pour le spécialiste de la prise en charge des personnes âgées Caring.com, environ 27 % des 18-34 ans auraient fait part de leurs dernières volontés en 2021, contre 18 % en 2019.
La nouvelle génération “indoor child”
Dans Le Monde, le journaliste Nicolas Santolaria s’interroge sur l’émergence d’une génération d’enfants d’intérieur (les “indoor child”) :
“Même s’ils ont le droit de se rendre seuls à la douche, quand on fait le compte, on s’aperçoit que les enfants d’aujourd’hui sont un peu comme des taulards. Leur temps en extérieur est infinitésimal. On en arrive alors à cet étrange paradoxe où le parent qui fait son job consciencieusement finit par séquestrer son enfant « pour son bien » (…). C’est le pur produit d’un monde qui se replie sur lui-même, se calfeutre, se pelotonne. Un monde qui affectionne les canapés mous et la culture scandinave du hygge”.
Le sociologue Clément Rivière, auteur de l’ouvrage Leurs enfants dans la ville. Enquête auprès de parents à Paris et à Milan, complète l’analyse :
“Le recentrage des sociabilités enfantines vers le domicile, analysé par certains sociologues de l’enfance comme l’apparition d’une “culture de la chambre”, est favorisé par la diffusion de la téléphonie mobile et de l’accès à Internet, qui permettent le maintien d’une relation intense avec les pairs depuis le domicile”
Pour les marques, ce sont autant d’opportunités commerciales - aussi bien pour celles qui veulent devenir les meilleurs partenaires de la civilisation du cocon, que pour celles qui prônent au contraire la vie à l’extérieur …

NEW DEAL
L’émergence des Chief Impact Officers
C’est le souhait exprimé par Les Échos pour l’année prochaine : que des Chief Impact Officers fleurissent dans les Comex de toutes les entreprises françaises, pour qu’ils aient voix au chapitre des grandes orientations stratégiques.
“Leur mission : guider l'entreprise dans sa transformation sociale, sociétale et environnementale, garantir l'incorporation de ces enjeux dans sa stratégie, agir en transversal, mesurer les avancées et faire évoluer les états d'esprit”
Autrement dit : fonctionnellement, le CIO (à ne pas confondre avec le Chief Information Officer) est très proche de ce qu’on nomme ailleurs “responsable RSE”, “directeur de l’engagement” ou encore “Chief Mission Officer” ou “Mission catalyst” pour les plus audacieux …
Mais l’appellation progresse. Certains s’en souviennent peut-être : Chief Impact Officer, c’est le job à un million de dollars du Prince Harry pour la start-up BetterUp. Tout dernièrement, le 10 décembre dernier, la presse économique française s’est faite le relai d’une nomination importante : Kat Borlogan, directrice de la mission French Tech à Bercy depuis 2018, a été nommée "Chief Impact Officer" chez Content Square, licorne française parmi les leaders mondiaux du parcours utilisateur sur le web.
La France, pays où les entreprises engagées sont parmi les plus performantes au monde
Et si la France devenait leader de l’ère du capitalisme responsable ? Selon le classement de EcoVadis, la France arrive dans le trio de tête des performances RSE des entreprises avec la Suède et la Norvège, loin devant l’Allemagne (15e) ou les États-Unis (25e).
“Pour établir son classement, la plateforme de notation des politiques RSE s'appuie sur plus de 80 000 évaluations et se base sur plusieurs critères dont les enjeux sociaux ou l’éthique et à la prévention de la corruption” (Novethic)
Quand on regarde de plus près, la France surperforme sur les critères sociaux, de protection des données (RGPD) et les achats responsables. Les entreprises françaises sont toutefois moins performantes que les autres en matière d'environnement (5e au classement).
Pour Sylvain Guyoton, vice-président d’Eco-vadis, il reste deux pistes d’amélioration majeures pour améliorer la performance RSE en France : rendre les chaînes d’approvisionnement plus responsables, et lutter davantage contre la corruption.
Bataille mondiale sur le modèle de l’entreprise responsable : B-corp ? Ecovadis ?
Le féminisme-washing
La journaliste Léa Lejeune a consacré un livre, sorti en mars dernier, à la façon dont les grandes entreprises récupèrent le combat des femmes pour tenter de générer des opportunités économiques. Dans Maddyness, elle revient sur son travail :
“Le féminisme-washing regroupe l’ensemble de pratiques de communication et de marketing utilisées par les entreprises, qui visent à faire croire aux consommatrices et aux consommateurs qu’elles se préoccupent de l’égalité, alors qu’elles cachent des pratiques RH qui sont loin d’être exemplaires”
Aussi rentables soient ces pratiques, elles peuvent aussi participer à diffuser les idées féministes à grande échelle, reconnait-elle :
“C’est un sujet à double tranchant. Quand Dior affiche sur un t-shirt « We should all be feminists« , on peut critiquer cette démarche parce que la pièce coûte 620 euros et qu’elle n’est pas abordable pour 95% des femmes. Mais ça participe quand même à la diffusion des idées féministes partout dans le monde…”
Dans les acteurs privés qui font progresser le sujet, la journaliste cite L’Oréal qui “a fait l’effort de travailler sur les écarts de salaire et s’est entouré de chercheuses indépendantes pour les mesurer de manière la plus précise possible”.
Et d’appeler à une nouvelle pratique : la RFE - la Responsabilité Féministe de l’Entreprise.
Livraison : le business du slow
Alors que le secteur de la livraison voit fleurir des acteurs qui promettent des livraisons toujours plus rapides (“Tout en moins de 10mn”), FranceTvInfo s’est intéressé à ces entreprises qui choisissent délibérément de ralentir le rythme de leur livraison.
“C’est le cas de Picnic à Valenciennes (Nord), qui propose une livraison gratuite aux clients qui ont commandé sur l’application. L’entreprise dessert la ville par quartier avec des camionnettes électriques, au rythme d’une tournée par jour et par zone, comme le laitier d’autrefois. Ces livraisons plus lentes permettent à Picnic de réduire ses coûts drastiquement : plus de magasin et peu de stock”
Face à l’accélération du monde, le slow comme stratégie de positionnement : un raisonnement adaptable à beaucoup d’autres secteurs !
DERNIÈRES PARUTIONS
Un livre : “Mémo sur la nouvelle classe écologique” (Bruno Latour & Nikolaj Schultz, Les empêcheurs de tourner en rond, 2022)
Un ouvrage très stimulant qui propose de repenser la notion de classe, héritée du marxisme, pour l’adapter au grand défi du XXIe siècle : l’écologie.
Aux XIXe et XXe siècles, les sociétés se vivaient dans un univers infini où le progrès illimité apporterait bonheur et prospérité. Les conflits se nouaient autour des rapports de production, entre ceux qui détenaient le capital et ceux qui vendaient leur force de travail, et autour de la répartition et de la distribution des richesses - la fameuse “lutte des classes”. Avec la crise climatique, nous redécouvrons la Terre, et avec elle nous prenons conscience d’un changement de cosmologie : “Nous ne sommes plus des humains dans la nature, mais des vivants au milieu d’autres vivants”, résument Bruno Latour et Nikolaj Schultz.
Dès lors que “la production n’est plus notre seul horizon”, il faut tâcher de réinventer les classes sociales qui structurent la société. D’où leur proposition de penser une “nouvelle classe écologique”, une classe transversale associant scientifiques, militants, tous unis dans un objectif commun : “maintenir les conditions d’habitabilité de la Terre”.
Ce qui est intéressant, c’est que cette “nouvelle classe écologique” repense la notion de liens et de territoires : un paysan du Limousin est tout aussi relié à l’Amazonie par le soja que son semencier importe du Brésil, qu’un cadre urbain est dépendant des mines de lithium qui alimentent son vélo électrique.
“La classe écologique doit donc prendre en charge les conditions d’habitabilité, et nouer de nouvelles alliances avec des univers sociaux qui lui semblaient éloignés. Chacun en a fait l’expérience. Que ce soit au sujet de la chasse, du véganisme ou des éoliennes, l’écologie divise les familles, les amis ou les collègues de travail. Mais elle relie aussi à d’autres mondes sociaux. C’est pourquoi il faut passer de la lutte des classes à la « lutte des classements »”
(Le Monde)
Un film : Don’t Look Up (Netflix)
Sans conteste l’évènement audiovisuel de ces fêtes de fin d’année. Il est tout à fait saisissant de voir que c’est un film Netflix qui ait brutalement fait surgir l’enjeu climatique dans les discussions. « Don’t Look Up » dépeint le combat de deux scientifiques (incarnés à l’écran par Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence) pour convaincre de la réalité des dangers d’une comète qui va s’écraser sur Terre. La société américaine se divise en deux camps : ceux qui appellent à lever les yeux vers le ciel pour apercevoir la comète (« Look Up »), et ceux qui s’y refusent, par déni, démagogie ou cynisme (« Don’t Look Up »). En France, comme partout dans le monde, le film a été reçu comme une métaphore des résistances à la transition climatique : Yannick Jadot, Julien Bayou et Delphine Batho se sont d’ailleurs chacun fendus d’un Tweet accompagné du #LookUp.
Autre réflexion : contrairement à Bezos ou Zuckerberg, Reed Hastings parle peu. Au fond, on sait peu de choses de la marque corporate Netflix : a-t-elle une idéologie, une vision du monde ? Il n’est pas anodin qu’elle diffuse un film si engagé (et si critique sur le fonctionnement politique et médiatique ) à 200 millions de foyers dans le monde (la série est n°1 dans 94 pays). A moins qu’elle ne se réclame d’une “neutralité éditoriale”, quand d’autres géants parlent de “neutralité du web” : peut-être Netflix n’est-il qu’un gros tuyau, diffusant d’abord et avant tout … ce qui fonctionne ?
Un podcast : “Souljaboy : le jour où il a inventé internet” (1 jour dans le rap, Mouv’)
En dix minutes, “1 jour dans le rap” revient sur le phénomène Souljaboy qui, en 2007, devient le premier rappeur à devenir populaire depuis sa chambre, en inventant “le manuel du rappeur connecté”.
“En ayant l’idée géniale de lier ses comptes MySpace et YouTube, il est celui qui a posé les fondamentaux de l’influence digitale”
C’est tout pour aujourd’hui ! Rendez-vous le mois prochain pour un prochain numéro de la CORTEX NEWSLETTER.